Marianne Duruel
Coordination et Photographie
4 septembre
13 septembre 2017
À bord de l'Amazon Dream, septembre 2017
Marianne Duruel
Coordination et Photographie
Partis de France ou de Suisse, certains gagnent le Brésil par Belém, Brasilia, Sao Paulo ou Rio. Tout le monde se retrouve finalement à Santarem. Nous sommes là à mi-chemin entre Manaus et Belém, au point de rencontre du géant Amazone et du Rio Tapajos. Santarem, baignée par les eaux bleues du Tapajos, est juste située au niveau où les eaux des deux fleuves se rencontrent puis s’écoulent sans se mêler.
Le spectaculaire phénomène se poursuit sur plusieurs kilomètres avant que les eaux du Tapajos ne finissent par disparaître dans le puissant Amazone. En effet, les deux fleuves présentent une température, une densité, une acidité, une vitesse d’écoulement différentes qui produisent ce résultat.
Au bout du ponton sur lequel des pêcheurs sont surveillés par de grandes aigrettes au blanc immaculé, en quête de quelques poissons faciles… Notre charmant petit Amazon Dream nous attend sagement. Nous y sommes accueillis par un équipage souriant et attentionné.
Après les informations d’usage et notre première dégustation de jus de fruit exotique, du cupuacu…, le passage dans les cabines est rapide car la navigation débute. À peine partis, le spectacle commence. Tandis que défilent les installations portuaires et sa noria de bateaux et embarcations diverses et variées, les sternes d’Amazonie plongent régulièrement dans les eaux poissonneuses de la zone de contact. Des dauphins en profitent aussi et leurs grandes formes roses apparaissent furtivement dans l’eau. Les photographes s’appliquent à les saisir en pleine action mais le succès se mérite en la matière… Ces dauphins roses sont les célèbres botos. Inféodés au bassin amazonien, leur anatomie a évolué pour leur permettre de se nourrir dans des milieux complexes d’enchevêtrements de racines. Ils sont beaucoup plus allongés et souples que les dauphins marins à la silhouette caractéristique. Les petits tucixi ou sotalies que nous rencontrons plus loin ont, eux, gardé une apparence beaucoup plus proche des dauphins purement marins. Cette espèce se retrouve dans les fleuves du bassin amazonien mais aussi dans des estuaires, eaux côtières peu profondes, mangroves… On rencontre parfois les petits des deux espèces en train de jouer ensemble. Nous croisons aussi des pêcheurs sur leurs petites embarcations en train de pêcher à la canne à pêche, de tendre ou remonter leurs filets, de pêcher à l’épervier… Bref, ici, toutes les techniques sont bonnes et le poisson est vraiment la première source de protéines dans cette région. Tandis que nous regardons défiler les berges, vaches et buffles nous observent placidement…
Finalement, l’Amazon Dream est amarré pour la nuit. Le coucher de soleil est superbe. Nous en profitons pour embarquer dans les navettes et partir observer de plus près les dauphins. Nous explorons un petit secteur de Varzea, la forêt dont la végétation supporte plusieurs mois de vivre les pieds dans l’eau. Les cécropias y poussent bien. Or, c’est la nourriture favorite des paresseux… Ce soir, la chance nous sourit. Dans un arbre, un paresseux repu monte se préparer pour sa nuit. Il finit en boule, bien callé dans une fourche. Premiers botos, premier paresseux: bienvenue en Amazonie!
Ce matin, direction le lac Maica, nous embarquons sur les annexes. Nous quittons le « canal » d’Ituqui, un bras de l’Amazone pour partir explorer le lac et ses marais. De l’Amazone, nous apercevons la ville de Santarem au loin. Puis, nous bifurquons dans un milieu plus confidentiel. Les rives sont beaucoup plus proches, quelques habitations sur pilotis y ont été construites de place en place. Ces maisons, habitées par des Cabocles, les descendants du métissage d’Amérindiens et des Portugais, ne le sont que pendant la période de l’année où les bovins sont descendus des hautes terres vers les riches secteurs limoneux qui se découvrent au fur et à mesure de la décrue de l’Amazone. La végétation y pousse grassement et les animaux, quelque peu émaciés, attendaient manifestement cette période avec impatience.
Les troupeaux sont en pleine dégustation sous la bonne garde de chiens vigilants… Peu à peu, les arbres se densifient et nous scrutons dans les fourrés et branchages. C’est un vrai festival ornithologique… Tout un groupe d’urubus à tête noire festoie sur un grand poisson-chat rayé ou poisson-chat « tigre ». Un peu plus loin, une buse à gros bec scrute l’eau, à la recherche de son petit-déjeuner. Un toucan toco s’envole et se pose dans un rayon de soleil qui fait ressortir à merveille le jaune pimpant de son bec proéminent. Des martins-pêcheurs à ventre roux vont et viennent d’une rive à l’autre ou, vifs comme l’éclair, disparaissent dans la végétation. Puis se succèdent de grands plans d’eau et des zones de marais desquelles sortent, de temps à autre, des silhouettes claires ou noires accompagnées par des nuées d’aigrettes: grandes aigrettes, aigrettes garzettes, aigrettes garde-boeufs qui s’activent en de grandes envolées blanches dans cet univers de verdure où vaches et buffles se régalent. Un milan des marais surveille la scène de ses yeux rouge grenat. Quand la rive est à nouveau occupée par des arbres, dans un cécropia, cet arbre caractéristique de la Varzea, un paresseux à 3 griffes, le très connu aï des cruciverbistes, est en déplacement… Nous avons largement le temps pour les photos… Un balbuzard pêcheur et un caracara huppé tiennent compagnie à un cormoran sur un grand arbre mort. Au sommet d’un buisson, de grandes silhouettes noires de kamichis cornus s’agitent pour finalement s’envoler d’un vol pesant mais… efficace. Les jacanas replient avec soin leurs grands pieds pour décoller dans un éclair blanc et fauve pour reprendre un peu plus loin leur expédition de chasse aux insectes. Au détour d’une voie d’eau ou d’une vaste surface inondée, des pêcheurs s’affairent sur leurs petites embarcations. Finalement, nous retrouvons l’Amazon Dream au bout de la vaste zone de marais. Après un excellent déjeuner de poisson, parfaitement dans le ton, le bateau reprend sa navigation. Et c’est à l’embouchure de la Curua Una qu’à lieu notre croisière du coucher du soleil. Sur un banc de limon, tout près de l’Amazon Dream, se côtoient vanneaux téros, jacanas, dendrocygnes à ventre noir, aigrettes… Les annexes se glissent avec aisance entre les îles et îlots. Dans la belle lumière du soir de nombreux oiseaux rentrent vers leurs dortoirs respectifs pour la nuit tandis d’autres en sont au repas du soir. Un pic ouentou agite sa « crête d’iroquois » rouge sur le tronc d’un palmier dans l’opération. Toute une famille d’hoazins, ces étranges volatiles huppés, jacassent dans des fourrés. Maladroits, ils sont farouches et l’observation est un peu aléatoire. Néanmoins, nous garderons en mémoire ces silhouettes fauves et leur masque bleu quand ils nous observent. La lumière dorée éclaire la forêt qui monte à l’assaut d’un secteur plus élevé. Tandis que nous suivons des yeux, caméras, appareils photo le ballet des sternes d’Amazonie, cormorans, anhingas, aigrettes… retentit le puissant cri d’un singe hurleur auquel répond un autre beaucoup plus loin. Quelle belle ambiance amazonienne! Sur la berge s’affairent des loriots au flamboyant poitrail jaune, des sturnelles militaires au poitrail rouge vif, tyrans quiquivi… Un couple de rarissimes pénélopes marail fourrage dans les herbes sèches puis se figent avant de disparaitre sous les arbres. Le soleil embrase le ciel tandis qu’en face se lève la pleine lune. Le moment est magique! C’est tout sourire que nous regagnons le bateau… Cerise sur le gâteau, nous faisons une dernière sortie au clair de lune pour aller observer les caïmans. Leurs yeux rouges sous le faisceau de lumière révèlent leur présence…
Voilà un beau point final à une journée bien remplie !
C’est juste au lever du jour que nous glissons ce matin sur les eaux d’huile à l’heure où la température est si agréable. Tous les oiseaux se réveillent, quittent les dortoirs pour partir au ravitaillement, tout humides de rosée se toilettent sur les branches, s’affairent à leur premier repas. Les sternes plongent à nos côtés. Dans le ciel tout drapé de pastel, le soleil se lève tandis que la lune s’éclipse.
L’exploration des îlots nous révèle la présence de petits pics appelés picumnes de Buffon. Dans un trou, un caique à queue courte d’un vert intense prépare son nid. Sur le versant d’hier soir, les locataires ont changé pour des petits toucans, dits petits araçaris, des bruyants ibis mandore, sturnelles militaires, tyrans des savanes, vanneaux de Cayenne, vanneaux téro, canaris… En regagnant l’île sur laquelle nous attend l’Amazon Dream pour le vrai petit-déjeuner, nous retrouvons nos hoazins et un tyran mélancolique qui pose véritablement sur une souche… Notre seconde expédition de la matinée se fait en remontant le cours de la Curua Una. En route, certains ont la chance de voir un paresseux royal. Il possède 2 griffes au lieu de 3 pour l’aï, son pelage est moins contrasté et il est un peu plus grand. Un beau et rarissime héron coiffé marche à grandes enjambées sur la rive non loin du village de Pacoval. Il arbore une harmonie de couleurs pastel: son bec bleu turquoise, une « casquette » noire prolongée par une élégante huppe blanche, un corps au plumage dégradé, de haut en bas, du jaune clair au blanc immaculé, le tout sur pattes gris-clair… Très chic! Près du village, nous croisons des petits cochons qui viennent nous réclamer à manger.
Non loin, des kamichis cornus renouvellent leur démonstration de décollage. Puis, nous quittons les larges espaces ouverts pour nous enfoncer dans un cours beaucoup plus étroit. Sur une des rives, toute une famille de singes hurleurs noirs passe d’arbre en arbre avec agilité puis disparaît. Nous retrouvons pas mal de nos volatiles déjà rencontrés mais apercevons bientôt un éclair orange vif et noir dans les buissons. Il s’agit d’un oriole troupiale. Un milan des marais scrute l’eau en quête de son repas. À proximité de pêcheurs, eux aussi, oeuvrant pour le leur… Peu à peu, le cours de la Curua Una s’élargit, des buffles d’eau se prélassent dans l’eau en bordure de marais avec leur cohorte d’aigrettes. La forêt a souvent laissé la place à des petites bâtisses sur pilotis, des installations pour embarquer et débarquer des bovins. La signature du mode de vie est donnée par les petites barques qui servent autant à se déplacer qu’à pêcher, les chevaux pour rassembler le bétail, les hamacs sur les terrasses… Régulièrement le cours se resserre et la forêt reprend ses droits. La navigation est vraiment agréable. Juste après un méandre, nous tombons sur une belle plaque de « Victoria Regia » ou « Vitoria Regia ». Les nénuphars aux gigantesques feuilles en sont à différentes phases de leur croissance. Ils ne poussent que dans des eaux calmes et peu profondes. Quand les bourgeons s’ouvrent, les feuilles ont souvent la forme d’un coeur au bord roulé avant de devenir de larges plateaux lisses et ronds. Elles peuvent atteindre de 1 m à 1,80 m de diamètre. Connue pour être « la Reine des lacs », leur fleur change de couleur avec le temps: le premier jour de leur éclosion, les boutons sont blancs, tournant au rose dès le deuxième jour et finissent violets… Impressionné par la majesté de la plante, un naturaliste anglais lui a donné le nom de sa reine… Finalement, un endroit propice est trouvé et vient pour nous le temps de la pêche. Cannes en mains, les apprentis pêcheurs spécialisés dans la pêche aux piranhas commencent souvent par les nourrir… Puis son remontés et relâchés des piranhas, blancs, noirs et rouges… Elise est notre championne avec 4 prises… Au retour, quelques-uns aperçoivent furtivement des singes hurleurs roux… Voilà, une bien belle matinée!
L’Amazon Dream reprend sa navigation. Pendant 4 h, nous remontons l’Amazone. À 17h30 le bateau est amarré dans une petite anse dans laquelle tout un groupe de botos est en pleine partie de pêche. Leurs apparitions fugitives perturbent quelque temps, avec joie, la présentation de l’écosystème complexe et passionnant de la forêt amazonienne dont ils font partie… Nous partons en annexes les contempler de plus près. Pour les photographes, cela ne réduit en rien la difficulté d’avoir le bon réglage au bon moment au bon endroit… De toute façon, le spectacle est là! Pour finir la journée, nous sacrifions au rite du coucher du soleil, cette fois vu de la propriété de planteurs de bananes dont la richesse de la terre limoneuse ne nécessite pas de produits chimiques… Nous sommes toujours bien dans la nature…
7h, nous partons pour la découverte du secteur de Tapara, au Sud du lac de Monte Alegre. Les annexes suivent d’abord le cours tranquille entre l’Amazone et le lac. Il y a beaucoup d’effervescence car aujourd’hui c’est la fête d’indépendance du Para. Tout bon Brésilien ne ratant jamais une occasion de faire la fête, on se presse vers les bateaux faisant route vers Santarem. Sur les rives, dans les bananiers et cécropias, la gent ailée s’active. Un couple de charmants petits perroquets verts aménagent leur nid dans celui subtilisé à un couple de tarangas… Priorité au bien-être de sa descendance… Soudain le lac est face à nous, la journée est venteuse et les ponchos sont bienvenus… Ou alors il existe le post-séchage version cormoran… Nous voilà maintenant glissants silencieusement sur un paisible petit bras, à slalomer entre les touffes de jacinthes d’eau fleuries et les souches. Parfaitement immobiles, des têtes de caïmans, à peine sorties de l’eau suivent des yeux nos embarcations. « Pas vu, pas pris »… Ils résistent, impassibles puis, « trop, c’est trop », ils se précipitent dans l’eau ou courent disparaitre dans les racines. Un jeune caïman résiste plus longtemps: il a un poisson dans la gueule.
C’est un açari, le poisson avec la farine duquel on fait les boulettes de poisson, une spécialité de l’état du Para. Un bihoreau gris joue à cache-cache avec nous un certain temps. Un grand échassier brun est beaucoup plus coopératif. C’est un courlan brun. Nous scrutons tant la berge ensoleillée s’ouvrant sur des pâtures que le sous-bois au pied des grands arbres. Les rapaces guettent les proies de leurs branches. Des milans des marais y sont. Occupés par leur pêche, ils sont plus statiques que les martins-pêcheurs à ventre roux ou d’Amazonie et les hérons striés qui s’envolent rapidement. Un superbe onoré rayé dresse sa silhouette fauve dans un écrin de verdure mais, malheureusement, il est timide… Dans le sous-bois, un caurale soleil nous observe. Son plumage se confond parfaitement avec le sol jonché de feuilles.
Le mimétisme est un système de protection très développé dans le monde amazonien. Seules les rayures noires et blanches de sa tête ont révélé sa présence. La suite de notre navigation se passe sur des chenaux plus larges. Sur de gros buissons, des iguanes sont régulièrement en train de prendre le soleil pour réguler leur température interne. D’autres iguanes préfèrent les branches des arbres. Soudain, discrètement installé dans l’ombre de racines un gros caïman somnole… que d’un oeil… La séance photo se termine par une « explosion » d’eau et fin du caïman… Celui-là était vraiment de belle taille. Comme les iguanes, les caïmans régulent leur température interne au cours de la journée en passant régulièrement de l’ombre au soleil, de l’eau à l’air. La végétation devient de plus en plus claire et les petites maisons colorées sur pilotis plus nombreuses. Il faut dire que 120 000 personnes vivent dans cette région où la terre limoneuse est riche. Aujourd’hui, à bord des petits bateaux, pas de partie de pêche mais, tout pimpants, les passagers vont manifestement profiter du jour férié. Pas un bateau sans sa boîte blanche isotherme, tous vont sacrifier au traditionnel barbecue de poissons. Certains grands arbres des berges présentent des caractéristiques évoquées hier. Dans des palmiers, un ficus ou figuier étrangleur dont la graine a été « déposée » par un oiseau à mi-hauteur de l’arbre s’est développé. Le ficus a envoyé de puissantes racines vers le bas. Certaines se sont soudées. L’arbre a alors poussé puissamment. Tronc, branches et feuillages sont partis « à l’assaut » du palmier. L’histoire se terminera par la mort du palmier privé de lumière donc de photosynthèse donc d’alimentation… Un « arbre à singes » illustre bien la cauliflorie c’est-à-dire le fait que fleurs et fruits poussent sur le tronc. Nous terminons notre balade en suivant des yeux toutes les scènes de vie quotidienne qui se défilent. Ici, on se baigne dans les chenaux, on s’y lave, on y fait la lessive, la vaisselle… On y baigne les chevaux. On y circule, transporte les marchandises. Bref, on vit en symbiose avec les eaux de l’Amazone.
Dès notre retour à bord, l’Amazon Dream part direction Santarem. À la fin du déjeuner, les premières maisons de la ville sont là. Nous suivons l’arrivée vers le coeur de la ville. Jour férié oblige: personne ou presque dans les rues, c’est l’heure de la plage ou de la sieste… Le fret fait et chacun de retour, direction Alter de Chao. Nous quittons Santarem en passant devant la triste preuve du développement intensif de la production de soja en Amazonie et donc de la déforestation… La société américaine Cargill a construit un terminal de chargement du soja. Un cargo immatriculé à Hong Kong est en plein chargement dans un nuage de poussière orangé tandis qu’une noria de barges géantes attend d’être chargée… Des convois géants de 25 containers sont poussés par de puissants remorqueurs pour descendre l’Amazon. Transvasé dans des cargos gigantesques, le soja transgénique va inonder l’Asie, l’Europe, les États-Unis pour approvisionner les élevages industriels où des vaches enfermées vont se nourrir de ce soja associé à du maïs. Les multinationales de l’agroalimentaire ont, là, un système parfaitement rôdé où les paysans se retrouvent salariés de ces structures sur des terres qui ne leur appartiennent plus et où la monoculture fait force de loi… Pensons plus positivement… À Alter de Chao, Karim nous emmène rendre visite à Gil Serique, spécialiste de l’avifaune. Il nous évoque son travail pour la protection des perroquets. Dans un cadre superbe, surplombant la dynamique petite station balnéaire, c’est un verre d’excellente caïpirinha à la main que assistons au coucher du soleil.
Alter de Chao nous offre diverses possibilités et ce matin les activités sont plus « à la carte ». La majorité du groupe part pour l’ascension de la Serra Piroca, 160 m de hauteur… Débarqués sur la plage, nous rentrons dans la végétation par un petit chemin de sable. Le milieu est beaucoup plus sec. Une fourmi dite « balle de fusil » suit le même sentier. Véritablement caparaçonnée, la grosse fourmi de près de 2 cm est très redoutée car sa morsure est très douloureuse d’où le nom… En cette matinée, la chaleur est déjà bien présente et nous n’avons pas besoin de sauna… Chemin faisant, nous cherchons les petits ouistitis blancs que Karim a déjà eu la chance d’observer là. Mais ce matin, ils sont ailleurs.
L’ascension nous dévoile peu à peu la perspective sur la petite station balnéaire. Les plages de sable qui valent à la région le surnom de « Caraïbes d’Amazonie », frangent la forêt avant les eaux bleues du fleuve Tapajos. Finalement, nous voici au sommet au pied de la croix.
La vue est à 360° et l’ascension est largement immortalisée… La végétation, là, présente les caractéristiques de celles de la canopée: les feuilles ont un port beaucoup plus vertical pour éviter de trop prendre le soleil. Elles sont également vernissées et épaissies pour protéger les stomates, sortes de « hublots » par lesquels se font les échanges gazeux de la photosynthèse. Bref, elles se sont parfaitement adaptées aux contraintes de leur milieu: soleil direct, dessèchement par le vent… Nous redescendons vers notre point de ralliement: l’Amazon Dream. Certains vont marcher sur la plage, d’autres se baigner ou encore flâner à Alter de Chao… Tout le monde se retrouve pour le déjeuner à bord. Le poisson est délicieux comme d’habitude. En début d’après-midi, nous levons l’ancre pour le canal de Jari. Il relie le fleuve Tapajos à l’Amazone. C’est un lieu propice à l’observation de la faune. Pendant la traversée, Karim nous évoque l’histoire du caoutchouc. Cette matière a eu une importance majeure en Amérique du Sud. Le premier à en avoir évoqué l’existence est Christophe Colomb en 1497. Il s’agissait de la balle du jeu de balle, en Haïti. Mais l’or était alors l’unique préoccupation… En 1541, de retour de la première expédition qui entreprend de descendre l’Amazone, Francisco de Orellana parle de bracelets en caoutchouc. Au XVIIe, l’arbre est décrit. Un Portugais rapporte son utilisation sous forme d’une sorte de petite pompe ou grosse seringue qui permet au chaman d’insuffler une drogue pour rétablir l’équilibre de son « patient ». D’où le nom de seringueiros donné à ceux qui incisent l’hévéa. Jusqu’au XVIIIe siècle, personne ne rapporte de morceau de caoutchouc en Europe. Il faut attendre la première descente scientifique de Charles-Marie de la Condamine (1743-1744) pour ça. Il en rapporta, nous seulement le caoutchouc, « l’arbre qui pleure », mais aussi la quinine (une dizaine d’arbres différents en donnent dans la forêt amazonienne, à des concentrations différentes), le curare, le cacao. Il baptise l’hévéa qu’il rencontre en Guyane du nom d’Hevea guyanesis et celui du Brésil d’Hevea brasiliensis. Les Britanniques imaginent rapidement les bénéfices que le commerce du caoutchouc pourrait engendrer. Des recherches sont entreprises sur l’imperméabilité. Les premiers pneus sont produits mais ils durcissent au froid et ont tendance à fondre par grosses chaleurs… Il faut attendre que l’américain Charles Goodyear trouve le principe de la vulcanisation pour des pneus corrects soient produits pour les vélos. Après le développement de la bicyclette vient le temps de l’automobile, parfois par les mêmes firmes comme chez les frères Peugeot… Le caoutchouc connait alors de « beaux jours ». L’époque du « boum » du caoutchouc a lieu de 1880 à 1914. L’épisode 2 de la « folle histoire du caoutchouc » est à suivre…
Et déjà se profilent les premiers palmiers de l’entrée dans le canal de Jari. En 45 jours, dans l’entrée du canal dans lequel un voilier à quille pouvait passer, l’eau a considérablement baissé. L’Amazon Dream glisse par moments sur l’argile du fond avant de se retrouver en eau libre. Nous sommes accueillis par quelques ibis mandore, orioles, tyrans…
Notre croisière du coucher du soleil est un beau moment de nature avec: botos, saÏmiris ou singes-écureuils, hoazins, perroquets macavouannes en vol, dendrocygnes à ventre noir… Bienvenue au canal de Jari! Un dernier petit tour pour les amateurs de clair de lune et d’étoiles et au lit bercés par les voix de la nuit…
Ce matin, nous faisons d’abord une croisière au lever du soleil. Des chants d’oiseaux, plus ou moins harmonieux s’il s’agit des ibis mandores…, sortent de partout. C’est le moment magique où les oiseaux quittent leurs dortoirs pour partir se nourrir. Dans un ciel zébré de « plumes » de nuages rosés, passent des vols de perroquets macavouannes connus aussi sous le nom de aras nobles. De tout petits perroquets verts ou touis étés volent également vers les mêmes secteurs. La région est en pleine décrue et Angelo soude avec une pagaie avant de s’approcher des îlots où volettent des tyrans des savanes, carouges loriots, orioles des champs, canaris d’Amazonie ou sicales à béret… En changeant de secteur du canal de Jari, nous faisons le bon choix. Sur les grands ficus, des ibis mandores et de nombreux dendrocygnes à ventre noir ont manifestement passé la nuit là. En longeant la rive, nous découvrons tout un groupe de petits Saïmiris ou singes-écureuils. Les adroits petits singes sautent avec agilité d’un arbre à l’autre pour aller se régaler des fruits d’un grand figuier. Nous les observons un certain temps, eux nous surveillent… En repassant vers la pointe de la langue de terre, nous découvrons d’où vient tout ce petit monde. En effet, toute une famille sort du tronc formé de racines soudées du ficus pour rejoindre les plus matinaux au festin. C’est à nouveau un festival de courses sur les branches et de sauts d’un arbre à l’autre.
Après un solide petit-déjeuner, nous repartons dûment équipés pour marcher dans la forêt de Varzea. Nous commençons par une exploration du canal. Vanneaux téros, martins-pêcheurs, un beau caïman… plus tard, nous arrivons à la maison cabocle dont la propriétaire a préservé son terrain pour en sauvegarder la faune sauvage. C’est une « guerre » de tous instants contre la déforestation du voisinage pour faire place à l’élevage bovin… C’est l’occasion pour nous de découvrir une maison du canal de Jari. La propriétaire nous accompagne elle-même pour faire la balade. Nous passons d’abord sous un superbe noyer de noix de sapucaï près duquel un joli colibri fait la joie des photographes les plus rapides. Puis nous suivons un petit sentier dans la forêt de Varzea. Têtes en l’air, tout le monde en cherche les habitants. Heureusement, notre hôte nous montre le résultat de sa recherche… D’abord, un paresseux en boule, assez difficile à voir mais les bras plus nombreux que la normale peuvent présager de la présence d’un bébé… Nous retrouvons également des petits saïmiris. Les singes-écureuils, qui portent bien leur nom, se déplacent à toute vitesse d’arbre en arbre en nous regardant. Le second paresseux est très bien placé.
Assis dans un arbre, il nous regarde. Cela permet de bien voir sa tête autant que le reste. Bien souvent, ils sont profondément endormis en boule… Quelle chance! Quant au troisième, c’est un charmant jeune paresseux qui est endormi sur une branche en serrant un tronc dans ses bras. Lui dort profondément… Mais sa petite face, sur laquelle la fourrure semble dessiner un sourire, est bien visible. Sur les arbres nous croisons régulièrement fourmilières et termitières. Soudain, c’est toute une agitation… Au sommet d’un cécropia dont le tronc s’est cassé est installé un grand ibijau et son petit blotti contre son poitrail. Le bébé tout duveteux ressemble incroyablement à un chouetton… Ces oiseaux nocturnes d’un gris beige moucheté sont les champions du camouflage sur les branches ou les troncs… Décidément, belle matinée!!!
Dès notre retour à bord, nous naviguons vers Maguari. Nous retrouvons ces vastes étendues d’eau qui nous donnent vraiment l’impression d’être en mer. Même les vagues sont celles des milieux marins. Il faut dire que le fleuve Tapajos est le 4e affluent de l’Amazone par sa puissance et que nous sommes au point de rencontre des eaux du Tapajos, de l’Arapuins et du canal de Jari. La navigation est agréable et nous déjeunons paisiblement sur l’eau. Arrivés à Maguari, une fête improvisée a été organisée sur plage… Nous battons en retraite vers le lac Maraï. Un message rapidement envoyé et les Indiens Mundurukus vont bien nous recevoir ce soir. L’Amazon Dream continue sa route vers Bragança pendant que Karim nous raconte son expérience chez les pacifiques Indiens Zo’és. Les Indiens Mundurukus, eux, sont un peuple de guerriers. Réputés pour la qualité de leur vision nocturne, ils vivent de pêche, de chasse et d’agriculture vivrière. Dans le village qui nous accueille, ils sont 80. C’est en pirogue, dans le concert à mille voix de la nuit amazonienne que nous glissons au rythme des pagaies vers le village. Leur rituel est une belle cérémonie aux chants forts agréable. Après quoi, chaque famille présente son propre artisanat. Nous sommes là dans la plus pure concrétisation d’un véritable éco-tourisme. Il est d’autant plus utile que les Mundurukus ont au-dessus de la tête « l’épée de Damoclès » de la construction d’un énorme barrage sur le rio Tapajos… Enfin, cette soirée atypique se termine par un dîner sur la plage complètement magique avec un concert particulièrement réussi du petit peuple de la forêt…
Cette fois, c’est pour explorer la forêt d’igapo, celle qui reste toute l’année dans l’eau, que nous retrouvons les pirogues des Mundurukus.
Les pirogues dirigées avec adresse s’enfoncent sous les arbres, glissent parmi les touffes de végétation, les petits îlots flottants de verdure. L’endroit est magique, tout est si calme. Quelques chants d’oiseaux ou de grenouilles, le bruit de l’eau s’écoulant sur les pagaies… Mais nous sommes aussi là pour être initiés à la pêche au tucunaré, ce poisson dont une tache sur la queue ressemblant à son oeil sert à déstabiliser ses prédateurs. La première étape consiste à fouiller les radeaux de végétaux pour y trouver les escargots d’eau, crevettes et crabes qui vont leur servir à appâter. Puis, la technique consiste à monter progressivement en taille en pêchant avec de plus en plus gros appâts. Pour l’heure, nous nous en tenons à des prises plus modestes: quelques tucunarés et un cara-pixuna que nos charmants jeunes piroguiers pourront manger ce midi… Au retour sur le bateau, un artisan du village d’à côté vient nous présenter sa production. Il est important pour l’harmonie locale que chacun puisse profiter du passage régulier du bateau sur leur territoire.
Cap sur Maguari, seconde partie de l’épopée du caoutchouc… Nous en étions restés à la vulcanisation permettant de régler le problème des variations de températures et en terme d’élasticité. C’est l’époque des succès pour les pneus de vélos. En 1828, Charles Goodyear présente une chambre entière en caoutchouc. Il est à la mode… Toute la production de caoutchouc est à cette époque aux mains des barons du Brésil. C’est la première vague d’invasion de l’Amazonie par des populations de travailleurs venus du Nord-est qui n’ont rien à voir avec les populations amérindiennes et leur mode de vie… Les barons leur fournissent le matériel nécessaire pour travailler et bâtir leur maison. Ils se retrouvent endettés, des quasi-esclaves en compétition féroce: 1 kg de caoutchouc vaut autant que 1 kg d’or… Manaus en est le centre par sa position fluviale favorable au transport. Les Anglais en organisent le commerce et créent la ligne Liverpool-Manaus.
C’est le boum du caoutchouc! La grande époque d’opulence: l’opéra est construit, les chanteurs de la Scala viennent s’y produire, les architectes sont français, on envoie laver son linge au Portugal, le bois du Brésil part en Europe pour revenir sous forme de meubles précieux…
Dans la ferme du baron de Santarem, toutes les dernières nouveautés sont là: il se déplace en bateau à vapeur… En 1864, c’est la fin de la guerre de Sécession. Certains sudistes tentent de s’installer ailleurs. 200 familles « invitées » par les Portugais, qui voulaient développer la région, s’établissent à Santarem. 5 ans après, il n’en reste plus que 45… Aujourd’hui, 4… Créer une plantation d’hévéas n’est pas si facile… Un de leurs descendants dit: « Il est plus facile d’apprivoiser un jaguar que de faire pousser un hévéa. » Mais revenons au XIXe siècle… Un Anglais venu se fournir en plumes d’oiseaux exotiques pour sa boutique de chapeaux à Londres s’intéresse de plus en plus au « juteux » commerce et réussit le tour de force de soudoyer des complices pour sortir 70 000 graines d’hévéas du Brésil dans un bateau à double fond… 6 ans après, quelques arbres ont survécu. Passés par Londres, ils sont plantés à Singapour. Là, pas d’insectes ravageurs de l’hévéa. Rapidement, le caoutchouc produit en Asie est meilleur marché. Vendu en 1912 par les Anglais à 50 % du prix, le Brésil perd 70 % du marché… Au Brésil, on rase la forêt pour produire du cacao… Aux États-Unis, Ford sort 1 millon d’automobiles par an et General Motors 500 000. Ford décide, en 1923, d’acheter du terrain à Santarem pour y planter ses hévéas. Il veut faire les choses en grand… Mais faire venir de gros bateaux avec tout le matériel en basses eaux n’est pas forcément une bonne idée… En 1928, Fordland, la ville américaine modèle est inaugurée. Tout y est américain de la nourriture aux loisirs en passant par le rythme de travail…
Des conflits éclatent avec les travailleurs locaux. Au bout de 2 ans: 1 200 000 hévéas sont morts. Au bout de 3 ans, ils sont 2 millions. Bref, c’est un fiasco. En 1934 le Brésil, intéressé par les 7 % des bénéfices que Ford doit leur rétrocéder, lui donne une autre terre: Belterra. C’est un peu mieux! Mais la 2e guerre mondiale éclate avec pour conséquence l’invention du caoutchouc synthétique par les Allemands. En 1945, le fils Ford vend tout au Brésil. Aujourd’hui, Belterra a tout d’une ville fantôme…
Pour l’heure, nous débarquons à Maguari pour rendre visite à une famille qui travaille le caoutchouc naturel pour en faire de petits objets variés.
Un petit stand d’artisanat a été préparé et Karim nous explique les utilisations possibles de certains produits. Les vocalises inopinées d’un toucan araçari perturbent soudain la présentation quand Karim se lance à sa poursuite. Finalement tout rentre dans l’ordre quand le bel oiseau s’envole… Nous en aurons profité pour admirer les superbes fleurs du Maracuja ou fruit de la passion de la maison. Ici, le miel, par exemple, est consommé différemment de chez nous. C’est un médicament associé à d’autres produits comme l’huile de Copaïba ou l’huile d’Andiroba. Ces deux préparations sont des répulsifs et anti-inflammatoires locaux. La première dosée à 1 cuillère à café avec du miel est utilisée pour régler les problèmes broncho-respiratoires. Sous forme d’huile, elles servent pour des massages. Avec de l’alcool à 90°, ça devient un cicatrisant. Certains goûtent la liqueur de Taperiba. Puis c’est la démonstration de la « saignée » de l’hévéa. À l’époque du « boum » du caoutchouc, les seringeiros devaient le faire entre 5h30 et 11h du matin et au début de la période des pluies pour que l’écoulement soit maximum. Sachant qu’à l’état naturel, on comptait 10 hévéas par hectare, ils parcouraient ainsi autour de 25 kilomètres pour faire leur tournée. Un hévéa donnait en moyenne 300 à 400 ml en environ 30 minutes. Le problème était la pluie qui diluait le produit. Les Mundurukus avaient trouvé la solution: ajouter un peu de jus de manioc. Alors, le caoutchouc caillait presque immédiatement et mettait 20 minutes à sécher au lieu de 40 à l’état brut. Ce caoutchouc naturel est encore utilisé comme constituant, entre 3 et 10 %, dans la composition des pneus automobiles et surtout dans l’aviation. Pour réaliser son artisanat, notre hôte peut faire sécher le caoutchouc au soleil, les mettre en forme dans des moules ou le laisser sécher sur un morceau de bois de la forme recherchée. Puis, le caoutchouc est décollé avec une spatule et de l’eau. À produit naturel, technique naturelle…
Ce matin, nous allons rendre visite à « Sumauma », la « grand-mère » de la forêt, un kapokier géant dans un secteur de forêt primaire. Les annexes nous débarquent à la sortie du village. Trois habitants du village nous accompagnent pour nous expliquer l’utilisation faite de certains arbres et plantes. Pour les descendants des peuples premiers habitant la forêt amazonienne, c’est leur pharmacie, leur supermarché… Très vite, nous sommes dans le vif du sujet avec l’andiroba dont les graines servent à produire l’huile d’hier soir. Nous suivons d’abord un petit sentier dans une forêt de jatobas réputés leur bois dur. Au long de notre parcours, les essences se succèdent. Du sucuba on extrait un latex fluide excellent pour lutter contre les problèmes gastriques et utilisé comme lait pour mettre dans le café dans les régions où les vaches sont absentes. Les graines du jutaï sont mangées et l’écorce servait pour la fabrication de pirogues. La résine du breu, brûlée, est un bon répulsif. Les Mundurucus l’utilisent comme de l’encens et pour calfater les bateaux. La spectaculaire liane « échelle ou escalier de tortue » est un bon anti-inflammatoire, notamment contre les infections urinaires souvent dues au fait que les personnes ne boivent pas suffisamment dans un milieu où l’on transpire beaucoup. La liane « griffes de chat » a les mêmes vertus. Le Caparana-uba est une bonne source de quinine, notamment l’écorce préparée et bue couramment façon thé. Son tronc se retrouve au bord des chemins sous forme de poteaux électriques. Le Pitomba ou « raisins de la forêt » fournit des graines comestibles. Le palmier tucuma donne des graines qui se mangent dans du pain. Les urbains l’utilisent de manière péjorative pour qualifier les campagnards de « mangeurs de tucuma », une nourriture à cochons… Avec le muuba, on calfate les bateaux avec l’écorce grattée dont on fait une boulette. De temps à autre, un éclair rouge attire le regard. C’est une fleur de « passiflora », le fruit de la passion sauvage. Une spectaculaire fourmilière dans un arbre est celle de petites fourmis Tachi qui, écrasées sur les mains et les bras font office de répulsif et masquent l’odeur des chasseurs.
Le lacre sert de fibre pour les tissus indiens, gratté, il pigmente les tissus en jaune. Poursuivant notre randonnée, nous découvrons un tronc bien habité: des termites au pied et un trou dans lequel se sont installées des petites abeilles très actives. Des cris caractéristiques attirent notre attention. Il s’agit d’un couple de perroquets. D’une liane pendent de gros haricots. Il s’agit de l’Inga. Ces haricots mûrs se consomment. Un grand Jatoba borde le sentier. Sa résine, brûlée, est un répulsif. La résine de murao permet de faire une torche. La palme de curua jeune, appelée aussi « paille blanche », est préparée pour couvrir les maisons. Un superbe jatoba au tronc puissant pousse au bord du chemin. Son bois dur en fait un matériau excellent pour la construction des bateaux tout comme l’itau. Avec l’écorce de jatoba, découpée en forme de canoë, avec 3 cm d’épaisseur, on faisait de très bonnes petites embarcations traditionnelles. Ces bois durs comme l’ipé, poussent lentement. De grands arbres un peu plus loin pendent des nids de cassiques « cul jaune ». Nous tentons de les photographier mais ils sont prudents… Certains goûtent les noix du palmier curua. Le goût est proche de la coco mais salée… Encore l’effort de la montée et nous arrivons sur le plateau. La vue s’étend jusqu’au fleuve Tapajos en passant au-dessus de la canopée de la forêt que nous venons de parcourir. Pendant la pause, un de nos guides tresse habilement le « sac à dos » local. Il est prêt à l’emploi. Nous repartons, cette fois, dans une forêt primaire. Le sous-bois est beaucoup plus dégagé, les troncs des arbres les plus grands de plus en plus spectaculaires.
Au sol, par endroits, se mêlent aux feuilles mortes les tapis de fleurs jaunes des énormes picias. Il faut faire attention de ne pas renverser les petits « phares » auxquels ressemblent les nids de cigales en terre (une vingtaine de centimètres). Quelques chenilles, papillons, insectes divers et variés, souvent « équipés » pour un parfait mimétisme… jalonnent notre parcours avant d’arriver au pied de « Sumauma ». Quel superbe kapokier!
L’après-midi se passe en bains, sieste, farniente et navigation. Puis, nous faisons connaissance avec les habitants de Vista Alegre et la danse du tipiti…
Ce matin, c’est « l’opération manioc » qui nous ramène à Vista Alegre. Nous débarquons sur la plage d’une anse superbe près du bateau communautaire utilisé pour partir pêcher dans des secteurs plus poissonneux que les eaux claires et acides du Tapajos. Des petits présentoirs d’artisanat nous attendent. Finalement, nous nous rendons à la « maison de farine ». Le manioc, sur pied, nous est présenté. La plante, originaire du Brésil, est présente sous deux formes: manioc doux (non toxique) et manioc amer (le jaune). Puis, les différentes étapes se succèdent : les racines sont pelées et râpées avec les « dents de piranhas ». La pulpe obtenue est placée dans le célèbre « tube » tressé ou tipiti. Tiré, il presse le manioc dont le jus nocif s’écoule. Il contient du cyanure… La « semoule » obtenue est rincée. Dans la cuvette, se dépose au fond le tapioca, blanc. Le jus, jaune, sera cuit pour perdre sa toxicité et servira en cuisine à préparer poissons ou canard au tucupi. La semoule est grillée sur une large plaque métallique, tamisée et mise en sacs. C’est la « farine » de manioc, celle qui sert à saupoudrer les préparations, à table et qui sera cuite avec du jus de poissons… Le manioc de Vista Alegre est réputé dans tout le Brésil. C’est celui dont nous avons profité pendant notre croisière. Chaque famille du village doit 2 jours par semaine de production de manioc pour la communauté. On nous offre de goûter une crêpe de tapioca ou tapiocinia. Près du site de préparation du manioc, des arbres fruitiers ont été plantés: l’araça, de la famille des goyaves, permet de faire des jus de fruits blancs ou de parfumer des glaces. Ces fruits, très appréciés des toucans, ont donné leur nom aux petits toucans araçaris… À côté, le fruit de l’urucum, séché, torréfié et réduit en poudre, peut être mélangé avec du sel pour la conservation des aliments tout en leur donnant de la couleur. Les Indiens s’en mettaient sur le corps pour se protéger du soleil et des insectes. Le noni donne un fruit qui sent mauvais mais est un bon anti-inflammatoire local. Nous partons maintenant à la découverte du village de 140 habitants: l’église Notre Dame de Lourdes, l’école… L’école réunit les 46 écoliers de 4 villages proches. Les enfants nous présentent un petit spectacle. Nous continuons notre chemin entre maisons et secteurs forestiers pour entrer dans une petite forêt d’igarapo et déboucher sur un « igarapé », petit cours d’eau permanent. Dans le cas présent, il est alimenté par une source. Des pirogues nous y attendent. Nous embarquons pour une merveilleuse balade dans la plus grande sérénité. Nous glissons, portés par le courant. Les chants d’oiseaux retentissent de toute part, l’eau glisse doucement sur les pagaies, de temps à l’autre l’apparition d’un morpho jette des éclats bleus et s’évanouit sous les arbres… Un moment magique!
Retour à bord, bain, déjeuner, sieste et farniente… Puis l’Amazon Dream reprend sa navigation vers Alter de Chao. Tandis que nous traversons le fleuve semblable à une mer… le vent décoiffe bien sur le pont tandis que j’évoque le monde passionnant des fourmis et de leurs associations symbiotiques avec la végétation. Arrivés à la sympathique petite station balnéaire, nous débarquons pour activités variées. Karim va présenter les styles des différents types de poteries découverts localement. C’est shopping ou « caïpirinha party » pour les autres.
Quand nous revenons à bord, des orages sur les forêts illuminent sporadiquement le ciel. L’Amazon Dream a changé de point d’ancrage. Nous le retrouvons dans une sublime petite anse où une surprise bien brésilienne nous attend et nous ravit. Une bien belle dernière soirée amazonienne…
Dernière matinée à Santarem, nous en profitons pour explorer les marchés. D’abord le marché aux poissons, sous le toit rouge des halles une foule se presse autour des étals. Karim nous montre la variété énorme de types de poissons pêchés. Nous retrouvons tous ceux que nous avons dégustés à bord et bien d’autres… Environ 3000 espèces de poissons peuplent les fleuves et rivières du vaste bassin de l’Amazonie. Des quantités de poissons chats aux tailles et couleurs différentes, les célèbres piranhas dont les dents affûtées font un peu frémir même si beaucoup d’espèces sont végétariennes… L’étrange aruana peut sauter à 4 m de haut pour se nourrir… Le cujuba, étrange poisson noir caparaçonné aux « accents préhistoriques » vit au fond comme l’acari, qui d’ailleurs lui ressemble un peu… Le cara tinga, lui aussi, est noir mais fréquente les eaux à moyenne profondeur. Tambaquis, surubims, tucunarés, pirarucus… les noms sont pour nous aussi exotiques que les poissons eux-mêmes. Tandis que les poissons « nobles » sont présentés entiers, les autres sont émincés de petites incisions pour en couper les arêtes. Plus loin, des petits monticules de tailles variées attendent preneurs. Nous passons par le quai où s’accumulent les régimes de bananes pour passer au marché aux fruits. De lourdes bassines pleines de poissons sur la tête, des pêcheurs vont livrer aux halles intérieures, celles des restaurateurs et amateurs de poissons « haut de gamme », seules 5 espèces y sont vendues. Puis, les stands des épices embaument: cumin, poivre, la poudre rouge de l’urucum pour donner de la couleur aux mets… Nous passons ensuite aux remèdes de la forêt dont nous avons déjà eu l’occasion connaître les secrets lors de notre randonnée en forêt à Maguari: lait de sucuba, huile d’andiroba… Enfin, c’est le marché aux fruits, haut en couleurs et parfumé. C’est l’occasion de découvrir la noix du Brésil, celle qu’il vaut mieux éviter de recevoir sur la tête tant elle est lourde et l’arbre qui la produit puissant… Les graines qu’elle contient sont riches en quinine. Cela empêche l’attaque des insectes… Ce sont les aras et las agoutis qui les ouvrent.
Un ara, au bec dont la puissance est réputée, peut mettre 40 minutes à en ouvrir une. L’agouti l’ouvre, mange des graines et en emporte d’autres pour les enterrer en réserve comme les écureuils. Et, comme les écureuils, il en oublie… C’est un jardinier de la forêt…
Finalement, l’heure est venue de se quitter. Tandis que certains continuent l’aventure vers le Pantanal avec des rêves de jaguar en tête… les autres regagnent l’Europe. Merci à vous tous d’avoir partagé ces beaux moments avec enthousiasme et à bientôt pour de nouvelles explorations passionnantes…