Saviez-vous que les Vikings, ces redoutables guerriers et marchands scandinaves, furent les premiers Européens à s’installer en Amérique ? Qu’ils explorèrent de fond en comble les grands fleuves d’Europe de l’Est, fondant au passage des villes millénaires ? Qu’ils participèrent à la première croisade en Terre sainte, explorèrent l’Afrique du Nord et les régions arctiques jusqu’à la Mer Blanche, et peut-être même jusqu’au Spitzberg ? Petit tour d’horizon de leurs expéditions à travers les quatre points cardinaux…
Erik le Rouge était un jeune Viking à la barbe et aux cheveux roux (comme son nom l’indique !) installé en Islande avec sa famille aux alentours de l’an mille. L’Islande n’avait été découverte que récemment par les Vikings, un peu plus d’un siècle auparavant. Elle représentait alors une terre libre, gérée de manière relativement démocratique, loin de l’autorité des rois scandinaves du continent.
Erik n’eut pourtant pas l’occasion de mener une vie paisible en Islande. A la suite d’une série improbable d’accidents, de meurtres et de vendettas, il fut déclaré hors-la-loi et forcé à l’exil. Il décida de partir vers l’ouest, en direction d’une terre peu connue à laquelle les Vikings n’avaient pas encore donné de nom. Après s’y être installé, il décida de l’appeler Groenland, la « terre verte ». Ce nom, tout à fait improbable pour cette île largement couverte de glace, fut sans doute destiné à attirer d’autres colons sur place, ce qui semble avoir fonctionné puisque la colonie en vint à se développer et prospérer pendant quelques siècles.
Erik le Rouge
L’un des colons installés sur place avait un fils, Bjarni Herjólfsson, qui était resté en Norvège pendant tout ce temps. Un jour, Bjarni partit pour l’Islande afin de retrouver son père. Apprenant qu’il avait quitté l’île pour le Groenland, il continua sa navigation, mais s’égara en chemin. Après un moment passé en pleine mer, il aperçut au loin une terre couverte de forêts. Comprenant qu’il ne pouvait pas s’agir du Groenland qu’on lui avait décrit, il partit dans l’autre direction et finit par trouver le campement de son père. Sans le savoir, Bjarni était sans aucun doute le premier Européen à observer l’Amérique du Nord.
Conscient de l’intérêt de la découverte de Bjarni (notamment pour l’approvisionnement en bois de la colonie), Leif Eriksson, l’un des fils d’Erik le Rouge, s’efforça de suivre le même itinéraire. Il semble qu’il ait atteint la côte canadienne, avant de virer vers le Sud et de s’arrêter sur l’île de Terre-Neuve. Il nomma ce lieu « Vinland », en référence aux vignes qu’il prétend y avoir trouvé. La colonie qu’il y fonda perdura quelques années. A leur arrivée, l’île était déjà habitée par des populations amérindiennes. Dans un premier temps, il semble que les relations furent pacifiques et propices aux échanges. Toutefois, les choses semblent s’être finalement envenimées, forçant les colons à rentrer chez eux.
Plus tard, deux des frères de Leif tentèrent l’aventure. Thorvald Eriksson atteint le Vinland et fut tué lors d’un affrontement avec les indigènes. L’autre frère, Thorstein, entreprit de récupérer le corps de Thorvald, mais trouvera la mort avant même d’avoir quitté le Groenland. Ainsi, les Vikings ne parvinrent jamais à maintenir une présence durable sur le sol américain.
Carte de Skálholt, dessinée par un auteur islandais au 16e siècle sur base des récits d’expédition disponibles à l’époque. La carte indique l’emplacement du Groenland et de ce qui semble être l’île de Baffin (« Helleland »), la Péninsule du Labrador (« Markland ») et l’île de Terre-Neuve (« Promontorium Winlandia »)
Cette histoire, connue principalement à travers la Saga d’Erik le Rouge et la Saga des Groenlandais, deux textes écrits par les historiens islandais du Moyen Age quelques siècles après les événements, fut longtemps considérée comme pure fantaisie par les historiens. Ce n’est qu’avec la découverte de vestiges archéologiques à Terre-Neuve, notamment celle du site de l’Anse aux Meadows en 1960, que cette théorie fut confirmée. Après les fils d’Erik le Rouge, il semble que plus aucun Européen n’ait mis le pied en Amérique avant les explorations de Christophe Colomb, environ cinq siècles plus tard.
De l’autre côté de la péninsule scandinave, la Mer Baltique est déjà bien connue et ne semble offrir que peu de perspectives d’exploration. Pourtant, les terres qui s’étendent à l’Est sont elles-mêmes parsemées de larges cours d’eau que les Vikings ne tardèrent pas à parcourir dans toute leur longueur. C’est en premier lieu les habitants de l’actuelle Suède qui se tournèrent vers ce nouveau terrain d’exploration, tandis que le Danemark et la Norvège concentraient alors leurs efforts vers les îles Britanniques et l’Islande. Connus à l’époque sous le nom de Rus’, ces explorateurs suédois s’installèrent en diverses régions et donnèrent leur nom au pays que l’on connaît aujourd’hui, la Russie.
Mais avant d’en arriver là, il fallait pouvoir remonter les rivières de la Baltique. L’effort pourrait paraître anodin, comparé aux grandes traversées maritimes vers le Groenland et le Vinland. Mais bien au contraire ! Il fallait ramer avec énergie et endurance, à contre-courant, à travers de vastes forêts où le vent pouvait souffler puissamment. Le climat continental de l’Europe de l’Est, avec ses étés particulièrement chauds et ses hordes de moustiques, ne facilitait pas les choses. En outre, le risque d’attaque était omniprésent : contrairement à la navigation maritime, la navigation en rivière ne permet pas de repérer les ennemis au loin et une embuscade peut arriver à tout moment.
Enfin, les rivières parcourues présentaient par endroits de redoutables rapides. Incapables de les affronter, les navigateurs n’avaient d’autre choix que de mettre pied à terre et… de traîner leur lourde embarcation sur terre, à travers la forêt, à l’aide de rondins de bois disposés au sol, parfois pendant plusieurs jours. C’est cette même technique qui leur permit de laisser derrière eux les rivières de la Baltique et de rejoindre les immenses fleuves que sont la Volga et le Dniepr. En rejoignant ces eaux, ce sont de nouveaux territoires et de nouveaux paysages qui s’ouvraient à eux : à la forêt succéda la steppe. Désormais libres de se laisser porter par le courant, nos voyageurs ne furent pas pour autant au bout de leur peine, puisqu’ils se trouvaient à présent exposés aux attaques de guerriers nomades, menant à de nombreux affrontements.
Au terme de ce long périple, les navigateurs pouvaient espérer atteindre la Mer Noire ou la Mer Caspienne. En plus des opportunités de commerce et de pillage rencontrées en chemin, ils trouvèrent l’occasion de fonder ou de donner un nouvel essor à une série de villes, parmi lesquelles Kiev, l’actuelle capitale de l’Ukraine, et Novgorod, cité qui demeurera pendant plusieurs siècles la capitale de la République du même nom, véritable plaque tournante du commerce dans le Nord-Est de l’Europe jusqu’à la fin du Moyen- Age. Plus loin au Sud, les Vikings tentèrent sans succès de prendre Constantinople (Istanbul), capitale de l’Empire Byzantin.
Suite à cet échec, certains guerriers choisirent de rester sur place en tant que mercenaires, en particulier pour rejoindre la célèbre « garde varangienne », groupe d’élite chargé de la sécurité de l’empereur byzantin Basile II et de ses successeurs.
La ville de Novgorod au 17e siècle.
Le roi britannique Alfred le Grand est entré dans la postérité pour avoir organisé la défense de l’Angleterre et quelques victoires décisives face aux envahisseurs scandinaves. Vers l’an 890, il reçut la visite d’un voyageur norvégien du nom d’Ottar, qui raconta ses aventures à la cour du roi. Son récit fut mis par écrit et préservé jusqu’à nos jours. On y apprend qu’Ottar était, parmi les Norvégiens, celui qui vivait « le plus loin au Nord », probablement dans la région de l’actuelle ville de Tromsø. Au-delà de sa terre s’étendait un vaste territoire où ne vivaient que les nomades Sámi (appelés alors « Finnas »), un peuple indigène toujours présent en Scandinavie.
Un jour, Ottar entreprit de voyager plus loin vers le Nord. Aucun risque de se perdre en chemin : il n’avait qu’à suivre la côte ! Au bout de trois jours, il parvint aux régions les plus reculées mais encore fréquentées par les chasseurs de baleines norvégiens. Il continua à naviguer trois jours plein Nord jusqu’à ce que la terre se mette à obliquer vers l’Est. Ou était-ce un très large bras de mer qui s’enfonçait dans la terre ? Ottar ne put le dire avec certitude. Dès que le vent se mit à souffler vers l’Est, il continua sa route plusieurs jours, puis tourna plein Sud. A terme, il parvint à rejoindre ce qui semble être la Mer Blanche. Entre temps, il aura croisé diverses populations : d’abord les nomades Sámi, puis des peuples sédentaires, les Cwenas et les Beorma, apparemment installés sur les rives de la Mer Blanche et dont l’identité réelle demeure mystérieuse à ce jour.
Il se pourrait que les Vikings aient navigué plus loin encore vers le Nord. Certains textes font référence à une expédition partie d’Islande. Après plusieurs jours de navigation, les marins seraient arrivés à une terre qu’ils nommèrent Svalbarði funnin, Svalbarði signifiant « côtes froides » et funnin « découverte ». S’agit-il du Spitzberg ? On l’ignore. C’est pourtant en référence à ce récit que l’archipel recevra le nom de « Svalbard ». Une théorie suggère que les premiers humains à y poser le pied seraient en réalité des « Pomors » du 15e siècle, c’est-à-dire des colons russes installés dans la région d’Arkhangelsk (qui était à l’époque un lointain comptoir commercial de la République de Novgorod), sur la côte de la Mer Blanche.
La seule certitude que l’on ait à ce jour est qu’en 1596, l’explorateur néerlandais Willem Barentsz découvrit « officiellement » l’archipel dans le cadre d’un voyage destiné à trouver le fameux passage du Nord-Est, au cours duquel il perdra la vie.
Carte du Spitzberg, 1758.
Le Sud de l’Europe ne fut pas épargné par les navigateurs vikings. La méditerranée fut ainsi parcourue de part en part, de Gibraltar à la Terre sainte, en passant par l’Afrique du Nord et la Sicile. Un récit du chroniqueur marocain Ibn Idhari, raconte une série de raids pratiqués par un groupe de guerriers vikings au 9e siècle. Après avoir longé la côté française, ils rejoignirent la Galice, au Nord-Ouest de l’actuelle Espagne, où certains d’entre eux furent capturés. Après une tentative d’incursion vers Séville via le fleuve Guadalquivir, ils attaquèrent et brûlèrent la ville d’Algésiras, proche de Gibraltar. Ils partirent ensuite piller des populations d’Afrique du Nord, avant de rentrer passer l’hiver en France, puis de reprendre les pillages en Méditerranée au printemps suivant.
La saga des rois de Norvège, écrite par le célèbre écrivain islandais Snorri Sturluson, raconte également un voyage scandinave qui fit date : la croisade norvégienne. Comme son nom le laisse supposer, il s’agit ici d’une expédition menée par un souverain chrétien, le Norvégien Sigurd 1er, qui devint ainsi le premier roi européen à se rendre personnellement en Terre sainte, au début du 12e siècle, afin de prolonger les efforts de la première croisade. Fidèles cependant à leurs traditions, les guerriers nordiques ponctuèrent leur voyage de raids, en particulier dans les régions musulmanes de la Péninsule ibérique et des îles Baléares. Le voyage jusqu’en Terre sainte leur prit ainsi trois années, au cours desquelles ils hivernèrent en Angleterre, en Espagne puis en Sicile (alors sous domination normande). Une fois sur place, ils aidèrent notamment Baudouin 1er, premier roi de Jérusalem, à prendre la ville de Sidon aux troupes musulmanes.
Le voyage du retour se fit via Constantinople, où Sigurd rencontra l’empereur Alexis 1er Comnène et lui confia plusieurs de ses hommes (certains intégreront la garde varangienne). Sigurd rentra ensuite en Norvège par voie terrestre et retrouva son foyer en 1111.
Sigurd 1er chevauchant en compagnie de Baudouin 1er en Terre sainte (haut) et entrant dans la ville de Constantinople (bas). Illustrations datant du 19e siècle.
La conversion des Scandinaves au christianisme est considérée comme un symbole fort de la fin de l’âge viking. A la même époque, les guerriers nordiques connurent une série de défaites face à leurs adversaires, notamment en Angleterre. Parallèlement, l’apparition d’une véritable autorité royale en Scandinavie en vint à redessiner complètement le contexte politique de la région. Tous ces changements marquèrent la fin d’une époque qui ne fut pas seulement marquée par la violence des guerriers vikings, mais aussi par leurs immenses accomplissements en matière de navigation et d’exploration.
Article rédigé par Anaïd Gouveneaux, guide Grands Espaces et docteur en biologie marine, et Stéphane Aubinet, docteur en anthropologie.