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Jonathan Zaccaria, chef expédition pour Grands Espaces, nous raconte dans cette série articles sa vision de l’ours polaire : son image, la perception que nous en avons et son statut de protection.
(ours blanc= ours polaire = ours arctique = ursus maritimus) (glace de mer = banquise = mer gelée)
Au sommet de la chaîne alimentaire, il n’y a qu’un ours qui peut manger… un ours ! C’est le plus grand carnivore du monde. Les mâles (qui n’hibernent pas) affrontent des températures extrêmes durant l’hiver arctique et une obscurité totale. Ils sont capables de ralentir leur métabolisme tout en continuant à marcher, encore et encore, suivant leur flair 100 fois plus puissant que celui d’un chien.
Pas étonnant qu’il soit devenu l’emblème du grand Nord.
On retrouve son image dans des publicités pour systèmes réfrigérants, d’air conditionné, il est même devenu l’emblème du réchauffement climatique, son habitat étant la mer glaciale arctique (l’ours polaire est d’ailleurs classé parmi les mammifères marins et non terrestres), victime de plein fouet des montées de températures au niveau mondial.
Toutefois je veux ici apporter des précisions sur l’utilisation des images d’ours blanc, dont l’utilisation emblématique peut très vite sortir du contexte de cet animal polaire.
Une femelle et ses deux oursons d’un an et demi ont été repérés ! Ils gambadent de plaque en plaque, nous les suivons des yeux depuis le navire qui est arrêté. Tout le monde retient son souffle. Pas un bruit sur les ponts extérieurs. Nous voyons clairement sur ce cliché le contexte estival de la banquise morcelée dérivante, ici au sud du détroit de Hinlopen au Spitzberg, au mois d’août 2019. Il est tout à fait normal qu’en été, les ours doivent nager pour traverser des détroits, baies et fjords, puisque la banquise est en morceaux, ou complètement absente comme on le voit ici.
Sur une vielle plaque de banquise pluriannuelle dont la surface partiellement brisée laisse entrevoir la base encore présente sous l’eau, la mère (à droite) se dresse, tandis que ses oursons l’accompagnent et l’imitent. Fantastique ! Prise de vue magique ! Je fais des images en rafales, J’ai choisi volontairement ici une image ou chaque ours regarde dans une direction différente, d’un air de dire : « on va où maintenant ? ». Il est très facile alors de prendre cette image, hors contexte, et de la placer dans un journal sur le réchauffement climatique intitulé « ça fond , dur dur pour les ours !». D’autant plus que le cadrage laisse présager qu’hors champ l’eau libre continue à l’infini, et que nos trois ours sont sur le seul glaçon qu’il reste au monde.
Nos trois protagonistes s’en vont vers de nouvelles aventures : s’ils veulent se nourrir, les petits n’ont d’autres choix que de suivre leur mère, en recherche constante de proie.
Notre petite famille rejoint une plaque. Les ours préfèrent marcher à nager s’ils le peuvent, puisque la nage dans une eau à 1°C réduit considérablement leur réserve d’énergie (de graisse) et donc leur chance de survie.
Cliché particulier où l’on aperçoit l’une des tétines de la mère.
Les ours dans leur environnement naturel: la banquise.
Encore mouillée, la mère se sèche en se frottant dans la couche de neige sur la plaque de banquise.
La langue des ours, très sombre, permet en la tirant dehors, d’aspirer mieux l’air de sentir mieux les odeurs.
Voici nos gais lurons reparti, cette fois en marchant sur une plaque bien lisse.
La prise d’image depuis le navire, les ours sont venus progressivement vers nous !
Un ours qui nage laisse une trace en V typique lorsque la mer est d’huile. Son cou allongé lui permet de ne sortir que le museau pour respirer et d’être très discret, surtout lorsqu’il se faufile parmi les plaques de banquise.
Un ours traverse la baie du roi au mois d’août, totalement privé de glace. Derrière vous pouvez voir les trois couronnes (ces trois pics représentant les trônes de Norvège, du Danemark et de Suède) sans brume ni nuages. Encore une fois, enfin d’été, les fjords de l’ouest sont totalement libres de glace et les ours, comme chaque année, doivent nager pour traverser ces zones.
Encore une autre comme celle-ci. Parmi ma meilleure série d’images d’ours qui nagent :
L’ours flotte sans effort, pagaie avec ses pattes avant puissantes, tandis qu’il utilise son arrière train comme gouvernail. Ici nous avons repéré un ours sur la banquise de l’océan glacial arctique à 80°C nord. Nous nous sommes arrêtés, et celui-ci, curieux de voir notre bâtiment, s’est mis à l’eau pour nous approcher au plus près ! D’où ce cliché surprenant, pris depuis la proue du navire !Réalisant que la coque du navire n’était pas comestible, notre ami s’en est allé de retour sur sa banquise. Cette photo encore une fois, de l’animal sur son chemin de retour, peut être utilisée pour une interprétation détournée. Hors contexte, on pourrait l’intituler : «l’ours en perdition devant une banquise qui disparaît».
Ces images d’ours entourés d’eau libre sont très utilisées dans la sensibilisation au réchauffement climatique.
Ce qu’il faut savoir avant tout est qu’il est tout à fait normal qu’un ours nage en été. En moyenne, il va nager quelques dizaines de kilomètres par jour pour traverser des fjords et baies privées de leur glace hivernale. Donc, ces photographies que j’ai prises, en été, font tout à fait partie du quotidien de l’animal. C’est tout à fait banal ! Ce n’est ni alarmant, ni choquant de voir un animal marin entouré d’eau, non ?
Bien sûr, ces images sont utilisées à juste titre pour des fins d’illustrations et de sensibilisation. En revanche, leur utilisation est détournée puisque la plupart des photographies d’ours qui nagent ont été au cœur de l’été, période durant laquelle voir un ours nager est légitime.
Cependant l’ours vit principalement dans un environnement fait de glace de mer, qui gèle à -1,8°C. Si la température monte d’un degré, l’été commence donc plus tôt et se termine plus tard. C’est toute la banquise arctique et les glaces continentales qui changent d’état en passant de solide à liquide, le point de fusion 0°C étant atteint plus tôt que d’habitude dans la saison. Idem pour le gel qui commence alors bien plus tard…
D’innombrables espèces arctiques dépendent de la banquise. L’ours s’y repose et s’y déplace pour y trouver sa nourriture composée à 90% de phoque.
La banquise se forme en hiver, s’agrandit en surface et s’épaissit, puis fond en été, aujourd’hui à un stade alarmant. Si la banquise en hiver est toujours bien présente, sa surface et son épaisseur sont d’année en année toujours plus réduite… Jusqu’au jour où bientôt, nous le savons déjà, il n’y aura plus de banquise du tout en été: nous pourrons naviguer au pôle nord en août sans voir un morceau de glace… Avec ceci, ce sera la disparition de nombreuses populations d’ours et d’autres animaux inféodés à la glace de mer.
Aujourd’hui, avec la fonte de la banquise plus précoce, et sa formation plus tardive, l’ours passe donc plus de temps à nager, et sur des distances plus longues… avec des records à 900km ! Pour preuve, en moyenne une fois tous les dix ans, un ours polaire rejoint l’Islande à la nage! Ceci en revanche est tout à fait hors du commun. L’ours blanc perd de plus en plus d’énergie à nager plus longtemps dans ces eaux glaciales, mettant sa survie en péril. C’est ce phénomène précis qui est très alarmant.
Cet image du grand prédateur entouré d’eau libre représente un monde qui change plus vite que la capacité des espèces à s’adapter à leur environnement. Pour cette raison nous vivons la 6ème extinction de masse, la dernière en date correspondant à la disparition des dinosaures…
Pourtant, la fonte de la banquise due au réchauffement climatique n’est pas la principale source de pression qui pèse sur l’ours polaire.
Peu savent que la pression la plus grande est celle… de la main de l’homme.
Jonathan a connu sa première expérience en Antarctique à l’âge de 24 ans en tant que chercheur sur la base française Dumont d’Urville où il était chargé, entre autres, de mesurer la couche d’ozone et le taux d’UV. Quelques années plus tard, il fit un second hivernage sur la base Concordia, la seule base internationale d’Antarctique, située dans la partie la plus froide de la planète… Il y passa 14 mois, presque coupé du reste du monde, avec 11 compagnons, dans une température maximale de -25°C en été et minimale de -84°C en hiver ! À Concordia, Jonathan occupait le poste d’opérateur radio, responsable des télécommunications et de l’instrumentation géophysique. C’est à son retour qu’il commença à travailler à bord de bateaux de croisières expédition en Antarctique et en Arctique, où il occupa tour à tour les postes de guide, logisticien, conducteur de zodiac, instructeur de kayak, photographe, conférencier… Ce travail l’occupe désormais à plein temps, en hiver en péninsule Antarctique, Géorgie du Sud, et en été au Spitzberg, Groenland, Terre François-Joseph…