10 août
20 août 2018
À bord du Sea Endurance, août 2018
De Roissy à Longyearbyen
Le vol Air Charter nous conduit en 4 heures 30 de l’aéroport Charles de Gaule à celui de Longyearbyen sur l’île du Spitzberg, par 78° de latitude nord. Dès réception des bagages, nous partons en excursion à la découverte de la vallée de l’Advent jusqu’à la mine n°7 et aux antennes d’étude des aurores boréales qui resteront nimbées dans un nuage résolument opaque. En chemin, des troupeaux de Bernaches nonnettes nous coupent la route tandis qu’un rassemblement de pas moins de 10 Plongeons catmarins vient se poser sur le petit lac où niche un couple dont les deux jeunes ne sont pas encore emplumés. Arrêt à l’incontournable panneau routier de l’ours blanc indiquant que cette bête dangereuse hante la totalité de l’archipel, prêt à croquer d’imprudents visiteurs. Arrêt en ville à Taubalen, le centre d’aiguillage des wagonnets suspendus aux câbles, entre les différentes mines et le port charbonnier. Les annexes du superbe yacht de la reine de Norvège font les allers et retours avec le quai et leur chargement de têtes couronnées et de marins en uniforme impeccable.
Installation à l’hôtel Svalbard, bâtiment flambant neuf puis dîner au Kroa, le bar-restaurant des trappeurs et mineurs.
Longyearbyen, la ville de M. Longyear fondée en 1906
La matinée est occupée par la visite de la mine n°3 située au-dessus de l’aéroport. De 1971 à 1996, 3,7 millions de tonnes d’anthracite ont été extraites de la montagne. Après sa fermeture, la mine a été valorisée par le tourisme. Le groupe pris en charge par Wolgang et Camilla, les deux guides spécialisés employés par la compagnie minière, s’équipe des salopettes (lompen en norvégien), des casques et des lampes pour arpenter la galerie principale sur 250 mètres et voir le départ d’une galerie secondaire d’excavation des veines de charbon qui font ici entre 60 cm et 1 mètre d’épaisseur. La technique d’exploitation en trois étapes, entaille à la haveuse, tir de mine, déblaiement du charbon fracturé par la dynamite, effondrement du toit de la galerie sur 1 mètre de largeur par enlèvement manuel des étais. C’est le troisième poste (45 mineurs pour chacun des postes), celui chargé du retrait des étais destiné à l’effondrement en arrière du front de taille, qui était le plus dangereux dans toute la séquence d’extraction du charbon. Un chantier d’excavation reconstitué dans lequel le groupe est invité à ramper donne une idée des conditions de travail des plus pénibles pour les mineurs, recroquevillés pendant 8 heures d’affilée, dans ces veines de charbon de faible épaisseur. Le principal débouché de ce charbon était la sidérurgie allemande pour la fabrication des fameuses BMW et autres Mercédès. Sur la maquette du chantier d’extraction trône une énorme empreinte du mammifère qui rôdait dans les marécages où s’accumulaient les troncs des arbres de l’ère tertiaire qui ont, par transformation en absence d’oxygène, lentement évolué vers la formation de ces couches de houille constituée à plus de 90% de carbone.
Après un frugal snack dans l’immense salle de restaurant de l’hôtel Radisson, suivi de deux heures d’emplettes dans les innombrables magasins du centre bourg, au musée du Svalbard situé dans le bâtiment de l’université. Sous la houlette d’Alain et Philippe, des explications sont données sur les différentes maquettes illustrant l’époque du carnage des baleines au 17e siècle, les reconstitutions de huttes de trappeurs ou la section d’histoire naturelle avec les différentes espèces peuplant l’archipel dont un imposant ours blanc mâle, le seul que nous ne pourrons jamais approcher en toute sécurité à une distance inférieure au mètre !…
À 16 heures 30, nous embarquons sur le Sea Endurance qui nous attend sagement depuis la veille au soir sur le quai principal, tout près d’un autre bateau d’expédition, le Plancius. Après l’obligatoire exercice d’abandon, nous mettons le cap sur l’Ouest par l’Isford et l’étroit passage entre l’Avant Terre du Roi Charles et la côte ouest de la grande île Spitzberg. Quelques minutes après le souper, une gigantesque baleine bleue nous gratifie de ses souffles qui dessinent une colonne de vapeur sur une dizaine de mètres de hauteur.
Forlandsundet : le détroit de l’Avant Terre
Durant la nuit, le Sea Endurance s’est avancé dans le détroit séparant l’Avant Terre du Prince Charles de la côte ouest du Spitzberg. Nous partons avec les zodiacs explorer l’immense langue de sable qui s’avance en travers de ce détroit au lieu-dit Sarstangen. Un petit groupe de morses mâles se prélasse sur la plage sous un ciel couvert, mais néanmoins très lumineux. Nous contournons ce banc de galets par le Sud vers les bourguignons et petits icebergs qui s’échappent du front du glacier Aavastmarkbreen. Quelques minutes après le signal du retour au bateau lancé par Christophe, le zodiac d’Adrien nous informe d’une tache suspecte sur une glace au loin plus près du glacier. La masse sombre s’avère être un énorme ours blanc mâle en plein festin sur un gros phoque barbu tout fraîchement capturé. Les deux tiers avants de la bête sont dépecés, dépouillés de toute la graisse, objet de la convoitise ursine. Après une lente approche, nous pouvons admirer la puissance de l’animal entouré d’un ballet de goélands bourgmestres impatients d’avoir droit eux aussi à quelques miettes du festin. Au bout d’un moment, l’ours ayant décidé de se mettre à l’eau, nous l’abandonnons à sa digestion.
Après un court positionnement du bateau quelques encablures plus au Nord, nous repartons passer l’après-midi en zodiac pour explorer l’intérieur de la Lagune de Richard, Richardbukta, baptisée du nom de l’ancien directeur du musée océanographique de Monaco, compagnon du Prince Albert 1er dans ses quatre expéditions scientifiques au Spitzberg fin XIXe et tout début du XXe siècle. Quelques rennes pâturent au loin la toundra tandis qu’un petit groupe de phoques veau-marins profite des derniers instants avant la pleine marée haute pour se reposer au sommet du rivage. Un petit débarquement sur la plage au niveau du goulet repassé à marée descendante nous emmène à la découverte des innombrables laisses de mer échouées par les tempêtes : algues, occiput de grande baleine, pontes de buccins, balanes géantes, galets roulés.
Nous terminons l’après-midi par une reconnaissance, avec le Sea Endurance, de la côte du Spitzberg au niveau d’Engelsbukta, la baie des Anglais, connue également sous l’appellation de Comfortlessbukta, la baie sans confort, sans doute en référence à son ouverture sur les vents de l’Ouest qui doivent la rendre souvent impraticable. Un étonnant phoque barbu profite du grand soleil sur une pointe de sable, une observation encore jamais réalisée au cours des croisières expéditions de cette espèce systématiquement associée à la banquise et aux glaces des fronts glaciaires.
Avant le dîner, le pot du capitaine est l’occasion de présenter les officiers du bord, Aarson, Manuel le médecin, Valery le capitaine, Alexander, l’officier de navigation.
Le récapitulatif après le repas permet de revenir sur les phoques veaux-marins avec Alexis, la baleine bleue présentée par Alain, l’Avant Terre du Prince Charles par Adrien et la carte des vents, élément fondamental de la prise de décision du parcours des jours à venir pour Christophe.
Glacier de Smeerenburg et Alicehamna, Raudfjord
Dès après le petit déjeuner, nous embouquons la passe de Sorgatet qui donne accès, en venant du Sud à la baie dans laquelle se jette le glacier de Smeerenburg. Une croisière en zodiac, zigzaguant entre les blocs de glace, le brash et les innombrables bourguignons vêlés par ce glacier très actif, dont les craquements retentissent régulièrement dans cet amphithéâtre de glace. Les sternes se reposent sur ces sculptures éphémères et flottantes tandis qu’un jeune phoque barbu pointe le bout du museau, manifestement à la recherche d’un reposoir suffisamment stable à sa grassouillette corpulence. Un soleil resplendissant n’arrive pas à combattre l’effet refroidissant de la brise descendue du glacier.
Après le déjeuner, nous naviguons dans le dédale des îles et innombrables récifs à fleurs d’eau qui parsèment la pointe nord-ouest du Spitzberg. Le faible tirant d’eau du Sea Endurance permet d’effleurer les îlots où nichent sternes et eiders de Fugleholmgattet, la « passe du royaume des oiseaux ». Devant le glacier qui vient mourir au fond du Fuglefjord, une mère morse et son jeune de l’année se mettent lentement à l’eau.
En seconde moitié d’après-midi, nous arrivons dans le Raudfjord, sur le site d’Alicehamna pour un débarquement à terre. Une cabane de trappeur est installée au pied d’une petite colline gravie par la grande majorité du groupe pendant que les petits marcheurs, sous la houlette d’Alain, découvrent les merveilles des sols polygonaux, bois flottés, conglomérats de l’époque dévonienne, cet épisode fondamental de l’histoire de la vie sur terre, quand plantes et animaux se sont lancés à la conquête des terres émergées. Toute la partie centrale nord du Spitzberg est occupée par les dépôts laissés par l’érosion de la chaîne calédonienne formée il y a plus de 400 millions d’années, au début de l’ère primaire. La richesse en oxydes de fer de ces grès et conglomérats est à l’origine du nom du fjord et donne leur teinte pourpre aux versants de tous les reliefs de ce secteur.
De retour d’Alicehamna, le Sea Endurance nous achemine jusqu’à la baie d’Hamilton situé sur la côte ouest du Raudfjord. Pas moins de cinq langues de glace s’y jettent, une populeuse colonie de Mouettes tridactyles et de Guillemots de Brünnich occupe une falaise taillée dans les roches massives de type migmatites, vieilles de plus d’un milliard d’années.
Après le repas, au récapitulatif, Adrien nous compte les aventures de la Sterne arctique, un des plus grands migrateurs de la planète, patrouillant les eaux océanes qui la séparent de ses quartiers de reproduction arctiques de ses lieux de villégiature antarctiques. Philippe nous initie à la règle des tiers appliquée à l’art photographique, Christophe nous narre les aventures océanographiques du Prince Albert Ier de Monaco qui fit plusieurs expéditions au Spitzberg fin XIXe-début XXe.
Vers 23 heures, nous naviguons, en plein brouillard, sur une mer d’huile, en direction de l’île de Moffen qui restera nimbé d’un mystère impénétrable ce soir. Nous passons le mythique 80e degré de latitude nord situé juste au sud de cet anneau de sable et de graviers perdu au milieu des eaux tandis que des petits rorquals jaillissent des eaux, venus de nulle part, pour la plus grande joie des quelques piliers du bar attardés après une longue journée de croisière expédition.
Alkefjellet et Torellneset : Guillemots de Brünnich à foison et Morses à gogo…
Après une nuit de navigation dans le brouillard, nous sommes à 6h00 devant la falaise d’Alkefjellet qui restera toute la matinée nimbée dans une brume en parfaite harmonie avec ce décor de tours d’un château en ruines hantées par la nuée hurlante des mouettes et des guillemots. Deux renards patrouillent les pentes herbeuses et les éboulis de la partie nord en quête de cadavres et de jeunes guillemots tombés des vires où ils sont nés. L’un d’eux trouve une jeune mouette tridactyle encore vivante dont il fait immédiatement un festin tout chaud, à quelques mètres des zodiacs ballotés par le clapot du petit vent de nordet qui souffle sur le détroit d’Hinlopen ce matin. Des vols de guillemots arrivent du sud en escadrons serrés au ras de l’eau, chargés des poissons qu’ils sont allés pêcher dans les riches eaux du détroit. Au pied de la falaise, les jeunes guillemots qui ont réussi à rejoindre les flots pépient éperdument pour garder le contact avec leur père qui les accompagnera dans leur nage vers la mer de Barents au cours des prochaines semaines. Ceux qui ont eu moins de chance finissent tout ronds dans le gosier des Goélands bourgmestres pour qui c’est période de bombance. Les Grands Labbes au bec acéré ne sont pas en reste et profitent également de cette manne saisonnière.
Pendant le repas, le Sea Endurance traverse le détroit d’Hinlopen pour aller se positionner devant le site de Torellneset, un haut lieu de l’observation des morses qui, cette année, sont particulièrement nombreux ici. Un groupe d’environ 200 mâles, adultes, jeunes, immatures, se prélasse dans le petit vent frais qui continue à souffler imperturbablement. L’évanouissement de la brume dans cette zone nous permet un débarquement en toute sécurité par rapport à l’ours sur des plages surélevées qui s’étendent à l’infini sur la partie de côte déglacée de la Terre du Nord-Est, Nordauslandet. Un arrêt ostéologique nous permet d’admirer un crâne d’ours femelle accompagné de celui de son ourson de l’année dont les canines ne sont pas encore sorties des gencives.
De retour sur notre hôtel flottant chaud, sec et abondamment approvisionné en boissons et nourritures roboratives, nous écoutons le récapitulatif de la journée au salon panoramique, une bière norvégienne à la main : Alexis avec le renard polaire, Alain pour la dolérite et les morses, Philippe nous initie aux secrets de la composition photographique et enfin, Christophe nous dévoile la toute dernière carte des vents à l’occasion de la réception par satellite de ces fichiers de prévision précieux pour l’élaboration de l’itinéraire.
Une fois le dîner dégusté, nous commençons à longer l’interminable barrière de glace d’Austfonna, la calotte de glace qui couvre la partie orientale de la Terre du Nord-Est. La partie occidentale, constituée par des glaces parfaitement comprimées, présente sur son front, des cascades alimentées par les bédières creusées par les eaux de fonte. À cette époque de l’année, elles sont particulièrement fournies et débitent des mètres cubes à la seconde qui viennent s’écraser 20 mètres plus bas sur les eaux marines encombrées des icebergs vêlés par le front plus à l’Est où un phénomène de surge libère, depuis quelques années, des quantités astronomiques de glace. Un ciel pommelé voile le soleil, qui, en cette mi-août, commence à colorer les nuages de teintes orange, comme s’il commençait à penser vouloir passer sous l’horizon, même si sa trajectoire reste encore très élevée et nous gratifiera dans quelques heures d’un resplendissant soleil de minuit.
Dans le dédale des icebergs, une tache arrondie, jaune, attire l’attention des veilleurs de la passerelle. Non loin, les Goélands bourgmestres nettoient les restes d’une carcasse. La tache jaune s’avère être un gros ours mâle profondément endormi par la digestion du phoque qu’il a englouti dans les heures précédentes. Prêt désormais pour un autre festin, il se met à l’eau et part à la recherche d’une nouvelle proie. Nous le suivons pendant plus d’une heure à la recherche d’un bourguignon de type « plateau repas », celui agrémenté d’une « saucisse à ours », un phoque barbu. Malheureusement pour lui, aucun glaçon dans les parages ne présente cette particularité, il continue donc son errance sans fin dans un paysage laiteux parsemé de glaces aux formes sculptées par la fonte.
Vers Kvitoya – Kraemmerpynten
Nous nous réveillons dans le coton d’une mer d’huile nimbée de brume, à mi-chemin entre la Terre du Nord-Est et Kvitoya, « l’Ile Blanche » la bien nommée puisque qu’avec Storoya, ces deux îles les plus à l’Est de l’archipel sont presque entièrement couvertes d’une calotte de glace. Les glaces qui s’échappent en masse depuis quelques années de la côte sud d’Austfonna sont générées par un épisode de « surge » qui a ralenti notablement la progression du bateau pendant une bonne partie de la nuit.
Pendant que notre navire avance à bonne vitesse sur les flots, Alexis nous présente la biologie de l’ours blanc au cours d’une conférence en images.
À11h00, la brume se dissipe soudainement pour nous dévoiler le dôme immaculé de Storoya distante maintenant de quelques miles sous un soleil resplendissant, posée sur une mer d’huile imperturbable. Nous visons désormais le site de Kraemmerpynten où une croisière en zodiacs est programmée pour le début d’après-midi.
Kvitoya, qui culmine à 410 mètres d’altitude, ne laisse dépasser sur la marge de son dôme de glace que trois langues de terre : Andréeneset, Hornodden, Kraemmerpynten à l’extrême Est.
Aussitôt le déjeuner avalé, nous enfourchons nos zodiacs pour aller longer la côte englacée de Kvitoya de Hornodden à Kraemmerpynten. Pas moins de 7 ours ponctuent le parcours, qui rôdant au sommet de la falaise de glace, qui, dormant dans les cailloux ou broutant des algues au fond d’une anse. La grande quantité de brash qui s’étend assez loin au large permet aux femelles morse ainsi qu’à leurs jeunes de trouver des plateformes d’une taille suffisante pour s’y reposer quelques heures. La sortie commencée sous le soleil, ballotée par une grande houle résiduelle, se termine dans une brume épaisse, avec la sirène du Sea Endurance pour nous guider dans les dernières encablures.
Le récapitulatif du jour aborde la présentation générale du Spitzberg par Adrien et Alain, l’expédition d’Andrée par Christophe. En introduction à la journée de demain, Christophe présente la carte des glaces qui indique la position de la banquise à 82° au Nord de l’archipel vers laquelle nous avons commencé la longue route dès les zodiacs remontés à bord.
En soirée, projection du film de Luc Jacquet sur la vie et l’œuvre du glaciologue Claude Lorius, l’homme qui écoute chanter les bulles de glace de la calotte antarctique.
Banquise 82°30’ de latitude nord
Après toute une nuit de navigation plein Nord, nous arrivons vers 8h30 dans les parages de la banquise. Le temps de petit déjeuner et nous nous engageons dans une banquise couvrant à plus de 50% les eaux de l’Océan arctique. Une première carcasse parfaitement nettoyée, toute fraîche, constitue les seuls restes d’un phoque annelé ayant croisé la route du seigneur et maître des lieux… Assez rapidement, Adrien repère un ours nageant dans le dédale des chenaux. Il est manifestement sur une piste olfactive puissante puisqu’il n’arrête pas de dresser la tête et remonte au vent en tenant un cap plein Est. Ce secteur est manifestement riche : phoques du Groenland, Mouettes tridactyles, Mouettes ivoires, Fulmars, Mergules, Labbes pomarins et à longue queue, toute la faune arctique est réunie dans cette zone de banquise. Ayant longuement suivi l’ours qui continue sa nage très probablement à la recherche d’une proie, nous l’abandonnons à sa quête.
En tout début d’après-midi, nous mettons les zodiacs à l’eau pour un raid au milieu des floes de banquise annuelle en pleine fonte. Une plaque retient nos suffrages pour un débarquement à la découverte de cet univers immaculé où les seuls reliefs sont les hummocks dominant les piscines d’eau de fonte. Une fois le chocolat chaud servi par notre barman des glaces, Christophe, les photos individuelles et du groupe prises, Adrien, depuis le sommet de sa proue zodiacale repère un nouvel ours disparaissant derrière un hummock lointain. Le brouillard en profite pour refermer le décor sous une chape laiteuse qui ne nous facilite pas la tâche pour retrouver l’animal. Après quelques circonvolutions dans les chenaux d’eau libre, les hummocks finalement localisés, l’ours reste introuvable dans ce labyrinthe des plaques et de chenaux. Le message de remonter les zodiacs à bord est lancé par Christophe. Au moment où les premiers passagers s’apprêtent à rentrer au chaud, les deux derniers zodiacs, toujours en patrouille, localisent notre animal, à l’extrême limite de la visibilité que nous laisse la brume. Il s’agit d’une magnifique femelle au cou allongé et aux poils du pourtour de la queue particulièrement teintés… Après avoir décrit un grand tour pour prendre notre vent, elle s’avère assez indifférente à notre présence et nous gratifie d’un dressement sur ses pattes arrière qui révèle toute la puissance de la bête. L’ayant copieusement admirée depuis l’eau, nous remontons enfin à bord pour profiter du repas que l’équipe de cuisine nous a consciencieusement conservé au chaud jusqu’à 14h30.
L’ourse, restée à proximité continue à nous offrir le spectacle de son cheminement précautionneux de plaque en plaque, de hummock en hummock, enjambant les chenaux ou s’avançant prudemment sur les surfaces de glace grise. Nous décidons de l’abandonner à son errance sans fin pour faire cap de nouveau vers le Sud et les fjords de la côte nord du Spitzberg. Avant de quitter ces parages du bout du monde, une Mouette de Sabine immature vient servir un dernier dessert ornithologique aux naturalistes du bord.
Wijdefjord : le bien nommé Grand Fjord, un jour de grand calme
Nous petit-déjeunons sous un grand soleil, sur une mer à peine agitée par un léger clapot pour embouquer le Wijdefjord où une croisière d’exploration de la côte nord-est est programmée.
Le fjord s’est transformé en un véritable lac au moment où nous grutons les zodiacs à l’eau pour partir à la découverte de la côte où se trouve une hutte secondaire de trappeur parfois utilisée par des équipes scientifiques venues étudier la géologie très ancienne de cette partie du Spitzberg ou des cristaux de zircon ont été datés de 2,7 milliards d’années, faisant de cette région du monde, avec l’Australie ou le sud-ouest du Groenland des restes des continents des premiers âges de notre planète. Assez rapidement, Joël repère un ours qui s’avère être une femelle au cou particulièrement développé. Elle remonte vers le Nord par un trajet qui lui semble habituel. L’ayant suivi pendant plus d’une demi-heure, nous l’abandonnons à son interminable errance de caps en anses le long de cette côte découpée taillée dans des schistes datés de plus de 960 millions d’années. Nous arrêtons notre progression au nord d’une immense lagune fermée par un vaste cordon dunaire. Une cabane pomore encore intacte trône au sommet de la côte rocheuse. Un débarquement est organisé qui nous fait découvrir les restes du cadavre d’un Petit Rorqual. La présence d’ours dans les parages étant hautement probable, nous restons à proximité de ces restes avant de rembarquer pour rejoindre le Sea Endurance qui a sondé sa route à petite vitesse depuis l’entrée dans ce fjord recelant un certain nombre de hauts fonds dangereux et non cartographiés.
Après le déjeuner, nous repartons le long de cette même côte et passons devant trois glaciers descendus de la calotte qui recouvre la grande péninsule de Ny-Friesland nous séparant du détroit d’Hinlopen. Les glaciers sont enchâssés dans des vallées glaciaires aux pentes vertigineuses taillées dans les granits datés de plus de 1,6 milliard d’années. L’ensemble du relief de cette côte présente une forme arrondie, sculptée au cours de deux derniers millions d’années par les quatre grandes glaciations du Quaternaire. Sur la plage, installé au pied de la moraine du Nordbreen, un petit groupe de gros mâles morses se prélasse au soleil, la teinte rose-rougeâtre de leurs nageoires indique leur état de vasodilatation avancé. Un peu plus loin, les phoques barbus profitent également de cette météorologie d’anthologie pour dormir sur un gros bourguignon vêlé par les glaciers très actifs, Midtbreen et Sorbreen. Sur les pentes, des hardes de rennes sont assez farouches, très probablement en raison de la présence, quelques encablures plus au Sud, d’une cabane encore occupée par un trappeur.
Le récapitulatif du soir aborde trois sujets, le renne par Alexis, le phoque barbu avec Alain et les techniques de base de la correction des images au moyen d’un logiciel spécialisé, Lightroom, par Philippe.
À minuit, nous sommes au mouillage près du fond du Wijdefjord avec le soleil toujours aussi rayonnant, en plein nord et dans l’axe du fjord.
Wijdefjord : le grand fjord, un jour de coup de vent
En fin de nuit, le bateau, mouillé près des îles du fond du fjord doit se mettre en mouvement, le vent ayant fraîchi en fin de nuit, l’ancre s’étant mise à déraper, nous devons reprendre du mouvement. Nous nous dirigeons vers l’extrémité sud du fjord où deux immenses glaciers convergent, le Stubendorffbreen et le Mittag-Lefflerbreen zébrés de multiples moraines dorsales issues de la confluence de diverses langues glaciaires descendues des reliefs très escarpés et les plus hauts du Spitzberg avec les monts Perrier et Newton, respectivement, 1713 et 1717 mètres. Arrivés à quelques encablures du Mittag-Lefflerbreen, nous virons de bord pour revenir sur nos pas par une mer assez grosse levée par des vents de Nord établis à 40 nœuds avec des pointes à 50…
Aucune sortie en zodiac n’étant décemment possible, Christophe nous narre les exploits de Nansen à la conquête du Pôle Nord à bord de son navire, le Fram. Adrien enchaîne avec la pollution chimique de l’Arctique à partir des recherches qu’il a effectuées sur le Goéland bourgmestre, espèce très étudiée au Spitzberg dans ce domaine depuis les années 70, études qui ont abouti sur la Convention de Stockholm pour la limitation de l’usage des produits chimiques.
À l’extérieur, le vent ne faiblit guère, établi entre 30 et 40 nœuds, il lève une profonde houle que le Sea Endurance affronte de face, à faible allure, rendant notre avance la plus confortable possible par cette mer agitée. Arrivés à hauteur du Vestfjorden, nous obliquons plein Ouest pour embouquer ce petit diverticule fermé par le promontoire de Krosspynten qui nous permet de rester à l’abri du coup de vent qui règne sur le Wijdefjord. Nous sommes dominés par les dépôts pourpres des grès du Dévonien, cette époque où les poissons ont eu la bonne idée de partir à la conquête des continents émergés, belle occasion d’avoir aujourd’hui une pensée reconnaissante à leur encontre au pied de ces dépôts accumulés sur près de 8 kilomètres d’épaisseur au Spitzberg. L’après-midi est occupé par un atelier sur le maniement des appareils photo par Philippe, suivi d’une vente de livres et parkas puis d’une visite des machines qui rencontre un vif succès auprès de nos passagers heureux de découvrir les secrets des entrailles de notre bâtiment propulsé par un gigantesque moteur de 1500 chevaux.
En fin d’après-midi, le vent est presque totalement tombé et nous pouvons reprendre confortablement la remontée du Wijdejord pour contourner la Terre d’Andrée qui nous sépare des Woodfjord et Liefdefjord.
Bockfjord, Jotunkjeldene, « les Sources géantes » et Sverrefjellet, le volcan
Après une navigation sur une mer complètement assagie, nous mouillons matutinalement l’ancre dans le Bockfjord, une branche secondaire du Woodfjord. Les gigantesques dépôts mauves du Dévonien dominent la côte est du Woodfjord et dessinent l’arrière-plan du site que nous gravissons, situé à une centaine de mètres d’altitude, deux sources hydrothermales dont l’une encore en activité laisse monter des tréfonds de l’écorce terrestre, des eaux chaudes qui arrivent à une vingtaine de degrés à la surface du sol, libérant les quantités de minéraux dont elles sont surchargées. Elles accumulent ainsi d’innombrables couches qui forment sur la pente un bourrelet bombé de tuf. Tout autour, la végétation de toundra colonise les moraines laissées par les glaciers du Quaternaire, moraines dominées par le cône du volcan qui fut construit il y a un million d’années. Le groupe des grands marcheurs partis à la conquête de la ligne de crête fait la rencontre inattendue de 5 lagopèdes, une espèce sédentaire de l’archipel, très rarement observée au cours des excursions.
Nous nous dirigeons pendant le repas de midi vers le Liefdefjord, le site de Texas Bar et du glacier d’Erik où les conditions météorologiques se sont dégradées et nous interdisent un débarquement dans de bonnes conditions de visibilité et donc de sécurité par rapport aux ours. Par ailleurs, la pluie s’installe et ne nous quittera plus de tout l’après-midi sans néanmoins obstruer la visibilité. Nous partons donc jusqu’au glacier de Monaco que nous longeons à quelques encablures dans un brash très dense. La vue depuis les ponts du Sea Endurance permet d’apprécier les différentes teintes des glaces et des cieux changeants devant le front très actif de ce glacier mythique des côtes du Spitzberg.
En fin d’après-midi, le récapitulatif du jour aborde le volcanisme au Spitzberg ainsi que la biologie du Lagopède alpin, cette « perdrix des neiges » aux « pattes de lièvre » qui hante les toundras hyperboréales que nous avons foulées ce matin.
Le repas du soir est le barbecue polaire qui, exceptionnellement, ne se déroulera pas sur les ponts extérieurs dégoulinants de pluie, mais bien au chaud et au sec dans la très agréable salle du restaurant.
Liliehookbreen et Glacier du 14 juillet, baie de la Croix
Après une nuit quelque peu ballotée par une mer de travers qu’il nous a fallu affronter pour rejoindre la côte ouest du Spitzberg, nous embouquons le Krossfjord, la baie de la Croix où le vent est maintenant complètement tombé. Le glacier de Liliehook, du nom d’un scientifique suédois ayant participé aux expéditions géologiques de Torell s’offre à notre regard sur près de 180 degrés. Le temps est couvert, le brash généreux, le spectaculaire vêlage d’un énorme pilier de glace haut d’une quarantaine de mètres participe à cet encombrement de l’eau. Un gros iceberg montre le pied du glacier avec sa semelle d’eau de refonte dans laquelle sont enchâssés moraine et blocs erratiques.
Le temps de rejoindre les petites îles aux sternes situées sur la partie ouest du front, la totalité du cirque glaciaire s’illumine d’un resplendissant soleil qui nous fait apparaître, en quelques minutes, le Spitzberg sous un jour beaucoup plus aguicheur.
Pendant le déjeuner, nous virons de bord pour faire route vers le Sud en direction de l’entrée du fjord dans lequel s’écoule le glacier du 14 juillet. Le temps est totalement resplendissant, les glaces brillent de tous leurs feux sur une mer d’un bleu digne des mers du Sud. Nous approchons des falaises où les tout derniers macareux se cachent dans les anfractuosités des marbres vieux de près d’un milliard d’années. Sur l’eau, une nichée de Goélands bourgmestre expérimente ses premiers vols tandis qu’à terre, renards polaires et rennes vaquent dans la toundra, qui à la recherche des cadavres de mouettes tridactyles qui nichent en colonie populeuse au sommet de la montagne, qui broutant frénétiquement la végétation pour faire croître leurs bois et accumuler la quantité de graisse nécessaire pour survivre au long et rigoureux hiver qui les attend.
De retour au bateau, le pot du capitaine et les présentations en images de Philippe et Alain concluent ce périple riche en paysages, animaux et rencontres humaines…
De la part de toute l’équipe Grands Espaces, nous vous souhaitons bon retour dans vos foyers et selon les paroles de notre capitaine Valery, sur un bateau, on ne se dit pas « au revoir », mais « À bientôt » !
Suivez nos voyages en cours, grâce aux carnets de voyages rédigés par nos guides.
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