Marianne Duruel
Coordination et Photographie
4 septembre
16 septembre 2018
À bord de l'Amazon Dream, septembre 2018
Marianne Duruel
Coordination et Photographie
C’est à Belém que notre petit groupe est entièrement constitué. Tandis que certains sont partis directement de France ou de Suisse, d’autres ont déjà profité d’un séjour à Lisbonne, d’une première immersion à Belém ou d’une exploration du Pantanal. Pour l’heure, nous sommes à 2° au sud de l’Équateur dans la région nord du Brésil, plus exactement dans l’État du Para. Sa capitale est la ville de Belém, 2 millions d’habitants. Notre hébergement est la Quinta de Pedras, dans la vieille ville , non loin de la cathédrale.
L’ancien couvent aménagé en hôtel est plein de charme. Un souper léger nous attend dans le patio joliment éclairé. Bienvenue à Belém !
Premier contact avec le monde amazonien, nous nous baladons dans le parc Mangal das Garças, littéralement « la mangrove des aigrettes ». Les étranges fleurs et gros fruits de « l’abricot de Macaco », littéralement « abricot des singes » ou « noix de singes » ou arbre à boulets de canon » est un premier exemple de cauliflorie. C’est-à-dire un arbre dont les fleurs et les fruits poussent directement sur le tronc. C’est une des caractéristiques des forêts tropicales humides. Les fleurs solides et au coeur blanc sont pollinisées par les chauves-souris. La faune aviaire est bien représentée dans le parc. Les animaux que nous trouvons ici ont été confisqués, car issus du commerce illégal de faune sauvage. C’est un vrai fléau ici qui vient s’ajouter à la déforestation… Les grandes aigrettes sont nombreuses, mais, là, il doit y avoir quelques « invités » supplémentaires pour profiter de la distribution de poissons, car tout ce petit monde est libre. Des iguanes broutent dans l’herbe ou profitent des plateaux de fruits et du soleil matinal. Nous montons au sommet du phare pour avoir une perspective sur la ville, son port baigné d’un côté par le Rio Guama et de l’autre par la baie de Guajara.
Autour et sur les plans d’eau, on se presse : canards amazonette, dendrocygnes veufs ou à ventre noir, flamants roses, ibis rouges. Dans la grande volière aux papillons, c’est l’heure du lâcher des jeunes papillons avec présentation des chenilles et cocons : papillons oeil de chouette, Julia aux ailes oranges… Dans des bassins, une raie du Xingu (noire à taches jaunes) et des piranhas noirs nagent tranquillement. Deux couples de caurale soleil nichent dans les arbres. Nous croisons un grand jabiru et un héron cocoi en plus des grandes aigrettes, avant de rejoindre une autre volière. Les occupants en sont variés : spatules rose, ibis rouges, pénélope marail au doux cri plaintif, hocco alector… Une dernière perspective sur la baie de Guajara vue d’un charmant petit kiosque entouré de aningas, ces grandes plantes aux fleurs blanches.
Leurs fruits sont utilisés comme appâts par les pêcheurs locaux. Après un repas pris dans un restaurant au buffet bien garni, nous profitons d’un petit moment de détente, sieste ou piscine, avant de rejoindre l’aéroport. Après 1h15 de vol, nous atterrissons à Santarem où Karim nous attend. Un quart d’heure de route et nous rejoignons l’Amazon Dream. Bienvenue à bord ! Notre premier dîner est l’occasion de débuter notre découverte des poissons locaux avec un excellent filet de pescado.
Cette nuit s’est terminée par un orage, mais il s’éloigne juste quand il faut. Les dernières gouttes sont pour notre lieu d’amarrage et l’Amazon Dream navigue tranquillement devant Santarem sans plus de soucis. Nous passons la rencontre des eaux de l’Amazone et du fleuve Tapajos puis le bateau ralentit et nous montons dans les annexes pour pénétrer dans les vastes marécages du lac Maica. C’est l’occasion de faire connaissance avec la forêt de varzea, celle qui passe une partie de l’année, pendant la période de hautes eaux, les pieds dans l’eau puis reste au sec. Les palmiers y sont nombreux et, en Amazonie, il y en a 600 espèces différentes… Mais l’arbre emblématique en est le cécropia ou imbauba du Brésil. C’est un arbre très apprécié des paresseux et cette première matinée nous permet de faire connaissance avec eux. Pour les amateurs d’ornithologie, c’est un régal. Dès l’entrée dans le canal d’accès, le spectacle commence. D’abord les maisons sur pilotis des Cabocles, ces descendants du métissage des Portugais et d’Indiens, révèlent leur structure tout en bois. Tous les objets évoquent leur mode de vie : la pirogue et les filets qui sèchent. Le petit jardinet est planté sur pilotis. Quelques vaches pataugent dans l’eau ou broutent l’herbe tendre qui repousse rapidement sur le riche limon laissé par la décrue. Cette dernière est récente et les troupeaux sont encore souvent très maigres. La majorité des propriétaires ont, ici, une vie qui se déroule en deux temps. Pendant la crue, ils vivent sur les hauteurs, la région de terre ferme. Et, dès que la décrue est suffisante, on transporte tout par bateau dans la région basse et riche : toutes les affaires, la cuisine, les chiens, les poules, les pots de fleurs, l’équipement de pêche, le plus souvent sur le bateau familial qui tire la petite pirogue de pêche. Le bétail est amené sur des barges spéciales. Nous glissons doucement sur les eaux limoneuses. Sur les kapokiers des quantités de petits perroquets se rassemblent : touis été, touis à ailes variées. Des hirondelles à gorge rousse font leur toilette. Les canaris locaux, sicales à béret, volètent sur la berge. Soudain, une petite femelle sort d’un trou, son nid, et rejoint le petit mâle. Le couple se bécote longuement. C’est la période de préparation des nids et des amours… Quand la forêt de varzea arrive directement sur les rives, les martins-pêcheurs à ventre roux, les plus gros de la région, sont fréquents. Les hérons striés et les grandes aigrettes sont nombreux sur les rives. Dans les arbres sont perchés sur les hautes branches urubus à tête noire (les vautours locaux), buses à tête blanche, milan des marais au bec bien crochu pour se nourrir d’escargots d’eau douce… Les essences d’arbres sont très variées. Certains sont en fleurs comme le mamurana ou cupurana aux belles fleurs complexes ou l’arbre tashi, du même nom que des petites fourmis brunes à cause de ses grappes de petites fleurs blanches puis brunes. Le bacuri porte des petits fruits jaunes dont on fait des sorbets. Devant une maison sur pilotis, un crâne de buffle est accroché sur un poteau. C’est pour éloigner le malheur de la maison. Une autre pratique locale consiste à brûler de la corne pour éloigner les mauvais esprits. Nous continuons sur le canal dont la profondeur actuelle est d’environ 5 m pour 7 m en période de hautes eaux. Pour l’heure, la région du lac Maica que nous traversons s’ouvre encore sur de vastes surfaces inondées. Nous croisons régulièrement des pêcheurs. Certains pêchent à la ligne, certains posent des filets ou des casiers au fin maillage vert pour capturer des crevettes. Mais le plus spectaculaire est sans conteste la pêche à l’épervier. Nous suivons attentivement le travail très précis d’un jeune pêcheur. Les photographes ont droit à plusieurs lancers… Le premier lancer rapporte un beau tucunaré. Les suivants de plus petits poissons : des aracus. Nous voyons avec plaisir qu’il relâche les trop petites prises. Il gère intelligemment son milieu. Cette pêche se pratique au ras de la rive, là où les poissons prédateurs guettent leurs plus petites proies installées dans les racines des plantes de berges. Dans les buissons, les anis à bec lisse sont nombreux. Régulièrement, nous apercevons un iguane qui se chauffe au soleil matinal. Des kamichis cornus font retentir leurs cris, entre l’otarie et l’âne qui brait… En approchant du canal d’Ituqui, nous croisons de grands troupeaux. Puis, nous sortons du labyrinthe pour rejoindre l’Amazon Dream. Bon appétit ! Après le déjeuner, farniente, puis nous parlons Brésil, Amazone et toutes les espèces d’oiseaux rencontrées le matin.
Une agréable balade en annexe au coucher du soleil clôt cette belle journée.
Après une nuit passée près du village de Pacoval, nous commençons par explorer la petite falaise qui précède l’arrivée au village. Mais le site est bien calme ce matin.
Puis nous nous enfonçons dans un vaste secteur de marécage. Là, il y a du monde… Sur les radeaux de jacinthes d’eau, de jolis petits jacanas arpentent la végétation à la recherche d’insectes. Les timides hérons striés font régulièrement des décollages express pour se reposer un peu plus loin. Dans un grand buisson, toute une famille de hoazins papote… Mais ceux-là resteront bien cachés. Une belle superficie couverte de nénuphars géants nous permet d’en voir tous les stades. Les feuilles du « vitoria regia » ou « victoria regia » (en l’honneur de la reine d’Angleterre) naissent d’une sorte de bouton qui se déploie d’abord en forme de coeur puis s’arrondit pour devenir la gigantesque feuille. La fleur s’ouvre d’un blanc immaculé puis un insecte la pollinise et elle devient violette… Sur un îlot, ce sont 2 kamichis cornus qui sont installés.
Ils n’apprécient pas les intrus et décollent. Presque de la taille d’une dinde, ils donnent plutôt dans le décollage version 747… Sur une branche, un balbuzard pêcheur est à la recherche de son petit-déjeuner. De temps à autre, un « éclair » jaune est synonyme d’oriole des champs et rouge, c’est la sturnelle militaire. L’une d’elles se laisse parfaitement photographier, poitrail rouge au premier plan. Tandis que les grands urubus à tête rouge vont et viennent au-dessus des arbres, nous cherchons les hoazins dans la forêt d’aningas qui borde souvent le marais. Ils en sont très friands. Succès de l’opération : un hoazin, après échauffement de ses grandes ailes fauve, décolle vers une branche. Du coup, nous repérons toute la famille. Ces oiseaux archaïques, les plus proches du célèbre archéoptéryx, ont une très belle prestance : huppe conséquente, yeux rouges sur fond turquoise, plumage en dégradé fauve… Leur bavardage est très particulier… façon grand fumeur un peu asthmatique… Nous retrouvons nos kamichis cornus au haut d’un grand arbre. Un milan des marais est en train d’utiliser avec adresse son bec crochu et affûté de consommateur d’escargots d’eau douce pour son repas.
Nous nous dirigeons maintenant vers le village de Pacoval pour remonter le Rio Curua Una. Nous croisons tous les buffles de la petite ferme auprès de laquelle nous avons dormi. Tranquillement, ils longent la petite falaise, tout seuls, en profitent pour se baigner un peu en « grignotant » nonchalamment quelques plantes aquatiques puis continuent le petit chemin qui les emmène au sommet de la hauteur pour s’alimenter dans les pâtures. Le soir, toujours tout seuls, ils font la manoeuvre inverse… Quelques pique-boeufs les accompagnent à pied ou sur les dos. Nous longeons le village et ses bateaux de toutes tailles. Un grand bac manoeuvre pour porter son stock de voitures sur l’autre rive, un peu plus loin. Nous croisons d’autres buffles avec passagers. Finalement, nous pénétrons dans les méandres de la rivière Curua Una. Les berges en sont généreusement boisées. Les chants d’oiseaux qui en sortent sont multiples et variés, mais les chanteurs bien cachés… Nous scrutons, nous scrutons et sommes récompensés par la découverte d’un beau singe hurleur. Il est en plein repas et ne se préoccupe pas le moins du monde de notre présence. Il mange parfois de manière quelque peu acrobatique. Pendu par la queue, tête en bas, il attrape fleurs et feuilles tendres à pleines mains et les enfourne consciencieusement dans sa bouche… La température monte et il disparait dans l’ombre. Tandis que les amateurs de pêche vont taquiner, avec succès, le piranha, le reste du groupe continue son exploration du secteur. Un superbe onoré rayé est immortalisé.
Les petits perroquets, touis été et touis à ailes variées passent d’un kapokier à un autre. Sur les rives, hérons striés, aigrettes et martins-pêcheurs s’affairent. Puis, nous voguons vers Pacoval pour un petit tour à pied. En arrivant sur la plage, une pirogue est vite très entourée : le pêcheur a attrapé un beau pirarucu ou arapaima. Le grand poisson aux écailles en partie rouge est impressionnant.
Nous reprenons notre navigation sur la Curua Una, le fleuve Amazone et nous amarrons dans un petit chenal proche de la région de Tapara. C’est le moment de la détente puis de parler géologie, ornithologie, Amazonie… La mer Pebas nous permet d’évoquer la grande aventure de cet immense bassin à l’écosystème si diversifié. La vie privée de l’étrange hoazin n’a bientôt plus de secret pour nous. Enfin, l’état du Para et la vaste Amazonie nous entrainent sur les pas des premiers explorateurs, des Cabocles et des ethnies amérindiennes dont on découvre de plus en plus l’histoire complexe. Les travaux d’Anna Roosevelt avaient permis de dater des peintures rupestres de 8000 à 14 000 ans.
Puis la découverte d’objets lithiques : poteries et outils dans la terre noire dont l’épaisseur d’humus par couches de nature différente atteint 15 m d’épaisseur par endroits laisse supposer l’existence d’une civilisation d’agriculteurs. Cette terre noire aurait pu nourrir 1,5 million d’habitants rien que dans la région de Santarem. Cette civilisation aurait été remplacée par une civilisation guerrière plus nombreuse et plus primitive, celle rencontrée par les conquistadors. L’immense Amazonie reste une terre de découvertes… Les dauphins font le show autour du bateau. Nous partons à la découverte… Dauphins et épicerie-bar sur pilotis…
Départ très matinal ce matin, nous partons explorer la région de Tapara. En sortant du bateau, pas un souffle d’air, seul celui des dauphins vient rider la surface de l’eau du chenal. Après avoir encore une fois profité des dauphins : les petits gris à la nageoire triangulaire ou tucuxis ou sotalies et les grands dauphins roses ou botos. Nous quittons le secteur de Piapo pour nous engager sur l’Amazon puis pénétrer dans un autre chenal. Sur la grève, un couple de caracaras huppés se partage un poisson. À peine rentrés dans le chenal, nous rencontrons une pirogue de pêcheur bien chargée : une grosse raie et un poisson-chat d’une vingtaine de kilos remplissent sa minuscule petite pirogue. Décidément, la région est riche. Sur les berges sont plantés bananiers, papayers, pieds de manioc… On voit régulièrement du bétail. Nous passons de maisons sur pilotis à des barrières qui aménagent des enclos d’embarquement et débarquement des animaux. Des cécropias occupent régulièrement les bords. Ils sont souvent occupés par des iguanes qui se chauffent au soleil matinal après une nuit plus fraîche. Nous retrouvons les urubus à tête noire, les tyrans quiquivis ou mélancoliques, les hérons striés et aigrettes variées, les anis à bec lisse… Nous assistons à un pugilat au sujet d’un nid potentiel. En effet, de très jolis petits couples de sicales à béret sont à cette période de recherche et aménagement de nid. Tout était calme, quand soudain, un couple d’hirondelles a fait un rase-motte du petit tunnel creusé dans la berge limoneuse.
Les deux futurs habitants, tous deux tranquillement à l’entrée à regarder dehors ont battu en retraite à tire d’aile… Le couple d’hirondelles à gorge rousse semble bien déterminé à s’installer là et… elles sont plus grandes… Nous les laissons à leur conflit d’intérêt… Juste avant de traverser l’extrémité du lac de Monte Alegre, nous tombons sur un beau rassemblement de becs en ciseau à dos noir. Finalement la traversée, la plupart du temps plus qu’humide, se passe cette fois sans le moindre embrun… Les ponchos ne seront que décoratifs… Le niveau de l’eau a beaucoup baissé et nous naviguons doucement en suivant un petit canal sous-marin. Sur une rive proche de la « bouche de Tapara », une petite ferme est installée. À proximité, nous trouvons tout un groupe d’ibis mandore en plein repas sur une pâture. Ils sont accompagnés par quelques échassiers : pluviers semi-palmés et pluviers bronzés. Sur un arbre proche, une sturnelle militaire présente son beau poitrail rouge. Un arbre porte des calebasses, des petits cochons courent sur la pâture dès que le propriétaire des lieux donne à manger. Nous cédons des hameçons au fermier, aussi pêcheur et en manque de matériel…
Puis, les deux annexes suivent le cours d’un flux d’eau qui coule vers le lac. De part et d’autre, les arbres de la forêt de varzea, toute une végétation de marais et des souches de place en place. L’ambiance y est très particulière. Une douce lumière verte filtre et se reflète dans l’eau. Les échassiers sont nombreux, mais, le plus souvent, timides. Dans le sous-bois sombre, des envolées rapides d’échassiers font des éclairs blancs, beiges, gris-brun… selon les propriétaires. Nous les retrouvons un peu plus loin et silencieux, le bateau glissant doucement sur l’eau, nous parvenons à les approcher, faire des photos et filmer. Ainsi en est-il des bihoreaux gris adultes et juvéniles (plumage brun piqueté de taches chamois), aigrettes variées, hérons coiffés, hérons agami adulte et juvénile, un très beau héron tigré juvénile… Les rapaces sont aussi au rendez-vous : milans des marais, buses à gros bec (plumage gris, fort bec jaune et noir, pattes jaunes), épervier nain. Nous assistons à un début de parade nuptiale chez les aigrettes garzettes ou neigeuses, huppes ébouriffées et pieds jaunes bien écartés. Nous croisons aussi le chemin de charmants petits saïmiris ou singes-écureuils.
Ils passent d’un arbre à l’autre avec une incroyable aisance. Dernières surprises : quelques iguanes de belle taille et de minuscules petites chauves-souris. Après ce « show » animalier, nous rejoignons de plus grands chenaux très fréquentés par les Cabocles du coin. On pêche, on discute, on transporte des marchandises. En parlant de marchandises, nous nous arrêtons à l’épicerie-quincaillerie-bar locale où nous sommes, comme d’habitude les bienvenues. Après un passage devant l’école proche et le bateau de ramassage scolaire, nous regagnons le bord pour le déjeuner. Nous faisons une courte escale à Santarem et naviguons vers le canal de Jari. Nous y faisons une première exploration en passant près du grand ficus de l’entrée. Ses racines et contreforts sont incroyables. Nous rencontrons des petits saïmiris, des hoazins et des quantités d’oiseaux qui convergent vers leurs dortoirs respectifs. Sur une langue de terre fraichement sortie de l’eau, chevaliers, échasses blanches, pluviers bronzés sont en plein repas. Des becs en ciseau « écrèment » l’eau près de nous tandis qu’un peu plus loin des botos pêchent. Dernière sortie pour voir les caïmans, seuls des bébés sont présents… Mais les lucioles nous font un festival !
Aujourd’hui, exploration du canal de Jari, nous naviguons sur les eaux calmes du petit matin. Toute l’avifaune se réveille en fanfare. Partout, on chante. Sur les bancs de limon récemment sortis de l’eau, les visiteurs ont changé. Des petites sternes d’Amazonie font leur toilette en compagnie d’orioles des champs. La température est très agréable. Toute la faune en profite. Les troupeaux aux silhouettes souvent faméliques, après la longue attente de la décrue, s’en donnent à coeur joie. Partout, les vaches, baignant avec délice dans l’eau, mâchent consciencieusement la riche végétation des berges. Elles sont accompagnées par toute une délégation de hérons pique-boeufs qui profitent du perchoir et des insectes qui sortent en catastrophe des succulentes touffes. Autour des maisons sur pilotis on s’affaire, certains réparent des barrières, on débarque des bovins, on pêche du petit ponton de la maison. Tout autour des maisons on trouve, des poules, des canards, les derniers nés du troupeau, un ou deux chevaux.
Ici, il y a même, étonnamment, un troupeau de chèvres et un troupeau de moutons. Un très bel onoré rayé se laisse très bien photographier. Toute une petite famille de saïmiris est en plein petit-déjeuner. Ils sont tellement bien occupés qu’ils en oublient toute prudence et nous regardent en mangeant. Il faut dire qu’ils sont très proches d’un lieu protégé.
En effet, nous débarquons pour rendre visite à Rosa-Angela. Elle nous fait goûter, comme à son habitude, des noix de sapucaia ou sapucai fraîches. Finalement, nous partons silencieusement découvrir les trésors de sa petite réserve de faune sauvage privée. C’est la formule qui, de plus en plus, permet de préserver réellement efficacement le milieu naturel et ses habitants. Nous passons sous le gigantesque noyer de sapucai et, déjà, elle a repéré quelque chose. Il s’agit d’un grand ibijau, comme celui rencontré hier au sommet d’un arbre mort. L’étrange oiseau de nuit, cousin des engoulevents est comme statufié. Il se confond parfaitement avec la couleur de la branche sur laquelle il dort profondément. Nous cheminons silencieusement et découvrons un premier paresseux en boule, profondément endormi. Un peu plus loin, c’est génial, une femelle et son petit qu’elle serre sur son ventre ! Au début, le petit est endormi et peu visible. Finalement, la mère nous observe, s’agite un peu et du coup, le petit lève la tête et nous regarde avec curiosité. La grande femelle évalue la situation. Cela nous permet de bien voir la manière dont elle peut tourner la tête, à 270°… Elle juge plus prudent de monter un peu plus haut dans l’arbre. Tranquillement, c’est un paresseux quand même… Elle passe de sa branche au tronc sur lequel elle se hisse, ses deux longs bras enserrant l’arbre et ses pieds à 3 doigts équipés de longues griffes crochetés dans l’écorce. Le petit nous regarde avec curiosité. Ils sont bien à l’abri, là, s’ils restent chez Rosa. De temps à autre, un oiseau s’envole pour se reposer un peu plus loin. C’est le cas, d’un barbacou unicolore au plumage noir et bec rouge, d’un grimpar, d’un jacamar au plumage éclatant. Des petits saïmiris sont aussi au rendez-vous. En revenant à la maison, d’autres vedettes : des tout petits cochons viennent d’être lâchés pour la journée dehors… Ils gambadent avec insouciance… Chanceux ! Loin du calvaire des malheureux cochons de nos ignobles élevages industriels… Pour le cheval de la maison, c’est aussi l’heure du repas. On lui fait traverser le canal, car il y a plus d’herbe de l’autre côté. Il rentre tranquillement dans l’eau et suit docilement le bateau à la longe, sans aucune tension. Nous continuons notre périple, en bateau. Un peu plus loin, c’est la fête. Nous sommes dimanche et depuis hier soir on fête la Sainte Patronne du Brésil : Notre Dame de Aparecida. Hier soir, on dansait. Ce matin, il y a eu messe et procession, maintenant on danse. Après, il y aura bingo, danse et une dernière messe. Nous pénétrons dans un tout petit chenal. Les scènes bucoliques se poursuivent : les troupeaux dans l’eau, les allées et venues vers la fête, les envols de dendrocygnes à ventre noir… De temps en temps, c’est une espèce plus rare : un onoré rayé juvénile, un courlan brun à la grande silhouette d’échassier, le reflet vert tendre du passage de petits perroquets… Quelle belle matinée !
L’Amazon Dream reprend sa navigation sur ce qui ressemble furieusement à une mer : la jonction entre le canal de Jari, le fleuve Tapajos et le fleuve Arapuins. C’est sur ce dernier que nous passons la nuit dans une anse de rêve… Nous aurons auparavant largement profité de la plage…
Décidément, les changements climatiques sont sensibles dans le monde entier, ici, en pleine saison sèche, nous jouons à cache-cache avec la pluie. Jusqu’à présent, la partie était en notre faveur, mais ce matin, malgré la pluie abondante tombée cette nuit, il pleut encore. Nous attendons un peu avant de partir explorer la forêt vers le petit village de Urucurea. Quelques minutes plus tard, nous démarrons notre balade dans la forêt. La pluie a totalement cessé, mais la forêt bruisse doucement de l’eau qui goutte. C’est notre premier contact avec la forêt de terre ferme. Les troncs droits des grands arbres se dressent hors du méli-mélo des jeunes arbres, des essences de sous-bois, des lianes… Nous tentons de nous organiser entre regarder où l’on met les pieds pour éviter les racines… et avoir le nez en l’air à la recherche des habitants. Cette forêt est un milieu propice pour les voir. Effectivement, rapidement nous tombons sur une petite famille de saïmiris, tout mouillés… en compagnie d’un singe hurleur… Tout près de là, des capucins… C’est étonnant, la pluie semble avoir favorisé le regroupement des espèces, sûrement dans les arbres les plus à même de leur fournir un bon abri… Tandis que nous cheminons, des morphos lancent leurs éclairs bleu métallique dans la pénombre du sous-bois. Les grands papillons ont le dessus des ailes iridescent et le dessous en parfait mimétisme avec le milieu sombre du sous-bois. Le festival des singes continue avec un autre groupe de saïmiris. Nous avons l’occasion de croiser le chemin… arboricole… d’une sous-espèce endémique de singes capucins connus ici sous le nom de zog-zogs. Ils ont un cri très particulier, puissant qui s’apparente à celui de certains lémuriens. Ils sont très craintifs et réussir à les photographier est un exploit… Ils vivent dans la canopée donc il faut réussir à faire la mise au point entre branches, branchettes et feuilles. Une fois la mise au point faite, hop, il a filé sans laisser le temps d’appuyer sur le déclencheur.
Ou, on a une superbe photo de queue, de pattes ou de feuillage… Et, entre temps, ils sont 3 arbres plus loin, mais, en seconde ligne de végétation… sécurisés… Cependant, comme aujourd’hui, ils sont tout mouillés et ont commencé à bouger plus tard, ils sont moins mobiles. À proximité apparaissent de petites silhouettes foncées : des ouistitis. Les deux premiers sont dans un feuillage dense, mais, un peu plus loin, nous avons de la chance. Il est là, à mi-hauteur d’un tronc dégagé, sur un moignon de branche. Il est trempé et ressemble furieusement à un « gremlin »… Il monte un peu plus haut et nous observe avec curiosité. Nous partons, il est toujours là. C’est bien rare que les choses se passent ainsi… Notre balade matinale nous amène à l’entrée du village. Nous avons rendez-vous avec Martha pour le petit-déjeuner. Malgré la pluie de la nuit, le jardin est bien ratissé, la maison impeccable. Nous partageons un moment d’intimité très apprécié. Puis nous repartons vers le coeur du village. En suivant le sentier entre forêt et plantation de manioc, nous croisons à nouveau des singes, dont quelques ouistitis… à peu près secs. Ils sont en plein repas, mais beaucoup plus présentables avec leurs petites oreilles auréolées de poils tout bien séchés. Puis, un bel écureuil roux passe comme l’éclair de branches en branches. Nous voici au village : l’église, la salle des fêtes et l’école.
Nous sommes invités à rentrer dans une classe. Les écoliers sont tout sages. Ils écoutent religieusement le « cours » de maître Karim. Puis Ruth, plein de papiers ramassés sur le chemin, à la main, entreprend une sensibilisation pour les inciter à utiliser les poubelles et ne pas jeter papiers et canettes dans la nature. Les petits promettent de faire des efforts. Enfin, nous arrivons au centre de production de vannerie. C’est un beau projet arrivé à maturité. Les femmes de la communauté ont recherché les techniques anciennes de teinture et de traitement du feuillage de palmiers pour retrouver le savoir-faire traditionnel. Cela donne de superbes objets. Urucurea a indiscutablement le plus bel artisanat de la région. Le processus est complexe. Il faut d’abord couper une palme du palmier Tucuma. Elle est hérissée d’épines. Une sorte de serpette fixée à une longue gaule permet de la sectionner sans risque. Puis on sépare la fibre fine de la nervure, on la replie et on fait sécher 2 à 3 jours. La phase suivante est la teinture pour certaines. L’Urucum fournit le rouge auquel on peut ajouter des feuilles de Crajiru pour en intensifier l’éclat. Le Curcumin donne le jaune orangé, le Genipapo un violet foncé qui, concentré, devient noir, le Capiranga donne aussi du violet. Pour teinter les fibres, elles sont cuites avec les pigments puis rincées et travaillées.
Le résultat est très réussi. Chaque personne travaille à son rythme, crée ses modèles avec ses motifs, ses assemblages de couleurs, ses formes. Nous regagnons le bord, un peu plus chargés.
L’Amazon Dream large les amarres et nous traversons le Tapajos direction Maguari. Nous passons devant Alter de Chao et ses plages de sable façon Caraïbes. Mais, elles ne valent pas celle où nous arrivons : une plage de rêve, langue de sable fin sorti du Tapajos au fur et à mesure de la décrue. Nous en profitons à fond : conférences sur fond plage, bains, balade au coucher du soleil. Alors qu’au-dessus de la grande forêt éclairée par la chaude lumière du soir, un ciel d’orage griffé d’une plume arc-en-ciel se forme. Nous flânons sous le soleil qui descend sur le fleuve Tapajos à l’allure de mer… C’est superbe !
Aujourd’hui, matinée sportive ! Nous débarquons à Maguari pour la randonnée en forêt. Nos guides locaux nous attendent. Un petit arrêt aux plans et nous démarrons. Nous faisons connaissance avec les hévéas. Ici, des arbres d’une soixantaine d’années, ils sont incisés au petit matin. Le maximum de latex est alors concentré vers le pied de l’arbre. Dans cette région, on n’incise pas à 360° comme à Manaus pour ne pas fragiliser les arbres. En cette saison, les feuilles sont tombées et les arbres sont en repos. La particularité de l’hévéa du Brésil est qu’il produit un latex riche à 45% de caoutchouc pour un maximum de 8% chez d’autres arbres. Une fois l’arbre incisé, le latex coule et tombe dans un petit récipient. En cas de pluie, il est dilué. La parade est une recette des Indiens Mundurucus : en ajoutant un peu de jus de manioc, la mixture coagule. À Maguari, le caoutchouc a permis de développer une activité artisanale de production d’objets en caoutchouc naturel. Certains d’entre nous auront l’occasion de découvrir tout ça tandis que la grande marche se poursuit vers Suma Uma pour d’autres. C’est l’Andiroba qui nous occupe maintenant. L’arbre produit des fruits à coque contenant une douzaine de graines. Elles sont cuites et pressées pour en extraire l’huile. Une huile « miracle », elle est : cicatrisante, anti-inflammatoire. Elle soigne les bronches. Associée à l’urucum, c’est un bon répulsif. On l’utilise en massage ou pour soigner les maux de gorge des enfants en leur badigeonnant la gorge avec le doigt trempé dans l’huile. Quand on en parle ici, tout le monde connait le traitement et en a gardé un souvenir ému… Le petit sentier s’enfonce maintenant dans la forêt. La première partie est une forêt avec de nombreux Jutais. Son bois si dur que les tronçonneuses y résistent rarement a sauvé la forêt sur 56 ha. On a cultivé plus loin. Ses noix sont couvertes de pulpe avec les graines dedans. La pulpe grattée et laissée vieillir dans de la cachaças donne un « vin ». Les graines polies deviennent brillantes et servent à faire des colliers. L’écorce, comme celle du Jatoba, sert à fabriquer des canoës. La résine du Breu est utilisée pour calfater les bateaux. Brûlée, sa fumée soigne les maux de tête, séchée et écrasée sur la peau, c’est un bon répulsif. Nous passons devant le banc dit du prince Charles. Ce dernier n’a pas tenu longtemps sur le chemin vers la grand-mère de la forêt. Alors qu’un service de sécurité hors norme avait été positionné sur tout le parcours, il a renoncé après quelques centaines de mètres et s’est laissé tomber sur le fameux banc… Le latex du figuier étrangleur est bon pour soigner les maux d’estomac. Puis loin, la liane « escalier de tortue » ou « échelle de singe » présente ses étranges formes. En tisane, c’est excellent pour les reins. Le tronc du Muuba, de la même famille que la goyave sauvage, est gratté au coupe-coupe.
On fait une boulette avec la fibre. Cela sert à boucher les trous sur la coque des bateaux, car elle gonfle. Puis on calfate avec le Breu. Le palmier Curua fournit les palmes dont on fait les toitures. Nous avons une démonstration sur la manière de la préparer pour ça. C’est un palmier apprécié des singes qui boivent et mangent les insectes contenus dans la jeune palme encore fermée. Nous pénétrons du plus en plus profond dans la forêt. Un petit ouistiti blanc nous observe à un moment, caché derrière un bouquet de feuilles. Karim nous fait la démonstration de l’utilisation des fourmis tashi. Écrasées sur la peau, elles servent de répulsif et cachent l’odeur de l’homme chez les chasseurs. Enfin, nous arrivons au pied du grand jatoba qui correspond au début de la montée vers le plateau. Sa résine enflammée donne un petit flambeau. Tout le groupe repart vers le Tapajos sauf Claude. Bravo à lui ! Nous continuons notre progression vers les plus grands arbres. L’Itauba jaune est un arbre protégé, très bon pour construire les bateaux. L’écorce du grand Tauari séchée donne le « papier » à cigarette. Avant, il était fumé pour lui-même. L’Apui, des Ficus géants, des Piquias de 300, 400, 600, 700 ans sont éparpillés dans la forêt primaire que nous traversons. Vovo, l’esprit de la forêt est avec nous. Des coatis ont gratté le sol par endroits, un agouti détale… Nous sommes observés, mais les habitants sont prudents. Ici, on chasse… Finalement, nous atteignons notre but ultime. Nous sommes au pied de la grand-mère de la forêt. Un kapokier fabuleux… Sur le chemin du retour, les papillons nous offrent souvent un beau spectacle.
L’Amazon Dream navigue maintenant vers Bragança en terre mundurucu.
Ce soir : nuit magique sur le lac Maraï… Sous la Voie lactée, tandis que de quantités de petites lucioles clignotent autour de nous, les innombrables voix de la forêt inondée remplissent la nuit. Nous assistons au rituel des Mundurucus. C’est une très belle union entre l’homme et la nature. Après avoir appelé les esprits guerriers disparus, la cérémonie s’adresse à la nature Tupa. Elle est remerciée pour le feu, pour l’eau, pour la terre, pour les récoltes… Les danses autour du grand feu sont familiales. Les chants sont doux et harmonieux. L’ensemble est très beau. Une petite présentation de l’artisanat des différentes familles du village de 80 personnes nous permet de participer à la lutte de ce peuple qui fait tout pour conserver ses traditions, ses valeurs et sauvegarder son territoire face aux géantes multinationales de l’aluminium, de l’énergie, de l’agroalimentaire. Après avoir lutté contre l’invasion des orpailleurs qui transformaient leur forêt en gruyère et déversaient tant de mercure dans les eaux amazoniennes que leur première source alimentaire devenait un poison. Ils ont dû se battre contre des projets de barrages gigantesques qui allaient noyer une partie de leurs terres.
Ces barrages devaient fournir l’énergie nécessaire à la fabrication d’aluminium près des mines de bauxite. Enfin, le soja transgénique bourré d’engrais et de pesticides est aux portes de leur forêt…
Nos amis Mundurucus sont revenus ce matin. Ils nous emmènent découvrir la forêt d’igapo. Elle a toujours les pieds dans l’eau, l’eau acide et claire du Rio Tapajos. Les oiseaux se réveillent doucement. Nous glissons silencieusement au rythme de l’eau qui glisse sur la pagaie. Le lac Maraï ne présente pas une ride. Les arbres se reflètent dans l’eau. Près de la berge, les arbres sont assez haut, mais dès qu’on s’en éloigne, ils deviennent noueux, beaucoup moins hauts. On sent que les conditions sont difficiles, mais, malgré tout, ils survivent. Par endroits, on aperçoit en transparence des buissons ou des palmes sous l’eau. Les feuilles sont toujours là après 4, 5 mois dans l’eau…
On imagine très bien ce que ça donnerait avec notre végétation… Ici, les feuilles sont riches en substances chimiques qui évitent le pourrissement. Ce n’est pas un hasard si le meilleur caoutchouc est brésilien. Les troncs aussi se défendent, en produisant un latex entre l’écorce et le cambium. Cela donne, après de longues années, des souches dont il ne reste plus que le tour en bois. Le coeur s’est décomposé, mais la périphérie imprégnée de substances chimiques résiste mieux… Mais l’heure est plutôt à la poésie, tout est si paisible. Les pirogues s’enfoncent sous les frondaisons. Des rayons de soleil filtrent de temps à autre. Les troncs, souvent cannelés ou creusés de sillons verticaux, sortent de l’eau et se reflètent dessus. Leur canopée crée un univers vert tendre. Soudain s’envolent quelques petites chauves-souris, un engoulevent au vol rapide et irrégulier caractéristique. Une fois reposés sur un tronc ou une branche, ils sont invisibles pour nous. De grandes surfaces libres relient les morceaux de forêts comme si on se promenait de lac en lac. Les pigeons roucoulent à qui mieux mieux. Sur les souches, des hirondelles à ailes blanches sont souvent posées. Leur plumage foncé à reflets cuivrés brille au soleil. Parfois, elles ont de la compagnie, comme une belle sturnelle militaire à la poitrine rouge vif. Certains voient un dauphin. Les pirogues regagnent l’Amazon Dream, mon sans avoir sacrifié, pour certains, à la traditionnelle compétition entre pagayeurs. Mais l’honneur est toujours sauf pour Domingos, le cacique ou chef du village. Ce sont tous ses enfants…
Nous quittons à regret Bragança pour traverser le Tapajos et 3 h plus tard arriver sur le lac de Capixaua. La plage comme à l’accoutumée est parfaite et l’eau tentante.
Certains sacrifient au bain. Mais ils ne s’attardent pas. Un énorme grain orageux envahit le ciel. La conférence prévue sur la plage finit au restaurant, car nous découvrons les joies de la pluie tropicale… Nous parlons du morpho aux remarquables reflets bleu produits par iridescence, de l’adaptation de certaines espèces pour échapper à leurs prédateurs par mimétisme ou diverses techniques de camouflage, couleurs voyantes pour avertir de leur toxicité… Karim nous entraine dans l’univers indien. En effet, leur histoire depuis l’arrivée des premiers conquistadors et leurs « successeurs » avides d’or, d’épices, de bois, de caoutchouc… est des plus chaotique.
Les Indiens d’Amérique du Sud ont eu comme ceux d’Amérique du Nord à subir une réduction drastique de leur population volontaire (guerres, massacres), ou par réduction en esclavage qu’ils ne supportaient pas, maladies contre lesquelles ils n’avaient aucune défense immunitaire et en mouraient… Avant l’arrivée de Francisco de Orellana, ils auraient été environ 12 millions, parlant 1300 langues. En 1950, il n’en restait plus que 100 000… Ils étaient principalement chasseurs ou agriculteurs (manioc, maïs, igname, courge, patate douce, banane, papaye, ananas, piments, coton ou encore guerriers. Aujourd’hui, ils seraient plus de 350 000, parlant 180 langues. On peut les classer en 4 catégories : les Indiens qui ont fait le choix de rester isolés (23 ethnies connues à ce jour) ; les Indiens de récent contact comme les Zo’é (1979) ; les peuples semi-isolés comme les Mundurucus et les Indiens autodéclarés. Toutes ces populations ont à faire face à la terrible question de savoir comment poursuivre leurs chemins : hors du monde des dits « civilisés » modernes ou en tentant de s’intégrer, mais en préservant leurs valeurs fondamentales…? Le « challenge » est plus que difficile…
Notre soirée se termine joyeusement au village de Vista Alegre de Capixaua.
Nous retrouvons Vista Alegre de jour. Tout y est beaucoup plus calme. Un petit marché artisanal a été préparé avec colliers, bracelets en assemblage des graines aux couleurs variées. Après les achats, nous gagnons la « maison de farine » communautaire. En effet, ici, un membre de chaque famille du village doit consacrer 2 jours par semaine à la communauté. Cela peut être pour balayer dans l’église, participer à la construction d’un bateau ou préparer de la farine de manioc qui sera vendue au profit du village.
C’est donc le cas de ceux qui s’affairent là. On nous présente tout le processus qui permet qu’une plante poison devienne consommable et même la base de la nourriture de toute une immense région. Il existe 2 sortes de manioc : le manioc doux, non toxique dont on fait des frites, par exemple et le manioc présenté ici. Du pied, on utilise tout.
Les racines donnent la farine de manioc, le tapioca et le tucupi, une sauce à base de jus de manioc. Le tout est cuisiné longuement pour en extraire le cyanure… Un petit garçon gratte avec ardeur les grosses racines. Il ira à l’école l’après-midi. Puis les racines sont broyées dans une machine équipée d’un moteur de bateau. La pulpe obtenue est introduite dans le tipiti. C’est une sorte de manchon tressé avec soin. Il est pendu à une perche et tendu par un système de contrepoids. Ainsi, il presse la pulpe dont le jus toxique s’écoule. Puis, on sort la pâte du manchon et le petit garçon la tamise avec application. Les grains obtenus sont mis à cuire sur une large plaque métallique et brassés régulièrement. Si les grains sont trop grossiers, on tamise à nouveau le manioc précuit. Après environ, 1h15, la « farine » de manioc est prête. On la retrouve au marché de Santarem vendue en sacs de 60 kg. Le jus, toxique en l’état, est cuit 4 à 6 h. Appelé tucupi, il devient la base d’une sauce au piment. Il sert également à faire cailler le caoutchouc lors de la récolte pour éviter que ce dernier ne soit dilué en cas de pluie. Jeté sur du ciment frais, il en accélère le séchage. Le tapioca, un peu comme la fécule de pomme de terre, est préparé à partir du jus mélangé à de l’eau. On laisse reposer, une pâte blanche se dépose peu à peu au fond. On la fait sécher puis on la tamise. Cela donne les perles de tapioca… Les branches du pied de manioc, replantées vont donner d’autres pieds de manioc. Rien n’est perdu !
Nous continuons notre chemin. Les villageois sont en train de refaire leur salle des fêtes. De grandes bandes de palmes sèchent au soleil. Elles serviront à la confection du grand toit conique de la structure. Nous passons par la petite église catholique, Notre Dame de Lourdes. Puis allons à l’école où des petits écoliers en uniforme nous attendent. Ils nous présentent un petit spectacle de danse : d’abord, le carimbo, incontournable au Para, et la danse de la « farinha » dédiée à la fabrication du manioc.
Dans la bibliothèque, on trouve livres scolaires et littérature variée. Ils font partie de l’opération « forêt de livres » mise en place et financée en grande partie par l’Amazon Dream afin que dans chaque village de la région 1000 à 1500 ouvrages soient à la disposition des enseignants et des jeunes. Nous continuons notre chemin direction la forêt. Nous passons devant le « quartier » évangéliste du village. Au bord du chemin poussent de beaux anacardiers. Certains fruits sont mûrs. On consomme la partie charnue en dessous de laquelle pousse la noix de cajou. C’est un peu acidulé, notre guide nous fait goûter. On en fait aussi de la confiture. La noix, elle, doit être séchée et torréfiée avant consommation. La forêt au bord de laquelle nous marchons est d’abord une forêt de terre ferme. Le chemin est bien large. Puis, on bifurque sur un petit sentier sur lequel nous croisons régulièrement des morphos. Les fantomatiques éclairs bleus sont toujours un plaisir à suivre. Quel beau papillon ! Enfin, ça se corse un peu lorsque nous rentrons dans la limite de la forêt d’igapo. La végétation n’est plus du tout là même. Il y a beaucoup de palmiers, des arbres au tronc cannelés, certains avec des contreforts. Mais quel beau final : la descente d’un igarapé, petit ruisseau créé par une source permanente. L’eau est fraîche, une rareté ici… L’eau est claire, le fond sablonneux, on voit de petits poissons… Nous passons sous des voûtes épaisses de végétation. La forêt pousse, à certains endroits, sur un sol marécageux gorgé d’eau ou carrément les pieds dans l’eau… Un retour au bateau bien apprécié… Nous en profitons pour tester les bienfaits de la pluie amazonienne…
L’Amazon Dream traverse à nouveau le Tapajos et nous arrivons à Alter de Chao. C’est le retour progressif à la civilisation. Nous explorons le lac vert au coucher du soleil.
Un groupe de singes hurleurs nous gratifient de leur étrange concert… Toujours impressionnant, et encore, nous ne sommes pas tout près…
La journée se termine joyeuse après avoir testé la caïpirinha au fruit du dragon et profité du charme de la bossa-nova…
Le visage d’Alter de Chao ce matin est bien paisible. Nous longeons la longue langue de sable aux nombreuses paillotes et rentrons sur le secteur protégé du lac vert. Un tout autre univers nous y attend, loin des plages quelque peu bruyantes, surtout en week-end. Nous allons à « L’école de la forêt ». Cette structure occupe toute une colline qui s’avance sur le lac. Leur but est d’éduquer les enfants de Santarem et de la région à la préservation de la forêt, aux méfaits de l’agriculture sur brûlis, aux bienfaits de la forêt tant en terme de produits de la pharmacopée traditionnelle que pour l’ombre salvatrice des arbres dans une région aussi chaude… Ils ont une petite pépinière qui leur permet d’aller planter des arbres dans les quartiers déshérités où les petites maisons ont été alignées sans une once de verdure et d’ombre… Une autre facette est la réutilisation des produits jetés : l’escalier est fait en pneus remplis de cailloux, on plante les graines et jeunes pousses dans des bouteilles en plastique… C’est beaucoup mieux que de les laisser par terre… Enfin, ils replantent de jeunes arbres, bois nobles de la forêt primaire, pour le mêler à ceux de leur forêt secondaire. Nous faisons une belle balade sur le site. Elle se termine en apothéose avec l’arrivée de charmants petits ouistitis blancs. Quels meilleurs ambassadeurs que ces petits diablotins malicieux et agiles. Par moments, ils semblent « voler » d’arbre en arbre avec la rapidité de l’éclair. On ne sait si ce sont eux qui nous observent le plus ou nous…
Nous regagnons l’Amazon Dream et le Tapajos invite à nouveau à la baignade. Mais il est concurrencé par l’Amazon Dream dont le pont supérieur ombragé et bien aéré par l’air du « large » (ça y ressemble tellement…) est le rendez-vous des lecteurs… avec quelques boissons bien fraîches à portée de main…
Nous reprenons notre navigation vers Santarem. Les belles plages de sable blanc défilent tranquillement sous nos yeux. Alain, notre capitaine nous emmène jusqu’à la zone de rencontre des eaux. C’est la zone de contact entre les eaux claires du Tapajos et les eaux limoneuses de l’Amazone. Le soleil est au rendez-vous, le vent léger. Les conditions sont parfaites pour pouvoir observer tranquillement le phénomène. Les différences de températures, de densité, de vitesse d’écoulement… des eaux font qu’elles mettent plusieurs kilomètres à se mêler. En face de Santarem, les volutes lourdement chargées d’alluvions du géant Amazone s’enroulent dans les eaux bleues du Tapajos. Tout ce brassage crée un milieu riche en phytoplancton, donc en poissons. Ils sont nombreux à en profiter : oiseaux (cormorans, sternes…), dauphins (botos et tucuxi), enfin pêcheurs (à l’épervier, à la ligne… Nous remontons nous ancrer en face de la ville de Santarem face à un riche secteur de marécages. À l’heure bénie où le soleil descend vers l’horizon, nous partons les explorer. Étonnamment, les oiseaux sont beaucoup moins craintifs ici. Nous révisons nos classiques : grandes aigrettes, hérons striés, jacanas, courlan brun, buse à tête blanche, milan des marais, anis à bec lisse, ibis Mandore, plein de petits perroquets… Au fur et à mesure que le soleil descend, le plumage des oiseaux qui regagnent leurs dortoirs brille entre les branches. Nous assistons à un beau décollage d’hoazins regagnant un bel arbre dans la lumière dorée. Ils sont en compagnie du grand ani des palétuviers dont l’oeil clair ressort sur un plumage bleu vert cuivré du plus bel effet. Le bouquet final est l’arrivée par vagues de centaines et de centaines de perroquets « tous modèles » mélangés : touis été, touis à ailes variées, amazons, petits aras… Le tout se fait dans un vacarme incroyable… Chaque nouveau couple qui se pose déclenche de multiples commentaires et plus les dortoirs se remplissent et plus les atterrissages sont délicats… On s’invective, les ailes battent dans des éclairs vert, bleu, rouge… Pour un spectacle, c’en est un !
Nous passons notre dernière nuit à bord face aux lumières de Santarem, encore un peu en retrait du monde urbain…
C’est à regret que nous quittons l’Amazon Dream ce matin. Nous embarquons, une dernière fois dans les annexes, direction la terre ferme. C’est en minibus que nous passons de la marina au centre de la ville de Santarem. Nous sommes samedi et rues et marchés sont animés. D’autant que la campagne électorale fait rage ici. C’est la guerre du son et des drapeaux. À grands renforts de musique, de discours, de promesses, les partisans des candidats prônent liberté et transparence… Les élections ont lieu en octobre. Nous descendons sur les quais, direction la halle aux poissons située sur le Tapajos. Tous les pêcheurs peuvent venir y vendre leurs poissons sans rien avoir à débourser. Certains arrivent avec des paniers entiers de poissons sur la tête. Nous profitons d’abord du spectaculaire petit-déjeuner des botos. Les grands dauphins roses se pressent pour attraper les poissons qui leur sont présentés. Puis, c’est toute une déclinaison de poissons d’Amazonie qui sont alignés. Les noms sont exotiques, mais les poissons aussi : piranhas, poissons-chats tigrés ou non et de tailles variées, poissons carnivores ou frugivores, crevettes minuscules ou de taille respectable… Nous longeons maintenant le quai où se pressent les marchands de bananes. Une petite place mène au marché des poissons nobles. Fins, mais chers, ce sont les préférés des gourmets et des restaurateurs. Le tambaqui en fait partie, ce poisson, se nourrissant de noix, possède d’étranges dents carrées pour les concasser. Nous poursuivons vers le marché aux épices et surtout celui de la pharmacopée amazonienne. Bouteilles, flacons et sachets reprennent tous les noms des arbres que nous avons croisés pendant notre grande randonnée en forêt à Maguari. Ils soignent tous les maux du corps et de l’âme… Enfin, c’est le marché aux fruits et légumes : les sapoutilles ou melons de la forêt, la noix du Brésil, l’acérola (réputé contenir 40 fois plus de vitamine C que l’orange…). Notre étape suivante est la cathédrale et la petite place où se vendent les hamacs aux couleurs chatoyantes. On les retrouve dans les maisons, mais aussi à bord des bateaux faisant les liaisons entre Santarem et Belém ou Santarem et Manaus. Chaque passager accroche son hamac sur le pont ouvert, on met la sono à fond et c’est parti pour 2 ou 3 jours de navigation… Nous continuons vers le petit centre de réhabitation des animaux. Il essaye tant bien que mal de soigner et relâcher, si possible, les animaux confisqués, issus du commerce illicite des animaux sauvages. Dans un pays où la corruption prend de multiples formes, c’est un combat de tous les instants. On retrouve là : un vieux caïman borgne sauvé de justesse, des singes (atèles, capucins…), des coatis, toutes sortes de perroquets et 2 jeunes pumas sauvés de l’incendie de leur forêt dans le cadre de l’agriculture sur brûlis. Ces derniers sont certainement condamnés à rester là, car ils sont tellement habitués à l’homme qu’ils viennent nous voir de près… Notre visite participe au financement de la nourriture et des soins pour tout ce petit monde. Un dernier déjeuner de poissons à Santarem et nous nous dirigeons vers l’aéroport. Nous passons devant les 3000 maisons du petit ghetto de Santarem. Il illustre bien le fonctionnement ou plutôt le dysfonctionnement qui, souvent, prévaut au Brésil. En effet, ces toutes petites bâtisses ont été construites sur un emplacement totalement déforesté en contrebas de la route. Aux premières fortes pluies en 2011, tout a été inondé. Il a fallu, une fois tout construit, faire un système de drainage adéquat. Sans une once d’ombre, sans école, le complexe profite de chauffe-eaux à 2000 dollars par maisons… Sur le reste des 80 ha de forêt rayés de la carte, l’argile est mise à nue.
Le poissonneux lac en contrebas n’est plus qu’un souvenir… Bref, un succès !
Après un vol qui nous a donné une nouvelle fois l’échelle du géant Amazone par l’étendue des terres inondées, nous voici de nouveau à Belém. Nous retrouvons notre sympathique petite « Quinta de Pedras ». Le dîner se passe joyeusement.
Ce matin, Ruth nous emmène visiter la vieille ville de Belém. Nous commençons par l’opéra, le théâtre de la Paix, au niveau de la place de la République. Par chance, nous pouvons, exceptionnellement rentrer dans le bâtiment construit au XIXe, à la grande période du boom du caoutchouc. Nous découvrons les fines mosaïques du sol aux motifs symboliques indiens. L’intérieur reflète les moeurs de l’époque. L’escalier en bois est recouvert de bronze au centre : les riches le montent sur le bronze, les pauvres sur le bois directement. Les plafonds du théâtre, lui-même, sont richement peints au centre et dans les basses travées, au « poulailler » pas de peinture… Une vaste réserve d’eau dans la salle était prévue pour lutter contre les flammes en cas d’incendie. Elle s’est révélée excellente pour l’acoustique… Puis, nous arrivons au niveau du fort portugais et de la cathédrale. Les Portugais avaient construit le fort pour protéger le prétendu or du Para d’une possible arrivée de Français ou de Hollandais. Petit fortin en argile équipé de canons, au départ. Il est devenu une solide construction dans laquelle existe un petit musée des objets récupérés sur le site même et dans la région.
Cela permet d’évoquer l’histoire indienne des Tupinambas régionaux, mais aussi des peuples tapajoniques. Le passage des missionnaires est également évoqué. À la sortie se trouve la maison des 11 fenêtres, belle bâtisse du XIXe ayant appartenu à un riche planteur de canne à sucre, autre source d’enrichissement avec le coton, avant le caoutchouc.
Dans la cathédrale, en ce dimanche, c’est le jour des baptêmes. Pour les familles de peu de moyens, tout le monde est réuni, famille par famille, l’enfant en tenue de gala tout de blanc vêtu. On fait une photo puis le prêtre officie… En 5 minutes, l’affaire est faite… Nous poursuivons vers le marché Ver O Peso, littéralement marché de la pesée… pour pouvoir fixer l’impôt sur les marchandises… Le marché au poisson, flanqué de 4 tours, fait face au marché à la viande tout de fonte verte. Puis, les spécialités se succèdent : pharmacopée, légumes, fruits, dérivés du manioc, artisanat, petits restaurants ouverts 24 h sur 24 et 7 jours sur 7. Sauf, un jour : celui de la grande procession de Notre Dame de Nazareth qui réunit plus de 2 millions de personnes, le second dimanche d’octobre. Ce jour-là, on range soigneusement sa maison, on cuisine le canard au tucupi (jus de manioc) et on se fait des cadeaux. Notre balade se finit sur les docks. Nous déjeunons dans un décor industriel très bien mis en valeur. Puis, c’est piscine, farniente et sieste avant de prendre la direction de l’aéroport. Un dernier repas pour profiter des spécialités locales et de la célèbre « Caïpi »… et c’est le retour vers l’Europe. Merci à vous tous pour tous ces agréables moments partagés et à bientôt pour de nouvelles aventures !