Élodie Bouvier
Guide géographe et géomorphologue
21 février
27 février 2019
En Sibérie
Élodie Bouvier
Guide géographe et géomorphologue
Marché aux poissons, musée du Mammouth et tunnel du permafrost.
L’avion en provenance de Moscou atterrit à l’heure prévue à Yakoutsk et nous faisons la connaissance avec Vadim et Élodie dans le hall d’arrivée de l’aéroport. Les 100 mètres qui nous séparent du terminal du minibus nous donnent déjà un aperçu des -30°C de ce matin et ce n’est que le début de la chute du thermomètre ! Nous voilà donc à Yakoutsk, la capitale de la Yakoutie ; avec une superficie d’un peu plus de 3 millions de kilomètres carrés, cette république représente près du cinquième de l’ensemble du territoire russe, mais la population est de seulement 1 million d’habitants, ce qui fait que la densité est plutôt faible ! Dès notre arrivée à l’hôtel Tygyn Darkhan, nous nous retrouvons avec Élodie et Vadim et discutons des jours à venir autour d’une carte de la Yakoutie ; détails pratiques, esprit du voyage et programme.
La matinée est libre. Cela permet de commencer à explorer les alentours ; visite de l’église Orthodoxe, les rives de la Léna, la statue de Lénine et de s’imprégner de l’ambiance unique de cette ville du bout du monde où la température frise avec les -30°C. En nous promenant à Yakoutsk, nous pouvons observer une caractéristique frappante ; étant bâtie en zone de permafrost, c’est-à-dire que le sous-sol est en permanence gelé, les bâtiments doivent être construits sur des pieux, ce qui permet de faire circuler l’air froid sous les bâtiments et que ces derniers soient fixés directement dans le sol gelé. De plus, toutes les canalisations et les arrivées d’eau sont entièrement à l’extérieur et chauffées.
Après un repas typiquement russe à l’hôtel, nous partons pour le marché aux poissons qui se trouve à l’extérieur. Avec une température de -30°C, tous les aliments gèlent naturellement et nous trouvons les différents poissons dans des paniers à la verticale, une façon originale de les présenter, surtout pour nous, européens ! Les vendeurs arborent aussi de la viande de renne, des tétras, des lièvres, des atriaux de rennes, du boudin et même des têtes de vaches entières. Le marché n’est pas fait pour des végétariens !
Après le marché aux poissons, nous allons visiter le musée du Mammouth où nous avons droit à une visite guidée de la part du conservateur, une personne passionnée par son métier qui a su nous transmettre ses connaissances avec beaucoup d’intérêt. Le mammouth laineux est une espèce éteinte qui a vécu pendant le Pléistocène jusqu’à la fin de la dernière ère glaciaire dans toute l’Eurasie. De nombreux restes de mammouths ont été retrouvés en Yakoutie dans le permafrost. C’est grâce à ce sol gelé que de nombreux spécimens ont pu être conservés et se sont fait « momifier naturellement ». Près de Yakoutsk, des milliers d’os de mammouths ont pu être retrouvés, parfois par des chasseurs de défenses de mammouths. En effet, contrairement à l’ivoire d’éléphants, le commerce d’ivoire n’est pas illégal. Chaque année, ce sont environ 60 tonnes qui sont exportées de Russie, en grande partie vers la Chine.
La nuit commence à tomber, la température également. Nous allons donc « réchauffer » dans le tunnel du permafrost dont la température culmine à -10°C ! Le tunnel du permafrost est une galerie creusée dans la montagne sur plusieurs centaines de mètres. Nous sommes dans le permafrost, ce sol gelé en permanence qui compose l’entier du sous-sol de la Yakoutie. La galerie est composée de plusieurs pièces avec des sculptures de glace en tout genre ; il y a une piste de curling, un bar des glaces, un toboggan ainsi que plusieurs divinités yakoutes sculptées dans la glace.
Cette première journée en Yakoutie touche à sa fin, nous retournons au centre-ville puis mangeons dans un agréable restaurant où nous passons une soirée très conviviale. La fatigue du voyage et du décalage horaire se fait sentir sur les visages ; nous allons nous coucher rapidement.
L’appel de la taïga. C’est parti pour l’aventure vers l’Est !
Au petit matin, Yakoutsk fume de partout. Entre les pots d’échappement des voitures, la fraicheur de l’air et les cheminées des centrales thermiques, une brume typique recouvre tout le paysage. Aujourd’hui, dans le réveil de la ville, nous chargeons le minibus pour le départ de notre aventure. Nous partons vers la taïga, vers ces contrées sauvages aux confins de la Sibérie orientale ; c’est l’aventure vers le « Grand Est », car en Russie le Nord, c’est l’Est, pour reprendre le titre d’un célèbre livre de Cédric Gras. L’objectif du jour est d’aller jusqu’à Khandyga, une petite ville située proche du bord de la rivière Aldan, un affluent de la Léna. Nous nous arrêtons sur la Léna gelée, ce fleuve long de 4400 kilomètres qui prend sa source proche du lac Baïkal, va se jeter dans la mer des Laptev au nord de la Russie. Il gèle en hiver et devient ainsi un axe de communication routier important avec l’autre rive. À cette époque de l’année, grâce aux 1.80 mètre de glace, la circulation est très aisée pour rejoindre l’autre rive sur la piste de glace de 11 kilomètres. Au mois de mai, lors de la débâcle, cette voie de communication est alors coupée, le temps que les flots reprennent leurs droits sur la glace. En été, un bac chargeant les voitures est alors utilisé.
Une fois du côté oriental de la Léna, nous nous arrêtons à Nijny Bestyakh pour faire quelques courses. Cette ville est le terminus de la ligne de chemin de fer AYAM (Amour-Yakutsk-Mainline) qui est essentiellement destinée aux marchandises et à l’approvisionnement de Yakoutsk. Nous reprenons la route qui se transforme rapidement en piste et prenons la direction plein Est en traversant la taïga, également appelée forêt boréale. Ce milieu, fortement lié au climat subarctique consiste en une formation forestière faite de bouleaux, saules, mélèzes et pins selon la latitude et à la particularité d’être parcourue de nombreux lacs. La taïga occupe à elle seule 10% des terres émergées et couvre les territoires de la Russie, du Canada, de la Scandinavie et de l’Alaska. Cette vaste étendue qu’est la taïga est souvent confondue avec la toundra qui se situe au nord de la limite des arbres et qui est une strate végétale avec une végétation basse faite de lichens, mousses ou encore saules nains. La route est rythmée par différents arrêts selon les curiosités que nous trouvons sur le chemin et rêvons à travers les vitres de nos minibus surchauffés de ces territoires gigantesques qui font référence à l’imaginaire collectif du « Grand Nord sauvage », des cabanes en bois, des trappeurs et des premiers explorateurs.
Pour midi, nous nous arrêtons dans une cantine typique sur le bord de la route avec au menu du bortsch, riz au bœuf et autres spécialités locales. Un restaurant simple, mais qui sort des sentiers battus où nous sommes les seuls touristes ! Nous croisons même des chevaux yakoutes adaptés aux froids intenses. Nous assistons à un magnifique coucher de soleil en haut d’une butte ; le soleil et les nuages se découpent sur la taïga à perte de vue !
Nous reprenons la route pour arrivons en soirée à Khandyga où nous mangeons dans un restaurant improvisé, très simple, mais une nourriture typique, une fois encore ! Nous nous sentons, petit à petit, baignés par cette culture yakoute. La suite de la soirée se déroule à notre hôtel autour d’une bouteille de vodka et d’un cours de russe improvisé par Vadim.
Le thermomètre indique -36°C au réveil à Khandyga ce matin. Nous nous retrouvons dans le restaurant improvisé de la veille où nous prenons un petit-déjeuner bien copieux afin d’affronter le grand froid qui nous attend lors de cette longue journée. Nous reprenons la route en direction d’Oymyakon qui se situe à environ 580 kilomètres de l’autre côté des Monts Verkhoïansk. Nous retrouvons, pour les premières dizaines de kilomètres, la taïga ; cette étendue forestière qui représente le plus grand biome terrestre. Nous sommes hors du temps, au bout du monde dans cette étendue forestière gigantesque qu’est la taïga. Au loin, les monts Verkhoïansk commencent à se découper dans l’horizon. Cette chaine de montagnes s’étend le long de la Yakoutie sur près de 1000 kilomètres jusque dans la mer des Laptev et culmine à près de 3000 mètres d’altitude. Nous nous arrêtons sur la route pour profiter de ces paysages incroyables et nous imprégner de cette ambiance unique qui s’offre à nous.
La traversée des Monts Verkhoïansk est le clou de cette journée ! Nous sommes comme des enfants ; le regard vissé à travers les vitres de notre minibus surchauffé à contempler le paysage qui défile sous nos yeux. Nous traversons des vallées enneigées qui sillonnent la taïga clairsemée ; une piste glacée infinie qui mène au bout du monde, dans un des environnements les plus hostiles et sauvages que l’on puisse imaginer. Un lac gelé, des couleurs magiques, des étendues de taïga, des arbres tels des statues de glace ; voilà ce qui rythme notre journée. Depuis ce matin, nous roulons sur la « Route des Os » qui relie Magadan à Khandyga ; route qui a été construite par les prisonniers du Goulag dans les années trente. Un mètre carré de cette route est synonyme d’un prisonnier mort lors de la construction de la route.
Au milieu d’après-midi, nous faisons une pause à Kyubyume au Café Cuba; une sorte de halte perdue au milieu de nulle part, un coin de chaleur où trouver une soupe chaude dans cette étendue glaciale où la température frise avec les -38°C. C’est un café typique où les routiers s’arrêtent le temps d’une pause ; où l’on offre du bortsch et de la soupe avec une décoration complètement improbable !
Le périple continue à travers les mêmes paysages ; le coucher de soleil donne des couleurs magiques au paysage ; les couleurs alternent entre le rose, bleu, orange et violet. Le thermomètre descend petit à petit ; nous dépassons le seuil fatidique des – 50°C lors de notre arrivée à Oymyakon où nous sommes accueillis par Tamara, la patronne du lieu. Une soirée typiquement yakoute nous est offerte avec de la Vodka ! Les toilettes sont dans la cabane au fond du jardin et le thermomètre indique… -52°C !
Rencontre avec le gardien du Pôle du Froid, visite d’une ferme avec des vaches yakoutes et éleveurs de chevaux yakoutes.
Le réveil est glacial : -45°C ! Heureusement, la chaumière de Tamara est bien chauffée et nous nous retrouvons autour d’un bon petit-déjeuner. L’objectif de la matinée est d’aller visiter un éleveur de chevaux yakoutes. Ces derniers sont petits et trapus, vivent toute l’année à l’extérieur par des températures dantesques et se nourrissent d’herbes qu’ils trouvent en grattant le sol avec leurs pattes. Seuls les poulains restent dans un parc où ils sont nourris par les éleveurs avec du foin sec. Les chevaux vivent en semi-liberté et sont réunis par les éleveurs ponctuellement pour les nettoyer et retirer la glace qui se forme sur leurs dos.
De retour à Oymyakon, nous nous rendons au Pôle du Froid où nous sommes accueillis par son gardien qui nous remet le certificat attestant que nous nous sommes bien rendus dans le lieu le plus froid de l’hémisphère nord où le record de -71.2°C a été atteint. Aujourd’hui, nous avons eu une température de -47°C !
L’après-midi commence avec la visite d’une ferme avec des vaches de la race yakoute. Nous sommes accueillis par le propriétaire des lieux qui nous parle de son élevage et de la vie dans le village. Les vaches yakoutes ont la particularité d’avoir un pelage velu, sont petites et trapues. Même en hiver, elles passent une partie de la journée à l’extérieur pour aller boire au bord de la rivière.
La suite de l’après-midi se déroule sur la rivière Indigirka où nous sommes accueillis par un pêcheur qui va nous initier à la pêche sous la glace. Il creuse quatre trous distants d’environ 3-4 mètres qu’il relie avec une cordelette afin d’y faire passer un filet sous la glace. La première pêche donne un petit poisson. Nous sommes plus chanceux sur le deuxième coup ; trois gros poissons ! À peine les poissons décrochés du filet, ils mettent 5 minutes pour geler. Il fait très froid, mais le paysage est magnifique avec un soleil rasant et de belles couleurs qui se reflètent sur la rivière gelée.
La journée n’est pas terminée, car, à peine arrivés, nous repartons dans le village d’à côté pour le concert des enfants de l’école ; des chants et des danses en costumes traditionnels. Nous avons même droit à une présentation des ornements portés par les femmes sur leurs vêtements ainsi que les différents habits portés par les hommes lorsqu’ils partent à la chasse.
Après un délicieux diner, Élodie fait une présentation sur la forêt boréale (ou taïga) et sur le climat de la Sibérie et répond aux nombreuses questions sur les différents milieux que nous avons traversé ces deux derniers jours.
Promenade en traineaux tirés par les rennes et visite du musée
Le seuil des –55°C a été franchi ce matin. Comme les autres jours de notre voyage, nous nous réveillons avec un ciel bleu azur très clair et une absence de vent. En effet, cette région de la Sibérie est sous l’influence d’un anticyclone d’origine thermique ; c’est une zone de haute pression atmosphérique qui se développe dans une région où une masse d’air très froide y règne pendant l’hiver. Un anticyclone thermique se différencie avec un anticyclone d’origine dynamique qui est causé par la circulation atmosphérique globale. En Sibérie, l’anticyclone est présent seulement en hiver et disparait au printemps. C’est donc sous un ciel bleu et une température glaciale que nous prenons le chemin de Tomtor pour nous rendre chez les éleveurs de rennes. Ils vivent dans un camp fait de tentes en toile au bord d’un lac et restent dans le périmètre environ 2 ans avec leur troupeau de rennes qui compte 200 têtes, puis ils se déplacent au gré de la nourriture disponible pour leurs bêtes. Après avoir enfilé des habits en peau de rennes plutôt volumineux, nous faisons une balade en traineaux tirés par les rennes sur le lac gelé puis nous rejoignons les éleveurs sous la tente. L’ambiance est très conviviale !
La journée continue avec la visite du musée local de Tomtor où nous sommes guidés par la responsable des lieux. Elle nous explique la vie dans la communauté pendant la Seconde Guerre mondiale, les différentes personnalités qui ont marqué la vie du village et nous parle des camps de travaux forcés ; les goulags qui étaient nombreux dans la région. Nous visitons également une réplique d’une maison typique yakoute avec des objets traditionnels. La visite culturelle se termine avec le tunnel de glace de Tomtor, qui ressemble fortement à celui que nous avons visité à Yakoutsk. On peut y visiter plusieurs salles avec des sculptures de glace qui illustrent les mythes et légendes locales.
Une fois rentrés à Oymyakon, nous faisons un banya ; un sauna russe chauffé au feu de bois. La tradition veut qu’on se jette dans la neige après être passé une dizaine de minutes à 85-90°C ; l’amplitude thermique entre l’intérieur et l’extérieur est de l’ordre de… 140°C ! Il faut avoir un corps solide. Dans ces coins reculés de la Sibérie orientale, le banya est souvent la seule façon de se laver ! La soirée s’est clôturée par une présentation sur le permafrost donnée par Élodie.
Direction Khandyga
Notre séjour à Oymyakon touche à sa fin. Ce matin, le record maximal de température lors de notre voyage a été atteint à 8h30 où le thermomètre a chuté à -57°C ! Nous avons passé quelques jours magnifiques dans ce village perdu aux confins de la Sibérie. L’accueil de Tamara, notre hôte, et son sens de l’hospitalité nous ont tous beaucoup touchés. Il est l’heure de reprendre la route en sens inverse. Nous retraversons ces étendues infinies de taïga, accompagnés d’une tempête de ciel bleu, comme à son habitude. La taïga laisse peu à peu place aux Monts Verkhoïansk que nous redécouvrons une seconde fois ; il est impossible de se lasser de la beauté de ces montagnes du bout du monde qui recèlent une faune sauvage et abondante. Nous arrivons en soirée à Khandyga où le repas se déroule à nouveau dans le restaurant improvisé. La soirée se termine autour d’une bouteille de vodka avec une présentation d’Élodie sur l’Arctique russe et le passage du Nord-Est.
Le voyage touche à sa fin. Nous partons de Khandyga dans la matinée et faisons un premier stop sur la rivière Aldan gelée, qui sert de voie de communication en hiver. Nous retraversons ces étendues de taïga avec, cette fois une prédominance de bouleaux, pins et épicéas au détriment du mélèze que nous trouvions plus à l’Est.
Nous passons rapidement au magasin d’alcool où nous profitons de s’approvisionner en Vodka, puis un passage obligé au magasin de souvenir pour acheter quelques babioles avant de rejoindre notre hôtel du centre-ville. La dernière soirée se déroule au très sympathique restaurant Chochur-Muran. Nous avons droit à la maison du professeur ; lustres du siècle passé, photos de familles et objets hétéroclites font le décor de cette dernière soirée en Yakoutie qui clôt cette magnifique épopée à la découverte du froid, de la taïga et de ces paysages grandioses du bout du monde.
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Messages
J’espère que votre voyage se passe bien. Plus de nouvelles depuis vendredi, nous espérons que les paysages sont à la hauteur de vos espérances. Ici en France, le temps est splendide, digne de belle journées de printemps.