Marianne Duruel
Coordination et Photographie
9 septembre
19 septembre 2016
À bord de l’Amazon Dream, septembre 2016
Marianne Duruel
Coordination et Photographie
Aéroport de Lisbonne, partis de Paris ou de Genève, nous nous retrouvons tous pour le vol vers les terres brésiliennes. Le vol transatlantique est paisible. Sao Paulo, énorme mégapole de près de 21 millions d’habitants, étire d’abord ses tours et axes routiers « pharaoniques » sous l’avion. C’est la facette du Brésil: plus grande économie d’Amérique latine, un pays intégré au cycle infernal de la mondialisation à tout va et dont la forêt amazonienne paie le prix fort…
Après le survol du plateau central « sculpté et repeint » aux couleurs de l’agriculture à l’échelle du pays, c’est Brasilia. La capitale brésilienne, vision du Brésil du futur, née de l’imagination de Niemeyer et Costa au début des années 60. Construite là pour mieux répartir la population du pays, elle compte aujourd’hui environ 4 millions d’habitants… Mais, bientôt, c’est Manaus et le géant Amazone. Face à la ville, on distingue nettement les eaux noires du Rio Negro qui s’écoulent sans se mélanger aux eaux dites blanches, mais, à ce niveau, ocres de l’Amazone. Il faut de nombreux kilomètres pour qu’elles se fondent ensemble… Puis, après avoir survolé la forêt, C’est l’ouverture du fleuve Tapajos dont les plages de sable clair contrastent sur le paysage. Cette année, les eaux sont manifestement moins hautes que l’année dernière. En fonction de l’intensité des basses et hautes eaux, le paysage est modelé et remodelé à grand renfort de bancs de sables. Sur le Tapajos, ils forment des plages paradisiaques « aux accents » de Caraïbes… Et voici: Santarem, 350 000 habitants, située au point de rencontre du Tapajos et de l’Amazone. Bienvenue à bord de l’Amazon Dream!
Après un accueil chaleureux et notre premier délicieux jus de fruit local, l’Amazon Dream large les amarres. Nous voilà tous sur le pont, à profiter de la navigation. Tandis que défilent les bateaux et constructions du port, jumelles et appareils photos sont de sortie.
Nous naviguons au fil des longues « retrouvailles » des eaux du Tapajos et de l’Amazone qui, comme à Manaus avec le rio Negro, ne se « précipitent » pas pour se mélanger… Sur les rives, la ville laisse peu à peu la place à la végétation de Varzea, cette zone inondée une partie de l’année, et aux maisons de caboclos ou cabocles, métis de Portugais et d’Indiens, sur pilotis. Premier coucher de soleil amazonien, première nuit amazonienne…
Le soleil se lève sur la Varzea, nous embarquons pour explorer le secteur vers le village de Pacoval. Nous avons quitté l’Amazone pour le Curua Una. C’est bientôt un festival, les oiseaux quittent leurs dortoirs pour aller se nourrir. Tandis qu’au-dessus de nos têtes passent les perroquets, sur les berges tout le monde s’affaire… Avec leurs couleurs chatoyantes, les petits canaris, les loriots à ventre jaune, les sturnelles militaires au flamboyant poitrail rouge s’activent. Un milan des marais déguste son crabe du matin. Les grands urubus étendent leurs puissantes ailes pour sécher la rosée matinale ou en profitent pour faire une toilette soignée avant de prendre leur envol. Noir, à tête rouge, à tête jaune… Ils sont tous là. Martins-pêcheurs à ventre roux, verts, amazoniens et les sternes pêchent. Les grandes silhouettes blanches des aigrettes ponctuent le majestueux dégradé de verts qui nous entoure. Les hérons striés, fidèles à leurs habitudes s’enfuient rapidement à notre approche. Mais… nous profitons de quelques raretés: un superbe héron coiffé nous laisse admirer son élégante aigrette, son cou au plumage rehaussé de jaune sur le blanc du reste du corps et le bleu turquoise de son bec et du tour de l’oeil… Bien élégant! Puis, moins élégants, quoique… Les kamichis cornus, grandes silhouettes noires mais au plumage parfois « dessiné à l’encre de Chine », eux aussi ornés d’une petite aigrette et à l’oeil jaune doré… Mais ils n’ont d’yeux que pour eux, car ils sont en pleine période de parade nuptiale… N’oublions pas les buses à tête blanche, balbuzards pêcheurs… Puis, nous nous enfonçons dans un charmant petit cours d’eau fréquenté aussi par bien des représentants de la gent ailée pour filer vers les célèbres nénuphars géants: Victoria Regia dont les gigantesques feuilles forment de vrais radeaux. Elles sortent de l’eau avec une forme de coeur et comme gaufrées puis grandissent, grandissent… La fleur, d’abord bouton blanc, s’ouvre d’une blancheur immaculée puis vire très rapidement au rose, puis mauve avant de dépérir. Angelo nous fait une belle démonstration de « chapeau brésilien »… Mais la « Terra firma », la terre ferme nous attend à Pacoval, où vit une communauté de Quilombolas (descendants des esclaves noirs réfugiés au XVIIIe siècle en Amazonie)… C’est en pick-up que nous rejoignons la forêt « miraculée » de la déforestation intensive pratiquée pour l’élevage dans toute cette région.
Premier contact avec la forêt amazonienne, concert de cigales dès que soleil apparait, silence au moindre nuage… Les appels des caciques, l’oiseau ennemi des chasseurs, qui informe bruyamment de l’approche d’intrus… Les étonnants petits « phares » maçonnés interpellent bientôt les marcheurs: racines, champignons… Non: nid de cigale! Leur profondeur est de près d’un mètre sous terre et une petite colonne d’une trentaine de cm se dresse sur le sol. Il en sortira une cigale bien finie qui laissera sa première mue sur le bord de la petite colonne soigneusement décapitée…Karim et le propriétaire de la parcelle nous expliquent les noms et utilisations des arbres. Nous observons les robustes troncs des picias dont les fleurs jaunes jonchent régulièrement le sol. L’itauba, si résistant aux termites et aux méfaits de l’eau, est le bois favori pour la construction des bateaux…. Le massaranduba sert pour fabriquer les meubles. L’écorce du preciosa sert à parfumer les maisons. Le tiborana permet de communiquer tel un « tam tam » géant. Le latex de l’amapa peut être utilisé tel le lait de vache et se révèle être excellent contre les douleurs d’estomac. C’est avec dextérité que le propriétaire des lieux prépare une palme du palmier curua pour en faire un parfait élément de la couverture d’une toiture traditionnelle. Comme celle de la petite paillotte sous laquelle un jus d’açaï au manioc nous est offert. Et nous voici repartis de plus belle.
L’après-midi est consacré à la navigation vers Monte Alegre. Enfin, un petit tour en annexe au coucher du soleil nous offre un beau spectacle local ponctué de libellules… Quelques dauphins assurent le spectacle…
Après une nuit tranquille en face de Monte Alegre, nous embarquons vers son port. Petite balade dans le marché avant notre départ en 4X4 vers les montagnes « Serra de la Lune » et « Serra Ireré ». Les façades hautes en couleurs de la ville nous accompagnent jusque sur le plateau de cette zone de « Terra firma » (terre ferme). Un superbe ipé à la somptueuse floraison jaune marque la sortie de la ville. Nous pénétrons dans le secteur des grandes propriétés d’élevage extensif. Il ne reste, en ce moment où les eaux ont bien baissé, que peu d’animaux, car ils sont dans les riches pâturages de la Varzea. Là, cette région de l’univers amazonien, sous l’eau une partie de l’année, connaît les bienfaits du limon du grand fleuve… Nous croisons le chemin d’un beau caracara huppé qui marche à grandes enjambées dans un mélange de bush et d’herbe étonnamment verte pour la saison. Mais notre but est la découverte tant de ces paysages très différents de ceux rencontrés jusqu’alors et liés à leur histoire géologique que des aspects historiques humains. En effet, certaines grottes abritent des peintures rupestres datant de 9000 à 12 000 ans. C’est Anna Roosvelt qui a travaillé sur ces sites et fait des fouilles dans cette région dans les années 90. Nous montons vers le premier site dont les aspects historiques et naturels sont aussi intéressants. Nous arrivons dans des grottes spacieuses ornées par endroits d’étranges représentations ocre foncé ou jaune orangé réalisées à partir de la roche broyée et donc de pigments minéraux mélangés à… de l’urine. De toute évidence, ça résiste très bien au temps. Par endroits, le contraste est saisissant entre certaines roches sombres et les fines particules noires du sol périphérique, dans un milieu de sable doré et de roches sédimentaires formées sous la mer de Pebas… De minuscules petites « cheminées de fées » se forment parfois au bord de la piste. Enfin, du point culminant, nous profitons d’une vue imprenable sur le lac de Monte Alegre (92 km de long) et toute la région. Une belle matinée sous le signe de l’histoire…
L’après-midi est consacrée à la navigation. Puis nous partons explorer, en annexe, une île sur l’Amazone. La lumière est superbe. De nombreux oiseaux regagnent leurs dortoirs: perroquets, dendrocygnes à ventre noir… Quelques sternes et becs en ciseaux volent autour de nous pour un dernier repas avant la nuit. Nous cherchons des paresseux… Et pour ce faire, descendons à terre, une terre peu accueillante dont le sol vaseux s’écroule au fur et à mesure tandis que les insectes s’acharnent sur nous. Le paresseux est peu visible et nous ne nous attardons pas… C’était une première mais elle sera la dernière… De nouveau sur l’eau, nous suivons le coucher du soleil dans un ciel flamboyant sur fond de ces énormes nuages tout en hauteur dont la blancheur moutonnante fait immanquablement penser à de la chantilly… Quelques-uns d’entre nous tentent une opération pêche aux piranhas mais ces derniers manquent d’appétit… Retour au bateau!
Aujourd’hui, l’Amazon Dream navigue tôt pour nous positionner au Sud du lac de Monte Alegre, dans un secteur de Varzea dont nous partons explorer des petits canaux. La vie s’écoule paisiblement dans le premier grand canal. Puis, c’est la traversée de l’extrémité Sud du lac, par la « secte des ponchos bleus »… Les embruns calmés, c’est en tenue plus décontractée… que nous regardons les « cow boys » locaux mener, à cheval, un troupeau vers les vertes terres de la Varzea. Et nous nous enfilons silencieusement dans un vrai tunnel de verdure. La forêt bruisse, les reflets dans l’eau, les nombreux oiseaux, un petit « jacaré » ou caiman qui se laisse glisser dans l’eau et disparaît…
Nos sens sont aiguisés pour ne rien manquer de cette belle nature: des toucans tocos. Ces grands toucans sont bientôt la récompense de notre studieux silence. Soudain de petits gazouillis sortent de la forêt sur la rive gauche et ils sont là: tout un groupe de petits singes écureuils ou Saïmiris, en plein petit-déjeuner… En ressortant, c’est un jeune caiman qui passe à l’eau rapidement, ressort sa tête dans les racines du bord et nous joue la stratégie du « je ne bouge pas dont je suis invisible»… avec un « self control » exemplaire… Dans un canal plus grand, nous rencontrons des quantités de petits bateaux de pêcheurs. C’est si sympathique ces salutations échangées spontanément… Notre trajet nous permet encore de voir de nombreux iguanes. Les femelles sont en période de ponte. Elles déposent leurs oeufs dans des sortes de terriers creusés dans les berges molles laissées libres par l’eau qui se retire en cette saison. Certaines essayent de nous impressionner en balançant la tête de bas en haut ou filent à toute vitesse se cacher. De multiples volatiles et un grand singe hurleur roux plus tard et nous naviguons vers le bateau. Cependant… un dernier arrêt pour admirer la dextérité de Zénilton à la pêche à l’épervier. Il faut dire que notre marin est ici chez lui. Il remonte plusieurs pacus, poissons arrondis aux reflets argentés et un spécimen du fameux piranha à ventre rouge…
Puis, c’est avec appétit que nous faisons honneur à notre excellent déjeuner… Débarquement à Santarem, nous nous rendons à la place des pêcheurs. Un monument y rend hommage aux natifs de Santarem. C’est la statue du « Mocorongo », celui qui est né et a vécu à Santarem, porte la clé de la ville et une pagaie. Il est protégé par la Muiraquita, grenouille fétiche, symbole de la cité. Nous retrouverons sa représentation dans les ornements des Indiens Mundurucus. Nous flânons de l’ancienne maison du baron du caoutchouc à un promontoire d’où la rencontre des eaux ocres de l’Amazone et de celles claires, donc bleues, du Tapajos qui coulent parallèlement est bien nette. Un petit tour au musée où Karim développe histoire et vie locale puis nous regagnons l’Amazon Dream.
Nous naviguons vers le canal de Jari. Notre arrivée est parfaite: le bateau est amarré juste au moment où les perroquets viennent se coucher. Nous assistons à une attaque de buse sur un couple d’ibis mandores. Les perroquets s’affolent… Par vagues, bruyantes et colorées, les aras maracanas volent dans le soleil couchant vers leurs dortoirs. C’est spectaculaire et cela n’a lieu que 2 mois dans l’année…
Puis, autre chance: dans la végétation plus basse, des hoazins huppés, eux aussi sont installés pour la nuit.
Nous nous observons mutuellement… Ils nous regardent de leurs beaux yeux rouges cernés de bleu. Leurs huppes s’agitent dans le vent. Ces oiseaux extraordinaires disposent d’un système digestif qui a modifié leur anatomie et les a rendus inaptes à un vol de qualité. Les jeunes, en cas d’alerte, ne s’envolent pas, mais se laissent tomber du nid. Ils y remontent grâce à des crochets au bout des ailes qui permettent l’escalade…
La lumière est superbe, cet endroit est vraiment magique!
Exploration du canal de Jari, tel est notre programme de la matinée. Des pêcheurs s’activent dans leur pirogue. Les maisons des cabocles, sagement rangées le long du canal, ponctuent un univers tout de vert et d’eau… Partout, la faune capte les premiers rayons du soleil pour se sécher de l’abondante rosée : iguanes, orioles au ventre jaune vif… et un paresseux… Tout en haut d’un arbre, au soleil, il semble porter une ceinture… La drôle de ceinture se révèle être un bébé… Belle surprise! Elle met prudemment un gros bouquet de feuilles entre nous et eux. D’un bras, elle monte et de l’autre le serre contre elle. Le petit nous observe avec au moins autant d’intensité que nous…
Finalement, bien installés dans l’arbre favori des paresseux, le cécropia, les deux s’assoupissent dans la douce chaleur du soleil du petit matin. Hérons striés, vanneaux téro, tyrans des savanes, anis à bec lisse ont soudainement moins de succès… Les scènes bucoliques se succèdent. Les bovins de la race Brahman, avec leurs longues oreilles sont de plus en plus présents au fur et à mesure que l’on avance. Les taureaux sont impressionnants, mais nous regardent passer avec le plus grand calme. Des petites maisons sur pilotis dressent leurs silhouettes à contre-jour… Les photographes et vidéastes s’en donnent à « coeur joie ». Transport de briques, pose de filets, réparation des enclos et des maisons après les crues… Tout autour de nous on s’active… Un onoré rayé dresse bientôt sa haute silhouette d’échassier sur une berge. Ses tigrures noires et fauves sont superbes! Dans le Jari, voluptueusement plongé dans l’eau, le bétail blanc est en plein repas. Sur cette tendre végétation qu’ils engloutissent, les jacanas volettent et ne quittent pas les paisibles brahmans… Il faut dire que les insectes quittent les touffes d’herbe en urgence et que la table est bonne… Des jacanas adultes au plumage fauve sombre, tête rouge et bec jaune, côtoient des jeunes beige clair et rayés de blanc et de noir, on jurerait une autre espèce…
Un peu plus loin, tandis que certains sont concentrés sur la pêche aux piranhas, d’autres observent et photographient les voisins… Les pêcheurs nourrissent bien les piranhas et les paris sont ouverts: Angelo, notre capitaine et expert en pêche, l’enthousiaste Karim ou Yvon, notre grand amateur de pêche?… Victoire sans conteste pour Yvon dont les beaux piranhas font de belles démonstrations de découpe de précision sur tige, feuille, et dont le « sourire » est immortalisé. Finalement, nous accostons pour explorer un peu, à pied, la forêt d’une maison cabocle (ces métis de Portugais et d’Indiens). La propriétaire nous reçoit et nous guide: colibri rutilent, grosses coques de noix de sapoucaï… La végétation est variée: palmiers avec de nombreux cécropias, la nourriture favorite des paresseux. Et, effectivement, ils sont plusieurs, plus ou moins visibles… Les cervicales souffrent un peu… Retour au bateau!
La journée se poursuit la traversée du point de rencontre des eaux du Jari, du fleuve Arapiuns et du fleuve Tapajos: une mer… L’Amazon Dream se « pose » sur un somptueux banc de sable blanc d’Icuxi. C’est l’heure de la baignade. Finalement, le bateau s’amarre dans une crique près d’Urucurea. Avec l’annexe, nous glissons sur une « mer » d’huile le long de rivages sublimes peuplés de toucans tocos dont un couple présente son poitrail jaune aux derniers rayons du soleil. Les singes écureuils vont se coucher, la lune se lève et nous rentrons.
Lever du jour dans les criques du fleuve Arapiuns, elles ressemblent furieusement à des baies maritimes. Les fleuves amazoniens sont bien les champions de la démesure. Un tour d’observation matinal nous permet d’assister au petit-déjeuner des capucins encore tout mouillés de la rosée de la nuit… Quelques pêcheurs passent en pirogue. Le bateau de ramassage scolaire file chercher les petits écoliers de l’école d’Urucurea. Ici, on éduque les enfants de 5 villages. Deux beaux toucans tocos lissent leurs plumes avec application. L’Amazon Dream, niché dans sa crique, brille au soleil quand nous remontons à bord pour un petit-déjeuner bienvenu…
Parés pour la randonnée, nous débarquons sur la charmante petite plage où nous assistons à la préparation de teintures pour les fibres nécessaires à la réalisation de vanneries. La couleur orange, par exemple, est obtenue à partir de feuilles de Cajira écrasées au pilon puis bouillies avec les fibres de palmes du palmier tucuna prêtes à tresser. Le cadre est superbe et les explications intéressantes.
Certaines réalisations seront bientôt en France ou en Suisse… Puis nous pénétrons dans la forêt dans un concert de crissements, de chants, de bruissements… Silencieux, nous cheminons sous les frondaisons. Les feuilles portent encore des gouttes de cristal à leur surface. L’humidité est bien là… Notre guide du village nous fait une démonstration du travail des seringueiros: l’incision qui déclenche l’écoulement du latex. Un peu plus loin, un grand singe hurleur noir se gave de feuilles. Il se penche pour nous regarder et s’enfonce dans la végétation. Sa queue préhensile et son utilisation pour sécuriser ses déplacements sont nettement visibles. Non loin, des singes écureuils passent rapidement avec la plus grande agilité d’un arbre à l’autre pour disparaître. Nous avançons sur le petit sentier dans une cathédrale toute en nuances de vert, ponctuée des éclairs rouges des fleurs de passiflore, des fugitifs et acrobatiques passages bleu turquoise métallique des superbes morphos… Le papillon qui rend fou les photographes fait des passages de star dont le but est tout à la fois de se faire remarquer tout en évitant de se faire dévorer… Tout un art… Sauf que cette fois là, de délicieux fruits sucrés jonchent le sol et la gourmandise est la plus forte. Le sublime papillon passe d’un fruit à un autre et oublie toute prudence, ses ailes souvent largement déployées. Un petit lézard, lui aussi adepte du: « je ne bouge pas, personne ne me voit… » joue les statues sur une souche. À l’arrivée au village: école, église, salle des fêtes… ça bouge beaucoup plus: écureuil, pic ouentou… Et, nous trouvons sur un tronc une des reines du mimétisme: une mante religieuse (Liturgusa Charpentieri) qui se fond si bien sur l’écorce qu’il faut vraiment se concentrer ou qu’elle se déplace pour la voir…
Notre navigation vers la réserve de la forêt extractiviste du fleuve Tapajos nous confirme que naviguer sur le fleuve Tapajos est bien proche d’une navigation océanique et nous permet d’assister à une belle averse équatoriale: de vraies trombes d’eau… Spectaculaire!
Arrivés face au village de Maguari, le soleil est ressorti et le bain bienvenu sur un banc de sable blanc de rêve… Puis nous embarquons vers le village. Karim nous dévoile tous les secrets de l’hévéa, de l’ »extraction » du latex et de toutes les graines utilisées pour la fabrication des bracelets et colliers… Quelle richesse naturelle!
Parés pour l’expédition « Sumauma », visite à la grand-mère de la forêt! Dûment équipés, nous débarquons au village de Maguari pour rejoindre le petit sentier forestier. C’est la forêt « supermarché » et « pharmacie » des populations locales dont nous allons découvrir les facettes ce matin. Karim nous montre, d’abord, les graines d’Andiroba dont on extrait l’huile servant aux massages, aux vertus antidouleurs et bon répulsif contre les insectes. Tandis que nous cheminons, nous égrainons les essences et leurs vertus: l’amapa, proche du sucuba déjà rencontré, dont le lait est excellent contre les gastrites; breu dont on utilise la résine pour allumer facilement le feu, dont la fumée éloigne les insectes et utilisé pour le calfatage des pirogues; murapuama, le viagra amazonien; muuba également employé pour calfater les bateaux; les fourmis tachi qui, écrasées sur la peau, sont un bon répulsif et permettent aux chasseurs de masquer leur odeur… La forêt secondaire, dont la profondeur inextricable nous a entouré jusqu’à présent, laisse la place à une forêt primaire (qui n’a pas été modifiée par la main de l’homme ou il y a fort longtemps) quand nous atteignons le plateau de terre noire. Ici, il y a 8000 ans, vivait une population indienne. Des fragments de poteries sont encore trouvés dans ce secteur. Nous continuons notre progression après une petite pause qui offre une belle perspective sur la canopée et le fleuve Tapajos plus loin. Nous retrouvons les nids de cigales qui régulièrement rythment nos pas… Les essences se succèdent à nouveau: garuba, le cèdre local; cuaricuara, utilisé pour faire des pilotis ou les poteaux électriques; tauari, au bois résistant et léger, fort apprécié des menuisiers; samauma ou sumauma, le kapokier… Nous voici arrivés à notre but: la « grand-mère » de la forêt est là! Nous nous sentons tout petits. Il est vrai que depuis que nous sommes sur le plateau, les troncs des arbres sont de plus en plus impressionnants, mais là, il est vraiment spectaculaire! Assis au pied du vénérable arbre de 700 à 1000 ans, nous dégustons avec joie les délicieux petits sandwichs et le jus d’acerola préparés par notre Dali, le chef hors pair du bateau. Après avoir immortalisé notre équipée forestière, nous prenons le chemin du retour. Autour de nous, la vie bat son plein. Les fourmis Atta ou champignonnistes s’activent à transporter des morceaux de feuilles qui, mâchés, serviront à faire pousser des champignons dont elles se nourriront… Des papillons butinent. Des morphos font leurs apparitions fantomatiques: le bleu métallique des ailes supérieures laissant la place au dessous des ailes sombres qui font qu’il semble disparaître…
Nous avons même l’incroyable chance de réussir à voir celui que, d’habitude, nous entendons, mais ne voyons jamais, le cricrio… Celui qui avertit au moindre intrus. Après cette très belle balade, un bon bain et un excellent déjeuner sont les bienvenus… Pendant la navigation vers Bragança, une sieste réparatrice et une causerie sur le pont nous occupent. Nous embarquons en annexe pour faire le tour de notre environnement au coucher du soleil. La pleine lune se lève. Quelle belle synchronisation! Ce soir, les indiens mundurucus viennent nous prendre en pirogues pour assister au rituel de la pleine lune, en remerciement pour l’eau, les arbres… qui leur permettent de vivre dans la forêt.
Dès le départ, silencieux, dans l’incroyable concert des voix de la nuit amazonienne, l’heure est à la magie!
Angelo pilote doucement l’annexe dans des passages peu profonds jusqu’au grand Tapajos ici large de ses 22 kilomètres… Et nous rentrons dans le lac Tauari aux contours en véritable labyrinthe. Plus nous avançons et plus le lac semble se refermer derrière nous… Nous voici au point de rendez-vous. 5 pirogues nous attendent et nous voici partis pour nous enfoncer dans la forêt d’igapo (celle qui a toujours les pieds dans l’eau). La lumière est sublime, les perroquets commencent leur matinée bruyamment… Nous glissons dans un véritable univers aquatique. Entre les souches d’arbres morts, passant sous les voûtes de végétation, les pirogues se faufilent. Martins-pêcheurs verts, hirondelles à ailes blanches, balbuzards pêcheurs, colibri, aras, anis à bec lisse, paroare à tête rouge… C’est un festival! Nous pénétrons sur un igarapé, petit cours d’eau au courant vif avant de poursuivre pour rejoindre notre annexe. Et nous voilà partis vers le village de tauari. Les noms du lac comme du village sont celui d’un arbre dont on fait du papier à cigarettes… certes un peu rustique… mais c’est un fait: on découpe un rectangle dans le cambium de cet arbre. Le morceau de bois peu épais, en séchant, se délite en fines « tranches »… Dans le village, chaque maison possède ses arbres fruitiers pour produire: mangues, avocats, noix de cajou, palmiers açaï pour le jus… C’est le règne de l’agriculture vivrière. On y pratique également l’aquaculture. C’est l’occasion pour nous d’assister au repas des célèbres pirarucus. Ceux-là ont 2 ans ½, 3 ans. Pêchés tout petits quand a lieu la saison sèche. Ils peuvent être vendus dès 2 ans mais là, veulent arriver à l’âge de la reproduction. À 9 ans, ils feront: 3 m et 270 kg. L’aquaculture est une nouvelle activité intéressante. Elle rapporte plus que l’élevage bovin: 1 kg de pirarucu coûte 35 réals et 1 alors que kg de filet en coûte 13… Le pirarucu revient à peu de frais, il mange seulement, compte tenu de sa taille, 1 kg de poissons (sardines d’eau douce)par jour. Ces sardines se nourrissent, elles, de fruits de l’açaï et sont pêchées aux alentours.
Mais, regarder un pirarucu gober sa sardine est impressionnant, la grande gueule s’approche doucement du petit poisson argenté et soudain, c’est l’explosion dans une gerbe d’eau et plus de sardine… À côté des pirarucus, les tambaquis, poissons également fort appréciés, sont élevés, mais ils sont nourris aux granulés (soja et maïs transgéniques agrémentés de graisse animale)… Dans la nature, ils mangent des fruits de carana et des graines d’hévéa vertes, de préférence. Il faut savoir choisir son poisson en Amazonie comme partout… Et là, on peut faire confiance au savoir-faire de la talentueuse cuisinière de l’Amazon Dream et de l’équipage pour nous choisir les meilleurs poissons sauvages. Ils sont souvent achetés en cours de croisière directement aux pêcheurs sur leur pirogue…
Le village de Tauari revient de loin quant à sa qualité de vie. Il s’est développé grâce au caoutchouc qu’ils exportent encore un peu. Ses terres sont assez hautes, c’est bon pour l’hévéa. Au moment du boum du caoutchouc, de l’âge d’or, c’est la folie. Les plantations d’hévéas se développent partout. Entre 1923 et 27, les Américains ont acheté le plus possible de terres dans l’état du Para. Il existait un accord entre les États-Unis et le Brésil: les premiers devaient rétrocéder 7 % au Brésil. En 1928, Fordland est créé par Henry Ford, une ville américaine en Amazonie. Le modèle américain est importé en intégralité: cuisine, vêtements, maisons, écoles… et interdiction du football et de l’alcool… Échec total auprès de la population locale… Karim nous développe l’incroyable épopée du caoutchouc et ses « rebondissements »… Normal! Navigation vers Vista Alegre, nous passons sur l’autre rive du Tapajos. Ce soir-là, nous faisons connaissance
avec Carlos, le dynamique cacique du village aux soirées animées…
Nous débarquons à Vista Alegre, ce dimanche matin, pour une initiation à la vie quotidienne. Le village est d’abord beaucoup plus calme qu’hier soir. Nous découvrons tous les secrets de la fabrication de la « farina ». La farine de manioc est le moteur de la vie du village. Chaque famille en fait à la maison, mais doit consacrer 2 ou 3 jours/semaine à la communauté pour, par exemple, produire de la farine à la maison communautaire ou nettoyer la salle des fêtes. Le manioc communautaire vendu a ainsi permis d’acheter un bateau (tout blanc) pour aller pêcher sur de meilleurs « spots » en fonction de la hauteur des eaux. Le poisson est la principale source de protéines des 130 habitants et de leurs enfants. Mais, revenons au manioc. La racine est grattée puis mise à tremper dans l’eau. Après, elle est râpée dans la machine à « dents de piranhas »… Cette pulpe est pressée dans un sac pour commencer à retirer le jus nocif qui, laissé dans une grande bassine, donnera: au fond, un dépôt de tapioca blanc et le jus jaune au-dessus ou tucupi (après 30 minutes). Longuement cuit (4h), il perdra sa nocivité et sera utilisé pour cuisiner le célèbre canard au tucupi. On le retrouve aussi sur le marché de Santarem sous forme de grandes bouteilles au contenu jaune dans lequel trempent de petits piments. Cela donne une excellente sauce relevée… La pulpe compactée est insérée dans le tipiti, sorte de long tube tressé et souple, qui tendu par un ingénieux système fait s’écouler le jus nocif. Puis elle est tamisée et disposée sur une grande plaque métallique chauffée en dessous par un feu alimenté en permanence. La vapeur étant nocive, les personnes qui remuent les grains à l’aide d’une vieille rame reconvertie doivent se relayer toutes les 20 minutes. La cuisson dure 1h30. Puis les grains fins soigneusement tamisés rempliront les sacs de 60 kg que l’on retrouve sur les marchés. Cette farine de manioc d’ici est très réputée et vendue 5 réals le kg. C’est une base de nourriture riche en calories. À Rio, la crêpe de manioc remplace le pain. On peut aussi en faire des sortes de chips. Le manioc est ici mangé « à toutes les sauces »… La famille de notre guide du village en produit 120 kg par semaine et en garde 15 kg pour nourrir la famille…
Nous poursuivons notre visite, mais cette fois dans une ambiance festive, car plus nous déambulons dans le village et plus nous nous rapprochons de la salle des fêtes. La trilogie de tout village amazonien qui se respecte est: église, école, salle des fêtes… Et là, nous confirmons que cette dernière fonctionne bien. Il est 10 heures du matin, la fête a commencé hier soir… Quelques hamacs sont occupés par-ci par-là… Après l’église, Notre Dame de Lourdes… c’est l’école: en semaine, 36 élèves et leurs professeurs s’y activent.
Des petits jardins sur pilotis sont construits près des maisons. Nous sortons peu à peu du village. La « forêt-boutique » est à nouveau évoquée: les poteaux électriques sont en cuari cuara, les feuilles de caponga sont utilisées pour cuire le poisson… Des arbres en fleurs ponctuent la verdure: jaunes, elles tombent de l’ivira, dont la fibre sert à fabriquer des cordes; fleurs violettes, il s’agit de l’aquiqui. Des arbres fruitiers sont aussi présents: manguiers, caféiers, anacardiers dont le fruit demande toute une préparation pour pouvoir le consommer… La noix de cajou présente, en effet, une « écorce » qu’il faut bien griller pour pouvoir déguster la noix. S’il reste du lait, il est amer, poison et brûle… Mais, bientôt nous bifurquons vers l’eau où des pirogues nous attendent. C’est à nouveau la magie de glisser sur l’eau! À bord, le plat du dimanche nous attend: le célèbre canard au tucupi… Bon appétit! Il est délicieux…
Nouvelle traversée du Tapajos et nous retrouvons la « civilisation » à Alter do Chao. La ville balnéaire est elle aussi en fête: pendant la fête du Sairé, deux groupes d’habitants s’affrontent dans un duel chorégraphique entre le dauphin rose (Boto) et le dauphin bleu (Tucuxi). Nombreux sont les danseurs et les spectateurs… Après tous ces jours paisibles passés entre nous, le contraste est marqué et nous nous réfugions d’abord vers le paisible lac vert (réserve protégée) puis à bord de notre charmant Amazon Dream où une surprise nous attend.
L’Amazonie et ses habitants ont largement tenu leurs promesses!
À chacun son chemin… Tandis que certains s’envolent vers l’Europe, les chanceux, après une dernière découverte au marché de Santarem, partent à la découverte de l’incroyable Pantanal. Pantanal, terre de faune mythique: loutres géantes, aras hyacinthes… et le très discret jaguar!
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Messages
Magnifique voyage. Un grand MERCI à Marianne et Karim pour leurs compétences, merci encore à Marianne pour son compte-rendu qui m’est bien utile pour me resituer.
Quant au Pantanal, décors et climat différent, mais aussi très beau. On espère, Marianne, que tu pourras faire l’ensemble du voyage la prochaine fois.
Meilleures salutations
Yolande et Charles, les Suisses