Louis Reynaud
Glaciers et Climats
16 septembre
29 septembre 2015
À bord du Rembrandt, septembre 2015
Louis Reynaud
Glaciers et Climats
Départ de Paris et Genève le Mercredi 16, pour une nuit à Copenhague et pour le vol régulier d’Air Groenland vers Kangerlussuaq, le Jeudi 17. Las, le bagage de Lucile n’est pas à l’arrivée à Copenhague !
À l’approche de la côte est du Groenland, nous aurons juste le temps d’avoir un coup d’oeil sur les montagnes entre lesquelles se faufilent les glaciers émissaires de la grande calotte pour atteindre la mer et y vêler leurs icebergs, avant qu’elles ne disparaissent sous une nappe de nuages bas.
C’était un beau spectacle que ces montagnes aux formes élancées, semblables aux zones glacées des Alpes, à tel point qu’elles sont nommées : les Alpes Staunning. Ce n’est qu’à l’approche de l’aéroport de Kangerlussuaq que l’airbus descend sous ces nuages et qu’apparaissent de nombreux lacs sertis dans une végétation rouge sombre : ce sont les airelles des marais qui colorent ainsi la toundra, car leurs feuilles ont déjà subi la morsure du froid d’un automne précoce.
Le petit avion charter d’air Groenland de 30 places, un Dash Seven, qui nous emmène ensuite vers Aasiaat nous permet encore un coup d’oeil sur les collines des environs de Kangerlussuaq avec ses lacs aux couleurs variées. Mais quand il s’élève, nous volons entre deux plafonds nuageux, jusqu’à notre destination finale d’Aasiaat. Là nous apprenons que notre bateau, le Rembrandt, a été retardé par une forte tempête et qu’il ne pourra rejoindre le port que tard dans la soirée. Aussi mettons-nous à profit ce long après-midi pour une visite du village d’Aasiaat, village doté d’une rade bien protégée par un cordon d’îles au Nord et par la terre au Sud d’où proviennent la majorité des mauvais coups de vent.
Ce port connaît actuellement un fort développement dans les perspectives d’une recherche pétrolière intense et d’un futur dégagement du passage du Nord-Ouest. Nous parcourons la longue rue centrale en observant l’agencement des maisons colorées, les adductions d’eau aériennes, formées de conduites isolées et chauffées en hiver, ainsi que celles électriques protégées dans un conduit métallique. Au passage, nous faisons un tour dans un supermarché, très bien approvisionné.
L’église luthérienne est ouverte et nous suivons les commentaires de Pierre sur cet Oqaluffik, littéralement le lieu où l’on parle beaucoup, avec ce mélange de culture chrétienne et de survivances animistes, comme celle représentée par le tableau de la naissance du soleil et de la lune.
Le parvis de l’église est constitué de roches polies et striées, qui portent encore bien nettement les stigmates du passage des derniers grands glaciers, marques faites il y a pourtant quelque 10 000 ans.
Ensuite, près des maisons de pêcheurs-chasseurs sont rangés des traîneaux et attachés des chiens pour tout l’été jusqu’au moment où la neige sera suffisante et la glace des fjords solide. Nous allons jusqu’au cimetière dont la partie récente est vivement colorée par des fleurs artificielles.
Dans l’attente du bateau, nous prenons le dîner au Sømandshjemmet, la Maison du marin, et nous nous répartissons dans deux salles de conférence, soit allongés sur la moquette pour certains soit sur des matelas fournis par l’établissement pour quelques heures de sommeil en attendant minuit, l’heure présumée de l’arrivée du Rembrandt.
Effectivement, le Rembrandt s’annonce fièrement dans le port avec ses trois mâts, à l’heure dite de minuit et ses zodiacs viennent nous chercher pour embarquer. Il en sera de même avec le tas de bagages que les marins nous montent à bord. Rapidement, nous prenons possession de nos cabines pour compléter la nuit déjà bien entamée.
Cette journée, nous restons à quai à Aasiaat, car il faut refaire les pleins d’eau, de carburant et réapprovisionner la cuisine. Dès la fin du petit déjeuner, c’est Didji, notre hôtel manager qui nous informe des pratiques de vie sur le bateau, pour les repas, les cabines, etc.
Ensuite, c’est Pierre qui donne une conférence en salle de restaurant, sur le Groenland, ses caractéristiques physiques et le déroulement de notre croisière.
C’est aussi l’occasion de sortir du bateau pour visiter la ville et ses magasins.
L’après-midi, c’est Louis qui parle des glaciers dans divers endroits de la planète y compris les grands traits de la calotte groenlandaise et de celle antarctique. Ce n’est que vers 21 heures que le bateau quitte le quai en direction d’Ilimanaq, une fois achevées les provisions, les consignes obligatoires de sécurité en cas d’abandon du bateau et… l’apéritif de bienvenue !
Peu après avoir quitté les lumières de la ville qui révèle sa grande extension le long du rivage, nous apercevons des dos de baleines, silhouettes noires sur l’eau sombre, pendant un long moment.
Ce matin, les premiers lève-tôt rencontrés sur le bateau font grise mine car un brouillard dense enveloppe le Rembrandt, ce qui présage mal de la journée à venir. Mais peu à peu, ce voile de brume se lève et nous laisse apercevoir la puissante barrière d’icebergs formée par le champ de glace, qui nous masque Ilulissat. À la fin du déjeuner, Pierre donne les consignes de débarquement en zodiac et l’utilisation du tableau des entrée et sorties du bateau, à l’aide des petits aimants qui marque notre présence ou notre absence à bord.
Vers 9 h, nous entendons l’arrivée à Ilimanaq de l’hélicoptère piloté par Stéphane et nous commençons le débarquement sur ce port pas très pratique, sans ponton, car très ouvert sur le large. Pierre a organisé les groupes de visite de la journée en 3 activités. En premier, celle de la visite au Champ de Glace (l’Isfjord) qui nous amène par groupe de 5 passagers, en hélicoptère, jusqu’au front de vêlage, sur une butte près de la glace d’où nous avons un paysage grandiose devant nous. L’aller se faisant en survolant le fjord rempli d’icebergs et le retour par la terre, au-dessus d’une myriade de lacs, pour terminer par un passage au plus près des grands icebergs, paysage saisissant lui aussi. Les groupes ont passé environ une demiheure près du Glacier à observer ce très vaste panorama, à mettre le pied sur la glace et à suivre les marques d’occupation du glacier au maximum du Petit Âge de Glace, sous la conduite de Louis. Pendant ce temps un autre groupe, conduit par Pascal, randonne depuis Ilimanaq vers le champ de glace, à travers la toundra et sa flore. Et pour ceux qui vont partir ou reviennent du voyage en hélicoptère ou qui ne sont pas en randonnée, c’est Pierre qui guide la visite à travers ce petit village typique, aux ses maisons colorées, avec son temple, ses nombreux chiens « à la chaîne » qui attendent le prochain hiver, des squelettes d’anciens kayaks et aussi de grands vols de bernaches qui partent pour leur migration automnale vers le Sud. Certains assisteront même au dépeçage d’un phoque, sur le quai du port.
Bref, cette journée a été riche en activités et observations de toutes sortes avec, en fin de journée, un bon coup de soleil qui réchauffe l’atmosphère et fait chanter les couleurs. Une fois terminées les visites au glacier Stéphane emmène Pierre et Sven, le capitaine, survoler la baie de Disko à la recherche d’un passage pour le Rembrandt en direction de l’Eqi. Durant ce vol, le Capitaine note les coordonnées GPS des zones navigables.
Nous aurons droit à un coucher de soleil hollywoodien rougeoyant sur la barrière d’icebergs proche de notre passage en direction d’Ilulissat. Pendant le dîner, arrive enfin la valise de Lucile, juste récupérée à l’aéroport d’Ilulissat par Pierre, dans une acclamation unanime de tous les dîneurs attablés. C’est l’heureuse conclusion d’une valise fugueuse qui a causé bien du tourment à sa propriétaire, ces trois derniers jours !
Mais notre progression vers l’Atasund, le fjord d’Ata, où nous ambitionnons de nous trouver demain, s’interrompt rapidement à cause des bourguignons, petits blocs de glace difficiles à repérer dans la nuit sombre et qui peuvent venir heurter et endommager la coque.
Au cours de la nuit, certains couche-tard ont aperçu des bouts d’aurores entre les nuages serrés.
Ce matin, le ciel est couvert et les bords du rivages sont, par endroits, masqués par la brume. Le Rembrandt a repris sa course pour nous amener au plus proche de la calotte de glace, de façon que Stéphane nous dépose sur la glace, si possible près d’une bédière et d’un de ces grands moulins. En attendant, Pierre nous parle de Paul-Émile Victor, l’explorateur et fondateur des Expéditions Polaires Françaises (EPF). Ensuite, il nous projette un film, tourné en 1955, sur l’établissement de l’accès à la calotte par les alentours du Glacier de l’Eqi, ce qu’on appelle maintenant Port-Victor et les premières mesures sur le profil d’étude transversal, jusqu’à la côte Est.
Enfin, vers midi, le fjord de Paakitsoq est rejoint, le bateau ancré dans une baie protégée et l’hélicoptère de Stéphane et Marie posé au rivage proche. Le premier vol de reconnaissance, avec Pascal et Louis, trouve rapidement la grande bédière et le moulin recherchés, là-haut, sur les marges de la calotte blanchie d’une neige fraîche dans les jours passés.
Nous pouvons observer les différents moulins qui se sont formés à partir de la profondeur de la bédière, du plus ancien au bas et plus récent plus haut, à cause du mouvement d’avancement de la glace et de la création de nouvelles crevasses plus en amont.
L’ancien moulin porte joliment les stigmates de méandres profonds et élegament taillés dans la glace. Reste plus qu’à imaginer qu’au plus fort de l’été et de la fonte en surface la bédière y écoulait un bon courant de quelques m3/s, bien bleu sur cette glace blanche. On remarque aussi sous nos pieds, une surface de glace régulièrement perforée de multiples trous de quelques 5 cm de diamètre, ce sont les trous à cryoconyte. Dans la falaise de glace du moulin, on remarque des veines de glace bien bleue, restes d’eau gelée dans des crevasses.
Stéphane, pilote son hélicoptère en montrant alternativement aux passagers de droite et de gauche la bédière et en suivant son cours jusqu’au début, là-haut au pied de la chute de sérac. Pour le retour il adopte un trajet différent en nous faisant visiter les nombreux lacs de part et d’autre du fjord de Paakitsoq.
Après cette riche journée, le Rembrandt reste à l’ancre dans cette anse tranquille du fjord Paakitsoq, pour y passer une nuit calme.
Sur notre route en direction de l’île de Qeqertaq, à travers les icebergs de belles tailles, nous affrontons un léger vent du Nord.
Des souffles de baleines sont aperçus et le bateau met le cap sur eux : elles réapparaîtront plusieurs fois, sans montrer leurs queues en plongeant, mais à l’aileron dorsal et la tête elles sont identifiées à des rorquals communs. Mais les prévisions météorologiques parlent d’un renforcement jusqu’à 20 nœuds (# 36 km/h), ce qui est beaucoup pour notre voilier équipé d’une telle mâture. Aussi irons-nous nous mettre à l’abri de la petite île Oqaitsoq, dans un fond de fjord qui communique par un mince détroit souvent obstrué par les nombreux icebergs qui arrivent des glaciers.
Juste avant midi, Pierre nous parle de Qeqertaq (l’île) où il a passé une année entière avec sa femme pour des études de météorologie, ethnologie et linguistique, en 1987.
C’est ce petit village même que nous visiterons demain mardi, si les icebergs nous laissent approcher.
Au cours de l’après midi, nous débarquons tous en zodiac, vers la pointe Nord-est d’Oqaitsoq, pour une randonnée.
Juste au dessus du rivage se trouvent des restes d’occupations que Pierre nous décrit comme Thuléenne, c’est à dire vielle de peut-être 900 ans. Ce sont les reliques de plusieurs maisons (illu, à prononcer idlou, d’où dérive notre appellation française iglou) aux murs épais de tourbes intercalés de pierres plates et autrefois couvertes par une charpente de bois flottés et d’os de baleines (mandibules et côtes) recouverte de peaux de phoques cousues ainsi que de nouveau de tourbe pour l’isolation. On distingue bien l’entrée basse et longue à l’aval, qui ici est inclinée vers le Sud, pour à la fois se protéger du vent, d’une intrusion d’ours blanc et de la neige sur les vêtements de peau, en se frottant aux parois. Accessoirement c’était aussi une façon d’évacuer l’air froid plus dense au profit de l’air chaud plus léger.
On distingue aussi sur le rebord extérieur supérieur comme une cave ; c’est une cache à viandes ou poissons, amassés en été comme provisions et il devait y en avoir tout autour des murs pour survivre durant le long hiver.
Ensuite nous montons sur le balcon Nord de l’île qui donne une vue saisissante sur le fjord Torsukatak et la baie de Qeqertaq. Ce balcon est surmonté d’une immense falaise à oiseaux (mouettes tridactyles). Les oiseaux sont déjà partis vers le Sud, mais de nombreuses plumes témoignent de leur occupation ainsi que la végétation verte nourrie par le guano et ponctuée des crottes de renards.
Le fjord est bien encombré par une couverture dense d’icebergs de toutes tailles que nous pourrons visiter autour de Qeqertaq, en randonnée zodiac.
Ensuite, le groupe se scinde en trois : un petit groupe avec Pascal qui explore les sommets rocheux de l’Est, et le reste par moitié part soit en direction du Sud sous la conduite de Sven et de Pierre et le troisième qui redescend avec Louis au rivage, en herborisant. On découvre ici des plantes qui nous sont familières dans les Alpes comme la corbeille d’argent (Céraiste), les saules à chatons, les airelles des marais, la Camarine noire et deux beaux spécimens de bolets, avec d’autres qu’on ne rencontre qu’ici comme le bouleau arctique, le lycopode, la cassiope tétragone aux clochettes qui rappellent celles du muguet et l’odorant thé du Labrador.
Le groupe de Pierre et Sven a atteint un sommet offrant un panorama somptueux sur le Torsukatak, les deux glaciers qui l’alimentent et l’inlandsis. La nuit au ciel bien clair et très étoilé n’a pas montré d’aurores boréales.
Ciel nuageux. avec une température de – 2°C, mais vent d’Est faible.
Nous levons l’ancre après le petit déjeuner pour nous diriger vers Qeqertaq. La navigation est très belle au milieu des icebergs, bourguignons et plaques de banquise de fjord. Nous arrivons vers midi, en ancrant le Rembrandt dans la baie face au petit village.
Deux activités en parallèles sont organisées : Visite du village avec montée au sommet de la colline qui domine le paysage et croisière zodiac dans la baie. Ce village est maintenant fourni en eau douce par désalinisation de l’eau de mer, mais il n’y a pas de distribution de l’eau aux robinets domestiques, seulement un petit édicule protégé du froid où l’on vient chercher son eau potable au bidon, à proximité des différent groupes de maisons. Une maison commune est équipée de douches et de machines à laver. Ces petites maisons constituent un service très agréable pour les randonneurs-campeurs ou bien les petits bateaux-voiliers de tourisme car moyennant des jetons achétés à la mairie on peut venir s’y refaire une beauté aussi bien qu’une lessive bienvenue après une longue traversée. Il y a maintenant une école toute neuve ainsi qu’un temple nouveau.
Le cimetière est charmant, avec ses tombes entourées de barières de bois peintes en blanc, fleuries à profusion de fleurs durables, à vous donner l’envie d’y réserver une place, face au fjord bien ensoleillé et à son paysage de grands icebergs…
Des chiens partout avec beaucoup de chiots qui renouvelleront les meutes. Le panorama depuis le sommet de l’île est superbe. La croisière zodiac dans les environs du village visite quelques beaux spécimens d’icebergs, tous avec des particularités de trous de part en part, d’arches grandioses, de grands tuyaux d’orgues qui se terminent par des motifs dignes de stuc marocains artistiques. On s’interroge sur la hauteur de certains qui présentent des falaises d’une trentaine de mètres. D’autres ont conservé leur surface sommitale intacte depuis le vélâge, c’est à dire qu’on y reconnaît encore les petites bédières de circulation de l’eau de fonte. Beaucoup ont eu une vie compliquée avec les traces d’anciennes lignes de flottaison un peu dans tous les sens. À 18 h, nous nous retrouvons tous au Temple, où Pierre a réuni une partie disponible de la chorale du village, deux hommes et trois femmes. Ils nous interprètent huit chants à capella dont 2 religieux et 6 composés par des Groenlandais entre 1908 et 1988. Ces chants exaltent la beauté de la nature, avec ses montagnes et ses rivières, etc. Ce sont des mélodies assez nostalgiques, aux motifs musicaux assez proches, que le chant polyphonique à capella rend très touchant. Ils ont été très appréciés et la quête finale a montré notre intérêt pour cette présentation originale, assez exeptionnelle.
Ce matin tôt, sous un ciel plombé à l’exception d’une partie de l’horizon illuminée par le soleil levant, nous levons l’ancre en direction d’un autre village d’une centaine d’habitants : Saqqaq (à prononcer simplement Sarc-crark).
Nous débarquons au ponton du port bien protégé parmi les embarcations des pêcheurs et parcourons le village d’abord vers l’Est, où des maisons exhibent des trophées de rennes aux vastes bois qui servent de porte-manteaux à sécher les chaussures ou les gants. À côté figurent deux trophées de bœufs musqués, l’un de mâle avec sa corne frontale bien développée pour les combats de la saison du rut et l’autre de femelles qui sont implantés comme ceux d’un bovin normal. Au bout de ce chemin, nous atteignons le sommet de la colline d’où on jouit d’un vaste panorama sur le fjord et ses icebergs de belles tailles.
Le rocher qui constitue le sol apparent est un beau granit très ancien, de l’Archéen, c’est à dire des plus anciennes roches connues au monde. Ces roches ont été polies et striées et on y reconnaît les profils asymétriques des bosses ainsi que les coups de gouges. Dans quelques séchoirs protégés des oiseaux par des filets, on rencontre des poissons qui sèchent comme de la morue ou du flétan. D’autres ont plusieurs phoques entiers pour la nourriture des chiens. Il y a aussi des peaux de rennes qui sèchent. Sur la plage on trouve des vertèbres de petits cétacés, probablement bélougas ou globicéphales. Un petit groupe s’est avancé jusqu’à la serre d’Hannibal Fencker, pleine de grands végétaux et décorée de boules sphérique de grès.
À côté de maisons toutes neuves et bien entretenues se trouvent d’anciennes habitations qui semblent nécessiter des réparations urgentes, une d’elles détruite par un incendie.
Mais dans l’ensemble ce village paraît plus à l’aise et mieux entretenu que celui de Qeqertaq visité hier. Pierre nous explique qu’ici la pêche est meilleure et que s’est implantée une usine de conditionnement de Royal Greenland, plus rémunératrice que la coopérative de Qeqertaq. De même, les rues du village semblent mieux entretenues et plus propres. Toutefois ce village possède lui aussi son tas de machines hors d’usage qui ne cesse de s’agrandir, sur la plage à l’Ouest du village et qui doit être ramené, incessamment, un de ces jours, au Danemark pour recyclage. Le Temple, bien chauffé, est bien du style Calviniste, sobre et discret.
Enfin, la superette est bien approvisionnée de toutes les marchandises qui servent au quotidien et à la pêche comme à la chasse.
À midi, nous prenons le dernier repas avec Marie et Stéphane, qui vont nous quitter pour prendre le bateau hebdomadaire du jeudi en direction d’Ilulissat, ainsi que l’avion de retour. Nous sommes tous bien tristes de nous séparer de deux des membres du Staff qui nous ont fait vivre des heures assez exceptionnelles au-dessus du champ d’icebergs d’Ilulissat et de la calotte près de Paakitsoq. Ensuite, le Rembrandt nous dirige vers Qeqertarsuaq, la grande île, autrefois appelée Disko. Comme le vent nous pousse favorablement et la mer se trouve assez libre de glace, Sven, notre Capitaine, décide de monter quelques voiles et il est fait appel aux forces des passagers en plus de celles de l’équipage. Ainsi est montée la voile d’avant dite Schooner et le 3ème foc. Aussitôt, le bateau s’incline légèrement et se stabilise sur son erre, en diminuant son mouvement de roulis et en augmentant sensiblement sa vitesse. Pendant cette navigation, Pierre nous retrace magistralement l’histoire du Groenland depuis l’arrivée des premiers immigrants venus à travers le Détroit de Behring, il y a 4000 ans et les différentes migrations et civilisations qui se sont développées sur cette île jusqu’à l’arrivée de la colonisation et de l’émancipation récente. Le soir, avec l’obscurité qui masque les bourguignons, les voiles sont descendues et on rejoint une baie ouverte sur la côte Est de Qeqertarsuaq, pour y passer la nuit.
Ce matin, la chaîne d’ancre est relevée dès 6 h et notre route vers la capitale éponyme de la grande île, Qeqertarsuaq, reprend dans une mer plus calme que celle de hier soir.
Vers 10 h 30, nous arrivons à proximité des roches basaltiques cristallisées en tous sens, car ces laves ont subi des déformations alors que leur refroidissement n’était pas encore terminé.
C’est un beau spectacle sous un grand soleil qui donne plein de couleurs au paysage minéral et végétal. Nous assistons à l’entrée du Rembrandt dans le port fort bien abrité naturellement, par une longue presqu’île rocheuse. Le bateau s’ancre à l’écart des chemins de trafic et pour débarquer il existe un ponton libre juste près du musée qui fait bien notre affaire. Le musée est ouvert jusqu’à deux heures et on commence par cette visite. Il est riche en objets de toutes sortes provenant des trouvailles locales et d’une belle collection de Tupilat anciens (un tupilak, des tupilat). Des tableaux anciens ornent les murs et trois pièces d’autrefois ont été reconstituées à l’étage : l’une est un bureau du chef de la compagnie royale de la colonisation, la KGH (la Ca-Gué-O), l’autre est l’atelier du menuisier-tonnelier de la compagnie et la dernière est, sous forme d’un salon du début du XXème siècle, un fourre tout d’objets et machines pré-modernes qui meublaient les habitations des fonctionnaires de la KGH, ainsi qu’une collection de beaux costumes nationaux et de kamit (bottes en peaux de phoque).
Enfin, au rez de chaussée sont exposées les planches d’une bande dessinée d’un auteur groenlandais, Nuka K. Goldfredsen qui paraît d’excellente qualité à la fois par son dessin et son coloriage aquarellé, quant aux bulles elles sont rédigées en groenlandais, mais il existe aussi une version en Anglais :
ISBN : 978-87-7975-489-8, édité par Ilinniusiorfik, voir sur le site ATUAKAT.COM
Ensuite, le groupe se divise en deux, les marcheurs qui vont observer de près les roches volcaniques aperçues ce matin, à l’autre bout du village et les visiteurs qui parcourent la ville. Qeqertarsuaq est une île d’environ 7000 km² (# la surface d’un département moyen français) et sa capitale du même nom a une population de 840 habitants. On reconnaît immédiatement les habitations anciennes, dites colonniales, aux fenêtres à petits carreaux qui tranchent sur la majorité des maisons plus modernes.
Ce qui est impressionnant dans ce village, c’est que, de quelque côté qu’on regarde, les rues se terminent sur une mer constellée de grands icebergs tout proches. On admire ici une parcelle dont on vient de faire la récolte de pommes de terre, là une peau de bœuf musqué qui séche, étirée sur un cadre et encore des poissons qui sèchent en différents endroits, comme les truites ombles chevalliers, aux robes aluminisée si prises en mer ou vivement colorées, comme des saumon de fontaine si pêchées en rivière. Enfin nous visitons un artisan qui propose des objets réalisés dans de l’ivoire ou corne de renne (bois et sabots) ainsi qu’un restaurant qui a une boutique de souvenir malheureusement aux stocks épuisés en cette fin d’été…
Une fois de retour au Rembrandt, Pierre nous donne des explications sur tous ces objets proposés par les artisans d’aujourd’hui et de demain à Sisimiut : ULU et TUPILAQ, pendant que le bateau a repris son chemin plein Sud. Puis, il nous propose un film ethnographique, de Knud Rasmussen, tourné en 1933 : Le mariage de Palo. Ces images nous plongent dans l’ambiance authentique de l’époque avec tente d’été et illu d’hiver en tourbe, pêche miraculeuse à la remontée printannière des ombles chevallier dans la rivière, une véritable chasse à l’ours en kayak, les duels de chant et les nombreux umiat et kayaks d’autrefois…
En entrant en mer ouverte, dans notre descente vers le Sud, le bateau rencontre une houle longue et assez haute qui prend le navire par tribord et le fait rouler assez fortement par moment. Cela va durer toute la nuit, avec quelques interruptions par passages.
Ce matin le ciel est couvert et la houle toujours bien développée !
Nous poursuivons notre route vers Sisimiut en taillant une route sud en mer ouverte loin des petites îles basses et des écueils nombreux qui bordent le rivage. Cette houle latérale est un peu inconfortable et envoie bon nombre d’entre nous sur nos couchettes ! Ce matin, c’est Louis qui donne une conférence sur le Monde Arctique, ses glaces, faune et flore, animaux et habitants qui connaissent des conditions de climat extrêmes.
Enfin, quand nous virons de bord pour atteindre Sisimiut, la houle vient de l’arrière et le bateau subitement se calme et ne roule plus. Nous avons une place au quai tout nouveau sur le bord ouest du port.
Notre visite de la ville commence par l’ancien bâtiment colonial sur le port où sont rassemblés des artisans locaux qui présentent les objets réalisés traditionnellement en bois de rennes, ivoire ou bien grès tendre, la fameuse pierre à savon et même des bijoux en fanons de baleine. Y figuraient aussi des mouffles en peau de phoque et quelques ouvrages en laine de bœufs musqués. Ensuite, nous visitons le musée qui présente de belles collections d’artefacts collectés sur les sites d’occupation anciennes de 2500 ans avant JC, ainsi que de nombreux Tupilat. Dans une salle annexe est présenté une exposition sur l’ours polaire et ses exeptionnelles incursions près de la ville en 2006 et… 2014 ! Puis, à proximité est présentée une reconstitution d’une maison en tourbe avec intérieur en bois, incluant une belle collection d’objets des années 1900, poêle à charbon, ustensiles de cuisine, planche à dégraisser les peaux, mannequins aux beaux vêtements de fourrures…
Ensuite nous passons par la librairie, les supermarchés où l’on remarque facilement que la vie est chère ici avec les produits européens qui nous sont familiers, le grand cimetière et la place de la poste avec le marché groenlandais des viandes et poissons. Malheureusement, en arrivant en fin d’après-midi, on ne trouve plus que quelques viandes ou poissons à l’étal. Ce sont quelques filets de morue, du phoque bien rouge et à la graisse bien blanche, un gros loup arctique égeulé car sa dentition est redoutable, on peut s’y blesser même avec l’animal mort. Et, dans les congélateurs des monceaux de Mataq, le derme des cétacés, des truites et saumons, de la morue, du renne, etc.
Nous quittons Sisimiut de bon matin, avec les moteurs en route dès 7 heures. Dès la sortie du port abrité, nous retrouvons notre amie la houle du Nord-Ouest qui fait rouler le Rembrandt.
Dans la matinée, Pierre nous projette un film de sa collection, Qivitoq (Le Revenant), tourné en 1956 en grande partie à Saqqaq et Ilulissat, qui présente l’avantage de constituer un témoignage historique sur cette époque d’après guerre avec passage de la condition noble de chasseur à celle plus commune de pêcheur, avec l’arrivée des bateaux à moteur et la généralisation des maisons en bois que les groenlandais trouvaient plus froides, car encore peu isolées.
L’après-midi, Pierre nous présente le Kalaallisut, la langue des Groenlandais avec ses caractéristiques grammaticales principales qui en font une langue plutôt compliquée mais incroyablement précise.
Ensuite, on visionne des clips de musiques contemporaine groenlandaise, dont les auteurs sont rappelés en note, ci-dessous.
C’était le soir du barbecue, mais le vent qui balaie vigoureusement le fjord empêche sa tenue sur la plage arrière du bateau ; nous le dégustons donc au restaurant. De même, le vent violent et les vagues abruptes qu’il lève obligent le Rembrandt à continuer sa route jusqu’à un petit fjord latéral où il puisse s’ancrer à l’abri. C’est ainsi qu’il s’arrête vers minuit dans Angujaartorfik.
Au lever du jour nous découvrons notre refuge de la nuit, un petit fjord au bout duquel débouche une rivière que les américains stationnés à la base de Kangerlussuaq jusqu’en 1991 avait nommée Robinson River et venaient y pêcher la truite qui remonte frayer dans l’immense lac, Tasersuaq.
Le débarquement à terre ce matin est pour deux groupes, celui de Pierre et de Pascal qui monte sur les sommets du bord nord du fjord et celui de louis, une dizaine de passagers qui vont remonter le long de la rivière, sur sa rive droite. Les grands marcheurs verrons beaucoup de lièvres blancs et un renne dans une longue ballade. Les petits marcheurs rencontreront sur les grandes terrasses marines de nombreuses traces de sabots de bœufs musqués, mais aucun animal vivant. En revanche, il y a profusion de crânes de bœufs laissés sur place lors de la chasse.
L’après-midi le Rembrandt nous emmène vers une petite crique que les américains avaient nommée « Laguna » où nous visitons un camp d’été de Groenlandais qui viennent s’établir ici pour pêcher truites et morues et les conditionner pour l’hiver suivant. Leurs tentes rappellent le modèle ancien traditionnel avec la fosse « à froid » pour s’asseoir autour d’une petite table en famille. Ils laissent d’une année sur l’autre leur affairent rangées et protégées sous une bâche. Ensuite nous faisons le tour de la petite baie pour atteindre une cabane verte, ancienne station de recherche pour ornithologue sur le faucon pèlerin qui niche dans les falaises tout autour et qui sert maintenant de refuge.
Près de cette cabane verte, se situent deux tombes anciennes, datant d’avant la christianisation, c’est à dire d’avant les années 1750. Et enfin nous passons en revue le fonctionnement des pièges à renard d’un modèle différent de ceux rencontrés au Spitzberg : ici la bête captive est conservée vivante jusqu’au passage du trappeur. Ce sont des vestiges des années 1960-70, décennie qui a vu s’effondrer le commerce des peaux et l’arrivée en masse des tissus et fourrures synthétiques.
C’était notre dernière sortie sur le terrain et le soir un apéritif commandé par Pierre nous réunis autour du Capitaine et de l’équipage pour le traditionnel au revoir et l’explication du débarquement du lendemain où un car va nous emmener du port à l’aérodrome de Kangerlussuaq.
Dernière nouvelle arrivée ce matin avant le bouclage du Journal de croisière : Certains d’entre nous, révéillés vers minuit et demi ont assisté à une belle aurore dans un ciel presque clair : enfin, le dernier soir, cette aurore qui nous boudait dans des ciels couverts s’est
Jours de voyage retour de Kangerlussuaq à Copenhague, vers Paris, Genève, Bruxelles, Luxembourg et plus loin encore pour Bibiane et Nelson, qui rentrent au Canada.
Chers Amis du voyage,
La relation de ce dernier jour a été réduite, pour vous remettre à temps ce journal de croisière-expédition sur le Rembrandt, dans la baie d’Ilulissat et sur la côte en passant par Sisimiut jusqu’au haut du grand fjord, le Kangerlussuaq.
Nous espérons que vous aurez apprécié ce séjour dans l’Arctique groenlandais, avec les nombreuses facettes différentes qu’il nous a présentées, entre les paysages, les glaciers, les icebergs, les oiseaux de mer, les quelques baleines observées et la flore particulière de ces sols gelés en profondeur, avec les survols en hélicoptère sur ces paysages fabuleux !
Et, bien-sûr, sans oublier les habitants et leurs villages colorés, adaptés à ce rude environnement. Pierre et Pascal se joignent à moi pour vous souhaiter un bon retour chez vous et, bien sûr, d’autres voyages à partager en votre compagnie dans les années à venir. Ce compte rendu, les images et la carte de notre parcours ont été préparés par Louis.
Bien amicalement à tous et à toutes,
INUULLUARITSI AMMA TAKUSS !
Portez-vous bien et au revoir !
Louis, Pierre & Pascal, Kangerlussuaq, le Mardi 29 septembre 2015