Serge Guiraud
Anthropologie visuelle
16 juillet
30 juillet 2024
Serge Guiraud
Anthropologie visuelle
Sur les rives du majestueux Amazone, une nouvelle aventure s’amorce. Notre croisière débute à Tabatinga, une petite ville brésilienne où le fleuve Solimões (nom de l’Amazone lorsqu’il pénètre sur le territoire brésilien) commence son voyage vers Manaus comme destination finale. Nous embarquons à bord de la Jangada, prêts à explorer les 1800 kilomètres qui séparent ces deux points clés de l’Amazonie.
Tabatinga, nichée à la frontière avec Leticia en Colombie, marque la fin du territoire brésilien et le début d’une série de découvertes. Ici, l’Amazone se trouve exactement à mi-chemin entre sa source et son embouchure, s’étendant sur 3500 kilomètres de chaque côté. Un véritable monstre d’eau douce, l’Amazone s’étire sur 7020 kilomètres, surpassant même le Nil pour devenir le plus long fleuve du monde, selon les géographes.
Notre voyage coïncide fortuitement avec la fête de la fraternité, célébrée par les trois nations voisines (et n’oublions pas le Pérou !). Leticia, où les festivités battent leur plein, offre une palette de saveurs exquises telles que le ceviche et les côtes de porc grillées, des mets qui enrichissent notre périple non seulement par leur goût, mais aussi par leur résonance culturelle.
La deuxième journée est consacrée à des rencontres avec deux ethnies de la vallée du Javari. Celle qui suscite le plus d’attente de la part des passagers est celle avec les Matis. Cette ethnie est réputée pour ses sarbacanes, les plus longues du bassin amazonien, et le curare dont les hommes enduisent l’extrémité des dards. L’autre trait culturel intéressant est l’usage d’un masque symbolisant les Mariwin, les gardiens des jardins. Dans les villages, des hommes masqués, le corps enduit de boue et orné de fougères, marchent accroupis en poussant des cris.
Ils symbolisent la résurrection de morts fraîchement déterrés. Le rituel est accompagné d’un repas collectif dans lequel sont servis de la viande et de la bière de maïs tsari uma. C’est le moment où les enfants sont fouettés par les Mariwin. En effet, les Matis accordent aux coups un pouvoir tonifiant. Ainsi, dès ses premiers jours, le nouveau-né, enveloppé de feuilles, est « frappé » symboliquement pour favoriser sa croissance. Plus tard, les jeunes reçoivent au moins deux coups de fouet chaque année. De leur côté, les femmes sont flagellées à chacune de leurs grossesses et à la ménopause. Les Matis donnent également des coups de fouet à certaines plantes qui tardent à pousser.
Chez les Marubo, la réception est certes moins spectaculaire mais ne manque pas d’intérêt. Nous assistons à la prise d’une poudre et à la consommation de la yaau, deux substances normalement réservées aux chamans lors de leurs cures.
Au cours de notre deuxième journée d’exploration dans la vallée du Javari, nous avons eu la chance de rencontrer deux ethnies fascinantes, chacune offrant un regard unique sur la richesse culturelle de l’Amazonie.
Dans les méandres de l’Amazonie, le rythme de la vie est marqué par le ballet incessant des saisons. Ici, le calendrier se divise en deux actes contrastés : la saison des pluies et la saison sèche, chacune détenant son propre récit à raconter.
Il n’y a pas si longtemps, ces deux périodes partageaient une durée équitable, mais récemment, un changement s’est glissé dans cette danse millénaire. Les pluies, jadis prévisibles, se retirent désormais quelques semaines plus tôt que prévu. L’année précédente, une sécheresse impitoyable avait vidé les lacs, les étangs et les rivières, laissant le bassin amazonien assoiffé. Cette année, le phénomène semble s’être amorcé encore plus précocement.
Naviguant à contre-courant du cours initial de notre croisière, il est saisissant d’observer à quel point les eaux ont chuté en seulement une semaine, abaissant le niveau d’un mètre ou plus. Cette décrue complique la navigation de la Jangada. Au poste de commandement, le capitaine redouble de vigilance, traquant les bancs de sable menaçants qui se profilent à la surface.
Sur les rives désormais dénudées, un spectacle se déroule : des bandes d’aigrettes de toutes sortes se rassemblent en un festin aquatique. Elles se pressent au bord de l’eau, plongeant dans les flots peu profonds pour saisir leur pitance.
La visite des Ticuna, l’ethnie la plus peuplée de l’Amazonie brésilienne, est intéressante pour la performance culturelle offerte par la population. Nous sommes immergés pendant plusieurs heures dans une série de cérémonies qui captivent par leur profondeur et leur symbolisme.
Les premières cérémonies sont dédiées à la mise en scène de mythes, récits d’une époque où humains et non-humains partageaient un destin commun. Sous des masques zoomorphes, les danseurs exécutent des chorégraphies où chaque geste évoque des animaux.
Après une pause, débute l’attendue cérémonie de la « fille pubère ». Comme dans beaucoup de communautés autochtones amazoniennes, l’apparition des premières menstruations marque un moment crucial. La jeune fille doit alors respecter une période d’isolement, souvent d’une semaine à un mois chez les Ticuna. Pendant cette période, mères, grand-mères, et tantes transmettent à l’initiante le savoir des femmes. Chez les Ticuna, cette période est empreinte d’une aura de danger, car la jeune fille est en contact avec Yo’i, le démiurge capable de perturber l’harmonie sociale.
L’un des rituels implique l’arrachage des cheveux de la jeune fille, une action dont la douleur est censée refléter celle de l’accouchement. Aujourd’hui, cette pratique est souvent simulée, les cheveux étant simplement coupés aux ciseaux. Ceci nous démontre qu’une société n’est pas figée et qu’elle est au contraire dynamique.
Chez certaines espèces de caïmans, la température du nid peut effectivement influencer le sexe des nouveau-nés. Ce phénomène est connu sous le nom de détermination de sexe dépendante de la température (TSD – Temperature-Dependent Sex Determination en anglais).
Dans les cas de TSD observés chez les caïmans, la température du nid pendant l’incubation des œufs joue un rôle crucial dans la détermination du sexe des embryons. En général, des températures plus élevées produisent des individus mâles, tandis que des températures plus basses conduisent à la naissance de femelles. Cela signifie que la proportion de mâles ou de femelles dans une portée peut varier en fonction de la température du nid.
Notre journée s’écoule au rythme tranquille de l’Amazonie, dédiée à l’exploration de sa faune et de sa flore. Alors que nous naviguons, nous croisons plusieurs bandes de singes saïmiri, agilement en train de jouer dans les frondaisons. Quelques mètres plus loin, un couple de Kamichis cornus s’envole lourdement au-dessus de notre embarcation.
En fin d’après-midi, alors que nous approchons d’une plage isolée, des yeux luisent à la surface de l’eau, nous observant avec une tranquille vigilance. Il s’agit d’un caïman noir, le plus imposant d’Amazonie.
Le soleil, en cette heure de 18h30, peint de nuances incandescentes les nuages avant de se coucher.
L’après-midi s’est révélée très fructueuse. En moins d’une heure, nous avons croisé plusieurs bandes de singes écureuils et pas moins de six paresseux. Ce mammifère discret est sans doute l’une des créatures les plus fascinantes de l’Amazonie, symbolisant l’éloge de la lenteur, voire un véritable art de vivre. Chacun de ses mouvements est une démonstration d’efficacité énergétique, car il se nourrit principalement de feuilles, un régime très pauvre en calories.
Son estomac est complexe, composé de plusieurs compartiments : le pré-estomac, ou « panse », où les aliments sont broyés par des contractions musculaires ; puis l’estomac moyen, où la fermentation microbienne décompose les fibres végétales ; enfin, l’intestin grêle, où les nutriments sont absorbés. Malgré cette digestion lente, les paresseux ont développé un système digestif efficace pour extraire les nutriments essentiels de leur alimentation. Leur métabolisme leur permet même de stocker leurs excréments pendant une semaine. Un orage arrive rapidement dans notre direction. Il est temps de retourner à bord.
Depuis tard dans la nuit, la Jangada est amarrée sur la rive de la communauté de Boca de Mamirauá. C’est l’entrée d’une gigantesque réserve naturelle mondialement réputée pour être située sur le territoire du ouakari, un singe endémique de cette région. Les ouakaris habitent les zones de forêts inondées.
Ces singes vivent en bandes composées de plusieurs individus. Ils sont principalement frugivores, se nourrissant également de graines, de fleurs, et parfois d’insectes. Nous naviguons à travers les eaux calmes, bordées de forêts inondées qui servent d’habitat aux ouakaris, que nous avons enfin la chance d’observer !
Ces créatures se distinguent par leur pelage dense et blanc, mais c’est leur visage qui fascine le plus : une peau nue d’un rouge écarlate vif, véritable emblème de leur identité. Les ouakaris vivent en groupes sociaux.
Chaque instant passé ici est une opportunité de découvrir la richesse et la complexité de la vie dans cette partie reculée de l’Amazonie, où la nature règne en maître et où la rencontre avec le ouakari est une expérience inoubliable.
Au XVIIe siècle, un chapitre fascinant s’inscrit le long des rives du Solimões, dans la jungle amazonienne. Samuel Fritz, un jésuite animé par une foi ardente, était convaincu que la région appartenait à l’Espagne. C’est lui qui pose les premières pierres de plusieurs villages. Son acte inaugural, la fondation de la Missão de Santa Teresa D’Ávila en 1688, deviendra plus tard la ville de Tefé, l’une des grandes villes de l’état d’Amazonas.
Aujourd’hui, les grands bâtiments qui bordent la rivière Tefé témoignent de l’héritage durable des jésuites dans la colonisation de cette région sauvage et leur mission d’évangélisation des peuples autochtones. C’est dans ce décor imprégné d’histoire que nous avons choisi de débarquer, à la découverte de son centre-ville qui, en pleine semaine, fourmille d’une activité vibrante. Mais ce sont les rencontres fortuites avec la faune locale qui nous réservent les plus belles surprises. En cette fin d’après-midi, nous avons eu la chance d’observer des groupes de singes hurleurs. Le long des quelques kilomètres parcourus, ces petits primates se sont révélés à nous.
Ils sont célèbres pour leurs vocalisations puissantes, résonnant parmi les plus intenses de tout le règne animal. Les primatologues ont depuis longtemps scruté les raisons derrière ces cris retentissants, audibles à des distances impressionnantes. Bien sûr, il s’agit d’un mode de communication essentiel pour ces créatures intelligentes. Aux aurores et au crépuscule, ces chants servent à avertir les autres groupes de leur présence, tout en agissant comme un puissant appel pour attirer les femelles.
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