Dans l’imaginaire collectif, les manchots sont des oiseaux gauches, incapable de voler et marchant avec difficulté. Avouer une passion pour cet animal fait sourire. Pourquoi vouer un amour éperdu à un animal que l’on prend si peu au sérieux et qui paraît presque avoir raté son évolution ? Pourtant quand on se penche vraiment sur ce qu’ils sont, les manchots fascinent. Cet intérêt vient de leur capacité à vivre dans des lieux jamais colonisés par les humains. Loin d’être simplement les drôles d’oiseaux que l’on dessine de façon comique dans les livres pour enfants, ils présentent une impressionnante panoplie d’adaptations qui défient nombre des limites physiologiques connues : plongée, jeûne, résistance au froid… Et si ils étaient en réalité un chef d’œuvre de Dame Nature ?

Manchots Empereur

Symbole du Grand continent blanc

Nombre d’oiseaux marins fréquentent à la fois l’Atlantique Nord et Sud ou le Pacifique Nord et Sud. Les manchots, eux, sont toujours restés cantonnés à l’hémisphère Sud. Seul le manchot des Galápagos atteint la latitude de l’équateur. Associées très souvent à l’Antarctique et aux climats polaires, beaucoup d’espèces de manchots effectuent pourtant leur reproduction sur des terres situées en climat tempéré à méditerranéen. Sur 18 espèces de manchots existantes, quatre se reproduisent sur les côtes du continent blanc : le manchot papou, le manchot à jugulaire, le manchot Adélie et enfin le manchot empereur.

D’un autre côté, une vingtaine d’espèces d’oiseaux seulement parvient à se reproduire en Antarctique. Mais en dehors de la péninsule, seules 9 espèces d’oiseaux dont 2 espèces de manchots (le manchot Adélie et le manchot empereur) se reproduisent sur les côtes du continent à proprement parler. C’est relativement peu, mais facile à comprendre compte tenu des conditions climatiques hostiles. Cette faible diversité est rattrapée par le nombre d’individus. On estime que plus de 200 millions d’oiseaux nichent en Antarctique dont 65% de manchots !

Un oiseau qui vole… sous l’eau

A l’instar de l’autruche, du kiwi ou du feu dodo, les manchots sont des oiseaux qui ne volent pas. C’est même une des caractéristiques de la famille entière. Les manchots ont des ancêtres volants mais la perte de leur capacité de vol s’est faite au profit d’une optimisation de la nage. Ils passent en effet la majorité de leur vie en mer, jusqu’à 80% pour certaines espèces. Sous l’eau, Ils utilisent leurs ailerons pour se propulser comme un battement d’aile dans les airs. Le manchot empereur est l’oiseau le plus performant en matière de plongée. Ses immersions le conduisent jusqu’à 564 mètres de profondeur lors d’apnée pouvant atteindre 27 minutes. Des performances sans équivalent chez les oiseaux. Pour économiser de l’oxygène et augmenter la durée des plongées, les manchots diminuent leur fréquence cardiaque et l’arrivée de sang dans certaines parties du corps par vasoconstriction.

Manchot sous l'eau

Torpilles vivantes

Avant de débuter leurs plongées profondes à la recherche de leurs proies, les manchots gagnent leurs zones d’alimentation à la nage en effectuant des déplacements à faible profondeur et à l’horizontale. Parfois ils adoptent aussi la technique de « marsouinage » à la manière les dauphins, qui consiste à alterner sauts hors de l’eau et immersions. Leur vitesse de déplacement peut atteindre alors entre 1,5 à 3 mètres par seconde, soit un mètre de plus par seconde que le meilleur des nageurs actuels !

Marsouinage manchots

Objectif Terre

L’habitat terrestre est cependant un passage obligé, pour la reproduction d’une part et pour la mue qui leur permet de changer leur plumage. Chaque été, les manchots papou, Adélie et à jugulaire rejoignent leurs colonies respectives sur les côtes de l’Antarctique. Selon les espèces et les emplacements, les colonies de manchots peuvent atteindre plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de milliers d’individus. Les mâles sont souvent les premiers arrivés à la colonie. S’en suit alors une course contre la montre et contre le voisinage afin de constituer le nid. Le manchot papou, le manchot à jugulaire et le manchot Adélie construisent des nids avec de petites pierres pour créer un empilement au milieu duquel une dépression recevra les œufs. Les collectionneurs se mettent alors en quête du Graal, ce qui frôle, chez eux, l’obsession. Ils n’hésitent pas à se jeter dans une mêlée, à se provoquer en duel ou à se mettre dans des situations compliquées pour récupérer une précieuse pierre. Dans cette discipline, il est vrai que le manchot Adélie reste un géologue hors pair comparé aux autres espèces.

Manchots à jugulaire

Égalité des sexes et partage des tâches

Une fois les couples formés ou reformés de l’année précédente, les femelles pondent 2 œufs. C’est le mâle qui commence en revanche à couver. Les parents entament alors des allers-retours entre le nid et la mer nourricière. A tour de rôle ils couvent, ce qui les obligent à jeuner, puis se relaient pour permettre au parent partant d’aller se nourrir. Les premiers voyages peuvent ainsi durer plusieurs semaines. Les manchots qui jeunent peuvent alors perdre jusqu’à 40% de leur masse. A l’éclosion des poussins, les parents doivent en plus nourrir les nouvelles bouches. Les voyages alimentaires et les relais sont alors plus courts pour permettre aux poussins d’être nourri très régulièrement.

La nourriture est régurgitée grâce à un réflexe qui provoque des contractions chez l’adulte lorsque le poussin quémande en tapotant le bec de son parent avec son propre bec. En Antarctique, les manchots Adélie, à jugulaire et papou consomment essentiellement du krill qu’ils pêchent au milieu d’essaims très importants. Le krill est transporté dans l’estomac des manchots et non dans leur bec comme chez d’autres espèces d’oiseaux. La nourriture est ainsi stockée sans digestion ni fermentation !

Manchot papou construction nid

La crèche

Lorsqu’ils sont âgés de quelques semaines et qu’ils sont capables de réguler leur propre température, les poussins rejoignent une « crèche » ce qui permet aux deux parents de partir en mer pour aller chercher de la nourriture. Ce comportement est particulièrement marqué chez les 4 espèces de manchots antarctiques. La crèche est gardée par quelques adultes qui protègent les poussins des prédateurs tel que le skua antarctique ou le pétrel géant. Lorsqu’ils reviennent, les parents signalent leur présence par un chant unique. Les poussins connaissent la voix de leur parent depuis leur naissance et accourt alors à leur rencontre afin d’obtenir leur repas. Ils sont capables d’identifier leur parent même au cœur des colonies les plus denses.

Manchots empereur

… et prendre son « envol »

En fin d’émancipation, les poussins muent. Ils remplacent leur duvet par des plumes neuves et font acquisition d’un plumage étanche qui leur permet de prendre leur premier bain et leur liberté vers leur vie d’adulte. Quant aux adultes, une fois l’élevage de leur poussin terminé, ils partent en mer pour reconstituer leurs réserves et reviennent à terre pour muer. Le plumage étant très important dans l’étanchéité et la gestion de leur chaleur, ils changent entièrement leur plumes chaque année. La densité du plumage chez les manchots peut atteindre 10 plumes par centimètre carré selon les espèces !

Mue manchot

A chacun sa stratégie

Les manchots à jugulaire et Adélie sont de grands migrateurs hivernaux pouvant s’éloigner à des milliers de kilomètres de leur colonie. Le manchot à jugulaire évite néanmoins les zones de banquise et reste à l’interface entre les eaux libres et la glace. Le manchot Adélie, lui, reste inféodé au monde des glaces toute l’année durant. Il vit dans des zones couvertes à 80 % de banquise, se reposant sur celle-ci à l’abri des prédateurs. Le manchot papou quant à lui n’est pas un grand migrateur et exploite les ressources proches des côtes tout au long de l’année dans un rayon de 40 kilomètres environ autour de sa colonie.

Croisière Antarctique

Le manchot empereur – oiseau de l’extrême

Le manchot empereur est le seul animal de la planète à défier les conditions extrêmes de l’hiver antarctique. Il a en effet un étonnant cycle de reproduction, opposé à toutes les autres espèces. Au début de l’hiver, vers le mois d’avril, les manchots empereurs arrivent en marchant sur la banquise pour reformer leur colonie au même endroit d’une année sur l’autre. Cette espèce ne construit pas de nid car l’œuf unique puis le poussin sont directement couvés sur les pattes des parents. La femelle pond et le mâle couve à l’instar des 3 autres espèces dont nous avons parlé précédemment. Les mâles doivent alors affronter, au cœur de l’hiver, des températures pouvant descendre largement sous les -25°C et résister à des vents pouvant atteindre 200Km/h.

Affamés, amaigris, pris dans la tourmente du blizzard, leur unique œuf sur leurs pattes, ils se regroupent alors pour former la « tortue ». Ils se serrent les uns aux autres, dos au vent. Seuls les manchots en périphérie subissent une déperdition de chaleur mais la tortue bougeant tout doucement, les manchots du bord se retrouvent très vite au centre et ainsi de suite. Sans ce comportement, les mâles ne pourraient pas attendre le retour de leur femelle et seraient contraints d’abandonner leur œuf. Ce comportement social et cette adaptation majeure a permis au manchot empereur d’être la seule espèce à se reproduire durant l’hiver antarctique.

Manchots - Croisière Antarctique

Les incontournables d’un voyage dans l’hémisphère Sud

Les manchots sont des êtres exceptionnels qui mériteraient encore tant d’articles pour en parler. Animaux peu craintifs vis à vis de l’homme, ils sont faciles à observer et à photographier pour qui a su braver l’océan austral. Ils sont également attachants de par le nombre de comportements qu’ils nous donnent à observer en quelques heures seulement. Enfin, lorsqu’on se penche davantage sur leur vie, ils se révèlent alors être des êtres absolument fascinants. Sans mentir, leur ramage se rapportant à leur plumage, ils sont les phénix des hôtes du continent Antarctique. A une différence près avec le corbeau, vous pouvez toujours essayer de les flatter… ils sont décidément libres et ne vivent pas aux dépens de ceux qui les écoutent.

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