Samuel Blanc
Biologiste Polaire
25 juillet
7 août 2014
À bord du Professeur Khromov, juillet 2014
Samuel Blanc
Biologiste Polaire
Après un premier vol depuis la France ou la Suisse vers Moscou le 23 juillet, nous avons passé la journée du 24 à Moscou. Accueillis à notre hôtel à 10h00 par notre guide Nicolaï, féru d’histoire et ancien professeur de français, nous sommes partis en bus pour un tour de la capitale russe. Au programme : visite de la place Rouge, et des principaux édifices et lieux populaires de Moscou.
À l’issue de cette journée à Moscou, nous nous sommes ensuite envolés au-dessus du plus grand pays au monde afin de rejoindre, après 8h de vol, la capitale de la région autonome de Tchoukotka : la ville d’Anadyr.
Arrivés sur place vers 11h du matin, c’est à l’aide d’une barge que nous avons traversé la rivière Anadyr, afin de passer quelques heures à découvrir la ville, faire quelques emplettes ou se retrouver autour d’un café. Certains se verront même offrir du caviar de saumon, spécialité locale, fort apprécié ! Puis nous avons rejoint la grève pour attendre la barge destinée à nous emmener à bord du bateau, au mouillage dans la baie. Un groupe de morses et quelques bélougas nous font alors la surprise de passer près de la côte, se laissant tranquillement observer pour notre plus grand plaisir, ainsi que celui d’une centaine d’habitants venus les voir.
En fin de journée, nous étions enfin à bord du Spirit of Enderby, notre maison pour 13 jours. Nous découvrons nos cabines et assistons à une première réunion de présentation de l’équipe d’expédition et d’information sur la vie à bord, menée par Rodney Russ, le chef d’expédition, et Meghan Kelly, responsable de l’hôtellerie, traduite par nos guides francophones, Samuel et Agnès. À l’issue d’un bon dîner, nous avons tous regagné nos cabines pour un repos bien mérité après ce long voyage.
Vers 4h ce matin, le soleil brillait tandis que nous naviguions dans le golfe d’Anadyr, comme ont pu le constater certains d’entre nous qui ont ouvert l’oeil, réveillés par le décalage horaire ou la lumière inhabituelle.
Puis, le brouillard s’est installé pour le reste de la matinée, que nous avons passée à naviguer. Ce fût l’occasion pour certains de se reposer et de commencer à s’amariner. Rodney nous a présenté le programme du voyage et expliqué notamment les conditions de glaces autour de l’île Wrangel, qui devraient nous permettre, sinon d’en faire le tour, d’y débarquer largement.
En début d’après-midi, le Spirit of Enderby jette l’ancre dans la baie Preobrazheniya. Avant de sortir, nous profitons d’être au calme pour assister à la réunion concernant la sécurité à bord et l’utilisation des zodiacs, et effectuer l’exercice obligatoire d’abandon du navire.
À 15h30, nous voilà fins prêts pour notre première sortie en zodiac. Nous longeons alors une falaise très découpée et composée de centaines de petites saillies ou vires sur lesquelles nous découvrons de nombreux oiseaux venus là pour se reproduire. La plupart sont des guillemots de Brunnïch, mais on trouve également : mouettes tridactyles, guillemots colombins, goélands bourgmestres, macareux cornus et huppés, stariques cristatelles et perroquets, cormorans pélagiques…
Dans le ciel, se joue un véritable ballet composé des allers et venues incessantes de milliers d’entre eux, en particulier les stariques, en formation serrée, dont on dirait de véritables essaims. Le spectacle est fantastique ! Avant de rentrer à bord, nous débarquons sur une plage de galets, où se trouvent quelques barques appartenant aux habitants d’un village proche. Nous marchons quelques minutes sur une colline verdoyante et fleurie. Un spermophile, sorte de petit écureuil vivant eu sol, sort de son terrier intrigué, avant d’y retourner un peu plus loin, sous les feux des cliquetis d’appareils photos. Nous regagnons ensuite le navire, et nous retrouvons au bar, puis au dîner, pour échanger sur cette première sortie riche en biodiversité.
Le Spirit of Enderby reprend alors sa route vers le nord et notre débarquement de demain matin sur le site de l’allée de baleines.
Au réveil ce matin nous nous trouvons à l’approche de l’île d’Yttygran, sur laquelle nous allons débarquer. À 9h, nous posons le pied sur le site de « l’Allée des Baleines », classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Là se trouvent une trentaine de crânes de baleines alignés et surtout plusieurs mandibules disposées verticalement, et dont on ignore l’origine réelle, bien qu’il soit fortement supposé qu’il s’agisse d’un site où étaient pratiqués des rites. Des nappes de brumes ajoutent au mystère qui plane sur ce site.
La végétation a partiellement repris ses droits, dissimulant un certains nombre d’ossement, et en ce mois de juillet nous rencontrons de nombreuses fleurs. Des éboulis, provenant de la colline qui domine le site, sont le gîte du Pika du Nord, petit rongeur de la famille des lapins. Nous entendons plusieurs individus pousser de petits cris, puis se montrer ici ou là, à la recherche de végétation à grignoter. De retour à bord, le Spirit of Enberby se remet en route vers le site de Gilmimil, où nous attend Ivan, un Tchouktche, qui vit ici l’été. Au-delà de la plage sur laquelle nous débarquons se trouve une grande plaine, et une lagune, qui forme l’embouchure d’une rivière. Deux familles (dont celle d’Ivan) vivent ici l’été.
Nous marchons dans la toundra, croisant ici où là des spermophiles arctique. Des grues du Canada nous survolent de temps à autre pour aller se poser au bord de la lagune ou dans la toundra, où elles trouvent de quoi s’alimenter. Sur le chemin qui longe la rivière et mène à des sources chaudes, deux renards roux sont aperçus successivement, avant de disparaître dans leur immense terrain de jeux et de chasse. Certains d’entre nous prennent un bain dans l’une des sources aménagées en petite piscine à ciel ouvert ; pendant que d’autres observent les oiseaux au bord de la rivière et de la lagune, des grues du Canada aux goélands de la Véga, en passant par la bergeronnette de Béringie, au poitrail jaune vif.
Ce soir, le soleil descendant, masqué de quelques bandes de nuages, nous offre une superbe lumière sur les montagnes, tandis que le Spirit of Enderby longe la côte est de Tchoukotka.
Cette journée, fut notre première passée dans le fameux détroit de Béring, exploré en 1728 par le navigateur danois Vitus Béring sur instructions du tsar Pierre le Grand. Malgré une houle prononcée, nous avons eu la chance de pouvoir débarquer au cap Dezhnev qui marque le point le plus oriental du continent asiatique. Ce point mythique, à 90 kilomètres de l’Alaska, porte le nom du cosaque Semen Dezhnev qui le franchit en 1648 à bord d’un simple navire en bois d’une vingtaine de mètres de long. Sur ce promontoire rocheux, nous marchons jusqu’à un phare où se trouve un monument en hommage à Dezhnev.
Nous découvrons aussi les ruines d’un ancien village inuit, dont les habitants furent déplacés ailleurs en Tchoukotka en 1958 par le régime soviétique. Plus bas, un ancien poste frontière en ruine est lui sur le point de s’effondrer sous l’effet de l’érosion.
Après le déjeuner, les habitants du village d’Uelen nous réservent un bel accueil. Nous visitons d’une part le musée où est présentée une superbe collection de sculptures et gravures sur ivoire de morse où bois de rennes ; et d’autre part l’une des deux écoles où est notamment enseigné la langue tchouktche. Puis, un spectacle nous est présenté sur la plage par les habitants. Au programme : danses et chants traditionnels tchouktches. En arrière plan, deux baleines grises et une baleine à bosse se font régulièrement remarquer, entre deux filets de brume.
En fin d’après-midi, le navire met le cap vers le Nord, après une belle journée où histoire et culture furent à l’honneur !
Ce matin, la brume a laissé la place au soleil et seuls quelques nuages légers émaillent le ciel bleu. L’île de Kolyuchin est en vue dès avant le petit-déjeuner et nous nous en approchons. L’idée est de la contourner en bateau puis d’y débarquer. Sur une plage côté ouest, un groupe de morses est aperçu, estimé à environ 200 animaux, que nous tenterons d’observer de plus près dans la journée.
Mais pour l’heure un débarquement est prévu pour aller observer les oiseaux dans les falaises depuis le haut. Pour ce faire, il nous faut monter une pente enherbée du côté nord de l’île. Là se trouve une ancienne station de recherche, dont les bâtiments sont laissés à l’abandon. Rodney, le chef d’expédition, et Nikita, guide russe spécialiste de l’ours polaire, font une reconnaissance pour s’assurer qu’aucun ours polaire n’ait investi l’un des bâtiments, comme cela peut parfois être le cas. Mais aujourd’hui la voie est libre.
Nous grimpons donc pour dominer les falaises et de là, observons le spectacle : guillemots de Brunnïch et de Troïl côtoient mouettes tridactyles, macareux cornus et huppés, ainsi que cormorans pélagiques et goélands bourgmestres. Tout ce petit monde s’affaire pour mener à bien la reproduction durant le court été arctique. Les jeunes cormorans sont déjà grands et se bousculent dans leur nid, tandis que les mouettes laissent de temps à autre apparaître un œuf ou un petit, avant de le recouvrir à nouveau pour le maintenir bien au chaud. Le soleil révèle les couleurs chatoyantes des becs et des pattes de macareux qui posent sur des vires, pour le plus grand bonheur des photographes et des observateurs.
Nous retournons à bord pour le déjeuner, et repartons aussitôt en zodiac vers le groupe de morses repéré ce matin. L’idée initiale était de l’approcher en zodiac, mais le vent est contre nous, et si les morses nous sentent avant même de nous voir, ils risquent de se mettre à l’eau. Nous tentons donc une approche à pied par la plage. Nous sommes accompagnés par quatre tchouktches qui habitent un village situé à une dizaine de kilomètres de là. Ils connaissent bien les morses, qu’ils chassent en petit nombre pour leur subsistance. Ensemble, nous marchons lentement et en faisant le moins de bruit possible vers le groupe de morses. La plupart sont au repos, tandis qu’un petit groupe va et vient en bord de plage. Quelques individus passeront même près de nous, tandis que nous nous sommes arrêtés pour observer le groupe. L’enchevêtrement de défenses est impressionnant !
Après de longues minutes d’observation nous rebroussons chemin, avec la satisfaction de ne pas avoir dérangé ces symboles de l’Arctique. Une fois le dernier zodiac remonté à bord, nous mettons le cap vers l’île Wrangel. Demain nous devrions croiser nos premières glaces…
Au réveil ce matin, nous sommes poussés par une houle venant du sud et voguons à belle vitesse vers le Nord. Durant cette matinée de navigation nous assistons à une conférence sur l’île Wrangel en guise d’introduction à nos prochains jours. En milieu d’après-midi, nous rencontrons les premiers morceaux de glaces dérivants, avant de pénétrer rapidement dans de la banquise plus dense.
Au cours des deux premières heures de navigation dans la banquise, nous observons quatre ours polaires, dont deux au loin et le dernier, une femelle, plus proche du bateau. Quelle joie de rencontrer le seigneur de l’Arctique dans son milieu naturel ! Nous observons aussi quelques morses dans l’eau ou sur la glace, ainsi que le ballet des mouettes tridactyles en train de pêcher, poursuivies par les labbes pomarins.
Au fur et à mesure que nous approchons de l’île Wrangel, les plaques de banquise se font de plus en plus épaisses, et en fin de journée, nous cheminons lentement dans de la banquise pluriannuelle, dont certaines plaques dépassent les deux mètres d’épaisseur. En début de soirée, alors que la côte est parfois visible à travers quelques nappes de brumes, décision est prise de faire demi-tour pour contourner cette glace dense.
L’idée est d’en sortir pendant la nuit afin de la longer et de tenter demain matin de nous rapprocher de l’île Wrangel depuis la côte ouest. En effet, selon la dernière carte des glaces, l’accès semble plus facile dans cette région de l’île. Ce soir, tandis que le navire chemine à travers la banquise, les reflets du soleil entre les plaques sont superbes…
Pendant la nuit, le Spirit of Enderby a contourné la banquise pour rejoindre l’extrémité ouest de l’île Wrangel et se positionner ce matin entre les caps Tomas et Blossom. C’est de là que nous partons en zodiac vers la banquise encore proche. Nous naviguons en bordure de plaques dont nous devinons l’épaisseur sous l’eau. Une banquise dense qui va nous permettre d’y poser le pied !
En continuant notre balade en zodiac, nous rencontrons les délicats phalaropes à bec large, qui picorent à la surface de l’eau. Plus loin, des formes brunes sont aperçues sur la glace : un groupe de morses ! Nos zodiacs se faufilent entre les plaques pour s’en approcher. Nous les observons à quelques dizaines de mètres. Il s’agit de femelles avec des jeunes, au repos sur la glace. Une belle observation, sous le soleil de l’Arctique.
Nous repartons en longeant la côte, lorsqu’un plongeon à bec blanc nous survole, et quelques mètres plus loin une mouette de Sabine. Tout à coup surgit une baleine grise non loin des zodiacs ! Puis c’est un ours qui est aperçu marchant sur la plage. Les zodiacs s’avancent pour s’en rapprocher mais celui-ci se met à l’eau et nous le laissons finalement poursuivre sa route.
Après le déjeuner, les zodiacs nous emmènent à terre, dans une grande plaine entre les cap Tomas et Blossom. Nous marchons dans la toundra en fleurs pour approcher un bœuf musqué qui paît tranquillement. Plus loin deux renards polaires sont successivement aperçus, vagabondant dans la plaine à la recherche de quelque proie à se mettre sous la dent. Lorsque nous remontons dans les zodiacs la banquise s’est rapprochée et nous naviguons entre les glaces pour rejoindre le bateau.
De retour à bord, le Spirit of Enderby repart vers le nord-ouest de l’île. Nous naviguons entre des plaques de banquise et observons ici ou là quelques morses et des phoques dans l’eau. Plusieurs ours sont également aperçus au loin sur la côte, et l’un d’entre eux plus proche du bateau sur une plaque de banquise. Le beau temps étant toujours de la partie, une sortie en zodiac est organisée après le dîner pour aller observer de nombreux oiseaux dans une falaise éclairée par les derniers rayons du soleil. Guillemots de Brunnich, à miroir et colombin côtoient mouettes tridactyles et cormorans pélagiques. Beaucoup sont en vols et sur l’eau, occupés à pêcher, dans la lumière du soleil couchant. Tandis qu’au loin sur la côte, une ourse et son jeune marchent tranquillement avant de se lover dans une pente pour se reposer…
Après notre sortie hier soir à Ptichiy Bazar, le Spirit of Enderby a levé l’ancre pour faire route vers le nord de l’île à travers les glaces. Ce matin, nous nous réveillons dans un brouillard dense rendant le débarquement prévu impossible. En effet, sans visibilité, nous ne pouvons pas évoluer sur l’île sans risque de rencontrer un ours polaire et de nous mettre dans une situation difficile.
Le navire poursuit donc sa route, cheminant entre les plaques de banquise. Dans la matinée, le commandant décide cependant de faire route au sud où il semble y avoir moins de glace qu’au nord, car la navigation est rendue difficile et lente avec le brouillard toujours aussi dense. Depuis le sud de Wrangel nous rejoindrons l’île Herald à l’est, où nous arriverons demain matin. La journée est alors mise a profit pour des conférences sur la banquise, le morse, le bœuf musqué… Certains en profiteront également pour trier des photos ou se reposer.
En soirée, tandis que nous naviguons au sud de l’île, le brouillard s’est levé laissant place au soleil. La lumière est superbe au soleil couchant avec, au loin, les sommets de Wrangel drapés de voiles de brouillard…
Au réveil, ce matin, nous nous trouvons devant l’île Herald, que nous allons explorer en zodiac après le petit-déjeuner. Le brouillard est revenu, mais la mer est calme ce qui devrait nous permettre de contourner l’île et peut-être même d’en faire le tour complet. Nous longeons les falaises qui nous surplombent et bordent les côtes de l’île, plus ou moins dévoilées par des nappes de brouillard mouvantes. C’est aussi l’occasion de débarquer sur la plage sur laquelle ont été retrouvés des restes de quatre membres de l’équipage du Karluk, qui fût pris dans les glaces en 1914 plus au nord et sombra. Plus loin nous découvrons d’autres falaises, largement occupées par les guillemots de Brünnich et mouettes tridactyles. Le soleil n’est pas bien loin, perçant ici et là le brouillard, révélant ainsi le relief de l’île et ses roches, tantôt arrondies, tantôt découpées. Au terme de plus de 3h de zodiac, et près de 30 kms parcourus, nous parvenons à faire la première circumnavigation de l’île depuis que le Spirit of Enderby vient en ces lieux.
Nous rentrons à bord pour nous restaurer et le navire lève l’ancre pour Wrangel. Au bout de quelques miles nautiques, nous rencontrons la banquise, que nous ne quitterons pas de la journée.
Vers 16h, un premier ours est aperçu. Nous nous en approchons, tandis qu’il se déplace. C’est alors qu’une femelle et deux jeunes sont aperçus à leur tour, au repos sur une plaque de banquise à l’avant bâbord du bateau. Le navire modifie alors sa course pour tenter de les approcher. La mère se lève, suivie par ses jeunes, et tous trois marchent sous une belle lumière à contre-jour. Puis ils se mettent à l’eau et disparaissent entre les plaques de banquise. Le premier ours s’est mis lui aussi à l’eau, avant de ressortir plus loin, tandis que la femelle le fuit visiblement.
Nous reprenons notre cheminement à travers la banquise et quelques minutes plus tard une autre femelle et un jeune sont aperçus au loin, s’éloignant en courant. Un septième ours est de nouveau repéré plus près, qui se met à son tour à nager parallèlement au bateau avant de disparaître. Nous continuons donc nos recherches dans l’espoir de rencontrer un ours plus curieux.
Juste avant le dîner, un autre ours est repéré, cette fois endormi sur la banquise. Le commandant manœuvre pour s’en approcher en contournant les épaisses plaques de glaces. L’ours se réveille et fait quelques pas, intrigué par notre approche. Puis il se recouche derrière un hummock, vraisemblablement décidé à poursuivre sa sieste. Le bateau stoppe les machines et reste à la dérive à proximité de la plaque où il s’est endormi.
Après le dîner, le navire tente une autre approche, tandis que l’ours dort toujours tranquillement. La lumière est superbe et alors que le bateau dérive lentement vers le dormeur, celui-ci se réveille doucement. Tout le monde est sur les ponts à guetter ses moindre gestes, appareils photos prêts à déclencher. Au bout de plusieurs minutes il se lève finalement et, intrigué par le navire s’en approche… jusqu’à quelques dizaines de mètres ! Notre patience est récompensée ! L’ours se reflète dans l’eau aussi calme qu’un miroir, éclairé par le soleil couchant. Moment de grâce… Tout simplement somptueux !
Après le départ de l’ours, certains restent encore tard sur les ponts pour observer le soleil se coucher lentement sur la banquise qui s’étend à perte de vue… Celui-ci ne restera que quelques minutes sous l’horizon, avant de ressortir à nouveau ! Superbe soirée au milieu de la banquise arctique et de ses trésors…
La nuit dernière, le navire est resté à la dérive au large de Dragi Bay. Ce matin, au réveil, le brouillard est toujours là, allant et venant en nappes qui roulent le long de la falaise située à l’ouest de la baie. Nous contemplons ce paysage mouvant assez spectaculaire depuis les ponts extérieurs, en espérant que le temps se dégage pour permettre une dernière activité avant de mettre cap au sud.
À 9h00, nous débarquons cinq passagers qui vont rester à Wrangel une dizaine de jours et être récupérés lors du prochain passage du navire dans les environs. Puis c’est au tour des « courageux plongeurs volontaires » de tenter une baignade polaire – très rapide – dans l’océan Arctique, ici à 0,8°C ! Le brouillard ne se lève sur la côte qu’en fin de matinée et décision est alors prise de reprendre la route pour privilégier un dernier passage dans la banquise.
Deux heures plus tard, nous sommes à nouveau dans l’eau libre, laissant derrière nous l’île Wrangel et la banquise, milieu fascinant et si important pour tout l’écosystème arctique… L’après-midi de navigation est consacrée à des conférences, l’occasion notamment de reparler du « seigneur de l’Arctique » – l’ours polaire – de sa biologie et de ses adaptations fascinantes, mais aussi des menaces qui pèsent sur lui.
En soirée, une légère houle nous berce tandis que le navire se dirige vers la côte nord de la Tchoukotka où nous arriverons demain à la mi-journée.
Au réveil ce matin, la mer est calme, alors que nous faisons route vers la baie de Kolyuchin, sur la côte nord de la Tchoukotka. Le début de la matinée est consacré à l’observation en mer d’éventuels oiseaux et mammifères marins, ainsi qu’à une projection de film.
Vers 11h, le Professor Khromov entre dans le détroit de Kolyuchin, qui se prolonge par une vaste baie. Le temps est superbe et les températures sont bien remontées depuis la veille : il fait environ 13°C ! Nous mouillons dans la baie, non loin du lieu où mouilla le suédois Adolf Erik Nordenskjöld en 1878/1879 avec son navire Vega. Cet hivernage précéda ce qui devait être le premier passage du Nord-Est.
Juste après le déjeuner, nous débarquons sur une plage de sable, derrière laquelle s’étend une vaste plaine émaillée de lacs peu profonds. Nous partons en exploration dans ce milieu typique de toundra, et observons des bécasseaux, trois espèces de plongeons (à bec ivoire, du Pacifique et Arctique) au plumage superbe, un vol d’oies empereur, et au loin des grues du Canada. Certains apercevrons également un renard arctique. Mais le clou du spectacle pour ceux qui ont eu la chance de le voir est sans aucun doute… un glouton ! Celui-ci aperçu dressé dans les herbes hautes, est passé à quelques centaines de mètres du groupe, qui s’était accroupi pour l’observer, avant de disparaitre au loin dans les brumes de chaleur. Cet animal plutôt forestier et particulièrement rare à observer a surpris tout le monde dans ce milieu naturel complètement ouvert. Quelle chance inespérée et quel cadeau de la nature ! Et que d’observations dans un milieu qui peut sembler de loin quasi-désertique… Le tout sous un ciel d’un bleu limpide.
En fin d’après-midi, nous reprenons notre navigation vers le détroit de Béring et les îles Diomèdes. Peu après le dîner, nous profitons encore du coucher du soleil, superbe disque orangé sur l’horizon…
Note : le « Spirit of Enderby » et « Professor Khromov » sont les deux noms d’un même navire, Professor Khromov étant l’ancien nom du bateau mais toujours écrit sur la coque et utilisé en Russie, où il vaut mieux circuler avec un bateau russe…
Détroit de Béring, îles Diomède : Nous bénéficions ce matin de conditions de navigation particulièrement bonnes dans le détroit de Béring, réputé pour être souvent agité. Le brouillard qui nous entoure à l’heure du petit-déjeuner se lève au fur et à mesure que nous avançons, nous laissant revoir le cap Dezhnev, et bientôt apercevoir les îles Diomède vers lesquelles nous nous dirigeons. Celles-ci se situent au milieu du détroit de Béring et c’est exactement entre elles que passe la frontière entre USA et Russie, ainsi que la ligne de changement de date. La Grande Diomède (ou île de Ratmanov) est donc russe, alors que la Petite Diomède (ou île Krusenstern) est américaine.
Vers 10h00 du matin, nous mouillons l’ancre proche de la côte nord de la Grande Diomède. Avec ces conditions météo exceptionnelles, et l’accord des gardes frontière russes, nous pouvons faire une sortie en zodiac le long de la côte. De nombreux oiseaux (stariques, guillemots, mouettes, goélands, macareux…) nichent dans les falaises que nous longeons et, dans le ciel, le ballet de cette gente ailée est impressionnant. Le paysage est tout aussi grandiose, en regardant vers l’ouest, nous apercevons le Cap Dezhnev et, à l’est, l’Alaska. Nous sommes ici à la croisée des océans Pacifique et Arctique, entre Russie et Alaska et, lorsque nous regardons vers l’Est, nous regardons vers « hier », au delà de la ligne de changement de date…
De retour à bord, le navire lève l’ancre et les îles Diomède s’éloignent lentement, tandis que nous prenons la direction d’Anadyr. Une mer d’huile nous accompagne tout l’après-midi et il fait bon rester sur les ponts extérieurs pour profiter de ce temps exceptionnel : pas de vent, ciel bleu et thermomètre affichant 15°C. Difficile de croire que nous étions en mer de Béring aujourd’hui !
Ce matin, une légère houle nous pousse en faisant tanguer le bateau, tandis que nous entrons dans le vaste golfe d’Anadyr. Le temps est gris, mais clair et autour du bateau virevoltent fulmars, mouettes et goélands. La journée est consacrée aux dernières conférences et récapitulatifs de notre voyage et aux préparatifs au débarquement demain matin à Anadyr.
Demain, nous quitterons la Tchoukotka et ce « bout du monde », pour nous envoler à nouveau au-dessus de la Sibérie et rejoindre Moscou. Nous y passerons la nuit, avant de nous séparer pour prendre nos avions vers Paris, Genève ou Nice…