Marianne Duruel
Coordination et Photographie
21 août
2 septembre 2018
À bord de l'Amazon Dream, août 2018
Marianne Duruel
Coordination et Photographie
Partis, respectivement, de Belgique, de France et de Suisse, la majorité du groupe se retrouve à Lisbonne. L’ambiance est rapidement chaleureuse. Finalement chacun s’installe dans l’avion pour le vol transatlantique.
Le débarquement à Belém se fait dans une « douce » chaleur : bienvenue au Brésil ! Le premier contact avec la souriante nonchalance brésilienne est déjà dépaysant… Après un passage rapide des formalités, nous retrouvons Ruth, notre guide. Et nous voici dans notre bus en route vers la vieille ville de Belém. Une vingtaine de minutes nous séparent de notre lieu d’hébergement. Nous longeons les quais donnant sur la baie de Guajara, passons le célèbre marché Ver’O Peso, le port de pêche et la cathédrale. Ruth évoque la ville et son style de vie, nous fait remarquer les façades des maisons construites au XIXe siècle, à l’époque du boom du caoutchouc. Finalement nous arrivons à la Quinta Da Pedras. Le patio de l’ancien monastère est joliment éclairé. Après un léger souper, nous regagnons nos chambres respectives pour un repos bien mérité dans ce cadre fort agréable.
Premier petit-déjeuner brésilien pris sur fond de montée des couleurs par la marine brésilienne sur le petit square d’en face. Nous partons à pied pour le parc Mangal das Garças (littéralement : la mangrove des aigrettes). Dès l’entrée, le ton est donné avec les fleurs et les fruits de « l’abricot de Macaco ». C’est un bon exemple de cauliflorie, lorsque fleurs et fruits poussent sur le tronc et les branches des arbres, une des caractéristiques de certains arbres de la forêt tropicale humide.
Puis, nous découvrons tout un panel de la faune amazonienne. En effet, là, vivent paisiblement des rescapés du braconnage, souvent confisqués à des particuliers, et relâchés dans ce parc, car incapables de survivre en milieu naturel. Il faut savoir que le commerce des animaux sauvages, morts ou vivants, est le 3e commerce illicite le plus lucratif après la drogue et les armes…
Ce trafic rapporte plus de 14 milliards d’euros par an… Les aigrettes sont nombreuses : grande aigrette (bec jaune, pattes et pieds noirs), aigrettes garzettes ou neigeuse (bec noir, pattes noires et pieds jaunes). Des iguanes sont en plein petit-déjeuner. Autour et sur de vastes plans d’eau, on trouve : canards amazonettes, dendrocygnes veufs, ibis rouge, flamands, hérons cocoï… Des volatiles timides que nous pouvons observer et photographier de tout près. Nous montons au sommet de la tour qui offre une belle perspective sur la ville de Belém, la baie de Guajara et le Rio Guama. L’Amazone est à une cinquantaine de kilomètres et l’océan Atlantique à 120 km. Dans une vaste volière vivent : des spatules roses, hoccos alector tout de noir vêtus, ortalides motmot, râles de Cayenne… Quelques tortues sortent leur nez de l’eau pour respirer. Une autre volière est consacrée aux papillons. Une nouvelle bonne occasion d’observer et photographier tout à loisir ces papillons très discrets et rapides dans leur milieu naturel : oeil de chouette (de la famille du morpho), Julia (un héliconia orange)… Quelques piranhas noirs et une raie du Xingu (toute noire à taches claires) complètent la collection. Dehors, c’est l’heure du repas des échassiers. Le grand jabiru est de la partie… Notre déjeuner est l’occasion de traverser une partie de la vieille ville et d’en apprendre plus sur Belém et le Brésil. La ville des manguiers compte 2 millions d’habitants. Ancienne ville prospère à l’époque du boom du caoutchouc, la ville abrite à l’heure actuelle une population aisée mélangée à une très pauvre comme ceux qui font commerce des mangues tombées des arbres qui bordent les avenues… Le système éducatif est, lui aussi à « 2 vitesses »… Les cours ont lieu le matin ou l’après-midi, faute de place, pour les nombreux enfants. Les écoles privées sont très chères. Dans ce quartier aux belles façades XIXe restaurées, on se presse autour des écoles privées… Notre restaurant est un parc arboré. On y trouve une belle collection d’orchidées. Après un petit repos bien mérité, nous partons vers l’aéroport. Le vol vers Santarem survole les méandres de l’Amazone, les vastes zones inondées et la forêt… Nous sommes accueillis par Karim et bientôt découvrons notre charmant petit Amazon Dream. C’est le début de la croisière !
L’Amazon Dream a passé la nuit sur l’autre rive du Tapajos, en face de Santarem. Nous nous réveillons bercés par le chant des oiseaux, d’abord quelques-uns puis une vraie chorale. La navigation nous entraîne à la limite du contact entre les eaux du Tapajos et celles de l’Amazone. Des différences de densité, d’acidité, de température et de vitesse d’écoulement font que les eaux tardent à se mêler. Pendant de larges sections, les volutes ocre de l’Amazone forment des arabesques dans les eaux claires du Tapajos avant que ce dernier ne rende les armes et ne disparaisse dans la masse ocre… C’est un milieu riche où les poissons sont nombreux.
Les pêcheurs s’y pressent tout comme les dauphins… Nous voyons nos premiers tucuxis ou sotalies, petits dauphins gris à l’allure identique à celle des dauphins marins et quelques botos, les dauphins roses. Arrivés face à l’entrée vers le lac Maica, nous embarquons sur les annexes pour partir l’explorer. Nous nous immisçons dans le labyrinthe aquatique. Les rives sont d’abord couvertes de forêt de varzea. Palmiers et cécropias en sont les arbres phares. C’est bientôt le festival des oiseaux : martin-pêcheur à ventre roux (souvent fugace, car très timide), de nombreux urubus à tête noire et bientôt quelques urubus à tête rouge, caracara à tête jaune (les pilleurs de nids d’oiseaux de petite taille dont ils sont régulièrement poursuivis pour les éloigner des nids…), des perroquets : touis été, touis à ailes variées, caïque à queue courte, amazone tavoua et même quelques aras nobles… Des petites hirondelles à ailes blanches se posent régulièrement sur les promontoires. Nous croisons des pirogues dont les propriétaires s’adonnent à la pêche selon des techniques variées : la plus spectaculaire est certes la pêche à l’épervier. C’est aussi la plus photogénique… Mais on pêche aussi au filet de 25 à 100 m le plus souvent, mais parfois jusqu’à 250 m… Les casiers verts servent à attraper des crevettes. Nous avons la chance de rencontrer un beau paresseux à 3 doigts ou paresseux à gorge claire, bien connu des cruciverbistes, car il est connu aussi sous le nom d’aï ou d’unau. Nous sommes d’autant plus chanceux qu’il se déplace. Nous le découvrons en plein petit-déjeuner de feuilles qu’il consomme la tête en bas… Puis, il se tourne et étudie son arbre. Nous voyons parfaitement son étrange tête qui semble porter un sourire énigmatique et son incroyable souplesse : il peut tourner la tête à 270° grâce à ses 9 vertèbres… Sa décision bien sous-pesée de changer de « table », il se lance dans un long déplacement que nous suivons avec attention. Quel étrange animal ! Nous continuons notre navigation. Les libellules sont légion. Les plus téméraires traquent le martin-pêcheur à ventre roux. Heureusement, d’autres oiseaux sont plus coopératifs, comme la buse à tête blanche, le milan des marais au bec si crochu (adapté à sa nourriture constituée d’escargots d’eau douce). Jacanas à dos noirs, nombreuses aigrettes dont l’aigrette bleue : adulte, juvénile d’un an et juvénile de 2 ans, iguanes… s’ajoutent à la fructueuse « moisson » des photographes au sourire de plus en plus large…
À bord nous attend un excellent déjeuner. C’est après une belle navigation sur le canal d’Ituqui, assorti de sieste, causerie sur la forêt de varzea et surtout point précis sur les nombreux oiseaux rencontrés que nous rembarquons sur les annexes. La lumière est superbe. Des dauphins roses pêchent l’embouchure de la rivière Curua Una. Les oiseaux regagnent leurs dortoirs pour la nuit. Des singes hurleurs nous font une sérénade locale fort impressionnante… Nous finirons par repérer les « coupables » devenus silencieux… Le coucher de soleil est sublime. Quel beau moment partagé ! Finalement, après le dîner une petite navigation nocturne nous offre un joli petit caïman, de nombreux engoulevents et d’étonnantes fleurs des gigantesques nénuphars : victoria regia d’un blanc pur immaculé se reflétant sous le clair de lune… Quelle région incroyable !
Ce matin, nous nous réveillons près du village de Pacoval. Notre première sortie en annexes de la journée commence intensément. Dans la forêt de terre ferme qui coiffe la petite falaise proche de l’Amazon Dream, il y a du monde…
Un beau martin-pêcheur à ventre roux est en train de pêcher. Une famille de singes hurleurs se réveille paisiblement.
Un jeune joue au-dessus des adultes et finit uniquement accroché par sa queue préhensile. Un peu plus haut, 3 toucans araçaris et 2 toucans Toco au proéminent bec jaune sont en pleine toilette du matin. Sur les radeaux de plantes aquatiques variées, on s’active. Nous croisons des jacanas noirs, un courlan brun, des petits groupes d’hirondelles à ailes blanches, un couple de hérons mandore… Nous arrivons au niveau des superbes nénuphars « Vitoria regia » vus la veille de nuit.
Les fleurs d’un blanc immaculé ou rose-violet se reflètent dans l’eau. Les feuilles géantes sont à différents stades de croissance. Et la chance nous sourit : des hoazins huppés ! Les grands oiseaux aux étranges « discussions » font l’objet d’une séance photo soignée… Nous remontons, maintenant, la Curua Una. Un troupeau de buffles, marchant et nageant, s’en va tranquillement, seul, gagner son secteur de pâture. Nous gagnons notre lieu de pêche aux piranhas, non sans avoir profité de la beauté des rives et d’un grand singe hurleur mâle en plein repos, allongé sur une grosse branche. Les piranhas ont bien mangé… Nos amis belges affichent un score de 10 piranhas… Retour à bord rapide et nous voilà repartis en balade pédestre dans le village de Pacoval. Dès notre retour, l’Amazon Dream « lève l’ancre ».
Pendant la belle navigation d’abord sur la Curua Una puis sur l’Amazone, l’heure est à la détente. Après un excellent déjeuner, certains sacrifient à la sieste, d’autres savourent le paysage. Puis, tandis que défilent les berges du grand fleuve, nous parlons Amazone et Amazonie, évoquons la mer Pebas, l’histoire géologique de cette fabuleuse région et ses conséquences sur l’évolution de certaines espèces… L’hoazin, cet oiseau extraordinaire, sorte de chaînon manquant entre l’archéoptéryx et les oiseaux actuels, fait également l’objet d’une présentation. Son intimité est des plus intéressantes. C’est le seul animal à sang chaud qui ne soit pas un mammifère présentant un tel système de digestion de la cellulose, à la manière des ruminants. Afin de pouvoir digérer la cellulose des feuilles, l’hoazin a développé un jabot particulier qui fonctionne comme le rumen des ruminants. Ce jabot et l’œsophage de l’oiseau hébergent des bactéries qui dégradent la cellulose et en permettent l’assimilation. Son anatomie en pâtit et il vole très maladroitement.
Ses jeunes, en cas de danger, se laissent tomber à l’eau puis, l’alerte passée, regagnent le nid grâce à des sortes de griffes aux coudes…
De plus, l’hoazin huppé est un très bel oiseau. Nous finissons la causerie par la description de la symbiose entre le Cécropia ou Imbauba du Brésil. Cet arbre pionnier leurre de petites fourmis en leur fournissant des oeufs factices pour qu’elles installent leur fourmilière dans son tronc creux et se nourrissent des insectes importuns venus dévorer les feuilles du cécropia. Les fourmis en tirent l’avantage d’un gîte confortable et protégé de la crue. L’arbre sauve son feuillage ainsi bien gardé…
des souffles attirent notre attention. Autour du bateau, c’est un incroyable ballet de botos, les célèbres dauphins roses de l’Amazone et de sotalies, les petits dauphins gris. Ils sont, en nombre, en pleine pêche : un bien beau spectacle ! Nous embarquons dans les annexes pour… tenter… d’immortaliser la scène. Sur un banc de sable sont posés des urubus à tête noire, des sternes d’Amazonie et 2 petits chevaliers. C’est l’heure du bain pour les sternes. Nous, nous descendons un peu l’Amazone pour rentrer dans un des canaux de cette région de Tapara où la terre limoneuse se prête à une excellente production agricole : bananiers, papayers croulants sous les fruits, courges « de compétition »… Nous sommes chaleureusement reçus dans une propriété aux constructions sur pilotis. Après le coucher du soleil, nous rentrons au bateau, chargés de régimes de bananes et de fort belles courges…
Ce matin, nous partons découvrir la région de Tapara. Les dauphins sont toujours nombreux et nous en profitons encore un peu. Un pêcheur est tranquillement en train de remonter son filet un peu plus loin. Tandis que l’Amazon Dream s’éloigne sur le fleuve Amazone, nous pénétrons dans un chenal. De part et d’autre, le riche limon profite manifestement à tout le monde : bétail, cultures, pêche… Tout est florissant. Sur les cécropias, des iguanes se réchauffent au soleil, en pleine décontraction, pattes pendantes… Aigrettes, hérons striés, martins-pêcheurs et sur les buissons et barrières : orioles des champs, les tout petits perroquets : touis été, des anis en groupes familiaux… animent le voisinage. Finalement, nous débouchons sur le lac de Monte Alegre. Le vent est de la partie et c’est complètement disparus sous nos ponchos que nous entreprenons la traversée de son extrémité. Nous arrivons face à un paysage bucolique à souhait. Des cochons fourragent dans la vase avec délectation sur la rive menant à une jolie maisonnette sur pilotis. Sur un banc de sable, c’est la foule : becs en ciseau, sternes d’Amazonie adultes et juvéniles, vanneaux de Cayenne, grands chevaliers, orioles… Nous pénétrons dans la forêt par un petit cours d’eau.
Les pics et les hérons striés ne sont pas très coopératifs avec les photographes… Nous explorons les voûtes de verdures et tentons de décrypter les chants multiples et les moindres mouvements dans la végétation. Les rencontres sont le plus souvent fugitives, mais parfois fort belles comme celle du grand ibijau. Ce cousin des engoulevents, à l’apparence étonnante, est endormi au sommet du tronc d’un arbre mort.
Quelques toucans araçaris déjeunent des fruits d’un cécropia. Aigrettes et hérons font des décollages dans des envolées de plumes, mais pattes toujours bien rangées… Les milans des marais nous surveillent de leurs yeux rouges. Dans les fazendas, on cloue, on scie, on remet en état barrières, pontons, maisons sur pilotis un peu martyrisés par la crue. Mais pour le « peuple de l’eau », les cabocles, ces descendants du métissage des Portugais et des Indiens, tout ça n’est que le rythme de la vie locale. À force de patience, les photographes finissent par saisir le héron strié au vol, le martin-pêcheur concentré sur sa pêche… Finalement, nous regagnons le cours central sur lequel le trafic est beaucoup plus important : petites pirogues, bateaux de transport de passagers. Il règne par ici une atmosphère paisible. La vie quotidienne se déroule sous nos yeux. On se douche au bord de l’eau avant de remplir le seau une dernière fois pour ramener l’eau à la maison. On pêche, on lave le linge… Nous faisons une petite halte dans une des « épiceries » du coin (3 pour environ 40 000 habitants). On y trouve de tout : épicerie bien sûr, mais aussi matériel de pêche, siphons pour éviers, couches pour bébés, hélices, coupe coupe… Tout pour dépanner est là, même si l’usage est de faire ses achats à Santarem en emmenant au marché poissons, régimes de bananes, papayes… Nous regagnons l’Amazon Dream.
Dès à bord, nous naviguons direction Santarem. La rencontre des eaux du Tapajos et de l’Amazon est bien visible. Tandis que certains vont à terre découvrir le musée et de la vue du pied de l’ancien fort de la ville, les autres profitent du calme de notre charmant bateau.
Finalement, nous naviguons vers le canal de Jari. Cette étape riche en faune nous permet de passer un excellent moment dès la première croisière au coucher du soleil.
Notre exploration du canal de Jari débute par une balade à pied sur la propriété de Rosa Angela, un bon exemple de succès d’une initiative personnelle. Malgré toutes les protestations familiales, elle a gardé le milieu naturel sur son terrain quand tout le monde coupait tout pour faire de l’élevage bovin. Résultat : aujourd’hui, elle a une belle forêt dans laquelle on trouve toutes sortes d’animaux et l’on vient de partout visiter sa petite réserve. Tout autour, du bétail souvent squelettique, car dépendant de la rapidité de la décrue, rapporte de moins en moins. À tel point que, ironie du sort, la communauté a tenté d’argumenter pour se faire reverser une partie des revenus générés par la réserve, qu’il a fallu clôturer pour en faire respecter l’intégrité… Rosa, armée d’un coupe-coupe immense, nous décortique avec aisance des noix de sapucaïa (différentes des noix du Brésil) avec lesquelles elle fait d’excellents petits sablés. L’énorme fruit du noyer de sapucaïa est équipé d’un opercule qui se détache lorsque le fruit est mûr. Les noix font alors la joie des perroquets, pécaris, tapirs. Les locaux préfèrent couper l’énorme fruit avant qu’il ne s’ouvre pour éviter la concurrence. Et nous voici partis explorer la forêt. Nous y rencontrons 2 paresseux adultes et un tout jeune en pleine sieste dans une fourche de cécropia. De charmants petits saïmiris ou singes-écureuils nous ont fait de belles démonstrations de leur agilité et rapidité. Les oiseaux sont nombreux et les chants fusent de toutes parts. Nous immortalisons l’étrange grand ibijau au mimétisme parfait avec la couleur du tronc sur lequel il dort. Un pic au plumage jaune doré fait une apparition… Nez en l’air, nous scrutons dans la grande variété d’essences d’arbres qui nous entourent. Sur le sol au pied d’un beau génipapo, des fleurs jaunes, très parfumées, jonchent le sol. Certains Indiens, en particulier les Mundurucus, extraient la couleur noire pour réaliser leurs peintures corporelles. La suite de la découverte du canal de Jari se fait en annexe. Nous en suivons le cours. On s’affaire dans les maisons sur pilotis. Le bétail, souvent complètement dans l’eau, se nourrit dans la végétation du bord, souvent surmontés d’un héron garde-boeufs, d’une aigrette ou d’un jacana opportuniste qui profite du dérangement des insectes… Des petits bateaux variés vont et viennent. La moisson des photographes est bonne. Tout un groupe d’ibis mandore s’envole devant une petite église bleue de la trilogie de toute la région : église, école, salle des fêtes… Trois imposants kamichis cornus se reposent au sommet d’un énorme buisson dans lequel est aussi installée une famille de hoazins. Nous nous enfilons dans un étroit petit canal qui s’ouvre plus loin sur de vastes étendues de terre et d’eau. Il y a foule. Le bétail est partout. Un très bel onoré rayé est en pleine pêche. Petits perroquets variés, jacanas à dos noir, aigrettes multiples, canards amazonette, dendrocygnes à ventre noir font de nombreux décollages autour de nous.
Les limicoles sont de la partie : grands chevaliers, petits chevaliers, tournepierres à collier, échasses blanches… Nous regagnons l’Amazon Dream en faisant un large détour, car la décrue a rendu les passages intérieurs impraticables. Quelle belle matinée !
Dès notre retour à bord, nous naviguons vers Urucurea. Nous retrouvons ces vastes étendues d’eau qui nous donnent vraiment l’impression d’être en mer. Il faut dire que le fleuve Tapajos est le 4e affluent de l’Amazone par sa puissance et que nous sommes au point de rencontre des eaux du Tapajos, de l’Arapuins et du canal de Jari. La navigation est agréable. Bientôt, la forêt se profile et nous pénétrons à l’embouchure du fleuve Arapuins dont les rives escarpées sont une nouveauté pour nous. Nous venons de la forêt de varzea (inondée une partie de l’année) et rentrons dans le secteur de la forêt de terre ferme. De jolies plages ponctuent le paysage. C’est l’heure d’une baignade fort agréable… Après quoi, nous parlons paresseux, singes sud-américains, jaguars… avant de partir faire notre petite croisière du coucher du soleil. Cette belle journée se termine par un dîner très apprécié !
Nous retrouvons notre plage quelque peu humide… La nuit, des trombes d’eau, version amazonienne, se sont abattues sur nous. Maintenant, le soleil brille.
Nous rentrons dans la forêt de terre ferme qui surplombe la petite baie. La cathédrale de verdure bruisse de toutes parts. Nous cheminons sous la canopée. C’est une forêt secondaire et la couverture végétale est épaisse. Les troncs d’hévéas sont tout striés des vieilles cicatrices laissées du temps de leur exploitation.
Des lianes spectaculaires se lancent à l’assaut des arbres. Les palmiers sont nombreux. Notre premier groupe de saïmiris, les petits singes-écureuils, est repéré dans la canopée. Mais eux aussi nous ont vus… Ils filent rapidement, sautant de branche en branche en faisant des vols planés spectaculaires. Certains marquent un temps d’arrêt d’observation curieuse et disparaissent dans le dense feuillage. Les photographes tentent l’exploit de les saisir au vol, mais l’opération n’est pas facile… Nous en croiserons plusieurs groupes. Des capucins également de manière très furtive. De temps à autre retentit le cri caractéristique du zog zog. Mais le petit capucin endémique est prudent… Quelques oiseaux se laissent entrevoir : un grimpar s’ajoute à notre collection de portraits… pour les plus rapides.
Nous approchons bientôt du village d’Urucurea. Dans une maison, la propriétaire nous accueille avec un large sourire. C’est l’heure du petit-déjeuner ! Rassasiés, nous poursuivons notre chemin dans la forêt, entre champs de manioc et forêt, plus exactement. Finalement, nous débouchons au coeur du village où se tiennent : école, église et salle des fêtes. Les petits écoliers sont au travail. Nous sommes invités à rentrer dans une classe et assister à une petite présentation. Écoliers et voyageurs sont ravis. Nous continuons vers la coopérative artisanale de confection d’objets en palmier tressé. Nous assistons à toutes les phases indispensables. Ce sont les palmes du palmier tucuma qui sont utilisées. Les épines en sont très efficaces… La palme est coupée à l’aide d’une lame placée au bout d’une gaule. Puis une fois le feuillage bien étalé, il est coupé, débité, plié et mis à sécher 3 jours. Les couleurs utilisées sont complètement naturelles. Jénipapo pour le noir, il est pilé. L’urucu ou le crajiru donnent le rouge, les racines de curcumin, l’orange. Les feuilles de palmes sont cuites avec les pigments puis rincées à l’eau froide. Pour réaliser les objets, la nervure donne la trame et les brins sont tressés avec dextérité. Cet artisanat est intéressant, car il a repris une tradition qui tombait en désuétude. Depuis que l’Amazon Dream vient régulièrement, on assiste à tout un développement de la créativité et de nouveaux objets font leur apparition. Après un dernier bain, nous quittons l’anse d’Urucurea.
Nous passons devant Alter de Chao, direction Maguari. La navigation est bonne. C’est l’occasion d’évoquer les clés de l’existence de la grande forêt tropicale humide : lumière, température, eau. La forêt amazonienne, malgré ses problèmes de déforestation, reste la première forêt tropicale humide sur notre planète avec ses près de 390 milliards d’arbres de 16 000 espèces différentes. Son fonctionnement et sa riche composition sont passionnants à étudier… Demain, nous passerons de la théorie à la pratique. Pour l’heure, nous arrivons face à une sublime langue de sable blanc, nous sommes seuls en pleine nature. L’invitation au bain est évidente.
Après avoir sacrifié au rite de notre petite croisière au coucher du soleil, Karim nous évoque la folle histoire du caoutchouc. Il faut attendre la première exploration scientifique de Charles-Marie de la Condamine pour que l’on s’intéresse réellement à cette matière en Europe. On en parle beaucoup. Les Britanniques imaginent alors rapidement les bénéfices que le commerce du caoutchouc pourrait engendrer. Des recherches sont entreprises sur l’imperméabilité. Les premiers pneus sont produits, mais ils durcissent au froid et ont tendance à fondre par grosses chaleurs… Il faut attendre que l’américain Charles Goodyear trouve le principe de la vulcanisation pour que des pneus corrects soient produits pour les vélos. Puis, vient le temps de l’automobile, parfois par les mêmes firmes comme chez les frères Peugeot… Le caoutchouc connait alors de « beaux jours ». L’époque du « boum » du caoutchouc a lieu de 1880 à 1914. Toute la production de caoutchouc est à cette époque aux mains des barons du Brésil. Manaus en est le centre par sa position fluviale favorable au transport. C’est la grande époque d’opulence : l’opéra est construit, les chanteurs de la Scala viennent s’y produire, les architectes sont français, on envoie laver son linge au Portugal, le bois du Brésil part en Europe pour revenir sous forme de meubles précieux… Mais tout s’effondre lorsqu’un Anglais, venu se fournir en plumes d’oiseaux exotiques pour ses boutiques de chapeaux à Londres, réussit le tour de force de soudoyer des complices pour sortir 70 000 graines d’hévéas du Brésil dans un bateau à double fond… Passés par Londres, les survivantes sont plantées à Singapour, là, pas d’insectes ravageurs de l’hévéa. Rapidement, le caoutchouc produit en Asie est meilleur marché. Il est vendu en 1912 par les Anglais à 50 % du prix, le Brésil perd 70 % du marché… Mais Ford ne veut pas dépendre des Anglais, en 1928, Fordland, la ville américaine modèle, est inaugurée. Tout y est américain de la nourriture aux loisirs en passant par le rythme de travail… Des conflits éclatent avec les travailleurs locaux. Au bout de 2 ans : 1 200 000 hévéas sont morts. Au bout de 3 ans, ils sont 2 millions. Bref, c’est un fiasco. En 1934 le Brésil, intéressé par les 7 % des bénéfices que Ford doit leur rétrocéder, lui donne une autre terre : Belterra. C’est un peu mieux ! Mais la 2e guerre mondiale éclate avec pour conséquence l’invention du caoutchouc synthétique par les Allemands. En 1945, le fils Ford vend tout au Brésil. Aujourd’hui, Belterra a tout d’une ville fantôme…
C’est à la « fraîche » que nous démarrons notre expédition pour rendre visite à la grand-mère de la forêt, Suma Umba, un gigantesque kapokier situé en forêt primaire.
Les annexes nous emmènent à la sortie du village. La petite traversée est superbe : un rayon de soleil éclaire une petite paillote sur fond de ciel d’orage. Les appareils photo sont déjà de sortie… Un grand héron cocoï décolle tout près. Trois habitants du village nous attendent pour nous accompagner et nous expliquer l’utilisation faite de certains arbres et plantes. Pour les locaux, la forêt amazonienne est tout à la fois la pharmacie et le supermarché… C’est l’heure où les petits écoliers arrivent à l’école et certaines motos sont bien chargées… Nous nous dirigeons vers la forêt. Des hévéas poussent parmi les dernières maisons du village. Une démonstration nous est faite. L’écorce finement incisée grâce à un petit outil spécifique, un écoulement blanc se forme immédiatement.
Les hévéas sont travaillés de janvier à août pour l’extraction du latex pour faire de l’artisanat. Une incision est faite tous les 2 jours. Un an d’un côté de l’arbre et l’année d’après de l’autre côté. Un hévéa peut vivre une centaine d’années. Les seringueiros, à l’époque du boom du caoutchouc, avaient tout un secteur de forêt à parcourir puisqu’on compte à peu près 10 hévéas par ha. Or, ils devaient inciser une centaine d’arbres pendant les 4 premières heures du jour, celles pendant lesquelles le latex s’écoule le mieux. Puis, ils devaient récupérer le latex et en faire une boule coagulée. À Maguari, l’époque de la récolte s’achève.
Nous continuons notre chemin par un petit sentier dans une forêt de jatobas réputés pour leur bois dur. Dureté qui a permis à cette forêt d’échapper à la déforestation avant qu’elle ne devienne la forêt nationale Tapajos et soit ainsi protégée. Nouvelle expérience dans la forêt de terre ferme, nous en découvrons d’autres facettes.
La résine séchée du Breu blanco donne une poudre blanche qui, bien écrasée, est un excellent répulsif. Les Mundurucus l’utilisent comme de l’encens et pour calfater les bateaux.
Le Nurapuana, comme le Guarana, est l’équivalent du viagra. Du Sucuba on extrait un latex fluide excellent pour lutter contre les problèmes gastriques. La spectaculaire liane « escalier de Jabuti » ou « échelle de tortue » ou « échelle des singes », en décoction, est un bon anti-inflammatoire, antidiarrhéique, et… décorative. Soudain, Karim détecte une odeur de singes hurleurs. Mais ils sont bien discrets… La sève du Sucuba est utilisée en cas d’acidité gastrique, avec du miel, car amère. C’est aussi un anti-inflammatoire. Pour calfater les bateaux, on utilise aussi le Muuba dont on gratte l’écorce. De minuscules fourmis, dont la fourmilière est bâtie dans un arbre, sont utilisées pour couvrir l’odeur humaine pendant la chasse quand elle est écrasée sur la peau. C’est aussi un bon répulsif. Sur le chemin, des petits sentiers parfaitement dégagés mènent à des entrées de fourmilière. Il s’agit des « routes » des fourmis attas qui transportent les morceaux de végétaux qui vont leur permettre de cultiver des champignons.
Leurs soldats portent des mandibules impressionnantes… Ceux d’une autre espèce, aux longues mandibules, servent pour les sutures. Nous arrivons bientôt à un Jatoba géant de plus de 300 ans. Sa sève solidifiée sert au calfatage et pour alimenter les torches. Démonstration nous est faite. Sa fumée est un décongestionnant. Ainsi s’achève la première étape pendant laquelle un de nos guides, très habiles de ses mains, a confectionné toutes sortes d’objets en feuilles de palmier pendant le trajet. Une partie du groupe repart tranquillement vers le bateau tandis que les autres continuent. Sur un tronc, des petites abeilles sans dard s’affairent. Leur miel est excellent, parait-il. La forêt de sol pauvre (sablonneux) cède peu à peu la place à celle de terre noire. Des chants de caciques retentissent régulièrement. Un cacique cul-jaune s’affaire autour de son nid.
Nous arrivons sur le plateau de terres noires. La vue s’étend jusqu’au fleuve Tapajos en passant au-dessus de la canopée de la forêt que nous venons de parcourir. Nous repartons, cette fois, dans une forêt primaire. Le sous-bois est beaucoup plus dégagé, les troncs des arbres les plus grands de plus en plus spectaculaires. Il faut faire attention de ne pas renverser les petits « phares » auxquels ressemblent les nids de cigales en terre (une vingtaine de centimètres). Nous croisons en chemin une très jolie petite dendrobate aux couleurs chatoyantes pour annoncer sa toxicité. « Si vous me mangez, gare… » Des papillons dont le superbe morpho font des apparitions fugaces. 2 belles mygales seront aussi repérées et puis lézards, chenilles, insectes divers et variés, souvent « équipés » pour un parfait mimétisme… Après avoir admiré de beaux ficus, piquias, jatobas, tauari dont les contreforts résonnent comme un tam-tam… nous arrivons au pied de « Suma uma ». Quel superbe kapokier ! Après une petite pause bien méritée, c’est le retour, beaucoup plus rapide, vers le Tapajos, non sans quelques nouvelles rencontres exotiques. Un petit bain pour fêter le retour… L’après-midi se passe, d’abord, en sieste, farniente et navigation. Nous arrivons bientôt à Bragança où nous faisons une croisière au coucher du soleil avant de dîner. Cette riche journée amazonienne se termine par une visite aux Mundurucus. Ancien peuple de guerriers, réputés pour la qualité de leur vision nocturne, ils vivent aujourd’hui de pêche, de chasse et d’agriculture vivrière.
Dans le village qui nous accueille, ils sont entre 60 et 90. C’est en pirogue, dans le concert à mille voix du petit peuple de la forêt amazonienne que nous glissons sous une sublime voûte céleste vers le village. Leur rituel est une belle cérémonie aux chants harmonieux, très agréables. Après quoi, chaque famille présente son propre artisanat.
Nous sommes là dans la plus pure illustration d’un véritable écotourisme. Il est d’autant plus utile que les Mundurucus luttent en permanence pour la sauvegarde de leur forêt, de leur mode de vie face à des projets pharaoniques de mines de bauxite, de barrages…
Des pirogues se profilent peu à peu et, bientôt, sont arrivées au bateau. Les Mundurucus viennent nous chercher pour découvrir la forêt d’igapo, celle qui reste toute l’année dans l’eau. Le cacique est venu en personne avec certains de ses enfants, dont la très jolie jeune Loana. Les pirogues, dirigées avec adresse, s’enfoncent d’abord dans un tunnel de verdure. De part et d’autre, des troncs noueux sortent de l’eau sur laquelle se reflète leur feuillage. Une étrange lumière verte s’en dégage. Partout des oiseaux chantent, mais ils sont le plus souvent discrets… Nous glissons entre les arbres, les touffes de végétation, les petits ilots flottants de verdure. L’endroit est incroyablement paisible, c’est magique ! Quel plaisir de troquer le bruit d’un moteur contre celui de l’eau s’écoulant sur les pagaies… Les petites hirondelles vont et viennent de souche en souche. Parfois, un petit héron strié s’envole, la silhouette brune d’un jacana se devine dans la végétation. Une souche est particulièrement attractive. S’y succèdent : une hirondelle, des paroares rougecap et un très joli petit pic à gorge tachetée. La sublime balade s’achève dans la bonne humeur par une course entre nos jeunes rameurs et leur père. De retour sur le bateau, un artisan du village d’à côté vient nous présenter sa production. L’Amazon Dream reprend sa navigation.
Cette fois-ci, nous passons sur l’autre rive du fleuve Tapajos. En permanence, la taille de ce système hydrologique nous ramène à l’échelle du géant Amazone et de ses affluents.
Ici, on se sent facilement en pleine mer… Au-dessus de la forêt, d’énormes nuages se sont formés par l’évapotranspiration de l’écosystème. Le ciel amazonien est toujours complexe, de jour comme de nuit, avec ses myriades d’étoiles. Le bateau est amarré à une langue de sable blanc. Le site est particulièrement propice à la baignade. Après le déjeuner, c’est sieste et farniente comme il se doit. Puis, notre rendez-vous causeries… Aujourd’hui, nous parlons à nouveau de la grande forêt tropicale humide dans laquelle nous étions plongés hier. Les techniques de camouflage et le mimétisme y sont un véritable art… Les fourmis y jouent également un rôle important. Leur monde est tout à fait passionnant. Puis, Karim nous parle du Brésil, ses différentes régions et leur économie. L’histoire et le positionnement de l’Amazonie par rapport au reste du pays. Il évoque aussi l’histoire de la ferme Taperinha qui recoupe les grandes étapes de l’évolution de l’Amazonie vers ce qu’elle est aujourd’hui. Nous sommes tout près du petit village de Vista Alegre de Capixaua. La communauté a noué des liens forts avec l’Amazon Dream et son équipe. Au fil du temps, le village a profité de la réalisation de plusieurs projets financés par sa société. La dernière réalisation fait partie de l’opération « Forêt de livres ». Dans une région où il est difficile de trouver des livres et où les enseignants ne disposent le plus souvent que des livres fournis par le gouvernement pour suivre les programmes d’examens, avoir une bibliothèque est un luxe… Une bibliothèque est fournie à l’école. L’idée est que chaque village dispose de 1000 à 2000 livres à terme, que les villages puissent aussi s’échanger. L’opération connait un franc succès, ici, à Vista Alegre. Chez les Mundurukus cela fonctionne bien aussi.
Après le dîner, nous partons pour le village où nous sommes attendus. La venue de l’Amazon Dream est toujours une fête. Alain, notre capitaine, pilote avec dextérité l’annexe qui suit un étrange parcours sur ce qui, pour nous, est un vaste plan d’eau… Mais, la décrue se poursuit et au fur et à mesure que le niveau de l’eau baisse, hauts fonds, souches et buissons sont souvent à fleur d’eau… Sur la plage, toute une partie de la petite communauté est là. Cette année, ils se sont lancés dans de grands travaux dès la fin de la saison des pluies. La grande paillote faisant office de salle des fêtes est complètement démontée. Elle va être rebâtie avec un nouveau toit en feuilles de palmier. L’année dernière, ils terminaient le bateau collectif du village. Ce type de grand bateau auquel on accroche les pirogues des pêcheurs leur permet de naviguer vers des eaux beaucoup plus poissonneuses que les eaux acides du Tapajos. Ils partent 4 à 5 jours, dorment sur le bateau, pêchent toute la journée et s’arrêtent au retour au marché de Santarem pour y vendre le poisson. Tous ces travaux d’intérêt général sont possibles grâce au fait que chaque famille doit 1 à 3 jours, par semaine en activité pour la communauté. Pour l’heure, c’est le moment de la musique et de la danse. Les enfants du village assurent comme des grands…
Nous voici à nouveau débarqués au village de Vista Alegre, un petit marché artisanal a été improvisé pour nous. Colliers, bracelets, boucles d’oreilles… fabriqués à partir de graines. Et puis, une nouveauté, des objets à base de plumes de perroquets… Karim en parlera immédiatement lors de la petite réunion coutumière après le passage du bateau et l’achat de toutes les provisions de manioc et tapioca pour le bateau. Il est important de ne pas laisser se réinstaller ce type de pratique qui avait été stoppée.
Mais l’équilibre est fragile… Il suffit du passage de personnes qui ont vu ça ailleurs et en demandent… C’est la loi de l’offre et de la demande et nous avons un rôle primordial en tant que consommateurs dans tous les types de commerce, ici comme chez nous en Europe. Les passagers de l’Amazon Dream, bien informés, n’achetant jamais ce genre d’objets qui se font au détriment de la vie des petits perroquets, ils vont disparaitre d’eux-mêmes des étals… Sauf, s’il y a une demande venue d’ailleurs… Les achats faits sans plumes de perroquets… Nous nous retrouvons tous dans la maison du manioc. Cette construction fait partie des lieux collectifs du village. Chaque famille, à tour de rôle, vient consacrer sa journée à la fabrication de la farinha, la farine de manioc. C’est tout un art ! En effet, il existe 2 sortes de manioc. Le manioc doux, non toxique et le manioc qui permet de fabriquer « farine » de manioc et tapioca, lui toxique en l’état. C’est pourtant la plante providentielle de ces régions : avec les racines, on fait la farine ou des chips, les branches replantées donnent de nouveaux pieds, les feuilles cuites 7 jours pour en supprimer la toxicité donnent des plats traditionnels dans lesquels elles remplacent les haricots, le jus longuement cuit est utilisé aussi comme dans le canard au tucupi, très prisé ici. La longue procédure commence par le grattage des racines de manioc. C’est une plante facile. On en met une branchette en terre et un an plus tard on récolte sans que la plante ait eu besoin du moindre soin particulier. La racine mise à nu est réduite à l’état de pulpe grâce à une machine rudimentaire. La purée obtenue est glissée dans un long manchon en palmier finement tissé et tassée dedans. Le manchon, appelé tipiti, est suspendu et tendu par des poids. Cela permet au jus toxique, du cyanure, de s’écouler. Puis, on extrait la pâte du manchon et on la tamise. Les grains obtenus sont mis à cuire sur une large plaque métallique et brassée régulièrement à la pagaie… Si les grains sont trop grossiers, on tamise à nouveau le manioc précuit. Après environ, 1h15, la « farine » de manioc est prête. On la conditionne en sacs de 60 kg qui seront principalement vendus sur le marché de Santarem. Le jus toxique n’est pas toujours perdu. Cuit 4 à 6 h, il devient la base d’une sauce au piment. Il sert également à faire cailler le caoutchouc lors de la récolte pour éviter que ce dernier ne soit dilué en cas de pluie. Jeté sur du ciment frais, il en accélère le séchage. Le tapioca est obtenu à partir du jus mélangé à de l’eau. On laisse reposer, une pâte blanche se dépose peu à peu au fond. On la fait sécher un peu puis on la tamise. Cela donne les perles de tapioca…
Après l’opération manioc, nous commençons notre balade dans le village par la petite église Notre-Dame-de-Lourdes. Puis c’est l’école où nous sommes attendus. On nous installe sur des bancs et « que le spectacle commence »… des petits écoliers nous présentent leur petit spectacle de danse Carimbo. C’est bien mignon et les tenues très colorées du plus bel effet. On nous présente aussi fièrement la bibliothèque avec les livres de l’opération « forêt de livres ». Nous continuons notre chemin. Sortant peu à peu du village, nous passons sous de beaux anacardiers. Certains ont déjà des ébauches de noix de cajou. Nous suivons la rive du lac de Capixaua. La forêt y est dense, c’est une forêt riche en palmiers : palmier Bacaba dont les fruits fournissent un jus riche en lipides… Le palmier Curua est intéressant, car il fournit les palmes pour les toitures.
Dans ses naissantes se cachent des insectes et l’eau reste piégée. C’est très apprécié des singes, en particulier les petits saïmiris. Sa noix offre une eau et une chair agréable.
La palme du palmier Aruma sert à confectionner des tamis. Nous cheminons maintenant dans la forêt. Un superbe morpho passe parfois dans des « éclairs » bleu métalliques.
La forêt devient de plus en plus humide, c’est la forêt d’igapo. Elle est alimentée en eau toute l’année par une source qui forme un igarapé. La petite rivière se jette dans le lac de Capixaua. Nous voici maintenant à bord de pirogues portées par le courant. Un tunnel de végétation nous enveloppe. Par endroits, notre regard se perd dans la foule des troncs qui se reflètent sur l’eau. C’est superbe ! Toute une atmosphère…
L’Amazon Dream navigue à nouveau sur le Tapajos pour le traverser et faire escale à Alter de Chao. Autre paysage, autre ambiance… Nous sommes maintenant au « St Tropez » du Tapajos. Là, nous sommes en semaine et la petite station balnéaire est calme. Nous rendons visite à Gil Serique, un spécialiste des perroquets, dont la maison offre une vue imprenable sur le coucher de soleil. Chacun profite d’une petite exploration des lieux ou de shopping ou de détente à une terrasse. Puis nous dînons dans une ambiance on ne peut plus brésilienne…
Alter de Chao, la festive, est encore toute endormie lorsque nous nous engageons sur le lac Vert. Une grosse pierre en amazonite serait tombée dedans et des nuées de petites grenouilles auraient fui en tous sens, d’où la couleur verte… C’est lac alimenté par 3 sources. Nous assistons à un beau spectacle sur une des rives. Un caracara à tête jaune vole vers un beau Tapereba. Il y déguste des fruits. Son conjoint est posé non loin. Soudain, il crie et se précipite sur un balbuzard pêcheur. À deux, ils chassent le malheureux intrus, posé tranquillement sur une souche. Un territoire est un territoire et doit le rester… Après être passés devant de belles villas, nous débarquons à « l’école de la forêt » : une vraie école publique verte. Après un petit arrêt pour la vue sur la toute nouvelle terrasse en ipé, nous commençons notre balade.
Différents secteurs sont délimités. Sur place, on replante les essences phares de la grande forêt primaire. Les petits écoliers gèrent une pépinière. Nous passons de petites ruches puis suivons un petit sentier qui longe le lac au plus près. Là, la chance nous sourit : les petits ouistitis sont là. Dans la canopée puis de plus en plus bas, les petits curieux se laissent observer et photographier longuement. Tout le monde est ravi. Quelques rayons de soleil font ressortir leurs grandes oreilles roses… sur fond blanc. Ils montent et descendent le long des troncs avec agilité et aisance. On distingue très bien leurs petites griffes, signes du côté primitif des ouistitis et saïmiris. Leurs narines sur le côté et non dirigées vers le bas comme les singes d’Afrique ou d’Asie sont une caractéristique des singes du Nouveau Monde, tout comme le pouce non opposable. Sous une grande rotonde en palme, nous sommes invités à nous asseoir. Karim nous parle des différentes sortes de palmiers de la région. Les palmiers impériaux au tronc lisse ont été introduits du nord-est du pays. Les palmiers amazoniens vivent très bien les pieds dans l’eau. Le palmier Curua pousse du sol, sans tronc, il fournit une « paille » très appréciée pour les toitures. Le fleuron des palmiers est l’açaï. Ses fruits ressemblant à de petites cerises presque noires sont très à la mode. Antioxydant, évidemment, aphrodisiaque, ici…, riches en vitamines et minéraux, c’est le jus à boire, la glace à consommer sans modération. Le palmier Bacaba est le cousin de l’açaï, mais en plus gras. Pour la récolte des coeurs de palmier, on utilise le palmier açaï et le palmier Pupugna dont les fruits cuits sont mangés comme des patates douces avec sel et… café. Les coeurs de palmier sont plus une production de la région de Manaus que de celle de Santarem où l’on préfère récolter les fruits de l’açaï. Finalement, la vice-directrice de l’école vient nous parler de son établissement. Pour le moment, ils n’ont pas d’élèves permanents, mais ceux d’autres écoles de Santarem et des alentours. Ils accueillent aussi des visiteurs sur leurs 33 ha de forêt secondaire. Des parcours éducatifs présentent les espèces. Leur but est de former et sensibiliser les nouvelles générations à la préservation et à la conservation par une éducation environnementale théorique et pratique en classes ouvertes. Ils les sensibilisent aux dégâts qu’engendrent la culture sur brûlis. On leur apprend aussi à utiliser les ressources locales et à recycler. L’approche est également socioculturelle : visite de communautés et quartiers pauvres sans arbres où des arbres sont plantés. Les enfants apprennent à produire leur propre nourriture. La venue de visiteurs de tous âges, avec priorité donnée aux enfants de Santarem, a pour but de faire de Santarem une ville verte, pas seulement sur le papier… La structure produit sa propre farine de manioc.
27 ruches ont été mises en place pour produire du miel dans un but de production médicinale, notamment d’anti-inflammatoire. L’école est soutenue par la mairie de Santarem et des organismes extérieurs.
L’Amazon Dream vogue maintenant vers Santarem. Nous nous amarrons en face de la ville et partons explorer la zone de marécages proche du bateau. C’est une merveille ! Dès le début, c’est une révision de nos classiques… Puis s’y ajoute un courlan brun, des râles de Cayennes, dendrocygnes à ventre noir… La faune nous offre un vrai festival !
Nous pouvons observer tout à loisir plusieurs familles de petits saïmiris ou singes-écureuils en plein repas. Au loin, des myriades de perroquets d’espèces variées passent par vagues bruyantes vers leurs dortoirs. Soudain, c’est une mère paresseux avec son petit endormi sur le ventre. En y regardant de plus près, un autre paresseux est, lui, en plein repas dans la cime du même arbre. Nous nous attardons à profiter du bruyant et animé coucher des perroquets. Par contre, à part un beau spécimen de caïman qui n’a fait qu’une apparition fugace, pas de caïman… malgré une recherche attentive. Nous regagnons notre cher Amazon Dream au coucher du soleil, de bien belles images en tête…
L’Amazon Dream traverse côté ville, s’en est fini de notre belle parenthèse au fil du Tapajos. Nous quittons le bateau et son sympathique équipage à regret. Avant de nous envoler vers Santarem, nous profitons encore de Santarem. Notre première visite est pour le marché au poissons. Les dauphins roses, si difficiles à saisir en photos, sont très concentrés sur le poisson qui leur est proposé. C’est l’occasion de beaux clichés. Mais le spectacle est aussi à l’ombre du marché, tandis que des pêcheurs amènent leurs poissons, sur les étals. Les espèces sont variées, tant en tailles, en formes qu’en couleurs. Les poissons aux arêtes trop nombreuses sont finement incisés. Après ce marché populaire très fréquenté le samedi, Karim nous entraine vers le marché aux poissons nobles, 5 espèces, dont les plus prisés sont le tambaqui et le grand pirarucu…
La partie consacrée à la pharmacopée est également bien achalandée. On y retrouve pratiquement tous les noms des arbres que nous avons rencontrés en forêt… Les épices, les légumes, les fruits, parfums et couleurs sont au rendez-vous. La suite de notre visite se passe un peu en dehors de la ville. C’est là qu’a été installé le centre de récupération des animaux, au milieu d’une petite forêt. Nous suivons les artères animées. Des pluies de pétales jaunes tombent des ipés en fleurs. Nous sommes sur la route qui mène à Rio, 3600 km plus loin… Né d’un petit projet mené par les élèves vétérinaires de l’université locale, le centre a reçu 26ha de forêt appartenant à l’armée brésilienne. De grandes volières et cages ont été construites pour y loger les animaux récupérés : ceux issus du commerce illégal de faune sauvage chez des particuliers, les blessés et les animaux confisqués par la douane et la police locale. Ils sont gardés en quarantaine, soignés le cas échéant et conservés jusqu’à complet rétablissement.
Ceux qui le peuvent seront relâchés dans leur milieu naturel. Mais le succès de ce genre d’entreprise reste aléatoire, car les animaux qui sortent de là ont tendance à faire confiance en l’homme or on chasse et on piège en de nombreux endroits… Ainsi les 2 petits pumas trouvés bébés sur un terrain incendié dans le cadre de l’agriculture sur brûlis et dont la mère avait certainement été tuée sont toujours là… Pourtant ces jeunes gens font tout ce qu’ils peuvent… D’autant que le financement est une lutte permanente. Il faut nourrir tout ce monde-là : pumas, atèles ou singes-araignées, capucins, saïmiris, agoutis, tapirs, un vieux caïman borgne, des quantités de perroquets d’espèces variées auxquels il faut apprendre à se nourrir des fruits de la forêt…
Après un excellent déjeuner de poisson, nous rejoignons l’aéroport pour le vol vers Belém. Nous retrouvons Ruth et notre agréable petit hôtel aménagé dans un ancien couvent : la Quinta de Pedras où nous dînons.
Le départ se fait en bus pour partir visiter le marché Ver’ O Peso sur les quais le long de la baie de Guajara. Nous commençons par un petit tour près de l’opéra, le théâtre de la paix. Tout a été construit au XIXe à l’époque du boom du caoutchouc. Du temps où l’on venait en voiture à cheval pour assister aux opéras, toutes les allées autour de l’opéra étaient recouvertes de caoutchouc pour ne pas déranger les mélomanes pendant les spectacles… À proximité, on trouve aussi le premier bar de la ville. Quelques belles demeures de la même époque sont très bien restaurées, mais ça n’est pas le cas partout dans la ville. Nous suivons maintenant les avenues bordées de grands manguiers plantés au XIXe après la déforestation effectuée pour construire la ville. Il fallait surtout recréer vite de l’ombre… Le marché Ver’ O Peso tire son nom du fait qu’il fallait « vérifier le poids » afin de pouvoir faire payer les taxes gouvernementales avant d’autoriser la vente. Nous descendons au marché au niveau des petits restaurants dont la spécialité est le poisson au manioc et sauce d’açaï. Manifestement, ici, on s’en régale… Des caisses entières des petites « cerises » noires attendent d’être préparées.
On mange à n’importe quelle heure sur les quais. Nous passons successivement d’un quartier spécialisé à un autre. Dans celui des fruits secs, avec de grandes machettes les marchands préparent les noix du Brésil pour les mettre en sachets. La lame s’active sur la noix avec rapidité et dextérité… Puis, c’est le secteur des crevettes salées et séchées, des minuscules aux plus grosses. La section artisanat intéresse plus particulièrement : chapeaux, colliers, objets en vannerie… Les jus de fruits ont aussi leur place ici. Il faut dire qu’en Amazonie, 155 fruits différents ont été répertoriés… Les légumes sont également bien représentés. Ruth nous montre le fameux Jambu.
C’est une sorte d’épinard qui insensibilise un peu les lèvres et la langue. On le mélange souvent au riz. La section de la pharmacopée locale est aussi riche que celle de Santarem mais s’y ajoutent force filtres d’amour… Passé le célèbre bâtiment du marché aux poissons, on débouche sur le port. Malgré le fait que nous soyons à 120 km de l’océan, la marée est basse et les bateaux des pêcheurs sur le flanc… Des dizaines et des dizaines d’urubus noirs et quelques grandes aigrettes expertisent le fond à la recherche de quelque nourriture. Ce sont de bons nettoyeurs ! Nous traversons la grande esplanade et longeons quelques maisons du XIXe aux façades bien restaurées.
Un peu plus loin, c’est la cathédrale et le fort portugais. Nous sommes dimanche, c’est la messe dans la vaste cathédrale. La cathédrale et l’église à proximité datent de du XVIIIe. Les pierres en ont été maçonnées à l’aide d’un drôle de mélange de graisse du poisson burijuba (très gras) et d’argile… Nous voici maintenant dans le fort portugais. Ces derniers craignaient que les Français ne s’installent en remontant de la côte. Ils ont donc érigé le fort à un point stratégique. Nous montons sur le rempart, encore équipé de ses canons. La vue est imprenable sur le port, le grand bâtiment du marché aux poissons et la baie de Guajara. Enfin, nous visitons le muséum dont toute une partie des objets a été trouvée sur place, d’autres de la région du Marajo et d’autres du Tapajos. Les outils les plus primitifs sont ceux utilisés pour creuser les troncs d’arbres, au préalable brûlés, pour en faire des pirogues. Plus loin, certains objets portent des symboles qui ont fait l’objet d’études et d’interprétations. Le lézard symboliserait les bonnes énergies, les tortues seraient utilisées dans un rituel pour s’assurer de ne pas manquer de nourriture… Les petits tabourets présentés sont ceux utilisés symboliquement par les Tupinambas pour permettre à l’esprit des défunts de pouvoir se reposer… Le décès était suivi d’un cérémonial complexe sur 4 ans. Le défunt était d’abord mis en terre puis ses os déterrés et mis dans une urne funéraire aux motifs reflétant sa position sociale et ses goûts. Enfin, les os étaient à nouveau récupérés et peints à l’urucum (en rouge), le tabouret mis à côté. Plus loin, un grand tableau reprend les différentes ethnies en fonction des fleuves… On retrouve le symbole de la grenouille, en terre ou en jade. C’est associé à la fertilité pour la femme et aussi un porte-bonheur. Nous passons après aux réjouissances gastronomiques. Certaines céramiques tapajoaniques servaient à boire les cendres du coeur des meilleurs guerriers ennemis, en tisane, pour en récupérer la puissance. Quant au cacique ennemi, il était attrapé. On le gardait environ 1 an puis on lui coupait la tête. Le cerveau et l’estomac servaient à faire une soupe pour les enfants et les personnes âgées. Le reste était consommé cuit au barbecue pour toute la tribu. Une évocation de la période de l’évangélisation et des missionnaires et c’est la sortie.
Nous déjeunons dans les anciens docks très bien réhabilités en restaurants et boutiques. Nous passons par le parc Emilio Goeldi. Il est intéressant pour ses superbes arbres. C’est un grand centre de recherche en botanique. Après un petit passage à l’hôtel, nous partons vers l’aéroport non sans un arrêt dans un agréable restaurant.
Bon retour à vous tous et merci pour ces bons moments partagés !