Frédéric Bouvet
Croisières Polaires au Spitzberg
17 juillet
19 juillet 2017
Croisière Tchoukotka, juillet 2017
Frédéric Bouvet
Croisières Polaires au Spitzberg
Toute la journée en mer hier, avec une progression lente dans la banquise, embrumée malheureusement, à partir de 14h.
Un ours blanc observé vers 16h mais il avait peur du bateau et a fui assez rapidement dans la brume.
En fin de journée nous ne sommes plus qu’à quelques miles nautiques de l’île Wrangel, mais la brume nous la cache encore et toujours. C’est calme, seuls les oiseaux animent les alentours du bateau : des Guillemots de Brünnich et à miroir, ainsi que des Mouettes tridactyles et quelques rares Labbes. Les Puffins à bec grêle, qui nichent en Tasmanie et viennent passer leur hiver dans notre été boréal et les Fulmars ne nous suivent plus depuis que nous sommes entrés dans la banquise.
Les moteurs ont été stoppés pendant la « nuit » et nous avons dérivé dans la glace avant de reprendre notre progression vers Wrangel que nous avons atteinte vers 7h15 avec, miracle, la brume qui se lève pour nous révéler la baie de Waring où se dresse un petit monument à la mémoire des naufragés du Karluk (encore un épisode épique de l’exploration polaire…). Nous y mouillons l’ancre.
Rodney, le chef d’expédition, part à la rencontre des 3 gardes de la réserve qui doivent embarquer avec nous, ils nous accompagneront pendant tout notre séjour sur l’île : une femme, une chercheuse qui travaille sur les Oies des neiges et 2 hommes, des gardes. Les 3 sont jeunes, sympathiques, parlent assez bien anglais et connaissent bien les lieux que nous allons visiter.
Nous embarquons sur les zodiacs à 9h30 pour voir le monument du Karluk et découvrir la toundra du haut arctique : quelle profusion de fleurs, petites certes, mais 2 d’entre elles sont endémiques, c’est-à-dire uniques à Wrangel, une potentille et un pavot. Il y a 24 plantes endémiques à Wrangel sur 420 espèces de plantes vasculaires : une diversité extraordinaire pour une latitude aussi élevée et qui s’explique par le fait que Wrangel n’était pas recouverte par une épaisse couche de glace durant le dernier âge glaciaire. C’est pour cette raison aussi que l’île est le dernier endroit sur terre où vivaient des Mammouths, il y a peut-être moins de 4000 ans.
Une croisière zodiac nous mène ensuite vers de très belles falaises déchiquetées par le gel qui accueillent 7 variétés d’oiseaux de mer pour y pondre leurs œufs et élever leurs poussins. Le soleil joue avec la brume pour ajouter une touche de féérie.
Après un déjeuner bienvenu à bord du bateau, nous repartons pour une longue randonnée dans la toundra. Malheureusement, la brume revenue nous cache les paysages et les animaux que nous espérions voir, mais leurs traces sont là… Y compris celles du loup, arrivé récemment sans intervention humaine en traversant sur la banquise en hiver, mais très rare avec seulement une vingtaine d’individus. Nous faisons une halte autour d’une grande cabane moderne qui sert aux gardes et aux scientifiques de passage. Nos accompagnateurs russes nous y préparent un thé et nous montrent une molaire de mammouth ! Dehors, nous nous asseyons sur une tête de fémur de mammouth, sic !
Quelle journée…
Au Cap Dezhnev les pentes sont raides. Il est 5h du matin, il y a un ancien village d’Upiks, des chasseurs de mammifères marins proches des Inuits (en Russie et en Alaska ils utilisent sans connotation péjorative le terme « Eskimo »), qui ont été déplacés (déportés ?) par les soviétiques en 1958, en pleine guerre froide. Nous sommes à moins de 83 km des États Unis d’Amérique, à l’extrême EST du point le plus à l’EST du continent eurasiatique. Il subsiste les pierres des murs semi-enterrés d’une cinquantaine de maisons rondes dont toutes ont perdu leur toit, et aussi quelques charpentes faites de petits troncs d’arbres, mais surtout de mandibules de baleines, matériau plus abondant en ces contrées froides de toundra, si proche du cercle polaire.
Un lieu symbolique fort mais absolument désert, gris et triste avec ce village abandonné. La brume est tombée peu de temps après notre débarquement rendant le lieu encore plus mélancolique.
Il y a aussi le monument à la mémoire de Simeyon Dezhnev, le cosaque qui le premier a navigué le Détroit de Béring en 1648, 80 ans avant Vitus Béring le danois. Ce monument était aussi un feu, un petit phare qui ne fonctionne plus. L’entretenir n’est plus nécessaire, ni économiquement réaliste en cette ère GPS. Il domine des installations qui abritaient un poste de gardes-frontière, également abandonnés et tombant en ruines, que l’érosion de la côte va faire basculer dans la mer un jour ou l’autre. Des déchets, déjà peut-être des reliques (?), éparpillés partout…
Difficile pour moi de trouver les mots pour décrire cet endroit qui doit paraître lugubre et pourtant, que de joie d’être là en ce lieu historique, si isolé mais si symbolique géographiquement et politiquement et que si peu de gens ont le privilège de visiter.