Animal mystérieux semblant tout droit sorti de l’âge de glace, vous aurez peut-être la chance de le croiser dans les fjords du Groenland, l’Arctique canadien ou certains massifs norvégiens. Il est notamment connu pour ses affrontements entre mâles, s’élançant l’un vers l’autre à toute vitesse tête baissée, et pour sa formation défensive face aux prédateurs, en cercle. Il semble imperturbable, capable d’affronter le blizzard avec le plus grand calme, calfeutré qu’il est derrière son immense fourrure. Moins répandu que le renne, avec lequel il partage son environnement, il n’en demeure pas moins l’une des grandes figures charismatiques du Grand Nord.
Les bœufs musqués sont aisément reconnaissables à leur allure préhistorique rappelant le mammouth. Leur taille est assez modeste par rapport au bison, auquel il est parfois comparé : 1 à 1,50 mètre au garrot seulement, pour 250 centimètres de longueur tout au plus. Le poids d’un adulte peut néanmoins dépasser les 400 kg, lui assurant une imposante stature à laquelle s’ajoute une épaisse et dense couverture de laine. Il se distingue par ailleurs du bison par une autre caractéristique : malgré son apparence de bovin, il appartient à la famille des caprinés, comme les chèvres, les moutons et les chamois. Comme ses cousins, il est parfaitement à son aise sur la roche. Ses cornes sont massives, évoquant celles d’un buffle, en forme de crochets posées sur le dessus de la tête à la manière d’un casque. Celles des mâles sont jointes en leur centre, ce qui leur permet une protection optimale lorsqu’ils s’affrontent à la période de reproduction. Mais au fait, d’où vient ce nom : « bœuf musqué » ? De cette odeur dite « musquée » émanant des mâles durant cette même période, comparable à celle d’un bouc.
L’habitat premier du bœuf musqué est la toundra. Cet environnement rencontré dans les régions nordiques et en haute altitude est caractérisé par sa végétation rase, notamment constituée de lichens, de mousses et d’herbes diverses. En Arctique, la toundra est située au-delà de la fameuse « limite des arbres », c’est-à-dire la ligne géographique au-delà de laquelle les arbres ne sont plus en mesure de se développer, du fait des conditions extrêmes. La toundra se trouve donc au-delà d’un autre environnement nordique qu’on appelle la « taïga », une vaste ceinture de forêt boréale qui s’étend de la Scandinavie au Canada en passant par la Sibérie. On estime que la toundra couvre 6 % des terres émergées dans le monde, tandis que la taïga en couvre 10 %. En montant encore plus au Nord, on atteint le « désert polaire », fait de vastes étendues de glace où les végétaux sont absents. C’est donc dans la toundra, entre taïga et désert polaire, que le bœuf musqué est à son aise et où il constitue le plus grand herbivore vivant. Il y fréquente d’autres espèces emblématiques, comme le renne (appelé « caribou » sur le continent américain), le renard polaire, le loup, ainsi qu’un petit rongeur nommé lemming et diverses espèces d’oiseaux, dont le grand tétras et le mythique harfang des neiges. En été, la toundra est également connue comme le foyer d’un nombre incalculable de moustiques.
Toutefois, le bœuf musqué n’est pas présent dans toutes les régions de toundra : on ne le trouve aujourd’hui que dans le Nord du Canada et au Groenland, ainsi que dans certaines régions où il a été introduit par l’homme, notamment l’Alaska et la Scandinavie. On peut ainsi l’observer en Norvège, dans le massif de Dovrefjell où, depuis sa réintroduction, il fait figure de « Roi de la Montagne ». Pourtant, au pic de la dernière glaciation, il y a environ 18 000 ans, le bœuf musqué était déjà bien présent en Europe. Une large partie du continent était alors couverte de glace et les bœufs musqués pouvaient être observés dans le Sud de la France, région qui était à l’époque couverte de steppes. On le retrouve d’ailleurs dessiné dans certaines grottes préhistoriques, dont celle de Lascaux. Avec la fin de la dernière glaciation, le bœuf musqué s’est retiré progressivement vers le Nord et, victime de la chasse, échappa de peu à l’extinction. Aujourd’hui, leur population est stable : la majorité des populations sont protégées et vivent dans des réserves naturelles.
Les bœufs musqués vivent en hardes comptant généralement 10 à 30 individus, ce qui leur permet de mieux se protéger face aux prédateurs. En cas de danger, typiquement face à un loup ou à un ours, ils ont tendance à rejoindre des zones en hauteur et à adopter une formation circulaire, faisant front face aux prédateurs. Les mâles se placent en première ligne, devant les femelles et les jeunes. La harde est fortement hiérarchisée, c’est-à-dire qu’elle compte des individus dominants. Cette hiérarchie se négocie de différentes manières, mais la plus célèbre consiste à s’affronter dans de redoutables duels entre mâles lors de la période de reproduction. Face à face, les bœufs musqués commencent par reculer en secouant la tête d’un côté et de l’autre, avant de se jeter l’un vers l’autre à une vitesse pouvant aller jusqu’à 60 kilomètres par heure… et s’arrêter net en se percutant, tête baissée, avec leurs cornes. Un tel choc, retentissant, serait mortel pour des humains. Mais il en faut plus pour arrêter ces solides animaux : jusqu’à ce qu’un vainqueur soit désigné, les mâles peuvent enchaîner en reprenant de l’élan et en se percutant encore et encore, le but n’étant pas de tuer son adversaire, mais d’identifier le plus puissant des deux individus.
Si chaque mâle est lancé à 60 kilomètres par heure, la force de l’impact équivaut à foncer dans un mur à 120 kilomètres par heure. S’ils peuvent l’encaisser, c’est grâce à une morphologie tout à fait particulière. Outre leurs cornes qui protègent le haut de la tête, ils possèdent une poche d’air à la base du crâne permettant d’atténuer le choc et de diffuser la force dans tout le corps. Le cerveau reste ainsi intact. L’accouplement a lieu à partir de la fin de l’été, suivi par une période de gestation d’environ neuf mois. Pendant cette période, ce ne sont plus les mâles mais les femelles qui se montrent les plus agressives et dirigent la harde, décidant notamment où passer la nuit. A terme, elles donnent naissance à un unique petit, déjà couvert de poils. S’il reste attaché à sa mère durant les deux premières années de sa vie, il est tout de même relativement autonome dès l’âge de deux mois et capable de trouver l’essentiel de sa nourriture.
D’ailleurs, de quoi se nourrit le bœuf musqué ? De diverses plantes herbacées présentes dans la toundra. Son régime alimentaire est proche de celui du renne, dont il est un concurrent direct. Comme lui, en hiver, le bœuf musqué est capable de gratter la neige afin de trouver la nourriture qu’elle dissimule. Il la repère notamment grâce à son odorat, mais il sait aussi repérer les zones où la neige, chassée par le vent, est moins abondante : un endroit riche en herbe vaut bien l’effort d’affronter le blizzard !
Le bœuf musqué est donc un animal tout à fait singulier, rappelant à la fois la chèvre, le bison et le mammouth ; tantôt placide, tantôt bagarreur ; sujets à une vive concurrence entre mâles, mais unis face au danger. Si vous le croisez à terre, pensez à garder au moins 200 mètres de distance : c’est bien assez pour l’observer sans jumelles et ne pas l’effrayer. Le bœuf musqué n’est pas spontanément agressif envers les humains, mais face à un tel duelliste, mieux vaut éviter les provocations !