Serge Guiraud
Anthropologie visuelle
30 septembre
12 octobre 2024
Serge Guiraud
Anthropologie visuelle
L’histoire de Manaus est célèbre à travers le monde. La ville a atteint son sommet il y a plus d’un siècle, lorsque le caoutchouc amazonien a inondé le « Paris Tropical ». Le célèbre « Teatro Amazonas » témoigne encore de cette époque dorée. Certaines maisons au style colonial portent sur leur fronton les dates de 1902 et 1904. Dans les rues avoisinant le marché, l’animation illustre la vitalité de Manaus. Parmi les monuments les plus emblématiques, le port flottant se distingue comme l’un des plus importants au monde. Cependant, en cette saison, ces infrastructures ne sont plus en activité. Les eaux du Rio Negro ont reculé, laissant place à une vaste plage de sable. La sécheresse qui touche une grande partie du bassin amazonien frôle des records, rappelant les niveaux les plus bas de l’an dernier. En 2023, les eaux avaient atteint leur seuil le plus bas depuis un siècle. Ce phénomène est dû à plusieurs facteurs, tels qu’El Niño et la diminution de la couverture végétale. Les conséquences sont graves : la faune est affectée et de nombreuses communautés se retrouvent complètement isolées.
Le soir venu, nous nous engageons dans une exploration des berges du Solimões. À la lumière de pâles projecteurs, nous apercevons des caïmans. La concentration de caïmans à lunettes et de caïmans noirs y est impressionnante.
Notre exploration de la région de Janauacá, située sur la rive droite du Solimões, débute par une traversée du grand fleuve en embarcations locales. Arrivés à hauteur de la confluence, les canots ont lutté contre un courant puissant pour pénétrer dans un monde vibrant de vie. Les eaux basses dues à la sécheresse ont au moins l’avantage de concentrer la faune. Les aigrettes grandes et neigeuses, les cormorans, les sicales à béret, les buses à tête blanche et même un balbuzard pêcheur se laissent observer avec facilité. À chaque arrêt, nous découvrons des caïmans, immobiles sur les rives, leurs yeux perçants nous observant avec curiosité. Cette immersion dans la nature offre un tableau vivant d’une beauté incroyable qui rappelle la fragilité de cet écosystème exceptionnel.
L’après-midi débute par la pêche au pirarucu, le plus grand poisson d’Amazonie. L’animal est féroce. Aucun d’entre nous n’a réussi à tenir l’énorme poisson au bout de la ligne plus de cinq secondes. Ensuite, une marche en forêt a permis d’observer notre premier paresseux. C’est Slim, un passager, qui l’a aperçu le premier.
Le retour à bord est accompagné d’un coucher de soleil sur le Rio Negro.
La matinée est dédiée à la découverte d’un village amérindien. Dans la région du Haut Rio Negro, plus de 23 ethnies aux langues différentes coexistent grâce à un système d’échanges et de coopération. Certaines familles ont choisi de s’établir près de Manaus, comme la communauté de Cipia, qui regroupe cinq ethnies.
Nous sommes accueillis par le cacique, qui prononce un discours de bienvenue dans sa langue maternelle. Il partage avec nous l’origine mythique de son peuple, expliquant qu’il existe des « gens du jour » et des « gens de la nuit », chacun occupant un niveau différent de l’univers. Selon ses récits, humains et non-humains vivaient autrefois dans le monde de la nuit. C’est dans le ventre du Grand Anaconda qu’une partie de l’humanité a été amenée sur terre, qu’il appelle le « canot de la métamorphose ».
Des chorégraphies présentées dans la maison communautaire mettent en avant divers aspects culturels, offrant l’occasion de découvrir des instruments à vent uniques, tels que la flûte jurupari.
Depuis deux jours, nous explorons l’archipel des Anavilhanas, le deuxième plus grand archipel fluvial au monde. Ce véritable trésor naturel s’étend sur environ 350 000 hectares et se compose de plus de 400 îles, façonnées par l’alternance des crues et des basses eaux. Recouvertes de forêts denses, ces îles offrent un habitat varié qui abrite une multitude d’espèces animales et végétales.
Le paysage est dominé par les eaux du Rio Negro, qui serpentent à travers un labyrinthe en constante évolution. En cette saison, les Anavilhanas se présentent sous la forme de blocs de forêts, de lacs et de plages de sable fin.
Parmi les trésors ornithologiques de cet écosystème, l’onoré agami se démarque par son plumage éclatant et ses mouvements élégants. Cet oiseau de taille moyenne affiche un corps aux teintes vertes et brunes, avec un long cou et un bec effilé qui lui permettent de se nourrir avec aisance. Actif principalement à l’aube et au crépuscule, il se fond dans les feuillages, surgissant soudain pour attraper insectes ou petits poissons.
Cet après-midi, une compétition de pêche aux piranhas a eu lieu, mais je préfère garder les noms des vainqueurs pour éviter de froisser qui que ce soit.
En naviguant tranquillement sur les bras du Rio Negro, nous avons eu la chance d’observer plusieurs loutres géantes dans leur habitat naturel. C’est seulement pendant la saison des basses eaux que ces majestueux mammifères se laissent apercevoir. Connues pour leur nature sociale, les loutres géantes évoluent en groupes familiaux, souvent composés de plus d’une dizaine d’individus. À l’âge adulte, un mâle peut atteindre des longueurs impressionnantes, dépassant les deux mètres.
Ces créatures fascinantes mènent une vie amphibie, se nourrissant principalement de poissons et d’amphibiens qu’elles capturent habilement dans les rivières. Elles dorment dans des catiches, des terriers creusés sur les hauteurs des berges, où elles se protègent des prédateurs et des intempéries. Territoriales, elles marquent leurs zones de chasse avec leur urine, laissant ainsi des signaux olfactifs pour dissuader d’éventuels intrus.
Chaque portée peut compter jusqu’à cinq loutrons, bien que souvent seuls deux d’entre eux parviennent à survivre jusqu’à l’âge adulte. Les adultes jouent un rôle crucial dans l’éducation des jeunes, leur enseignant les techniques de chasse et les comportements sociaux nécessaires à leur survie dans ce milieu complexe.
Malheureusement, ces loutres géantes ont longtemps été chassées pour leur précieuse fourrure, et leur avenir reste incertain. Avoir eu le bonheur d’observer quelques spécimens a été un privilège rare.
Ce matin, nous entreprenons une longue marche dans la forêt pour atteindre les grottes de Madada, situées sur la rive droite du Rio Negro. Pendant deux heures, nous explorons deux écosystèmes : l’un de forêts inondables et l’autre de terre ferme, où les arbres sont plus hauts. La présence de grottes dans cette nature dominée par le végétal semble anachronique. Cependant, cette région est constituée par des formations rocheuses anciennes, principalement des roches cristallines et métamorphiques du craton amazonien. Ces roches ont été formées avant le Cambrien, ce qui en fait certainement les plus anciennes de la Terre.
Par-dessus ces roches, nous trouvons des dépôts de sédiments plus récents datant du Tertiaire, transportés par l’érosion des montagnes environnantes. Ces sédiments contribuent à la composition des sols et à la chimie de l’eau.
L’après-midi, nous apprécions une baignade dans les eaux noires et chaudes. Le décor paraît surréaliste avec une longue plage de sable blond, des eaux aux couleurs or et un ciel chargé de cumulonimbus.
Aujourd’hui, nous avons prévu de visiter les ruines d’Airão Velho, une ville chargée d’histoire fondée au 17e siècle. Autrefois, elle s’imposait comme un centre névralgique de l’extraction de caoutchouc, jouant un rôle clé dans le développement économique de l’Amazonie durant le cycle du caoutchouc.
Cependant, la fin de ce boom économique a entraîné le déclin d’Airão Velho, et sa population a progressivement migré vers Airão Novo, située plus en aval sur le Rio Negro. Aujourd’hui, les vestiges de cette ancienne prospérité se présentent sous la forme de ruines, témoins silencieux d’un passé glorieux et vibrants d’histoires à raconter.
La visite de ce site historique est également l’occasion d’une promenade dans la forêt environnante. Ici, la nature, façonnée par les actions humaines, révèle une remarquable diversité de plantes. Nous découvrons des cacaoyers majestueux, des andirobas aux troncs imposants et des noyers du Brésil, tous cohabitant dans cet écosystème fascinant.
L’après-midi, notre sortie est quelque peu interrompue par l’arrivée soudaine d’orages. En Amazonie, ces tempêtes sont souvent précédées d’un vent violent, annonçant le déchaînement imminent de la pluie. Dans ce contexte, le plus sage est de patienter, à l’abri, en attendant que les gouttes s’estompent, tout en admirant le spectacle de la nature à l’œuvre.
L’entrée dans le parc national de Jau nécessite un arrêt au poste de vigilance, où il faut présenter son passeport. En échange, un joli tampon représentant un saïmiri est apposé à côté d’autres. Une première marche rapide nous mène jusqu’à l’un des géants de la forêt : un fromager, où un couple de toucans de Cuvier se camoufle juste au-dessus de nous.
En naviguant dans le parc, nous avons la chance d’observer des spatules roses, ces oiseaux fascinants qui se nourrissent dans les eaux peu profondes. Leur plumage rose vif se détache magnifiquement contre la verdure environnante. En les regardant de près, nous avons remarqué leur comportement élégant et leur vol en formation. Le parc, avec ses rivières sinueuses et sa riche biodiversité, est un véritable refuge pour ces espèces.
Après le dîner, une sortie est organisée pour chercher des caïmans et le grand ibijau, qui, malheureusement, reste introuvable, tandis que les reptiles se révèlent en nombre dans le bras de rivière, territoire du caïman noir. Une marche nocturne offre son lot de surprises, avec des mygales et autres araignées visibles sur les troncs. Nous avons même eu la chance de croiser un opossum au pied d’un arbre. Vers 22h30, nous rentrons à bord.
La Fondation Almerida Malaquias, établie à Novo Airão, est un modèle d’engagement pour la protection de l’environnement et le développement durable. Initiée par Monsieur Miguel et Jean, un Suisse, cette fondation se spécialise dans la formation aux métiers du bois tout en éduquant les jeunes sur l’importance de respecter la nature et de valoriser la diversité culturelle.
Elle travaille main dans la main avec les communautés locales pour encourager des pratiques durables, telles que la marqueterie, le recyclage du papier et la fabrication de savon.
Une autre fondation est administrée par la communauté Baré, qui propose aux visiteurs de découvrir les techniques de vannerie et d’apprendre à tirer à la sarbacane.
Dans l’après-midi, en visitant des pétroglyphes, nous avons eu la chance d’observer une famille de loutres géantes. Par la suite, nous avons débarqué sur une plage pour explorer la forêt de terre ferme, une expérience inédite dans ce milieu inondable. La marche est facilitée par l’espacement des arbres, et le sol est couvert de feuilles mortes, qui se décomposeront rapidement sous l’effet de la chaleur, des champignons et des bactéries.
Ce matin, le programme est chargé et prometteur. Nous entamons notre journée par une marche dans une forêt d’une beauté saisissante. C’est notre première exploration de cet environnement, et un cabocle nous guide à travers la piste. À chaque arbre, nous marquons une pause pour découvrir ses propriétés médicinales. Le silence qui règne est impressionnant, et l’un des membres du groupe est surpris par cette tranquillité, d’autant plus qu’en cette saison, les oiseaux se montrent discrets.
Après deux heures de marche, nous nous dirigeons vers la communauté de Tiririca. C’est le moment d’apprendre comment le manioc, aliment de base des populations amazoniennes, est traité. Nous découvrons que les tiges, les feuilles et les tubercules contiennent de l’acide prussique qu’il faut neutraliser avant de pouvoir les consommer. Le travail est ardu et peu rémunérateur, et ici, le manioc est uniquement utilisé pour la consommation personnelle.
Dans l’après-midi, une sortie en annexes nous permet d’observer des hoazins. Ces oiseaux intrigants ont des particularités étonnantes : ils ne mangent que des feuilles toxiques, difficiles à digérer. Leur jabot hypertrophié agit comme un masticateur pour ces aliments et remplace le gésier, tout en servant de fermentateur. Il abrite également des bactéries qui aident à digérer la cellulose.
À la nuit tombée, sous la lueur croissante de la lune, nous partons pour une sortie nocturne. C’est l’occasion d’observer quelques caïmans et d’apercevoir des savacous, ajoutant une touche d’aventure à notre journée déjà riche en découvertes.
Dans le Rio Negro, un véritable spectacle aquatique nous attend : nager avec des dauphins roses !
Ces charmantes créatures glissent entre nos jambes, frôlent nos corps et laissent dépasser leur immense rostre. Elles ont vraiment le sens du spectacle ! Imaginez-vous, flottant dans l’eau, quand un dauphin se pointe et décide que vos pieds sont son terrain de jeu. C’est le moment idéal pour les photographier. Seuls les botos interagissent avec nous, tandis que les sotalies, plus réservées, gardent leurs distances.
Pour notre dernier dîner, l’équipe du restaurant a choisi de profiter d’une belle plage de sable pour dresser la table. À la lueur d’une centaine de bougies et au son des grenouilles, passagers et membres d’équipage savourent un délicieux churrasco. Le repas s’éternise avant le retour à bord pour une dernière nuit.
Durant cette croisière, nous avons découvert une Amazonie insolite, marquée par une décrue record qui entre déjà dans la légende. La nature s’y révèle sous des formes jusqu’alors inconnues, et les animaux, quand ils étaient encore présents, nous offrent une belle leçon d’adaptation face aux conditions météorologiques.
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