Chaque année, Grands Espaces réunit ses guides conférenciers et postulants, pour un week-end de tables rondes et de conférences sur les enjeux de notre activité (sécurité, marché, environnement…).
Cette année, le week-end était basé sur la thématique du seigneur de l’arctique: l’ours polaire. À cette occasion, Grands Espaces a invité 3 des plus grands spécialistes de l’ours que sont Jan Stirling, Jon Aars et Nikita Ovsnianikov pour partager avec nos équipes leurs connaissances et les résultats de leurs études et recherches.
Des conférences à la fois passionnantes et particulièrement instructives sur un animal aussi majestueux que menacé par les changements de notre planète.
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Conférence de Jan Stirling
Conférence de Jon Aars
Conférence de Nikita Ovsnianikov
« L’ours blanc, son écologie, ses stratégies de chasse et les menaces environnementales, pesticides surtout »…
Jan Stirling est l’un des spécialistes de l’ours polaire parmi les plus connus au monde. Il est professeur auxiliaire au Département des sciences biologiques de l’Université de l’Alberta. Il a étudié les ours polaires dans l’Arctique canadien pendant plus de 37 ans avec le Service canadien de la faune. Le Dr Stirling a également étudié les ours du sud de la mer de Beaufort et du Haut-Arctiquecanadien pendant plusieurs décennies ainsi que leurs interrelations avec les phoques et la glace de mer. Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et de quatre livres, dont « Polar Bears : L’histoire naturelle d’une espèce menacée »
L’ours polaire est réparti sur tout l’arctique. Il est divisé en 19 populations.
Les ours blancs et les ours bruns sont très proches. La divergence remonte à 500 000 ans. Mais ils peuvent encore même se reproduire entre eux. Durant la dernière glaciation, les ours blancs furent contraints de migrer vers le Sud et conséquemment de venir à la rencontre des ours bruns, comme par exemple au Nord du Japon.
En 2016, un ours hybride fut abattu. Il était à moitié polaire et à moitié grizzly.
En 2010, un autre hybride a été observé : un de ses parents était un ours brun et l’autre parent était un hybride (moitié ours polaire, moitié grizzly).
Chez l’ours blanc, les mâles sont en général 2 fois plus grands que les femelles. Les mâles pèsent environ 500 kg mais peuvent atteindre 800 kg. Ils commencent à se reproduire à l’âge de 8 ans et jusqu’à l’âge de 15 ans. Le nombre de cicatrices présentes sur leur corps, et notamment sur leur tête, est un bon indicateur de l’âge de l’animal. En effet, à partir de 8 ans, les mâles se battent entre eux pour les femelles.
Les femelles pèsent entre 350 et 500 kg et peuvent avoir entre 1 et 3 oursons par portée.
En général ces ours vivent de 20 à 25 ans, mais certains peuvent vivre jusqu’à l’âge de 32 ans. C’est le seul ours maritime. Il a de grandes pattes avant qui lui sont importantes pour nager. En effet, il ne se sert que de ses pattes avant pour nager. Ces larges pattes lui sont également utiles pour marcher sur la glace afin de répartir son poids.
Les ours blancs ont la particularité de pouvoir se sécher rapidement. Ils peuvent assez facilement nager sous la glace. Ils utilisent cette technique pour attraper des phoques et les prendre par surprise. Parfois, il leur arrive de sauter. Ils ont tendance à éviter de se mouiller et font donc parfois des détours et des sauts pour éviter de nager pour atteindre une autre rive ou un autre morceau de banquise. Pour une même distance parcourue, cela leur prend 5 fois plus d’énergie de le faire en nageant qu’à pied, surtout qu’ils doivent ensuite se hisser hors de l’eau.
Un ours peut en mourir s’il nage trop longtemps. Or, maintenant que la banquise est en train de fondre, ils n’ont pas le choix. Ils passent de plus en plus de temps dans l’eau.
L’ours blanc est un prédateur. Il est curieux et intelligent. Il réfléchit, analyse et anticipe avant d’agir, comme par exemple lorsqu’il chasse. Par exemple, dans un zoo au Japon, un phénomène étonnant a été observé. Un ours polaire en cage a fait preuve de beaucoup d’intelligence lors de ce test. Ils ont attaché un morceau de viande en hauteur dans la cage, hors d’atteinte pour l’ours. Il a eu l’idée de se servir d’un de ses jouets sphérique et creux en tant que projectile pour essayer de décrocher le morceau de viande. En voyant que cela ne fonctionnait pas, il a utilisé un gros rondin de bois et a réussi à décrocher son repas. Les ours en cage s’ennuient vite. Il faut donc leur trouver des distractions (jeux, tests) et les remplacer régulièrement.
Lorsque les mâles se battent entre eux dans la nature, il leur arrive de se casser des dents, surtout leurs canines. Parfois cette blessure s’infecte et peu remonter jusqu’au museau. On observe alors une tache noire dans la fourrure sur le dessus du museau, entre les yeux et les narines.
Voici quelques techniques pour différencier les mâles et les femelles :
Les mâles ont des poils très longs sur leurs pattes avant.
Les mâles ont une coulée jaunâtre en dessous de leur pénis. Cela fait comme un pinceau.
Les femelles ont une coulée jaunâtre sous leur anus.
En période de reproduction, les mâles suivent les femelles à la trace. En effet, les femelles laissent échapper des phéromones par les glandes de leurs pattes. Les mâles approchent leur museau de la glace pour détecter ces traces odoriférantes et suivre les femelles. Ils peuvent accroitre leur capacité à flairer en retroussant le museau et en prenant des grandes inspirations par les narines. C’est le flehmen.
Les mâles ne se nourrissent pas beaucoup durant la période de reproduction. Cette période se situe entre début avril et fin mai. La séduction dure 1 semaine. Durant cette période, le mâle traque la femelle. Cela met du temps pour 2 raisons :
L’acte sexuel est très court donc rares sont les opportunités de pouvoir l’observer. Ensuite, la femelle s’éloigne et prend beaucoup de poids en se nourrissant énormément. Par exemple, des scientifiques ont pu observer une femelle qui est passée d’un poidsde 150 kg à 500 kg en 1 an lors de sa grossesse. Les petits naissent en novembre et sont de taille très petite. En général, chaque portée compte 2 oursons, mais il peut y en avoir entre 1 et 3. Ils sont nés dans une petitetanière qui permet de bien garder la chaleur grâce à un toit très bas et vouté.
Au printemps, ils quittent leur tanière avec leur mère. La femelle a alors perdu énormément de poids et doit se nourrir rapidement. Elle se nourrit alors de phoques et parfois de bélugas ou de baleines.
Les phoques annelés sont la nourriture essentielle des ours. Ils pèsent 30 à 40 kg. Ils utilisent leurs griffes pour creuser des trous à travers la banquise pour pouvoir respirer. Ils entretiennent ces trous lors ce que l’hiver arrive. À force, ils arrivent à creuser des puits d’une profondeur pouvant atteindre 2m. Chaque phoque se fait 4 à 5 trous pour respirer. Cela leur permet d’éviter les attaques des ours qui se postent près des trous et attendent que le phoque vienne respirer pour le tuer d’un coup de patte. Un ours arrive à tuer un phoque de cette manière environ 1 fois sur 15. Il mange alors le gras et la peau du phoque mais laisse souvent la viande qui est trop riche en sel. Les ours évitent de manger des aliments trop salés, car cela les déshydrate. Or il est difficile de trouver de l’eau douce dans ces milieux.
Lorsqu’une mère chasse avec ses petits, ces derniers restent parfaitement silencieux et immobiles afin d’éviter d’alerter la proie potentielle.
Les phoques barbus sont plus gros et plus difficiles à tuer. Les ours plongent sous l’eau et apparaissent juste à côté de la plaque de banquise où les phoques se reposent. Ils les prennent par surprise. Les ours ne mangent pas la peau des phoques barbus. Ce détail peut donc aider à identifier un cadavre mangé par un ours et le différencier d’un cadavre de phoque annelé.
On a parfois vu également des ours tuer des morses, mais c’est plus rare.
Une autre proie est le phoque du Groenland. On les trouve parfois regroupés en grand nombre. Les scientifiques pensent que c’est dû à la présence de bancs de cabillauds situés sous la banquise, près de la côte, où la nourriture est abondante. Or ces cabillauds sont une importante source de nourriture pour les phoques du Groenland.
Les ours peuvent également chasser le béluga en les frappant sur la tête quand ils viennent respirer. Les bélugas sont également attirés par les bancs de cabillaud.
Il arrive aussi que les ours se nourrissent de laminaires (algues) sans que les scientifiques puissent en expliquer la raison.
Les prédateurs de l’ours polaire sont :
– L’homme, qui les chasse ou les tue accidentellement
– Les requins du Groenland (une patte d’ours a été découverte dans l’estomac de l’un d’eux)
– D’autres ours polaires – cannibalisme
La glace disparait plus rapidement que toutes les prévisions faites par les experts. Aujourd’hui on estime que la banquise d’été aura disparu d’ici 2040. L’année 1979 est la dernière pendant laquelle la banquise a recouvert tout l’océan arctique. La période de jeûne des ours, lors de la reproduction, est de plus en plus longue due à ces dérèglements climatiques. Durant leur jeûne, les ours vivent à terre et survivent grâce à leur couche de graisse. Le poids des femelles lors de leur mise bas est en baisse ces dernières années. Le taux de reproduction décroit également.
D’ici 20 à 25 ans,les femelles seront trop maigres pour survivre à la période de reproduction. Des femelles de 50 kg de moins que le poids normal ont moins d’oursons et ces derniers ont moins de chance de survivre à leur première année.
À Churchill, les scientifiques capturent les ours qui s’approchent de trop près des habitations et de plus en plus d’ours s’approchent des habitations pour chercher de la nourriture et se font capturer. Peut-être même qu’ils utilisent cette méthode pour survivre à l’hiver ?
Le taux de cannibalisme est croissant lui aussi. Les ours se mettent à chasser les oiseaux et mangent les œufs et les petits. Cependant, les oiseaux nichent parfois dans les endroits difficiles à atteindre et les ours dépensent donc plus d’énergie à chasser ces animaux qu’ils n’en récupèrent. Les dépotoirs, décharges et habitations humaines sont de plus en plus attrayants pour les ours polaires.
Or un ours affamé n’a plus rien à perdre… Qu’en sera-t-il des conflits hommes-ours dans l’avenir ?
Autre question: qu’en sera-t-il de l’avenir de l’ours polaire ?
Nous n’en sommes qu’aux spéculations. Là où des carcasses de baleines s’échouent, par exemple, ils peuvent se nourrir et survivre…
« L’ours en Blanc en mer de Barents et au Spitzberg, son écologie, le statut, les travaux menés et son avenir »
Jon Aars est chercheur scientifique sur les ours blancs à l’Institut polaire norvégien de Tromsø. Division de l’écologie. L’essentiel de son travail aujourd’hui est la démographie de la population : comment différents facteurs affectent la reproduction, la survie et le recensement de l’espèce au Svalbard.
Le Polar Bear Institute est basé en Norvège où les chercheurs étudient l’ours polaire. Les données collectées permettent une meilleure compréhension de son mode de vie, et ainsi prendre les mesures nécessaires à sa protection.
Les travaux de l’Institut Polaire Norvégien ont démarré dans les années 60, et depuis la fin des années 80, ils capturent des ours polaires chaque année au printemps cumulant ainsi de plus en plus d’informations.
Jon Aars, quant à lui, étudie l’ours polaire depuis 2003.
À partir de la fin du 19e siècle, en moyenne plus de 300 ours polaires étaient tués chaque année par des Norvégiens à bord de bateaux ou depuis des camps de base de chasseurs, ce qui a amené peu à peu à sa protection en 1973, au Svalbard, puis dans toutes les régions où il est présent.
Le réchauffement climatique et son impact sur la banquise ont été largement sous-évalués en Arctique où la glace fond plus rapidement qu’ailleurs. On estime aujourd’hui que nous perdons en moyenne 4 jours de glaces par an, soit plus d’un mois par dizaine d’années, ce qui signifie que nous avons plusieurs mois, avec moins de glace au Svalbard, comparé à quelques dizaines d’années auparavant. Cela signifie aussi un fort impact sur l’environnement des ours polaires, qui est l’un des facteurs de la réduction de sa population.
L’activité de Jon Aars et son équipe se concentre principalement sur la capture d’ours polaire pour une prise d’échantillons, analyses de leur condition, comptabiliser le nombre d’oursons… etc.
Pour cela, ils utilisent un hélicoptère d’où ils tirent une fléchette anesthésiante, pour endormir l’ours et pouvoir effectuer leurs analyses. Une opération à la foi précise et compliquée, puisque le tireur doit gérer à la fois le déplacement de l’hélicoptère et celui de l’ours.
Si certains soulignent que ce genre d’intervention peut être très stressante sur l’ours, Jon Aars insiste sur le fait qu’il s’agit du meilleur moyen pour le capturer sans risques : L’hélicoptère permet d’arriver et de repartir très vite, diminuant l’impact sur l’animal. De plus, une fois que le tir est effectué, l’hélicoptère s’en va, jusqu’à ce que l’ours s’endorme. C’est l’affaire de quelques minutes seulement.
La fléchette est toujours plantée dans le cou de l’ours polaire, où la graisse est plus fine, et l’anesthésiant plus efficace.
Après sa capture, ils le balisent afin de pouvoir le suivre et analyser les données, puis étudient tous les aspects de l’ours : taille, poids, âge… etc. Ils effectuent aussi des analyses toxicologiques, afin notamment de déterminer sa santé, et les éventuels impacts de la pollution sur son environnement et sa reproduction.
Une fois toutes ces données collectées, le plus difficile reste à faire : traduire ces informations et leurs effets sur la reproduction et la survie de l’ours.
L’âge est aussi une donnée essentielle, puisqu’il est excellent indicateur de la santé générale de l’espèce.
Les études montrent qu’à partir de l’âge de 15 ans, la population d’ours polaires chute fortement, et encore plus à partir de 21 ans. Il est donc très rare d’en trouver de plus de 25 ans.
La principale cause de décès chez l’ours polaire serait la famine, plus particulièrement chez les individus jeunes et les plus vieux. Il existe aussi des cas de cannibalisme, mais qui restent néanmoins assez rares.
Selon des résultats de leurs études, en moyenne, seuls un peu plus de 7% des bébés atteignent l’âge de deux ans avec presque la moitié qui ne survivra pas la première année, ce qui n’est pas inhabituel pour les mammifères.
En collaboration avec des chercheurs français, Jon Aars et son équipe ont créé un modèle qui permet d’analyser le cycle de vie des ours polaires, et leurs capacités à fournir un soin parental étendu. Un modèle difficile à définir, puisque les ours polaires gardent leurs petits plus d’un an avec eux.
Ces données peuvent parfois être peu précises, néanmoins si on les couple avec d’autres informations (environnementales par exemple), on peut obtenir des analyses intéressantes.
La capture de l’ours permet aussi de lui poser un collier, qui va recueillir sa position en temps réel, permettant une analyse de son mode de vie et de ses déplacements.
L’analyse génétique chez des mâles a permis d’observer qu’un ours reste toujours dans la région qui l’a vu naître, de génération en génération. Ainsi, on s’est aperçu qu’ils se regroupent par région (Nord-Ouest du Spitzberg pour l’un et Sud-Est pour l’autre) en fonction de leur marqueur, ou « écotype », et qu’il existe une « règle » leur interdisant de traverser cette frontière invisible. Depuis le début des observations, seule une femelle a brisé cette règle : c’est une véritable barrière locale, invisible à petite échelle.
Jon Aars et son équipe reçoivent régulièrement des critiques sur ces colliers, notamment sur le fait qu’ils seraient trop serrés… Pour éviter qu’ils le soient, ils mesurent les dimensions du cou de l’ours avant la pose, puis l’enfilent par la tête, comme on le ferait pour un chien. On vérifie également l’état général de l’ours. S’il est en bonne santé et de bonne corpulence, on peut poser le collier sans aucun problème, le seul risque étant que s’il maigrit beaucoup, il le perdra. Néanmoins si l’ours est en mauvaise santé, très maigre, on ne peut pas lui en poser, car s’il grossit, il pourrait le gêner.
En moyenne, 10% des ours capturés et balisés perdent leurs colliers.
Selon Jon Aars, la chose la plus importante qu’ils ont apprise depuis qu’ils mettent des colliers sur des ours polaires, c’est qu’il existe ces deux « écotypes ». Lorsqu’on observe un ours au Spitzberg, on ne sait pas à quel type il appartient, sauf en le capturant et en procédant à des analyses.
En observant le parcours géographique d’une femelle donnée, on constate qu’il est particulièrement mouvementé, puisqu’elle « voyage » beaucoup. Elle a notamment effectué une traversée longue de plus de 750 km entre la Terre François-Joseph et le Spitzberg.
Un exploit finalement pas si isolé, puisqu’on a déjà pu observer une femelle qui sur 6 mois va parcourir des distances considérables, du Spitzberg jusqu’à la Terre François-Joseph en passant par la Russie. Elle va couvrir une distance de plus de 800 km sur cette période.
Au contraire, l’étude d’un autre ours sur une année complète a montré qu’il restait sur une petite zone du Spitzberg, ce qui, selon les observations, est loin d’être un cas isolé. On remarque donc des modes de vie très différents d’un ours à l’autre.
En résumé, on observe deux types de comportements chez les ours polaires : le premier plus sédentaire, qui le cantonne dans la même zone (notamment au Spitzberg), et un autre plus nomade, qui va l’entraîner sur des centaines de kilomètres chaque année. On a d’ailleurs observé que beaucoup d’ours migrent entre Arctique norvégien et russe.
Des observations ont permis de mieux comprendre pourquoi les petits restaient sur le dos de leur mère. En réalité, ils ont une résistance au froid assez faible, pour cette raison, la femelle transporte ses oursons sur son dos, pour traverser des étendues d’eau glacée sans risque. Néanmoins, c’est une activité éprouvante, et les observations montrent qu’une femelle nage beaucoup moins lorsqu’elle a des petits.
La période de reproduction a généralement lieu au début du printemps. Le tracking de femelles a aussi montré qu’elles pouvaient nager pendant des dizaines d’heures pour atteindre de petites îles où elles pourront se nourrir.
Au printemps, elles chassent avec leurs jeunes, près des glaciers, où la glace est encore très présente.
En été, au début des années 2000, les ours polaires passaient en moyenne 67% de leur temps sur les fronts glaciers pour la chasse. Désormais, ils n’y restent qu’environ 28% de leur temps. Ceci s’explique notamment par la fonte des glaces. D’un autre côté, on a observé que les ours passent un peu plus de temps dans les colonies d’oiseaux (de 2% à 8%).
Les phoques quant à eux n’ont pas changé leurs habitudes. Néanmoins, on remarque que les ours ont varié un peu plus leur alimentation, qui à l’origine était constituée en grande partie de phoques.
Le réchauffement climatique a changé les habitudes de chasses de l’ours polaire.
Les observations ont aussi démontré que les ours nagent beaucoup plus qu’auparavant, et sur de bien plus longues distances. En effet, pour atteindre les zones tanières ou pour pouvoir se reproduire, les femelles sont parfois obligées de parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres. Auparavant recouvertes de glaces, même fine, l’ours pouvait alterner entre marche et nage, or aujourd’hui, il n’a plus le choix, et la nage consomme 5 fois plus d’énergie…
Une femelle suivie grâce à un collier a même été observée en train de nager pendant 5 jours de suite pour atteindre la glace !
L’une des raisons est que la glace est de moins en moins présente dans le sud de la région, et les ours sont obligés de monter toujours plus vers le nord. D’ici 20 ans, la glace pourrait se retirer complètement du Spitzberg... Une catastrophe pour les ours.
On observe aussi de nouveaux modèles de migrations.
Comme tout le monde le sait, la glace arctique diminue chaque année inexorablement. Les données recueillies montrent que la « bonne » glace remonte de plus en plus vers le nord, alors qu’au sud elle devient de plus en plus fine. Or, les ours n’aiment pas cette glace, où ils ne peuvent pas chasser convenablement. Ils préfèrent la glace sur les zones d’eaux peu profondes, et non loin de la terre.
Certains endroits comme la Terre François-Joseph sont un peu moins touchés, et ont encore des zones de « bonnes » glaces, au moins pendant certaines périodes de l’année.
On a aussi remarqué que lorsque la glace arrive tard en automne, les femelles connaissaient beaucoup plus de difficultés pour atteindre les zones isolées où elles peuvent installer leur tanière. Alors soit elles abandonnent la tanière, soit elles montent probablement plus vers le nord, où la glace est meilleure.
Toutes les données compilées sur les femelles permettent de savoir à quel moment et où elles installent leurs tanières notamment pour mettre bas.
Jon Aars et son équipe posent aussi sur certains ours des balises de géolocalisation. Elles permettent de révéler les tanières et l’historique de reproduction des ours suivis.
La principale question aujourd’hui est de savoir comment les ours polaires survivent alors que la glace fond très rapidement.
On entend souvent comme réponse qu’ils sont très maigres et meurent de faim… Pourtant la réalité un peu différente : il est important de noter que depuis l’interdiction de sa chasse au Spitzberg depuis 1973, la population d’ours polaires a beaucoup récupéré.
En 2015 Jon Aars et son équipe procèdent aussi à des petites biopsies, effectuées avec une fléchette indolore pour l’ours. L’avantage de cette technique, et qu’il n’est pas nécessaire de le capturer. La fléchette va prélever un petit morceau de peau, permettant son analyse génétique.
En croisant ces nouvelles données avec les anciennes, ils ont pu différencier les ours déjà capturés et les nouveaux. Ils estiment que certains ours sont devenus très « locaux » et ne se déplacent que très peu.
Dans ces conditions, il est difficile de faire un comptage exact de la population.
Néanmoins, on estime que depuis 2004, la population d’ours polaires au Spitzberg a légèrement progressé. Même en incluant une marge d’erreur, on peut dire que leur population est stable depuis le début des années 2000.
On peut en conclure que malgré le réchauffement climatique et la fonte des glaces, la situation de l’ours polaire au Spitzberg est stable.
Cependant, selon Jon Aars, ce n’est qu’une question de temps avant que le statu quo disparaisse et que la situation se dégrade très rapidement.
En 2015 on estimait à un peu moins de 300 le nombre d’ours polaire présents au Spitzberg, et 700 sur les glaces norvégiennes. Alors qu’en 2005, leur total était de 685.
Quelle est la capacité d’adaptation des ours polaires ? Dans quelle mesure seront-ils capables de s’adapter à la fonte rapide des glaces Arctique ? L’analyse des lieux de vie des ours polaires aujourd’hui démontre qu’ils ont besoin de glace pendant au moins une partie de l’année pour survivre.
Cependant, le seigneur de l’arctique est un professionnel de la résistance à la faim. Il est capable de tenir plusieurs mois sans se nourrir ! Ces changements climatiques l’obligent aujourd’hui à se nourrir plus au printemps et en hiver afin d’accumuler un maximum de graisse.
Sa nourriture principale est le phoque, qui contient d’importantes quantités de graisse. Mais ils ne sont pas très sélectifs, lorsqu’il s’agit de se nourrir : oiseaux, carcasses d’animaux… Il n’est pas rare qu’ils chassent le renne. Enfin, le « summum » arrive lorsqu’une baleine vient s’échouer sur les plages du Spitzberg. Elle devient une source abondante de nourriture pendant plusieurs mois, voire années. On a notamment observé des ours qui venaient se nourrir sur une baleine échouée depuis plus de 2 ans, plongeant pour se nourrir. La basse température de l’eau et de l’air, permettent une bonne conservation.
Ils profitent aussi des opportunités qu’offre leur environnement, notamment lorsque la glace prend au piège des dauphins à bec blanc, et autres bélugas.
Quelques ours sur la côte ouest du Spitzberg montrent qu’ils sont capables de survivre et de se reproduire sur une période relativement courte de glace, chassant au printemps et en hiver, et vivant sur la terre la plupart du temps.
Néanmoins, la majorité n’en sera sans doute pas capable. La côte ouest du Spitzberg est relativement petite, et ne pourra accueillir tous les ours de la région. Cependant, la population de certaines de leurs proies est en augmentation, comme l’oie, le morse (même si l’ours évite de s’y attaquer, tant cela peut être dangereux pour lui), le phoque commun, renne et quelques espèces de baleines.
« L’ours blanc, son statut en Russie et son indispensable protection dans le monde »
Zoologiste professionnel et docteur en sciences biologiques, Nikita Ovsnianikov est spécialiste dans le comportement animal et l’écologie comportementale. Depuis 1977, il a mené des recherches dans l’Arctique sur le comportement et l’écologie du renard arctique, ainsi que sur l’organisation et les comportements des populations d’ours polaires. Il a également développé une méthodologie de sécurité pour prévenir et gérer les conflits entre les ours polaires et les humains. Cette dernière a été utilisée avec succès dans la réserve naturelle de l’île Wrangel, où de telles rencontres sont fréquentes. Nikita Ovsnianikov est l’auteur de plus de 60 articles scientifiques, et de deux livres sur les ours polaires.
Pour Nikita, la question essentielle à se poser est : les ours polaires se portent-ils bien ?
La lutte pour la conservation d’une population est impossible en l’absence de connaissances suffisantes sur son état actuel. Nous ne possédons pas de données réelles sur la quantité d’ours présents en Arctique, donc nous ne pouvons pas nous fier aux estimations scientifiques de la population d’ours polaires.
La seule façon d’établir un diagnostic général de l’évolution de cette population est d’étudier les différentes populations d’ours séparément. Il faut prendre en considération la taille de la population et sa tendance (à savoir si elle décline ou non par exemple). Par exemple, on peut noter le nombre de petits qui naissent chaque année, le poids de chaque individu, le taux de mortalité, le taux de cannibalisme, l’abondance de nourriture, l’espérance de vie, le ratio de mâles et de femelles, etc.
Les ours blancs sont-ils en bonne santé ? Leur état de santé devrait déterminer leur gestion. Si les ours sont en mauvaise santé, alors les scientifiques ne devraient pas les approcher et donc ne pas les étudier (ou alors d’une manière non invasive).
Pour la conservation de l’ours polaire, mais aussi pour celle des autres espèces menacées sur Terre, il faut essayer de mesurer la réalité écologique, l’impact de l’humain, l’histoire et les outils dont nous disposons.
L’espèce est menacée par le réchauffement climatique, qui fait fondre la banquise, et qui se fait manifeste de manière exponentielle en Arctique. Or, nos méthodes de gestion et d’observation n’ont pas changé depuis 1973.
D’après Nikita Ovsnianikov, il n’y aura plus d’ours d’ici 2050.
En tout, on estimait qu’il y avait 25 000 ours en 2016. Mais aucune preuve scientifique n’existe pour valider ces chiffres. Le réchauffement climatique est la menace principale pour les ours polaires.
Mais il faut partir du principe que toutes les estimations de nombre d’individus sont fausses. Mais de combien ? Comment vérifier ces estimations ? Ces estimations sont-elles utiles ?
Nous sommes dans le 6e cycle d’extinction de masse de l’histoire. Mais c’est la seule qui fut causée par l’Homme et de plus c’est la plus rapide. On doit réagir immédiatement. Il faut cesser immédiatement la chasse.
L’habitat de l’ours disparait. Mais l’une des causes principales de l’extinction de l’ours est la disparition de la banquise.
Il est urgent de comprendre les réalités écologiques des ours polaires afin de bien réagir et aider à leur conservation. L’évolution de leur population est un équilibre entre le taux de reproduction et le taux de mortalité.
En hiver, de 1980 à 2017, la superficie de la banquise arctique a été réduite de 35,8 %. En été, durant la même période, la quantité de glace a été réduite de 71,9 %.
L’habitat de l’ours se dégrade vite et les ours n’arrivent pas à s’adapter assez rapidement.
En octobre 2017, 230 ours ont été observés sur une même plage sur l’île Wrangel, près d’un cadavre de baleine. Cette observation n’est pas unique, mais c’est la plus grande concentration d’ours jamais observée.
Sur l’île Wrangel, entre 2004 et 2015, on a constaté un taux de mortalité élevé chez les oursons de moins de 1,5 an (supérieur de 75%), ainsi qu’un taux de reproduction très bas et des femelles très maigres au moment de la reproduction (donc un risque de mortalité élevé pour la mère et ses petits). On peut donc dire que cette population se portait mal.
Les processus sont donc plus importants et plus parlants que les chiffres et les statistiques quantifiant la population. À Wrangel, le taux de femelles reproductrices a connu une hausse surprenante en 2017 due à la présence d’une énorme carcasse de baleine sur l’île en octobre. Mais ce fait isolé n’est pas représentatif de l’état de la population totale, car c’est un fait isolé.
On constate également une autre conséquence de la fonte de la banquise : c’est la migration des ours du Nord de la Russie vers Wrangel. Il semblerait que les ours préfèrent rester à Wrangel plutôt que de retourner sur la banquise. Cette migration provoque une concentration plus élevée d’ours au même endroit et donc une augmentation du nombre de combats pour la nourriture. Certaines femelles ont eu 4 petits et certains d’entre eux ont été adoptés par d’autres femelles, car elles égaraient leurs petits. La nourriture se faisant plus rare à cause de la quantité massive d’ours, on voit parallèlement une augmentation du cannibalisme au sein de la population.
Les hommes sont de plus en plus en contact avec les ours parce que ces derniers migrent pour trouver de la nourriture et donc se rapprochent des zones d’habitat humain. Ils sont de plus en plus sur la terre ferme et de moins en moins sur la banquise.
En Russie, la chasse à l’ours blanc est interdite depuis 1957 ; en Norvège depuis 1973 ; mais aux États-Unis et au Canada, la chasse continue et est en expansion. Parallèlement, en Russie, on constate des cas de braconnage. 70 pays importent des ours blancs du Canada. Les tours en safari étaient populaires dans les années soixante, soixante-dix pour aller à la chasse à l’ours. Dorénavant, les Inuit chassent encore l’ours traditionnellement, à la différence près que maintenant ils sont armés et voyagent en moto neige. Les licences de tir sont de plus vendues à des chasseurs non autochtones. Au Groenland, 220 ours sont tués de cette manière tous les ans.
On constate également de plus en plus d’abattage d’ours dits « à problèmes ». Les ours s’approchent de trop près de la population locale et finissent par s’attaquer à un humain. Ils sont par la suite abattus. Du coup, la population mondiale n’est-elle pas plutôt de 16 000 à 20 000 individus ? Environ 1000 ours sont tués chaque année officiellement, ce qui représente 5 à 6% de la population. Les chasseurs préfèrent abattre les gros ours : on observe cette tendance à Churchill, au Canada. Ceci pose problème, car ce sont les individus les mieux portants qui sont abattus, ceux qui survivent le mieux au réchauffement climatique et leur patrimoine génétique se perd ainsi.
De plus, les méthodes de recherche scientifique sont « invasives », la pollution est aussi présente et il y a de plus en plus d’activité humaine dans les régions polaires. Les scientifiques capturent et re-capturent des mêmes ours, et ils en capturent de plus en plus. Au début, cette méthode de recherche (en posant des colliers sur les ours) était indispensable pour étudier le comportement des ours. Mais aujourd’hui est-ce que cette méthode contribue à résoudre le problème de la conservation de l’espèce ? Les ours ont de plus en plus de mal à se remettre de leur capture. Certains sont étouffés, certains subissent beaucoup de stress et certains sont parfois même accidentellement tués. Le collier réduit les chances de survie de l’individu en question. En 2015, un ours a été photographié portant des traces évidentes de blessures dues à un collier trop serré. On observe souvent des marques d’infections cutanées et de coupures.
Il faut trouver un juste milieu entre le besoin d’informations et la conservation de l’espèce.
Les ours polaires sont apparus il y a 500 000 ans et ont survécu à 5 ou 6 réchauffements climatiques plus chauds que celui que nous traversons. Cela prouve qu’ils sont résistants et savent d’adapter. Mais ils sont à la limite de leur capacité d’adaptation en ce moment.
Le cycle de réchauffement climatique dans lequel nous sommes est unique à cause de l’impact humain et de sa rapidité. L’Arctique est entièrement accessible pour les hommes.
On peut penser que les baleines étaient des sources de nourriture pour l’ours polaire dans les périodes de réchauffement climatique. Mais les baleines étaient beaucoup plus nombreuses à l’époque donc les ours pouvaient trouver régulièrement des cadavres de baleines échouées sur la plage. En conclusion, on peut constater que nous n’avons aucune information fiable pour soutenir le fait que la population s’est stabilisée. De toute évidence, la population est en déclin ; les impacts négatifs s’accumulent et sont en augmentation. Nous avons besoin d’une stratégie fiable pour lutter contre la disparition de l’ours polaire.
Les priorités pour une conservation de l’espèce sont :
Nous pouvons être optimistes, car les ours blancs ont une grande capacité d’adaptation.
Ces conférences ont ponctué un peu plus de deux jours de tables rondes.
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