Lors de la Seconde Guerre mondiale et suite à l’invasion du Danemark en 1940, l’Ambassadeur du Danemark a signé aux Etats-Unis en 1941 les termes d’une alliance permettant aux USA la mise en place d’installations militaires au Groenland, alors sous autorité danoise.
À 1524 km seulement du pôle Nord, la base de Thulé a été mise en place en 1943, dans ce site dégagé favorable aux atterrissages et aux décollages, au climat sec, même par ses – 23°C de température moyenne du mois de janvier. Le climat peut y être extrême, avec -73°C et des vents de plus de 300km/h.
La Guerre froide née de la rivalité mondiale entre l’URSS communiste et les démocraties occidentales a poussé l’armée américaine à construire dès 1950 à 1953 la base militaire d’abord secrète, de Thulé, au Nord-Ouest du Groenland sous le nom de code de «Blue Jay».
Une piste de 3 kilomètres, 125 bâtiments abritants des milliers d’hommes, et de puissants radars ont assuré trois missions : l’assistance aux bombardiers stratégiques qui volaient en permanence avec leurs charges nucléaires, l’interception de chasseurs, d’avions de reconnaissance ou missiles ennemis, et la reconnaissance et missions aériennes secrètes en territoires ennemis.
Le président John Kennedy déclarait en 1962 que «qui possède le Pôle, possède le monde» et Thulé servira aussi de projets impressionnants tels Camp Century, une base sous-glaciaire alimentée par une centrale nucléaire construite au sein de la calotte du Groenland devant héberger 600 missiles nucléaires, ou «Iceworm», avec la construction de kilomètres de routes sous-glaciaires, la mise en place de sites de lancements dans les glaces, mais les mouvements de cette dernière rendront ces projets irréalisables et définitivement abandonnés en 1967.
Le 21 janvier 1968 l’un des bombardiers B-52 s’écrasa à 240 kilomètres à l’Ouest de la base suite à un incendie en cabine de pilotage, amenant l’incident nucléaire le plus grave pour les USA d’alors: 3 des 4 bombes vont exploser lors de l’impact, une dernière est toujours recherchée.
Avec les accords entre les Présidents Reagan et Gorbatchev en 1985 et la fin du régime communiste en URSS, le monde libre a vu s’évanouir la menace de la dictature et du totalitarisme, essence du Communisme d’Etat. La base de Thulé qui nécessite logistique et investissements importants fut ainsi allégée, pour ne plus compter que 4000 hommes vers 1969, puis 600 personnes environ en 2019, militaires américains, canadiens et danois, et civils groenlandais, danois et contractuels.
Les données géostratégiques arctiques changent totalement ; ce qui devait devenir un immense jardin fragile et froid de Paix, devient une zone de conflit majeure. En effet, le réchauffement climatique ouvre de futures routes commerciales vitales, la Chine par exemple prévoyant d’exporter 10% de ses productions par la Route du Nord. De même, les ressources sous-marines et terrestres gigantesques de l’Arctique ( 25% des réserves d’hydrocarbures, terres rares…) y amènent une compétition commerciale majeure et une couver- ture militaire indispensable. La Russie du Président Poutine l’a compris, avec la mise en place d’une centrale atomique flottante, des dizaines de brise-glaces, une flotte de centaines de navires polaires, et 50 ports ou bases militaires en Arctique. La Chine, de même, en- gage sa présence directe par des brise-glaces et par ses accords commerciaux, au Groenland notamment.
Thulé Air Base redevient du coup d’une importance stratégique majeure. Il faut comprendre le projet d’achat du Groenland par les USA ainsi : la position stratégique, les réserves mondiales d’eau et les richesses du sol et des sous-sols. Cela est impossible en nos temps, mais Thulé Air Base va redevenir un site majeur dans la guerre commerciale arctique du futur.
Lors de nos croisières, nous ne sommes autorisés à pénétrer cet ensemble militaire, cependant visible depuis l’ancien village esquimau de Thulé, qui fut déplacé en 1953 vers Qaanaaq : 187 chasseurs chassés de leurs terres ancestrales, pour que la paix règne et que le monde ne soit communiste.