Élodie Marcheteau
Géologie
29 octobre
9 novembre 2024
Élodie Marcheteau
Géologie
Antoine Lochin
Guide naturaliste
Jean Robert Couplet
Frédéric Bouvet
Croisières Polaires au Spitzberg
Dr Laurent Balp
Médecin d'expédition
Après deux journées de voyage depuis Paris, puis Buenos Aires, nous atterrissons ce matin dans la mythique cité d’Ushuaia, la ville peuplée la plus au sud du monde !
Après quelques rebondissements pour certains d’entre nous concernant les bagages, nous embarquons en bus en direction du centre-ville ! Grâce aux commentaires de nos guides locaux, nous en apprenons davantage sur cette ville de 80 000 âmes, fondée en 1884 par le commandant Augusto Lasserre.
Nous arpentons ces petites rues typiques, ainsi que la fameuse avenue San Martin, qui abrite les plus beaux magasins et restaurants de la ville ! Près du port, nos premières observations animalières ont déjà lieu ! En effet, les ornithologues avertis reconnaissent déjà le goéland dominicain et le goéland de Hermann, ainsi qu’un pétrel géant, qui peut atteindre 2 mètres d’envergure !
En fin d’après-midi, nous embarquons enfin sur notre navire, l’Ocean Nova ! Puis, rapidement, c’est l’heure des premiers briefings, notamment le « drill », cet exercice de sécurité obligatoire après l’embarquement. Nous passons ensuite au salon panoramique afin que notre équipe d’expédition se présente : accompagnant Rayann, notre chef d’expédition, nous retrouvons Ida, notre directrice de croisière et nos guides: Élodie, Laurent, Frédéric, Jean-Robert et Antoine !
Il est aussi l’heure de faire un point météo, et malheureusement, celle-ci est vraiment mauvaise, nous obligeant donc à attendre 24 heures à Ushuaia. Ainsi, le programme de demain se déroulera ici en Patagonie, entre visite de musée et procédure de décontamination obligatoire des habits que nous utiliserons lors de nos sorties en Antarctique !
Après un délicieux dîner, nous profitons du temps libre pour nous familiariser avec le bateau avant de rejoindre nos cabines pour une bonne nuit de sommeil.
Le mauvais temps nous a offert une journée entière à Ushuaïa : à nous d’en profiter pleinement. Le vent s’est calmé, le ciel est bleu, et les montagnes enneigées resplendissent tout autour de la baie. De l’autre côté du Chenal de Beagle – le passage où le navire de Charles Darwin est lui-même passé lors de son tour du monde – on aperçoit le Chili. Au-dessus de nous, des pétrels géants dessinent de gracieuses arabesques dans le ciel, sans le moindre effort apparent. Quel contraste entre leur élégance en vol et leur comportement au sol : charognards implacables, ils se font aussi prédateurs de jeunes manchots en duvet avec leur puissant bec et le regard fixe d’un tueur.
Après une nuit réparatrice, quelques passagers sont déjà sur le pont, d’où ils assistent à une observation exceptionnelle : trois condors des Andes en vol au-dessus du port. À 9h30, c’est le départ pour les passagers du pont 3 vers le « Museo del fin del mundo » – un nom qui signifie non pas la fin du monde, mais le bout du monde. Ushuaïa, avec ses 80 000 habitants, est en effet la ville la plus australe du monde, située à l’extrême pointe sud du continent sud-américain. Certes, Puerto Williams au Chili, de l’autre côté du chenal, sur l’île Navarino, est quelques kilomètres plus au sud, mais c’est davantage un village qu’une ville, avec seulement 5 000 habitants.
JR et Frédéric mènent le groupe vers le petit musée d’histoire naturelle, et Frédéric en profite pour animer son premier atelier d’identification des oiseaux avec les espèces observées en chemin. Ce musée du bout du monde présente aussi quelques informations sur les premiers habitants de cette terre reculée. JR, qui a passé plusieurs mois en Terre de Feu, nous parle de l’ethnie Yamana. Les premiers peuples de la Terre de Feu seraient arrivés ici avant que cette région ne devienne une île, il y a environ 10 000 ans, lorsque la fonte des glaces à la fin du dernier âge glaciaire a entraîné une élévation du niveau des océans de 140 mètres, formant le détroit de Magellan. La population des Selknam (3 000 à 4 000), Yámanas (3 000), Alakalufs (4 000 à 4 500) et Haush (300) était estimée entre 10 000 et 12 000 individus avant la colonisation.
La Terre de Feu est « découverte » par Magellan en 1520, mais le processus de colonisation n’a commencé que dans la seconde moitié du XIXe siècle, apportant avec lui des maladies inconnues et redoutables pour les indigènes (comme la vérole et la tuberculose) ainsi que des persécutions. En seulement quelques décennies, ces facteurs ont conduit à l’extinction quasi totale des peuples autochtones, dont il ne restait qu’environ 250 individus dans les années 1920.
Le musée possède également une belle collection d’oiseaux naturalisés, tous originaires de la Terre de Feu. Frédéric se fait une joie de partager ses connaissances et de répondre aux nombreuses questions des visiteurs. Pendant que JR et Frédéric captivent les passagers du pont 3, les autres membres de l’équipe s’affairent à bord de l’Ocean Nova avec ceux du pont 4 pour une tâche essentielle : la décontamination de tous les sacs et vêtements qui seront utilisés lors des débarquements en Antarctique. Cette opération, non seulement importante mais obligatoire, est requise pour respecter l’autorisation délivrée à Grands Espaces par la préfète des TAAF (Terres australes et antarctiques françaises). Elle vise à prévenir l’introduction d’organismes potentiellement invasifs (plantes, insectes, bactéries, etc.) en Antarctique. Ce processus comprend la désinfection des bottes et une inspection minutieuse des vêtements, où la moindre graine cachée dans un velcro est retirée par aspiration.
L’après-midi se déroule comme le matin, avec une inversion des groupes des ponts 3 et 4. Après un temps libre en ville, tout le monde se retrouve au salon panoramique pour le cocktail de bienvenue en présence du capitaine Alcibiades Barrios, dont l’humour fait l’unanimité dans un éclat de rire général, sans jamais perdre de vue l’importance de la sécurité.
Peu après 21h, comme prévu, l’Ocean Nova quitte le port avec un pilote argentin qui nous guidera dans la navigation délicate du chenal de Beagle, où la frontière internationale entre l’Argentine et le Chili suit le milieu de la voie navigable. La nuit tombe rapidement après notre départ, et les paysages du bout du monde disparaissent. Nous espérons les revoir lors de notre retour.
Le pilote nous quitte vers 2h du matin, et nous atteignons enfin le fameux passage de Drake vers 5h. Ce détroit, large de 1 000 km, est connu pour ses conditions souvent difficiles (qui ont d’ailleurs retardé notre départ de 24 heures). Quelles seront ses humeurs demain… ?
À l’aube, nous sommes déjà en pleine traversée du passage de Drake, cette étendue d’eau légendaire nommée en l’honneur de Sir Francis Drake, qui dirigea la deuxième expédition de circumnavigation après celle de Magellan. Le bateau poursuit sa route, tanguant au rythme d’une houle longue et régulière, caractéristique de cette zone mythique où l’océan se déchaîne souvent.
Dès le matin, une multitude d’oiseaux virevoltent autour du navire, offrant un spectacle impressionnant. Malgré le roulis, nous nous installons dans la bibliothèque pour notre premier atelier de la journée : une session d’observation des oiseaux marins avec notre guide ornithologue, Frédéric.
Nous avons la chance d’observer un défilé d’espèces emblématiques : les imposants pétrels géants glissent avec élégance dans le ciel, tandis que des albatros hurleurs, avec leur envergure impressionnante, dessinent de larges cercles autour du bateau.
Les albatros à sourcils noirs, reconnaissables à leur regard expressif, survolent les vagues avec agilité.
Plus loin, nous apercevons des damiers du Cap, facilement identifiables à leur plumage noir et blanc en damier, qui semblent danser à la surface de l’eau. Nous distinguons également les petits prions bleus, dont le plumage se fond dans les reflets de l’océan, et les gracieux océanites de Wilson, qui frôlent presque l’eau en planant.
Notre observation se poursuit avec les majestueux albatros à tête grise et quelques fulmars australs, qui glissent paisiblement, en parfaite harmonie avec la houle. Nous savourons ces instants de contemplation, fascinés par la diversité et la beauté des espèces qui peuplent les mers australes.
L’après-midi est consacré à la découverte et au partage de savoirs. Nous assistons d’abord à une conférence captivante sur la course au pôle Sud entre Roald Amundsen et Robert Falcon Scott, une aventure à la fois fascinante et poignante qui a marqué l’histoire de l’exploration. La présentation suivante, dédiée à la photographie, nous livre de précieux conseils techniques et des réglages pour capturer la beauté des paysages et de la faune exceptionnels qui nous entourent.
Pour conclure cette riche journée, notre chef d’expédition, Rayann, nous informe des conditions de mer attendues et nous présente le programme du lendemain. Ces informations essentielles nous permettent de nous préparer à la suite de cette aventure palpitante à travers les mers australes.
C’est au milieu du passage de Drake que nous nous réveillons ce matin. L’Ocean Nova a navigué toute la nuit à une belle allure de 11 nœuds, profitant des vagues arrière : les forces de la nature semblent avec nous depuis la sortie du canal de Beagle, nous poussant vers notre première destination, les îles Shetland du Sud.
Les Procellariiformes, cette famille d’oiseaux marins géants si nombreux hier, ont peu à peu déserté la proximité du bateau. En nous éloignant de la terre, nous approchons la zone de convergence des courants marins, créant une séparation thermique dans les eaux. Bien que ces oiseaux pélagiques passent la majeure partie de leur vie en mer, ils gardent une certaine proximité des côtes, préférant les eaux tempérées isolées du courant circumpolaire. Néanmoins, quelques damiers du Cap, en formation serrée, captent notre regard : leur agilité et leur manière de slalomer entre les crêtes des vagues offrent un spectacle hypnotique, sublimé par le dessin délicat de leurs taches noires sur les ailes et le dos.
Une apparition soudaine interrompt ce spectacle et anime le groupe réuni dans le salon panoramique : un de nos guides a repéré un mouvement entre les vagues. Pensant d’abord à des dauphins, il confirme rapidement qu’il s’agit de manchots marsouinant dans l’eau, probablement en route vers les îles subantarctiques ou la péninsule. La direction exacte est difficile à déterminer, car les vagues finissent par les dissimuler, ne laissant derrière eux que de l’écume. Soyons rassurés : là où nous allons, des centaines de manchots nous attendent !
Après ces observations ornithologiques, notre matinée est animée par une présentation sur les îles Shetland du Sud, où nous irons dès demain. Situées à 62° de latitude sud, à 116 kilomètres de la péninsule Antarctique, elles forment un archipel de 11 îles principales et de multiples îlots, s’étendant sur 536 kilomètres d’ouest en est. Mentionnées pour la première fois par l’explorateur James Cook lors de son voyage circumpolaire (1772-1775), leur découverte officielle est attribuée au capitaine britannique William Smith, qui les aperçoit en février 1819. Smith, mandaté pour relier Buenos Aires et Valparaiso, s’aventure plus au sud pour trouver des vents favorables, et aperçoit la pointe de l’île Livingston, l’une des plus grandes de l’archipel. De retour en octobre 1819, il débarque sur la plus grande île qu’il nomme “île du Roi George”, en l’honneur du roi George III d’Angleterre. Il baptise cet archipel les “îles Shetland du Sud”, en référence aux îles écossaises éponymes.
Aidés par le lieutenant Bransfield, Smith cartographie l’archipel en 1820, révélant la richesse des eaux antarctiques en baleines et en phoques, recherchés pour leur graisse, l’ »or noir » de l’époque. Cet intérêt économique mène à l’établissement de stations baleinières dès 1820, dont certaines perdurent jusqu’en 1908. Au début du XXe siècle, l’Angleterre, l’Argentine et le Chili revendiquent les îles Shetland du Sud et leur prolongement en Antarctique. En 1959, le Traité sur l’Antarctique suspend ces revendications territoriales, créant une zone de paix et de recherche scientifique. Ce traité est aujourd’hui renforcé par le protocole de Madrid (1998), signé par 56 États, protégeant juridiquement le continent blanc contre toute exploitation des ressources naturelles pour préserver cet environnement unique.
L’histoire géologique des Shetland du Sud remonte à la formation de l’Antarctique occidental, il y a environ 250 millions d’années. Dans un contexte de subduction de la plaque Pacifique sous la plaque Antarctique, les îles forment une chaîne volcanique continue de l’Amérique du Sud. L’ouverture de l’océan Atlantique il y a 150 millions d’années pousse l’Amérique du Sud vers l’ouest, tandis que la péninsule Antarctique est projetée vers l’est, provoquant l’ouverture du passage de Drake il y a 31 millions d’années et l’installation du courant circumpolaire, isolant ainsi le continent antarctique. Vers 1,8 million d’années, la croissance de la plaque Scotia crée un rift entre la péninsule et les Shetland, donnant naissance au détroit de Bransfield, à l’origine du volcanisme encore actif aujourd’hui, notamment sur l’île de la Déception, apparue il y a 750 000 ans. Nous aurons l’occasion de découvrir ce phénomène lors de notre séjour.
En début d’après-midi, notre chef d’expédition nous propose une conférence sur la photographie en milieu polaire. Les conseils et astuces partagés nous permettront de sublimer nos souvenirs visuels des jours à venir ! En fin de journée, l’un de nos guides consacre un exposé aux courants marins qui entourent l’Antarctique, cette barrière physique complexe étendant ses mouvements jusqu’à 300 kilomètres des côtes et contribuant au maintien des basses températures du continent glacé.
En début de soirée, nous franchissons la zone de convergence des courants marins de l’océan Austral : nous voici officiellement en Antarctique ! Comme pour célébrer ce passage, un premier iceberg tabulaire émerge de la brume, illuminé par le soleil couchant. Émouvant spectacle de cette immense plateforme de glace, et premier d’une longue série, espérons-le !
Pour couronner notre arrivée, des baleines à bosse apparaissent près du navire : à quelques dizaines de mètres, leurs souffles en forme de chou-fleur révèlent leurs dos arrondis et, un peu plus loin, leurs nageoires caudales distinctives. Autour d’elles, des manchots nagent, bondissant entre les vagues avec vivacité.
Quel accueil, à seulement quelques heures des îles Shetland du Sud ! Le soleil couchant colore l’océan de teintes rosées, et chacun se couche avec l’impatience de fouler pour la première fois les terres antarctiques demain.
Réveil un peu plus matinal aujourd’hui, avec un petit déjeuner servi à 7h30. Pendant la nuit, notre bateau, l’Ocean Nova, a atteint les îles Shetland du Sud, un archipel situé à 116 km au nord de la péninsule Antarctique.
L’excitation est palpable à bord. Nous sommes au large de l’île Half Moon, et après une longue traversée, nous nous apprêtons à réaliser notre premier débarquement. L’impatience de fouler la terre antarctique se fait sentir !
Lorsque nous embarquons dans le zodiac, le ciel est bas. Le froid vif et l’air pur accentuent notre enthousiasme tandis que nous approchons de la plage de gravier noir. À peine débarqués, nous apercevons, sur les collines enneigées, des colonies de manchots à jugulaire — des centaines d’entre eux ! Certains glissent sur le ventre, d’autres escaladent laborieusement pour rejoindre leurs congénères, et beaucoup s’interpellent bruyamment. Tout dans leur comportement nous fascine. Nous prenons le temps de les observer et d’immortaliser ces moments en photos.
Notre guide ornithologue, Fred, nous présente également les autres oiseaux présents sur l’île, et la liste est longue ! Chionis blanc, cormoran antarctique, goéland dominicain, pétrel géant, labbe de McCormick, sterne couronnée, et même, aperçu furtivement, un pétrel des neiges !
Nos observations se poursuivent avec deux énormes phoques de Weddell paressant sur la neige, entre les colonies, ainsi qu’un petit groupe de manchots papous qui nous gratifie d’une brève visite sur la plage avant de retourner à l’eau.
Après une courte mais intense chute de neige, rappel du printemps austral, la brume se lève suffisamment pour révéler les glaces recouvrant l’île voisine, Livingston. À cet instant, nous ressentons toute la grandeur et la beauté sauvage de cet endroit, si loin de notre quotidien.
Après cette magnifique expérience, nous retournons nous réchauffer à bord de l’Ocean Nova, et le navire reprend sa route en direction de la péninsule Antarctique. Quelques souffles de baleines sont aperçus au loin, juste avant que notre chef d’expédition, Ryann, nous invite à un récapitulatif avant le déjeuner. Le programme de demain promet d’être fascinant, bien que la traversée du détroit de Bransfield s’annonce mouvementée.
Revigorés par un bon repas, nous rejoignons à 14h30 la conférence d’Antoine sur les glaces : du frasil à la banquise, de l’inlandsis à l’iceberg, l’univers de l’eau gelée n’a désormais plus de secrets pour nous.
À peine la session de questions terminée, les vagues viennent frapper avec force contre les vitres du salon panoramique. Comme annoncé, la mer commence à se former. L’atelier cartographie de 16h30 est annulé, mais l’activité ne manque pas pour autant. Certains se rassemblent dans le salon panoramique pour admirer cette mer déchaînée, tandis que d’autres rejoignent leurs cabines pour se reposer ou commencer le tri de photos (et avec la splendide sortie du matin, cela risque de prendre un certain temps). Pour les plus courageux, le film La Glace et le Ciel, retraçant l’aventure de Claude Lorius, parti en 1957 étudier les glaces de l’Antarctique, est proposé.
Le dîner est servi, comme à l’accoutumée, à 19h30. Le vent souffle encore puissamment, mais peu à peu, les vagues s’apaisent, et nous passons une nuit paisible.
Après avoir traversé le redouté détroit de Bransfield, nous arrivons aux premières lueurs du jour devant l’avancée de terre appelée Portal Point, dans la célèbre baie de Charlotte. Ce site doit son nom à une princesse belge, en hommage à l’expédition du Belgica (1897-1899).
Le décor qui s’offre à nous est tout simplement exceptionnel : la glace s’étend à perte de vue. Banquise dérivante, icebergs et immenses glaciers composent ce paysage presque irréel, où les lumières sans cesse changeantes créent un spectacle en perpétuelle métamorphose.
Après quelques instants de contemplation et un copieux petit-déjeuner, nous nous préparons pour notre sortie. L’objectif est de poser le pied sur la péninsule de Portal Point, et surtout, pour la première fois du voyage, sur le continent Antarctique !
L’équipe d’expédition est déjà sur place, s’assurant que tout soit prêt pour notre arrivée malgré les conditions encore hivernales de ce début de printemps austral. La vue de la neige fraîche recouvrant chaque surface est tout simplement magique !
Nous rejoignons ensuite nos guides à terre. Le chemin est tracé dans l’épais manteau neigeux, et nous grimpons pour atteindre un point de vue spectaculaire. La baie, partiellement recouverte de banquise, s’étend devant nous dans toute son immensité. Peu après, un chionis blanc, visiblement curieux, s’approche et reste de longues minutes sous nos yeux ! Nous avons également la chance d’observer des sternes couronnées, des goélands dominicains, ainsi que quelques pétrels des neiges.
De retour à bord en milieu de journée, notre navire met le cap vers le fond de la baie de Charlotte pendant le déjeuner.
L’après-midi, nous repartons, cette fois pour une sortie en zodiac au cœur de la baie, remplie d’icebergs colossaux. Nous naviguons à travers une banquise morcelée, où le krill (zooplancton) se laisse apercevoir autour des blocs de glace. De nombreux cormorans impériaux survolent nos têtes, ajoutant une touche de vie à cette scène glacée. Nous contournons des géants de glace, parfois hauts de 50 mètres, et apercevons même un iceberg échoué, malgré une profondeur d’environ 300 mètres !
Après cette immersion dans une nature immaculée, nous regagnons l’Ocean Nova, qui met le cap vers le sud.
Avant le dîner, nous assistons au traditionnel briefing de fin de journée, animé par Rayann, notre chef d’expédition. Il nous présente le programme du lendemain et un aperçu des prévisions météorologiques. Frédéric prend ensuite la parole pour nous en dire plus sur l’une des espèces observées aujourd’hui : le fameux chionis blanc.
Pour clore cette journée extraordinaire sur le continent blanc, nous avons la chance d’assister à un coucher de soleil aux teintes flamboyantes. Un moment suspendu, où l’émerveillement prend le dessus… quoi de mieux pour conclure une journée ?
Cette journée nous offre de beaux flocons de neige, qui viennent tapisser le paysage d’un voile blanc immaculé, ajoutant une luminosité éclatante malgré une couverture nuageuse changeante.
Nous approchons de Port Lockroy et de Danco Island en début de matinée, mais les conditions ne permettent malheureusement pas de débarquer, notamment parce que la colonie de manchots que nous souhaitions observer ne compte que quelques individus. Notre expédition se poursuit alors vers le nord, par le chenal de Neumayer, qui dévoile l’un des panoramas les plus emblématiques de la péninsule Antarctique. De part et d’autre du navire s’étendent des falaises et des glaciers, dans une ambiance polaire où les jeux de lumières impressionnants évoluent au gré des nuages et des chutes de neige.
À la sortie du chenal, nous mettons le cap sur Neko Harbour, niché au creux de la baie d’Andvord. Le paysage est majestueux : des nunataks émergent fièrement de la glace, et un front de glace vertigineux coupe l’horizon.
Nous débarquons près d’une vaste colonie de manchots papous qui s’étend jusqu’à un petit sommet. Tout autour de nous, les blocs de glace s’accumulent et forment des séracs spectaculaires, des tours de glace de plusieurs dizaines de mètres de hauteur qui se dressent en sentinelles le long de la côte.
La vie sauvage se révèle aussi dans toute sa splendeur : des sternes élégantes, un damier du Cap et des centaines de manchots papous s’affairent, prenant possession de leurs territoires pour la grande période de reproduction estivale. Ce manchot est facilement reconnaissable grâce à sa tête noire ornée d’un large bandeau blanc qui part de chaque œil et se prolonge vers l’arrière de la tête. Mesurant entre 70 et 90 cm de haut, c’est un excellent nageur et l’un des plus rapides. En revanche, sa démarche typiquement maladroite à terre contraste avec son agilité en mer et nous offre quelques scènes comiques.
La baie est parsemée de sarrazins flottants et de morceaux de banquise en décomposition, créant un décor sauvage et authentique. Loin des bruits de la manchotière, un silence feutré règne, amplifié par l’épais manteau de neige recouvrant même la banquise.
De retour à bord, nous poursuivons notre route vers la baie de Fournier, longeant les côtes sauvages des îles Anvers et Brabant. En chemin, Antoine, notre guide passionné, nous transporte dans l’histoire en évoquant les exploits de l’explorateur Ernest Shackleton et de son équipage, qui, au début du XXe siècle, ont bravé ces eaux hostiles dans des conditions extrêmes. L’époque héroïque de l’exploration antarctique se révèle à nous, à quelques encablures de notre position.
Arrivés dans la baie de Fournier en fin d’après-midi, nous partons pour une excursion d’exploration en zodiac, naviguant entre les floes de banquise, les majestueux icebergs et les nuées de krill et de plancton qui nourrissent cet écosystème unique. Tout autour, des sommets vertigineux comme le pic de Paris et la montagne des Français, bordés de fronts glaciaires et de crevasses, dessinent un décor à couper le souffle. La lumière bleutée qui baigne le paysage, ponctuée de rayons de soleil perçant les nuages, confère à l’ensemble une atmosphère saisissante en ce début de printemps antarctique.
Au cours de la journée, certains d’entre nous ont pu observer quelques phoques crabiers étendus sur la banquise, des manchots plongeant et pêchant en surface, et même un petit rorqual dont la silhouette émerge furtivement des eaux sombres. Des fulmars australs, des pétrels et des goélands dominicains accompagnent notre navigation, leurs silhouettes contrastant avec la blancheur éclatante de la glace.
La journée se termine sous un vent frais et vif, qui nous rappelle l’immensité sauvage et intemporelle de l’Antarctique.
Durant la nuit, nous avons traversé le détroit de Gerlache, à la recherche des meilleurs sites d’exploration selon les caprices de la météo. Un vent soutenu de sud-ouest balaie la région, et la fraîcheur ambiante nous incite à rester à l’abri. Notre chef d’expédition, fort de son expérience et de son œil affûté, propose des options d’exploration qui s’avèrent judicieuses. Aux premières lueurs de l’aube, il oriente notre cap vers la baie de Cierva Cove.
La banquise en débâcle s’accumule sous l’effet du vent. Cependant, sous la vigilance du commandant Barrios, expert en navigation dans de telles conditions, nous progressons avec précision à travers ces eaux encombrées. La lumière joue entre les nuages et éclaire tour à tour la côte et les reliefs de la péninsule Antarctique, dévoilant un paysage saisissant de roches, glaciers et neige scintillante.
Soudain, un spectacle inattendu retient notre souffle : quatre orques en chasse sillonnent les eaux, traquant des bancs de manchots affolés qui tentent d’échapper à leurs prédateurs entre les plaques de banquise et les icebergs. Depuis le pont de l’Ocean Nova, nous observons avec fascination ce ballet sauvage, tandis que le navire manœuvre habilement pour offrir à chacun, en particulier aux photographes, des vues inoubliables.
Nous pénétrons ensuite dans la baie, où les eaux sont désormais libres de glace. Embarqués à bord des zodiacs, nous longeons un immense front de glace, contournant la banquise pour finalement atteindre un iceberg monumental. Un manchot Adélie est perché sur un floe flottant, tandis que des groupes de manchots papous regagnent leur colonie, installée près de la base inoccupée de Primavera.
Après cette immersion polaire, nous reprenons la route vers le nord, en direction de Mikkelsen Harbour, une pépite rarement fréquentée en cette saison, choisie judicieusement par notre chef d’expédition. En chemin, nous croisons plusieurs otaries à fourrure paressant au soleil sur des floes. L’approche de l’île est délicate, car les glaces enserrent partiellement les eaux, mais nous trouvons un passage suffisamment dégagé pour accoster. Le vent assez fort plaque les glaces sur la rive sud, permettant un accostage malgré quelques embruns et une brise glaciale qui pince le visage.
Une fois à terre, chacun peut explorer l’île Mikkelsen à son rythme, où une colonie de manchots papous s’active déjà. Certains couples se sont formés, et les va-et-vient vers le rivage rythment la vie de cette communauté. Au milieu des papous, un manchot Adélie semble un peu perdu, isolé dans cette assemblée animée, tandis que trois phoques se reposent tranquillement en bas de la colline, indifférents à notre présence. Les chionis, petits oiseaux curieux et opportunistes, s’approchent sans gêne pour inspecter notre matériel.
Il est bientôt temps de rembarquer pour poursuivre notre aventure. Nous quittons l’île en début de soirée pour profiter d’un excellent dîner à bord. Ce soir, notre cap se dirige vers les Shetlands du Sud, promesse de nouvelles découvertes pour demain.
La navigation depuis l’île Mikkelsen, en bordure de la péninsule Antarctique, fut calme, mais la nuit plus courte qu’à l’accoutumée : à 4h30, notre chef d’expédition annonce notre arrivée à l’entrée de l’île mythique de la Déception. Tandis que la neige nous enveloppe dans son aura cotonneuse, l’Ocean Nova progresse lentement le long des falaises abruptes bordant l’unique accès à l’intérieur de l’île, surnommé le « soufflet de Neptune ». Cette étroite ouverture, d’environ 230 mètres de large, souvent battue par les vagues et les vents australs, a valu à l’île son nom d’île de la Déception. Toutefois, la traduction française est imparfaite : littéralement, les premiers baleiniers britanniques l’avaient nommée « île de la Tromperie », en raison de son entrée souvent introuvable et difficilement accessible.
En ce petit matin de printemps antarctique, nous avons la chance de pénétrer sans encombre dans Port Foster, le cœur de la caldeira. L’île de la Déception est en effet une île volcanique, dont la formation a débuté il y a 750 000 ans par l’activité de la zone de rift située dans les profondeurs du détroit de Bransfield. Avec son volcanisme actif, l’île s’est constituée au fil des millénaires grâce à une succession d’éruptions d’abord sous-marines, puis aériennes. Il y a environ 4 000 ans, une activité magmatique intense a généré une pression gigantesque au cœur de l’île, à l’époque un strato-volcan, provoquant la fracturation de son cône. L’éruption, d’un indice d’explosivité de 6 sur une échelle de 8, aurait eu une force comparable à celle de l’éruption de Santorin en -1620 av. J.-C., l’une des plus dévastatrices de ces derniers millénaires. La puissance de cette éruption a brisé le cône, qui s’est finalement effondré sur lui-même, formant la caldeira, remplie peu à peu par l’eau de mer au fil des millénaires, alors que l’érosion progressive transformait les laves périphériques.
Aujourd’hui, cette île en forme de fer à cheval de 12 kilomètres de diamètre fut utilisée presque dès sa découverte. En 1820, quelques mois après le débarquement de William Smith sur les îles Shetland du Sud, des marins l’utilisèrent comme refuge, pour s’abriter des tempêtes et des icebergs, puis pour la chasse occasionnelle au phoque. À partir de 1906, une entreprise norvégo-chilienne établit une base baleinière à l’entrée Est pour des navires-usines, avec des installations fixes à terre, comme des fours pour fondre la graisse de baleine, des réservoirs pour stocker l’huile et des baraquements. À Whalers Bay, ou « baie des Baleiniers », les vestiges rouillés de cette époque témoignent encore de l’activité intense qui y régna jusqu’en 1931, menée par près de 200 hommes à l’année. La modernisation des navires-usines et la chute du cours de l’huile au début des années 1930 provoquèrent la fermeture du site.
Whalers Bay fut également le point de départ du premier vol en Antarctique par l’aventurier australien Sir John Hubert Wilkins le 16 novembre 1928, quelques mois après son survol de l’Arctique. Le hangar à avion actuel fut construit bien plus tard, en 1962, dans le cadre des missions de cartographie menées par le British Antarctic Survey. La présence britannique s’installa à Whalers Bay dès 1944 sous l’opération Tabarin, une mission secrète de l’armée pour renforcer la souveraineté britannique sur les îles Falkland (ou Malouines), revendiquées par l’Argentine et le Chili. Cette présence se poursuivit jusqu’en 1967 avec la base scientifique « Station B », dédiée aux études géologiques et météorologiques de la région. La base fut cependant évacuée en raison d’une éruption importante au nord de l’île, proche d’une station chilienne, ensevelie sous 30 centimètres de cendres. Mais ce répit fut de courte durée : en 1969, une nouvelle éruption recouvrit entièrement la base chilienne et partiellement la britannique de coulées glaciaires, mélange de glace et de roche.
Aujourd’hui, aucun établissement permanent n’est maintenu sur l’île en raison du risque volcanique élevé. Cette terre chargée d’histoire offre aux visiteurs un point de vue nommé la « Fenêtre de Neptune », donnant sur Port Foster et l’océan. Certains explorent les vestiges des installations sous le regard curieux des manchots papous alignés sur la plage, tandis que le vent tourbillonne, soulevant neige et glace sur les hauteurs ou contre les fenêtres vides des bâtiments. On ne peut s’empêcher de penser aux hommes qui ont vécu ici, parfois au péril de leur vie.
Ce débarquement marque notre dernier passage sur les terres antarctiques. C’est avec émotion que nous regagnons la chaleur du bord, sachant que notre prochain débarquement sera au-delà du 60e parallèle sud. En repassant par le soufflet de Neptune sous un rayon de soleil, nous n’avons pas longtemps à attendre pour le second spectacle de la journée, repéré depuis la salle de restaurant lors du petit-déjeuner : des orques nagent près du navire ! Ce sont d’abord des individus isolés, visibles à leur aileron noir caractéristique. Mais peu à peu, ils se rassemblent en un pod serré d’une dizaine d’individus, parmi lesquels nous distinguons des femelles avec leurs ailerons en forme de faux, et un mâle arborant un aileron grand et droit comme un triangle isocèle. Au milieu de ce ballet captivant, un petit orque se distingue par sa couleur plus jaunâtre. Le groupe est en chasse et, à la surface, partage une proie. Nous observons avec admiration cette scène extraordinaire, qui restera gravée dans nos mémoires comme un dernier souvenir précieux de l’Antarctique.
Alors que les orques s’éloignent, l’Ocean Nova reprend son cap vers le nord, en direction de la pointe de l’Amérique du Sud. La mer se forme légèrement, et l’un de nos accompagnateurs donne une conférence sur le Traité sur l’Antarctique, explorant son contexte historique et sa mission de prioriser la paix et la science pour préserver la neutralité du continent blanc. Ce sujet captivant éclaire les enjeux actuels de ce système de traité, confronté aux défis environnementaux posés par la pêche et le tourisme.
Alors que les îles des Shetland du Sud disparaissent à l’horizon, nous entamons notre traversée du passage de Drake. Chacun se retire pour un repos bien mérité, tandis que cette longue mais magnifique journée touche à sa fin, avec l’espoir de nouvelles observations exceptionnelles.
Alors que notre traversée du passage de Drake est bien entamée, nous profitons ce matin d’un réveil plus tardif. À 8h30, c’est avec un petit pincement au cœur que nous rendons nos bottes polaires et nos gilets de sauvetage. Ces compagnons fidèles, témoins de nos aventures polaires, emportent désormais avec eux des souvenirs inoubliables.
Après le petit-déjeuner, la mer commence à s’agiter. Les vagues, encore légères en comparaison avec ce que nous pourrions rencontrer lors d’une telle traversée, nous rappellent néanmoins la redoutable intransigeance des mers australes. Notre chef d’expédition, Ryann, nous informe qu’à 11h se tiendra la collecte par Laurent des photos pour le concours annoncé au début de la croisière. Après toutes ces découvertes spectaculaires, le choix s’annonce ardu ! Entre les colonies de manchots saupoudrées de neige devant d’immenses glaciers, les cuves rouillées, vestiges imposants de l’époque des baleiniers alignées sur une plage de sable noir, et cette famille d’orques en pleine chasse frôlant la quille du bateau, chaque image est une fenêtre ouverte sur les merveilles de notre aventure.
En milieu d’après-midi, Élodie nous captive avec une conférence passionnante sur l’histoire géologique de l’Antarctique. Depuis les premières plaques continentales, ces cratons ancestraux, jusqu’au continent glacé que nous connaissons aujourd’hui, le sujet s’étend sur des millions d’années de transformations fascinantes.
La mer semble peu à peu s’apaiser, et les vagues frappent moins violemment les flancs du bateau. Les damiers du Cap, infatigables compagnons de route, voltigent toujours à nos côtés.
Cette journée de traversée s’achève par la projection du documentaire Antarctica, sur les traces de l’Empereur, véritable ode à la beauté fragile de l’Antarctique, que nous avons eu le privilège d’observer de nos propres yeux.