Le Svalbard est un concentré d’Arctique, un vrai laboratoire du monde polaire boréal aux abords de 80 degrés de latitude Nord. Difficile de croire alors que cet archipel est né aux alentours de l’équateur il y a quelques millions d’années. Poussé au cours du temps à coup de millimètres vers le Nord par le jeu tectonique, le Svalbard ne croisera la route du premier humain qu’à sa position actuelle. De sa découverte jusqu’aux temps modernes, découvrez l’histoire passionnante qui jonche les côtes de l’archipel du Svalbard.
L’archipel du Svalbard fut-il foulé en premier par des Vikings comme pourraient le laisser croire certains passages des sagas islandaises qui évoquent ces côtes froides à quatre jours de navigation de l’Islande ? Rien ne prouve cette hypothèse peu probable. Les Pomores, peuple d’agriculteurs, trappeurs et chasseurs de la région d’Arkangelsk et de la péninsule de Khola en Russie, y auraient-ils séjourné dès le 14ème siècle ? Rien ne permet ni de l’affirmer ni de l’infirmer. Ces questions ont eu leur importance à une époque où le Svalbard était une terre sans propriétaire et qu’il fallait en revendiquer la découverte pour prétendre la posséder avec toutes ses richesses animales et minérales.
Mais malheureusement, ces énigmes historiques resteront sans doute à jamais sans réponse.
C’est le Hollandais Wlilem Barentsz, qui, officiellement, le premier, découvrit cette terre glacée en 1596. À cette époque les mers du sud étant déjà le privilège d’autres nations; les hollandais, parmi d’autres ,cherchèrent un passage vers le pacifique par le Nord-est. C’est là que Barents découvrit cette terre « aux montagnes pointues » qu’il nomma Spitzberg. Il n’eut pas la chance de revendiquer en personne sa découverte, naufragé puis décédé en Nouvelle-Zemble. Ce sont les quelques survivants qui parvinrent à rentrer chez eux qui évoquèrent cette nouvelle terre et ses richesses animales.
Le navire de Willem Barentsz, heurtant un iceberg
D’autres aventuriers furent tentés par le voyage et des promesses de fortunes rapides. Henry Hudson, quelques années plus tard, rechercha l’hypothétique passage nordique et rapporta, à propos des côtes du Spitzberg, la présence en grand nombre de cétacés qui s’ébattaient « comme carpes en vivier », empêchant parfois la mise à l’eau des chaloupes tant leur nombre était grand.
Il n’en fallait pas moins pour donner le départ du grand épisode de la chasse à la Baleine au Svalbard qui occupa tout le XVIIe siècle et une bonne partie du suivant avant de s’éteindre peu à peu.
Hollandais, danois, français, anglais, allemands, après avoir appris les secrets des chasseurs de baleiniers basques, rivalisèrent de voracité à chasser les grands cétacés. L’huile de baleine était un peu le pétrole de l’époque, trouvant des applications multiples dans des domaines allant de l’éclairage public aux explosifs militaires.
Ancien fourneau de baleinier, Spitzberg
L’activité était rude et les conditions polaires terribles. Nombre de malheureux ne survécurent pas aux hostilités du climat et à la dureté du travail. Les nombreuses tombes retrouvées sur différents sites de la côte du Spitzberg, la plus grande île de l’archipel, en témoignent. Les rivalités entre pays étaient constantes allant même parfois jusqu’au combat comme la célèbre bataille navale du Sorgfjord qui opposa en 1693 les français, venus avec des navires de guerre, aux anglais et hollandais. À mesure que l’activité prospérait, il fallut garder « les bons coins » et apprendre à hiverner sur place.
Si les premiers hivernages furent des fiascos à cause du scorbut, on apprit petit à petit à manger cette oseille arctique qui permettait d’assurer un apport suffisant en vitamine C, inconnue à l’époque.
Cette capacité fut cruciale pour la phase historique suivante de l’archipel. Les baleines ne survirèrent pas à l’acharnement avide des humains et leur chasse se termina peu à peu au cours du 19e siècle prenant d’autres formes notamment avec l’apparition de navires-usines rendant obsolètes les installations à terre.
Les trappeurs, sporadiquement présents en été depuis le 17e siècle, profitèrent de cette science nouvelle de l’hivernage ainsi que des grandes quantités de bois flotté, pour survivre dans ces contrées boréales et traquer les bêtes à fourrures, plus intéressantes en hiver à cause de leurs pelages plus fournis, plus denses. Au fil des années, un vaste réseau de territoires et de cabanes fut mis en place. Cette activité était basée principalement sur la pose de piège, boite à fusils pour les ours, trappe écrasante pour les renards, entre autres… Au début du 20e siècle plusieurs centaines d’ours étaient tués chaque année. Certains noms ressortent de cette période comme celui de Henry Rudy, qui tua 759 ours polaires à lui seul au long de sa carrière, ou encore Wanny Woldstad qui fut une des premières femmes à embrasser ce métier pourtant vu, à l’époque, comme masculin.
L’ère de la trappe s’éteignit peu à peu à mesure que les fourrures perdaient de leur prestige dans les sociétés riches, mais l’activité de trappe n’a jamais totalement disparu du Svalbard et quelques personnes la pratiquent encore de nos jours. L’ours ne fait bien évidemment plus partie du tableau de chasse, car totalement protégé depuis 1973.
Le Svalbard retint ensuite l’attention des scientifiques qui trouvèrent là une terre presque vierge où exercer des sciences nouvelles comme l’océanographie encore balbutiante à la fin du 19e siècle. Au nom de la connaissance et de la découverte, des expéditions scientifiques se succédèrent comme celles de Phipps, au 18èeme siècle, Frankin ou Sabine au 19ème siècle, puis celles des suédois Torell et Nordenskjold, ou encore du Prince Albert 1er de Monaco à la fin du 19ème siècle et début du 20ème siècle, qui monta avec ses navires pour quatre saisons d’été, introduisant la météorologie aux nombreuses disciplines qu’il y exerça. Cette liste n’est pas exhaustive et la science est toujours présente sur place, même si les navires scientifiques de la belle époque n’ont plus cours. Des stations internationales continuent les recherches avec le climat en ligne de mire et l’action anthropique et ses conséquences jusqu’en ces latitudes élevées. Le village Scientifique de Ny Alesund dans la baie du roi en témoigne avec plusieurs nationalités participant aux différents projets.
La base scientifique de Ny Alesund
La station polonaise à l’entrée de Hornsund est également active et accueille des étudiants de tous les pays. L’université polaire à Longyearbyen ainsi que l’institut polaire norvégien, souligne l’importance de la science dans cette contrée boréale.
Presque parallèlement à ces expéditions et jusqu’au XIX siècle, le Svalbard fut le point de départ fantasmé pour quelques aventuriers en quête d’un des derniers endroits laissés en blanc sur la carte du monde : le pôle Nord.
Ainsi partit en 1898 le suédois Salomon André à bord d’un des premiers ballons à air hydrogène captif, l’ « aigle » avec trois compagnons. Expédition audacieuse pour l’époque et qu’on ne revit jamais. Les restes des trois malheureux furent retrouvés quelques trente ans plus tard sur l’île blanche. L’allemand Whellman envisagea une expédition similaire en 1907 et 1909 avec un dirigeable, mais sans succès. En 1873, le célèbre suédois Nordenskjold, premier homme au passage du Nord Est, envisagea de rejoindre le pôle Nord depuis Mosselbukta avec des rennes… sans succès.
Roald Amundsen fut l’auteur, avec Lincoln Ellsworth de la première tentative d’atteindre le pôle avec deux hydravions en 1925 depuis Ny Alesund dans la baie du roi. L’expédition échoua à quelque deux cents kilomètres du pôle et revint par miracle. Le grand explorateur ne se découragea pas et fit une nouvelle tentative en 1926 à bord de son dirigeable, le « Norge », toujours en compagnie de son sponsor, l’américain Lincoln Ellesworth et du concepteur, l’italien Umberto Nobile. Cette expédition devint la première à effectuer une traversée transpolaire jusqu’en Alaska et le premier passage homologué au-dessus du pôle Nord.
Le Norge
Suite à des rivalités entre Amundsen et Nobile, ce dernier revint au Spitzberg et à la baie du roi en 1928, à bord de l’Italia pour une série de vols polaires. Lors de son retour du pôle, le dirigeable s’écrasa sur la banquise au nord de Nordaustlandet et provoqua la plus grande opération de sauvetage de l’histoire polaire. Amundsen perdit la vie en tentant de participer aux recherches alors que Nobile fut sauvé. D’autres tentatives d’atteindre le pôle depuis le Svalbard virent le jour sans succès et sans laisser plus de trace comme cette expédition de huit femmes en 1986 qui tenta de progresser par la banquise depuis les 7 îles et qui dut renoncer à 84 degrés de latitude Nord.
La géologie fut la science certainement la plus étudiée et celle qui ouvrit la voie au nouvel épisode historique de l’archipel : l’époque de l’exploitation du charbon. L’étagement horizontal des gisements de charbon et le sol gelé rendant inutiles les étayages traditionnels, le Svalbard et notamment l’île du Spitzberg furent une cible de choix. C’est au début du XXe siècle qu’un certain John Munroe Longyear, américain venu en touriste, créa une entreprise d’exploitation du charbon et laissa son nom au petit village de mineurs, devenu depuis lors la capitale de l’archipel : Longyearbyen. Les Russes et les Suédois participèrent à cette industrie comme à Barentsburg et Pyramiden dans l’Isfjord pour les uns, et Sveagrua dans le Bellsund pour les autres.
Ancienne cité minière de Barentsburg
Même si l’exploitation du charbon est toujours d’actualité, c’est à présent une industrie sur le déclin avec des filons de moins en moins rentables et des exploitations qui ferment. Qu’à cela ne tienne, c’est le tourisme à présent qui tient le haut du pavé dans ces contrées arctiques. Dès la moitié du 19e siècle des touristes viennent au Spitzberg et séjournent dans les premiers hôtels de la vallée de l’Advent comme en témoigne un de plus anciens bâtiments près du port charbonnier qui fut le premier hôtel pour touriste en 1896. À cette époque, on vient surtout chasser les innombrables oiseaux qui viennent migrer dans cet Eden et les rennes apathiques qui semblent légions.
Aujourd’hui les touristes viennent dans des navires de croisières confortables et explorent les recoins sauvages de l’archipel à la recherche de ses trésors, glaciers, fjords, toundras, déserts froids, paysages alpins, mais aussi ses créatures, ours polaires, morses, baleines, renards, rennes, phoques et oiseaux… Les visiteurs atterrissent à l’aéroport de Longyearbyen, payent les taxes des parcs nationaux et font leur shopping dans les magasins du village. Pourtant, les mesures environnementales tentant de s’adapter aux exigences éthiques et climatiques viennent freiner l’essor de cette activité, ralentissant du même coup une évolution économique prometteuse.
Au début du XXème siècle, le Svalbard était toujours une terre sans souverain où plusieurs nations cohabitaient plus ou moins bien en exploitant ses richesses. Cette situation n’était plus tenable face à l’actualité internationale et il fallut décider d’un propriétaire. Plusieurs nations se réunirent afin de débattre du problème et après bien des hésitations, c’est à la Norvège que revint la souveraineté sur l’archipel Arctique. La Russie s’était opposée préalablement à ce résultat, mais lorsque le traité du Svalbard fut ratifié en 1921 par 9 nations, le pays était en proie à la plus grande révolution de son histoire.
Si la Norvège est souveraine, les pays signataires du traité n’en sont pas moins en droit de s’y installer et d’exploiter les richesses naturelles. Il y a aujourd’hui une quarantaine de pays signataires et la population locale est formée d’une cinquantaine de nationalités différentes. Notons que c’est quelques années après la ratification du traité, que les Norvégiens fixèrent le nom de l’archipel à « Svalbard », en référence à l’hypothèse d’une découverte viking.
Mais il existe une nouvelle piste pour l’avenir de l’archipel. Le réchauffement climatique s’imposant peu à peu, les mers du Grand Nord connaissent des englacements de moins en moins importants sur des périodes de plus en plus courtes, permettant d’envisager un transport maritime plus fiable et régulier par les passages du Nord entre l’Atlantique et le Pacifique.
Le Svalbard dont la côte ouest est toujours navigable serait un port privilégié à proximité du passage du Nord-est, avec un aéroport, des hôtels… Des projets d’aménagements portuaires sont prévus pour anticiper cette nouvelle manne. Reste à voir si la réalité à venir confirmera ces prédictions.
Christophe Bouchoux, chef d’expédition chez Grands Espaces