Les Pomores («ceux qui vivent au bord de la mer») étaient des colons originaires du nord-est de la Russie qui vivaient principalement autour du bassin de la mer Blanche. Les ressources principales de cette population de chasseurs-pêcheurs provenaient de la vente des produits de leur chasse (défenses de morses et peaux de phoques et de renards).
Les trappeurs pomores se lancèrent dans l’exploration polaire de l’Arctique russe dès le XVème siècle afin d’étendre leur zone de chasse. Depuis la ville de Kola, ils explorèrent la péninsule de Kola, la mer de Barents, la Nouvelle-Zemble et enfin le Svalbard (ou archipel du Spitsberg). Grâce à leurs navires, les koches, ils pénétrèrent dans les régions de l’Oural du Nord et de la Sibérie, où ils fondèrent au début du XVIe siècle des établissements comme celui de Mangazeïa (ou Mangazeya) à partir desquels il était possible de commercer avec les marchands norvégiens, anglais et néerlandais.

Pomores Carte

Origines des pomores

L’adoption en 1619 d’un décret interdisant tous les voyages de la Mer Blanche vers Mangazeïa par le tsar Mikhail Fiodorovitch Romanov (ou Michel Ier) changea radicalement la situation économique des chasseurs pomores. Ce décret les sépara des zones de chasse riches en faune dans les régions orientales et limita fortement leurs possibilités de commerce. Les relations commerciales avec la Scandinavie n’étant plus aussi bonnes qu’au début du XVIème siècle, les Pomores se tournèrent à nouveaux vers l’exploration de nouvelles régions polaires pour y effectuer leurs activités. Coincés à l’Est et à l’Ouest, c’est vers le Nord qu’ils portèrent leur attention ; c’est ainsi que le Svalbard entra dans l’équation.

Chronologie trappeurs pomores

Chronologie de la trappe pomore au Svalbard.

La date du tout premier voyage de trappeurs pomores vers l’archipel est inconnue mais pourrait avoir eu lieu dès 1550 d’après les chercheurs russes. Les scientifiques européens penchent pour un début plus tardif: il est d’après-eux probable que la trappe pomore se soit tout d’abord déplacée vers la Nouvelle-Zemble dans les années 1620-1640 puis vers le Svalbard vers les années 1650. La première trace écrite de la présence de trappeurs pomores sur l’archipel date de 1697. La manière avec laquelle l’événement est relaté dans un livre de comptes de baleiniers britanniques laisse les historiens penser que cette rencontre devait être des plus normales dans les eaux arctiques et donc que les Pomores écumaient depuis un certain temps les côtes svalbardiennes.
La datation des vestiges des huttes de trappe montre une évolution dans les zones de trappes entre le XVIème et le XIXème siècle.

Le pic d’activité du XVIIIème siècle est caractérisé par une forte augmentation du nombre de huttes le long des côtes de l’ensemble de l’archipel.
L’Institut d’archéologie de l’Académie russe des sciences a découvert 9 sites datés du XVIème et du XVIIème siècle. Ces sites sont majoritairement situés sur la côte Ouest de l’île du Spitsberg. Les sites les plus anciens sont caractérisés par une structure d’habitation unique alors que les sites utilisés au XVIIème siècle présentent souvent des constructions composées de plusieurs bâtiments.

Photo du XIXème siècle d’une hutte de trappe en Russie.

Entre 1650 et 1750, les groupes de trappeurs étaient souvent composés de 4 à 5 personnes. Les expéditions étaient organisées soit par les chasseurs eux-mêmes (ceux qui disposaient de moyens suffisants), soit par les monastères orthodoxes du Nord de la Russie, soit par les aventuriers privés et les marchands des principales villes. La trappe était saisonnière et se déroulait près du lieu de dépose par les navires. Les huttes de trappes étaient construites pour la saison à partir de bois flotté, de fragments d’anciennes cabanes de trappe et d’épaves de navires.

A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle jusqu’en 1850 environ, des syndicats de marchands et des sociétés commerciales entrèrent en jeu. Ils entraînèrent une augmentation notable du nombre de participants aux expéditions et une modification partielle des techniques de chasse. Les colonies, dont Schroningholmane à Hornsund, Russekeila à Isfjorden et Habenichtbukta à Edgeroya comprenaient alors des systèmes entiers de bâtiments avec des espaces communs relativement grands, offrant un abri à un groupe de plusieurs dizaines de personnes à la fois. Les cabanes étaient souvent construites avec du bois importé de Russie et pré-dimensionné. Le bois flotté ne servait plus que lors des situations d’urgence (reconstruction d’une cabane après un incendie par exemple). La trappe devint annuelle.

Le pic d’activité fut vraisemblablement atteint durant le XVIIIème siècle sous l’impulsion du tsar Pierre le Grand. Les fouilles archéologiques ont mis à jour 46 sites russes de cette période. Outre les habitations, les chercheurs ont aussi trouvé un certain nombre de sépultures.
La concurrence avec les trappeurs norvégiens à partir de 1822 qui chassaient la faune locale avec des armes à feu et à l’aide de pièges modernes annonça le déclin de l’activité pomore sur l’archipel du Spitsberg. Les fouilles ont montré la présence de quelques structures isolées et datées du XIXème siècle à Skoltneset (Sorkappoya), à Schonningholmane et à Bjornbeinflyene sur Sorkappland.
Les Pomores voyageaient vers l’archipel grâce aux fameux koches (ou lodya) mentionnés en début d’article. Ces voiliers à fond plat étaient spécialement conçus pour la navigation dans les glaces mais vraisemblablement très instables en cas de mauvais temps. Leur équipage variait de 6 à 12 personnes et ils pouvaient emporter jusqu’à 45 tonnes de cargaison.

Reconstitution d’un koche avec son navire à glace à l’arrière.

Le voyage vers l’archipel devait prendre environ 50 jours au gré des courants et de la météo. Les expéditions partaient généralement entre les mois de mai et juillet afin de profiter un peu de l’été arctique. Les marins avaient le choix entre deux routes pour atteindre le Svalbard:
La première le long des côtes de la Nouvelle-Zemble (avec la possibilité d’y commencer la chasse aux morses) puis en suivant la limite de la banquise vers le Nord-Ouest. Cette route a vraisemblablement surtout été empruntée pendant la première phase du développement de la chasse au Svalbard.
L’autre route, plus populaire dans la période ultérieure, se dirigerait vers le nord-ouest, jusqu’à la côte du Finnmark en Norvège, puis vers le nord sur la haute mer.

Equipés de mauvaises cartes et armés seulement d’une boussole, les trappeurs pomores n’atterrissaient pas toujours là où ils avaient prévu d’être… Une fois arrivé sur les côtes du Svalbard, le koche déposait les trappeurs ainsi que leur matériel puis faisait demi-tour vers la Russie. Les trappeurs se lançaient directement dans la construction de leur cabane de trappe et démarraient leur saison de trappe aussi rapidement que possible afin de profiter au maximum de la courte saison de chasse.

Les principales espèces chassées sur l’archipel étaient: les ours blancs, les renards polaires, les rennes, les phoques et les morses (ivoire). Les trappeurs s’attaquaient accessoirement aux bélougas, en les capturant à l’aide de filets sur les rives des fjords. Les colonies d’oies et d’eiders fournissaient un complément de nourriture (œufs) et la récolte du duvet constituait un complément de revenus non négligeable. Le musée de Mourmansk expose l’ensemble des outils utilisés par les trappeurs.

Outils trappe pomore

Les outils de la trappe pomore, musée de Mourmansk. © Часть Шняки, source Wikipedia

Les trappeurs préparaient aussi méticuleusement que possible leurs expéditions sur l’archipel. Les membres de l’expédition étaient tout d’abord sélectionnés avec soin. Outre la maîtrise des techniques de chasse, les trappeurs devaient pouvoir s’adapter à la vie en communauté dans des conditions polaires. Les conditions étant extrêmes au cours de l’hiver polaire, les facteurs psychologiques étaient primordiaux. La longue tradition de la chasse dans les mers arctiques a entraîné la formation de dynasties familiales entières engagées dans ce travail. Les compétences pratiques et la force «psychologique» étaient transmises de génération en génération.

Les trappeurs accordaient aussi une grande importance à la préparation du navire, des provisions et de leur équipement. Les documents historiques indiquent qu’il existait à la fin du XVIIIe siècle un système financier par lequel les frais d’équipement étaient largement financés par l’organisateur de l’expédition (qui le plus souvent ne participait pas lui-même à l’expédition mais recevait un pourcentage des bénéfices). Avec l’extension de la saison de trappe et l’augmentation des hivernages à partir de 1750, la sélection et la préparation des portions alimentaires revêtit une importance encore plus cruciale. La nourriture emportée sur le navire devait en effet couvrir à la fois les besoins alimentaires durant le voyage mais aussi servir de nourriture complémentaire sur place durant les mois les plus rudes (source de vitamines qui protégeait contre le scorbut).

L’hivernage était la phase la plus compliquée de la saison des trappeurs: les activités journalières changeaient drastiquement en raison du froid persistant et de la nuit polaire. La trappe se focalisait alors sur le renard polaire grâce à l’utilisation de pièges qui ne requéraient pas de présence humaine permanente. La chasse à l’ours avait quant à elle lieu à proximité des cabanes de trappe ou lors de la vérification des pièges. Les trappeurs se regroupaient dans des isbukti, des huttes secondaires spécialement conçues pour l’hivernage qui pouvaient héberger de 2 à 3 trappeurs et situées entre 25 et 100 km de la station d’été (cabane principale).

Cette période était caractérisée par une forte inactivité propice aux crises psychologiques et autres tragédies. Les activités annexes étaient donc fortement stimulées: réparation/ construction d’ustensiles pour la trappe, entretien/ réparation des bateaux (cordes, palans), cuisson du gras des morses et mise en baril, travail du cuir et fabrication de chaussures pour femmes et enfants, construction de pièces pour les jeux d’échec et d’ustensiles de cuisine en bois/os, tenir un calendrier, rendre visite à ses collègues, faire des nœuds sur une corde… puis les défaire… et recommencer…

La lutte contre le scorbut était essentielle durant cette période hivernale. Le régime alimentaire des Pomores était strict et assurait un certain apport en vitamines : viande crue fraîche, sang d’animal et poisson étaient aussi souvent que possible au menu. Les chasseurs buvaient du starka, un lait aigre spécialement préparé pour ces longs voyages à partir de chicouté (Rubus chamaemorus, 60 mg de vitamine C pour 100 g). L’herbe du scorbut (Cochlearia), récoltée sur l’archipel durant l’été et l’automne, était aussi ajoutée à la nourriture quotidienne. Les Pomores emportaient également des pommes de pin et des aiguilles à partir desquelles des concoctions étaient préparées. La nourriture apportée de Russie comprenait également de grandes quantités de farine, de maïs et de céréales. Ces efforts alimentaires se sont révélés fructueux: sur les 20 squelettes du cimetière de Russekeila (entrée Isfjord, rive sud), un seul présentait des indications d’un décès lié au scorbut.

Le retour du soleil sur l’archipel vers la mi-février signait le début du printemps et le retour aux techniques de trappe et au style de vie observés durant l’été. Les bateaux à glace étaient chargés avec le butin de la trappe et le groupe de trappeurs naviguait jusqu’à la station de trappe d’été d’où ils attendaient l’arrivée des koches. A l’arrivée en Russie, les produits de la trappe étaient vendus sur les marchés locaux. La rémunération des trappeurs sur la période 1750-1850 était fonction du succès de la période de trappe et du grade du trappeur dans l’équipage. Le capitaine du navire recevait la plus forte part, suivi du second et du chirurgien puis du charpentier, du maître d’équipage et du cuisinier. Venait enfin le reste de l’équipage. Le ratio entre la paie du capitaine et le reste de l’équipage pouvait varier entre 10 et 50 mais le salaire minimal était généralement suffisant pour vivre une année entière et ce même pour les membres d’équipage ayant le grade le plus bas.

Les études actuelles sur l’impact de la trappe pomore sur la faune du Svalbard concluent que leurs activités n’ont probablement exercé qu’une faible pression sur cette dernière. La faune était à l’époque abondante et l’équipement des trappeurs ainsi que leur nombre limité ne permettait pas de chasse massive. Les trappeurs norvégiens, qui à partir de 1822 remplacèrent peu à les trappeurs pomores, auront un impact bien plus négatif sur la faune de l’archipel.

Ours Polaire Svalbard

Article rédigé par Audrey Roustiau, guide conférencière chez Grands Espaces.

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