L’ours blanc, raconté par Christian Kempf

François Pompon, l’artiste, a figé l’ours blanc dans sa course, corps en mouvement, cou allongé et museau au vent, dans la quête incessante du seigneur de Grand Nord. Une course permanente, car l’ours polaire parcourt environ 3000 kilomètres par an sur la banquise: les esquimaux chasseurs de Thulé au Groenland l’appellent  » Nanook », le  » Grand voyageur ».

Nez au vent, avec une capacité extraordinaire à repérer sa proie, il arpente la glace de mer, il déambule le long des côtes sauvages, et parfois, il s’immobilise et reste à l’affût sur un iceberg ou près d’un agloo, un trou de respiration des phoques. Car ces derniers représentent la nourriture principale, à 90% et les vieux trappeurs polaires du XIXème siècle prétendaient qu’il captait les effluves à 20 kilomètres de distance, des études canadiennes récentes démontrent qu’il sent sa proie parfois à 30 kilomètres…
Le jeune ours naît dans un névé vers Noël et au fond de sa tanière, il a la taille d’un gros rat. Quatre mois plus tard, c’est un ourson joueur de 10 kilogrammes qui sort pour suivre sa mère durant 24 mois; ce farouche solitaire aura après des amours très éphémères, et une vie de nomade des glaces en quête permanente de nourriture.

Il peut se goinfrer de 50 kilogrammes de graisses et de viandes en un repas, il pourra aussi jeûner 3 mois durant, il peut courir à 40 kilomètres à l’heure, nager 200 kilomètres ou plus dans l’eau glacée, escalader des icebergs: le Grand Nord, c’est « chez lui », et il en est à la fois le maître absolu, le grand super-prédateur, et le symbole, de cet Arctique si fragile qui se réchauffe de 5°C depuis 100 ans.

Une vie d’ours

L’ours blanc vit dans le milieu naturel peut-être le plus rude du monde, la banquise, ou glace de mer; elle se forme à l’automne quand les températures de l’eau passent sous -2°C et se présente en grandes plaques qui s’entrechoquent au gré des courants marins et des blizzards, formant fissures et « hummocks », des crêtes de compression. Cet environnement, en perpétuel mouvement est changeant, mouvant, il dérive, et jamais un point ne se fixe: « adaptation » y est le maître mot, et l’ours l’a compris, en se déplaçant en permanence. Sur plus de 14 millions de km², la banquise couvre en hiver tout l’océan Arctique compris entre Russie, Alaska, Canada/Nunavut, Groenland et Spitzberg/Svalbard. En été, elle se brise, fond, pour n’atteindre alors que 6 à 8 millions de km², hélas parfois 4 seulement ces dernières années suite au changement climatique.

Les températures de 0 à +15°C y règnent en été, en hiver en revanche -50°C sont réguliers, ajoutés de plus à l’effet refroidissant du vent donnant -80°C ou moins encore. L’ours se protège de ces extrêmes par une fourrure de poils creux et une bourre très dense, une peau sombre, un corps trapu, des organes vitaux réduits et par une extraordinaire couche de graisse: quand il tue un phoque, il se régale d’abord de la graisse de la proie qu’il avale goulûment.
Adulte, mature à l’âge de 3 à 4 ans, c’est un farouche solitaire car dans cet univers il n’y a pas de place pour les festins de groupes, sauf si, par bonheur, une baleine vient à s’échouer. Si les portées sont de 2 à 3 jeunes, un seul ourson passera le premier hiver. Les rencontres entre mâles et femelles se restreignent à un flirt d’une semaine, avant d’aller voir ailleurs aussi. Entre mai et juin, mâles comme femelles se reproduisent avec plusieurs individus. Puis chacun vivra sa vie, solitaire comme cet environnement hostile l’exige.

Les ours vivent en général une vingtaine d’années. Ils se nourrissent de phoques à 90%, tout en restant opportunistes; des cadavres de baleines ou de dauphins, des animaux morts voire des dépotoirs humains les attirent. Parfois, ils pillent en été les colonies d’eiders et de sternes en omelettes d’oeufs ou en snack de poussins; l’ours dévore tout. Plusieurs fois par an des accidents mortels se produisent avec l’homme.

L’homme et l’ours

En grand seigneur de l’Arctique, l’ours blanc a impressionné; pour les Inuits, il était le servant de la déesse des mers nourricières, Sedna. Quand un chasseur tuait un ours avec son arc ou sa lance, il offrait l’eau douce, rare, à la dépouille. L’esprit de l’ours lui, volait encore sur le village, et allait donner sa force à un futur chasseur. Ces jeunes chasseurs avaient un fouet à chiens dont le manche était un os pénien d’ours, symbole de virilité, de force. Les esquimaux avaient  9 mots pour l’ours, dont « Arnak », l’ourse femelle.

Les premiers vikings du Groenland envoyaient des peaux d’ours à l’évêché de Trondheim en Norvège. Dans la Russie des tsars cette même peau valait de l’or au marché de Novgorod. François 1er en reçut une en cadeau royal, et plus tard  il était de bon ton d’avoir une peau d’ours polaire dans tous les palais princiers de Saint Pétersbourg. Raspoutine fut assassiné sur l’une d’elles dans le palais Youssoupov.

La rareté et la beauté de cette fourrure firent que les trappeurs du Grand Nord allaient écumer les plages dès le XIXème siècle pour mener l’espèce au bord de l’extinction; on tuait 600 ours au Spitzberg, dont en 1934/35, 135 individus pour un seul chasseur au Svalbard.

Des plus de 30 000 ours estimés, il ne subsista bientôt plus que 5000 à 10 000 individus, ce qui amena les pays concernés à signer au coeur de la Guerre Froide le seul accord environnemental entre le Pacte de Varsovie et les pays de l’Otan en 1973: le Traité de conservation de l’ours polaire. Les populations ont alors repris, et de nos jours on compte environ 22 000 à 27 000 ours en 19 populations dans le monde arctique. Certaines sont stables, d’autres augmentent, ou diminuent. Hélas, au nom des « traditions ancestrales » – et de l’appât du gain financier – on tue encore 200 ours au Groenland, 700 au Canada/Nunavut et environ 250 sont braconnés en Russie. Si la population reste stable notamment grâce aux extraordinaires capacités d’adaptation de l’espèce, cette dernière est cependant en danger grave.

Un avenir incertain.

Comme tous les superprédateurs, tels le lion, le tigre, l’ours sait s’adapter. L’espèce est apparue il y a environ 600 000 ans et a survécu en faible nombre aux épisodes climatiques plus chauds en se nourrissant des cadavres de baleines plutôt que de festins de phoques.

Mais l’actuel réchauffement climatique lié à l’homme est trop rapide pour que l’espèce puisse bien réagir: 5° de température moyenne de plus au Svalbard en 50 ans. Conséquence aussi, la banquise qui représente le milieu naturel des ours a tendance à se raréfier  et va disparaître presque totalement en été vers 2030-2050, engendrant ainsi une baisse des populations à cet horizon.

Au sommet de la pyramide ou chaîne alimentaire, l’ours concentre également les micropolluants transportés dans l’air et les eaux vers les régions polaires; ainsi 11% des ours sont devenus stériles dans l’Arctique européen.

La chasse au trophée enfin doit être proscrite, car elle soustrait plus de 1000 ours , c’est à dire l’augmentation annuelle potentielle, à la population d’ours dans l’Arctique.

Le manchot est le symbole de l’Antarctique. L’ours, est un animal paléarctique, comme tous les ours de sa famille, et il est au fil des siècles devenu le symbole du Grand Nord, à la fois puissant et beau, hostile et gracieux. François Pompon l’a magnifiquement illustré dans la sculpture.

Il devient aussi le symbole de la lutte contre l’un des quatre grands problèmes graves de notre environnement : le réchauffement du climat; mais pertes des espaces et de la biodiversité, pollution, et épuisement des ressources nous concernent aussi. Toute cette faune que l’Artiste de Saulieu a su capter dans ses expressions est un merveilleux témoignage de l’encore vivant.

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