Le fameux passage du Nord-Ouest permet aux navires de relier l’océan Atlantique à l’océan Pacifique (ou vice-versa) en passant entre les îles arctiques du Nord canadien, puis à travers la mer de Beaufort et la mer des Tchouktches. Ce passage se compose en réalité de plusieurs routes maritimes (Figure 1) car les diverses îles du Canada arctique sont séparées les unes des autres et du continent américain par une série de chenaux plus ou moins profonds. L’ensemble de ces chenaux est communément appelé « Passage du Nord-Ouest ».
Figure 1: Le passage du Nord-Ouest, plusieurs routes à travers l’archipel canadien
Le passage du Nord-Ouest n’est actuellement praticable que pendant le court été arctique car il est pris par les glaces le reste de l’année. Il attire néanmoins de nouveau l’attention internationale dans le contexte du réchauffement climatique. La banquise devenant de moins en moins étendue et de moins en moins épaisse même durant l’hiver, ce passage autrefois quasi-inaccessible s’ouvre peu à peu à la navigation commerciale et à la navigation de plaisance. Mais avant de nous plonger dans le détail des possibles traversées régulières de ce passage et de leurs implications en matière de commerce et de géopolitique, revenons sur sa passionnante découverte par les européens et sur les magnifiques et terribles histoires qui jonchent ses côtes.
Il n’existe à ce jour pas de trace des premières civilisations qui auraient pu fouler la côte est de l’actuel Canada. Cependant, les récits vikings indiquent avec une forte probabilité que ceux-ci ont très probablement et à plusieurs reprises atteint l’île d’Ellesmere lors d’expéditions de chasse et de commerce avec des groupes Inuits. Le début du Petit Age Glaciaire au XVème mit un terme à ces expéditions.
L’intensification des relations commerciales entre l’Europe et la Chine à la fin du XVème siècle pousse les navigateurs à chercher de nouvelles voies de navigation plus rapides. La première tentative confirmée est attribuée à Jean Cabot en 1497. Le navigateur italien aspire, tout comme son cadet Christophe Colomb, à découvrir la route occidentale vers les Indes. Il est établi que Jean Cabot est arrivé en Angleterre avant la fin de l’année 1495 et qu’il souhaitait entreprendre une expédition pour atteindre Cathay (i.e la Chine du Nord) par l’ouest en voyageant beaucoup plus au nord que Christophe Colomb. Il réussit à persuader le roi d’Angleterre qu’il était possible de naviguer vers les Indes orientales en passant par le nord-ouest de l’Amérique. Henri VII d’Angleterre s’attache ses services par lettre patente le 5 mars 1496 afin que ce dernier parte en son nom explorer ces terres inconnues.
Jean Cabot effectuera trois tentatives. La première en 1496 est un échec cuisant : Cabot ne va pas au-delà de l’Islande en raison de disputes avec son équipage, du mauvais temps et du manque de nourriture. Le 2 mai 1497, l’explorateur quitte à nouveau Bristol à bord du Matthew, un navire de 50 tonneaux ayant un équipage de dix-huit personnes. A bord se trouvent non seulement des marins de Bristol, mais également des marchands, un barbier génois et même un ressortissant de Bourgogne! Il aborde fin juin les îles de Cap-Breton et de Terre-Neuve (péninsule de Bonavista), à l’embouchure du fleuve Saint-Laurent. Cabot est persuadé, à tort, d’avoir atteint l’Asie… L’année suivante, il repart de Bristol avec cinq navires pour une nouvelle expédition dont le but probable ait été de passer au sud-ouest des terres abordées lors du deuxième voyage. Il semble également que l’établissement d’un comptoir de commerce, soit à Cathay elle-même, soit sur l’itinéraire entre l’Angleterre et Cathay, ait été planifié. Cabot disparaît malheureusement en mer sans que son sort ne soit connu…
En 1539, Hernán Cortés, le célèbre conquistador espagnol qui s’est emparé de l’Empire aztèque pour le compte de Charles Quint, commissionna Francisco de Ulloa pour naviguer le long de la péninsule de Basse-Californie sur la côte Ouest d’Amérique. Ulloa conclut que le golfe de Californie était la partie méridionale d’un plus grand détroit, reliant le Pacifique au golfe du Saint-Laurent. Ce voyage perpétue la notion d’une île de Californie et marque le début de la recherche du détroit d’Anian, un détroit qui selon les Espagnols conduit au passage du Nord-Ouest. En 1567, celui-ci apparaît pour la première fois sur une carte sous la forme d’un détroit étroit et légèrement incurvé séparant l’Ile de Californie de l’Amérique et situé à la latitude de San Diego (Figure 2). Il grandit dans l’imaginaire européen comme une voie maritime facile, reliant l’Europe à la résidence du Grand Khan à Cathay.
Figure 2: Cartographie de l’Amérique du Nord en 1677 .
Le passage du Nord-Ouest tel qu’imaginé à l’époque y est indiqué en rouge.
La fin du XVIème siècle se montre propice à la formation d’expéditions de découverte du passage. A cette époque, la pression sur les équipages anglais est énorme: les navires de commerce anglais ont en effet de plus en plus de mal à échapper à l’hostilité des flottes espagnoles et portugaises, toutes les deux maîtresses des mers du Sud. Les Anglais essayent de découvrir une route maritime vers le Pacifique et la Chine en doublant l’Amérique par le Nord. De 1576 à 1578, Martin Frobisher entreprend trois voyages vers l’Arctique canadien pour trouver le fameux passage. Au cours de ses voyages, il découvre et cartographie une partie de l’île de Baffin, une terre à l’époque Meta Incognita (terre inconnue). Ces expéditions sont l’occasion pour les Européens de rencontrer des Inuits en 1576 et de lancer la première ruée vers l’or connue de notre histoire. Celle-ci ne durera que deux étés, le fameux or n’étant que de la pyrite (un oxyde de fer de couleur dorée). Cette expérience se révèle économiquement non profitable mais elle participe au développement du mythe de l’exploration des ressources dans les régions extrêmes (frontier region) qui persévère jusqu’à nos jours. Martin Frobisher (en 1576) et plus tard John Davis (en 1585) signalent tous les deux l’obstacle que constitue l’île de Baffin pour la découverte du passage mais relèvent, au nord et au sud de cette grande île, des passages obstrués par les glaces en direction ouest.
Au début du XVIIe siècle, l’exploration est détournée dans la grande embouchure du détroit d’Hudson, mais aucune voie maritime n’est découverte à l’ouest de la baie d’Hudson (et il n’en existe d’ailleurs pas!).
Reproduction d’une carte de 1639 publiée par Janssonius.
Un navire au nord de l’île de Californie semble vouloir rejoindre un autre navire dans la baie d’Hudson!
Article rédigé par Audrey Roustiau, géologue et géophysicienne, et guide chez Grands Espaces.
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