Alain Desbrosse
Spitzberg
30 juillet
10 août 2021
Alain Desbrosse
Spitzberg
Christophe Bassous
Arctique et Antarctique
Photos d’illustrations, prises lors de précédentes croisières au Spitzberg. Lorsque le voyage sera terminé, nous publierons les photos de la croisière. Le manque de connexion internet nous empêche de recevoir les photos en temps réel.
Partis le 29 juillet de Roissy, après une bonne nuit de sommeil réparateur à Oslo sous les douces couettes moelleuses du Radisson Blu, nous embarquons pour un vol de 3 heures qui nous emmène plein Nord jusqu’à l’aéroport de Longyearbyen, Spitzberg, point de départ des expéditions polaires.
Arrivés sous un plafond de plomb peu engageant, le vent du Nord-Est crève peu à peu la chape nuageuse pour nous gratifier d’un camaïeu de gris et de bleu, témoin de l’humeur rapidement changeante de la météorologie arctique. Après la dépose des bagages au bateau, le groupe s’égaille en centre-ville, au pied de la statue du mineur, figure emblématique des origines de cette bourgade fondée par M. Longyear venu y creuser des mines de charbon au flanc des montagnes qui dominent toute la vallée de l’Adventalen.
Depuis la place centrale de Lompen, du nom du vêtement de travail connu chez nous sous le terme de salopette, chacun vaque à ses achats de dernière minute ou part visiter le riche et très pédagogique musée polaire localisé dans les bâtiments de l’université du Svalbard, l’autre appellation en vigueur pour les Norvégiens de cet archipel « aux côtes froides ».
Embarquement en fin d’après-midi pour traverser l’Isfjord. Après la présentation de l’équipage et des consignes de sécurité, nous arrivons pour dîner, bien à l’abri dans Ymerbukta et son glacier Esmarkbreen.
A 21h00, nous prenons la route du Nord pour embouquer Forlandsundet, ce bras de mer bien abrité des vents et que seuls les petits navires à faible tirant d’eau comme le Grand Large, peuvent emprunter.
Tôt dans la matinée, le Grand Large a doublé la station scientifique de Ny-Ålesund pour venir s’ancrer au pied de la falaise d’Ossian Sarsfjellet, réserve naturelle baptisée du nom d’un botaniste suédois, Ossian Sars (1837-1927). La paroi, blanchie par le guano, retentit du jacassement incessant des Mouettes tridactyles qui nichent ici par centaines. Contrairement à sa réputation de côte exposée aux intempéries et aux brumes, cette côte ouest du Spitzberg est aujourd’hui resplendissante, sous un soleil triomphant et une parfaite absence de vent. Le panorama des différents glaciers convergeant à la mer est dominé par les Trois Couronnes. Enormes pyramides naturelles nommées en l’honneur des trois royaumes scandinaves, Danemark, Suède et Norvège, ces grosses buttes émergent d’un océan glaciaire dont les langues viennent former le Glacier du Roi – Kongsbreen.
A 8h00, la table du salon est prise d’assaut par une meute affamée, réunie autour du plantureux petit déjeuner que nous a préparé Jerry, notre chef cuisinier phillipin.
A 9h00, nous partons à l’ascension de la grosse butte rabotée par les glaciers, pour découvrir la riche flore de la toundra polaire nourrie par les déjections des oiseaux : Silène acaule, Driade et autres Saxifrages égayent de leur floraison éphémère le tapis végétal. Dans ce pays où la forêt de saule ne dépasse guère quelques centimètres de haut, apparaît soudainement, au premier replat, un buisson de plus d’un mètre. Incroyable ! Bien que l’évolution climatique soit ici très rapide (+ 6°C quand nous n’avons pris que 1,2°C depuis les années 70 sous nos latitudes tempérées), c’est ailleurs qu’il faut chercher l’explication: le buisson se met en mouvement pour faire apparaître le corps d’un magnifique jeune renne mâle. Ce cervidé qui vit sur toutes les parties déglacées de l’archipel, se nourrit de la flore et des lichens.
Un peu plus loin, ce sont deux Renards polaires, quasiment immaculés qui trottinent à la recherche de quelque Mouette tridactyle égarée. Ils vont très bientôt tirer parti des jeunes encore au nid, qui feront dans les jours qui viennent leurs premières expériences aériennes. Malheur à celles qui auront la malencontreuse idée de venir se reposer au sommet de la falaise. Le goupil fureteur sera là pour faire son marché et approvisionner ses caches à viande. Elles lui permettront de survivre pendant la période critique de l’automne, quand les oiseaux marins sont repartis et que la banquise ne sera pas encore reformée. Cette mer de glace où l’Isatis* ira profiter des restes des phoques chassés par l’ours.
Retour sur notre hôtel flottant où la table est dressée pendant que quelques assoiffés sirotent l’apéro sur le pont arrière au soleil : salade, poulet tandoori, spaghettis bolognaises, plateau de fromage et panna cota sont au menu des agapes ouvertes aux appétits aiguisés.
Le bateau a repris la route du Nord en direction du fjord de la Croix qui se termine sur l’amphithéâtre du Lilliehöökbreen, front de glace gigantesque de 7 kilomètres de long. A intervalles réguliers, le glacier gronde, tonne et vêle ses séracs à la mer. Des troupes de Mouettes tridactyles couvrent l’eau à la sortie des torrents sous glaciaires. C’est à cet endroit que le violent courant fait remonter les animalcules dont se nourrissent les oiseaux picorant à la surface. Tout au bout du front, nous procédons au débarquement sur un îlot fraichement libéré par le recul du front glaciaire. Un peu plus loin, un iceberg détaché de la partie immergée du front glaciaire nous dévoile ses formes extraordinaires sculptées par l’érosion des eaux, en longues et sinueuses cannelures. L’originalité et l’esthétique recherchée de ce gros glaçon lui vaudront d’être baptisé du surnom de « Griffes du Diable ».
Après cette très belle première journée polaire, le jacuzzi chauffé au feu de bois attend nos passagers …
* : Isatis : ancien nom donné au Goupil fureteur polaire. Connu aussi sous l’appellation contrôlée de « Renard bleu », il s’agit en fait d’un renard au pelage blanc teinté par les fourreurs en bleu à l’aide de la plante tinctoriale, l’Isatis.
Parti à 23h00 de notre point d’ancrage, le Grand Large a fait route vers les confins nord-ouest de l’archipel, dans le secteur des îles où fut perpétré un des plus grands massacres de l’histoire de l’exploration de cette région, celui des baleines que Wilhelm Barentz avait découvertes en 1596.
Dès 8h30, nous mouillons un zodiac pour longer Virgohamna, le site du départ de l’expédition malheureuse d’Auguste Salomon Andrée dans sa tentative de survol du Pôle Nord en ballon à hydrogène (déjà…) en 1897. Un peu plus loin, dans une petite baie abritée, les Phoques veau-marin pointent leur frimousse tout autour de notre embarcation avant de repartir vaquer à leur pêche des poissons côtiers à marée haute.
Depuis Danskoya, l’île que s’étaient attribuée les Danois, nous traversons vers Amsterdamøya, l’île où les Hollandais avaient implanté Smeerenburg, la capitale de « la graisse ». De 1614 à 1655, celle-ci était extraite du lard des baleines. En arrière de la magnifique plage de clair sable finement constellée des bois flottés convoyés depuis les fleuves de Sibérie par le courant polaire, trônent les restes des fours où furent transformés en huile les infortunés cétacés. Il ne nous reste qu’à imaginer les énormes chaudrons de cuivre autour desquels s’agitaient les marins employés à cette tâche macabre.
Sur les rives du lac en arrière de la plage, une petite bande de Bécasseaux violet vermille dans le sable à la recherche de sa pitance. Au même moment, un couple de Plongeon catmarin lance ses vocalises caractéristiques. Suivant le fil de l’eau, nous arrivons sur trois masses ronflantes, totalement indifférentes à notre approche. Aux deux dagues d’ivoire pointant de l’une des extrémités de ces saucisses géantes, nous identifions le seigneur et maître de ces fonds marins sableux riches en coquillage. Nous avons nommé le Morse, l’animal mythique qui dût lui aussi sa perte à ses grandes défenses que vinrent lui dérober les Européens assoiffés de profits. Ils dorment aujourd’hui en bienheureux qu’ils sont redevenus, en tant qu’espèce protégée.
Dès la fin de la matinée, nous reprenons notre route dans le dédale des chenaux des îles du Nord-Ouest pour faire route vers Moffen. Le vent du Nord-Est qui soufflait tombe progressivement pour laisser place à une quasi mer d’huile sur laquelle nous scrutons fiévreusement le moindre souffle, indice de la présence du léviathan tant recherché par nos ancêtres dans ces parages….
Vers 16h00, nous coupons la ligne mythique du 80ème degré de latitude nord : plus que 1100 kilomètres avant le Pôle ! Nous stoppons à 300 mètres de la côte graveleuse de cette étonnante île annulaire renfermant une lagune. Sur la pointe sud, deux groupes d’une centaine de morses au total nous disent que c’est la place où il faut être : cet après-midi, c’est chez Moffen que les mâles viennent ronfler au grand soleil.
Nous continuons notre route en direction du Sorgfjord où nous mouillons en début de soirée. Ce haut-lieu de l’épopée navale qui fut le théâtre de la victoire française sur de pauvres pêcheurs de baleines hollandais en 1693. Dès le raffiné dîner dégusté, nous enfourchons notre zodiac pour une randonnée nocturne au grand soleil de 22h00.
Nous gravissons la colline surmontée d’une croix et d’un énorme cairn dominant les tombes des baleiniers qui jamais ne rentrèrent. Sur le chemin du retour, nous réparons la petite cabane de trappeur avec les bois trouvés sur place et rentrons pour un sommeil bien mérité après une petite séance d’ostéologie ursine sur quelques os abandonnés ici et là.
Longue journée puisqu’elle a commencé par un soleil de minuit resplendissant sur un fjord parfaitement abrité du vent et de la brume qui règnent sur le détroit d’Hinlopen.
A 8h00, nous démarrons le moteur principal du Grand Large pour faire cap vers Murchisonfjord, de l’autre côté d’Hinlopenstretet. Par un vent de Suet bien établi et sous un soleil toujours aussi imperturbable mais maintenant orienté à l’opposé, June, notre capitaine pousse le cri des anciens harponneurs : « Blow ! ». Un souffle puissant est apparu à l’avant du bateau, il se répète plusieurs fois. La puissance du vent rabat violemment la masse blanche d’un jet, manifestement émis par un très gros cétacé. En effet, une deuxième baleine émerge tout prêt de notre coque pour nous permette de constater, à la longueur interminable du dos et à sa couleur mouchetée de gris qu’il s’agit bien du plus grand des géants des mers, la fameuse baleine bleue. Nous nous contenterons ce matin, de cette mise en bouche pour redescendre au salon, attaquer le petit déjeuner.
Arrivés à destination une heure plus tard, nous retrouvons le Polarfront ancré dans le dédale des îles du fjord de Murchison et surgit enfin la bête mythique tant attendue. Un gros ours prolonge sa sieste au sommet de l’île Ringertzøya qui ferme ce fjord labyrinthique. L’ours, visiblement adulte, ne semble pas souffrir de la faim vu la taille de sa bedaine. Dans le fond de l’anse, les bâtiments de la station de recherche de Kinnvika occupent le replat choisi en 1958-59 par les équipes scientifiques constituées pour mener à bien les recherches de l’Année Géophysique Internationale. Tous les occupants du Grand Large, à l’image du seigneur des lieux mollement étendu au sommet de sa plage, apprennent l’infinie patience ursine nécessaire à la survie dans ces contrées hostiles. Chacun scrute le moindre mouvement de truffe ou d’oreille de l’animal affalé de tout son long, rêvant de phoques gras et autres orgies lipidiques sur quelque cadavre fumant.
Départ après déjeuner en zodiac pour se rapprocher de l’ours encore et toujours endormi qui néanmoins daigne nous saluer en se dressant sur ses grosses paluches. Nous prolongeons la croisière par la visite des bâtiments de Kinnvika : sauna, réfectoir, dortoir, Weasel, cette chenillette motorisée qui servit à Paul-Emile Victor dans ses expéditions. Les scientifiques finnois et suédois s’en sont servie pour l’exploration de la calotte glaciaire Austfonna. Notre randonnée nous conduit jusqu’aux affleurement ruiniformes laissés par les plus vieux fossiles connus sur notre planète, les stromatolites. Plus d’un milliard d’années nous contemplent…
Le Grand Large déplace son mouillage vers l’île de Crossoya, l’île de la croix, celle orthodoxe érigée par les Pomors de Russie venus ici au XVIIIème siècle.
Salade composée, filet mignon en sauce et flanc parfum amande constituent notre souper. Dès 20h30 nous chevauchons nos zodiacs pour une exploration des îles du Sud de Murchison. En chemin, deux gros mâles morses font admirer leur dentition, nonobstant une légère ginginvite chronique. Après avoir refait le plein d’oxygène, ils repartent dans les profondeurs océanes en quête de coquillages.
Continuant notre route, nous découvrons le crâne gigantesque d’une grande baleine à fanons, très probablement celui de la Baleine bleue au vu des dimensions titanesques de cette pièce d’ostéologie blanchie par les tempêtes.
Dans une atmosphère irréelle, le Sjoveien brille de tous ses feux à notre retour sous un soleil dardant ses rayons depuis le Septentrion. Il reprendra sa route dans quelques heures, direction la banquise….
Dans la nuit, le Grand Large a fait route plein Nord pour venir chercher les parages de la banquise au large des Sept Iles par 80° 37’ de latitude nord. De l’atmosphère ouatée des couettes, nous passons à celle non moins feutrée de l’extérieur baigné dans la brume qui règne au-dessus de la mer gelée. Nous patrouillons toute la matinée le bord festonné d’une banquise compacte et impénétrable dont les nombreux hummocks témoignent des compressions que la plaques ont pu subir dans les mois passés. Juste avant le déjeuner, notre capitaine Jerry détecte une frange propice à un accostage pour une découverte pédestre de cet univers de l’océan gelé. Sous nos pieds, ce sont 100 mètres d’eau dont nous sommes séparés par un bon mètre de glace compacte. Nous escaladons une ceinture de plaques de compression – les hummocks – pour arriver sur une zone parfaitement plane sur laquelle nous sabrons le champagne. En un peu plus d’une heure, le Grand Large accosté à sa plaque de glace a effectué une dérive de 600 mètres dans cet univers polaire où tout est en mouvement selon la devise du fameux Nautilus : Mobilis in mobile.
Venant du Sud, la brume qui s’est dissipée laisse place à un plafond nuageux laissant entrapercevoir un grand ciel bleu. C’est lui qui nous accompagnera tout le reste de l’après-midi pendant laquelle nous remontons vers le Nord en longeant la lisière de la banquise. A la passerelle, toutes les paires d’yeux et de jumelles sont réquisitionnées pour une veille active. Dans les chenaux, Mergules nains et Guillemots de Brünnich remontent des profondeurs avec leur pitance planctonique ou halieutique.
Un Phoque barbu fait surface, engrange un plein d’oxygène et repart dans son monde sous-marin. Un peu plus loin, c’est un Phoque du Groenland qui vient nager sur le dos, tout près du bateau, tandis qu’une Mouette ivoire festonne au-dessus des immensités blanches.
En fin d’après-midi, nous reprenons la route en direction de la Terre du Nord-Est. Nous ferons un arrêt repéré par l’officier de quart à 4 heures du matin la nuit dernière dans une zone où le sonar a repéré un banc de poisson prometteur d’une pêche miraculeuse…
Après un trajet par une mer bien formée dans la nuit, nous arrivons de bon matin tout au fond du fjord de Palander par une ambiance brumeuse qui masque les sommets arrondis dominant la côte. De chaque côté du fjord, les langues des calottes glaciaires Vegafonna et Sorfonna viennent mourir en arrière des moraines laissées à la dernière poussée froide, celle du Petit Age de Glace. Tout près du mouillage, le Palanderbreen vêle un gros glaçon dans lequel nous irons tirer la matière première fossile qui servira à refroidir les apéritifs de midi.
Notre fidèle zodiac nous conduit à terre pour une découverte de la calotte et des déserts polaires qui règnent ici en maîtres. D’immenses étendues récemment déglacées moutonnent à perte de vue, vastes océans de pierre où seules quelques petites touffes végétales éparses apparaissent ici et là. Elles font le bonheur – et la survie – des rennes dont nous trouvons les moquettes mais aussi celui des bernaches, en particulier la rare Bernache cravant dont une petite troupe nous gratifie de son envol. C’est aussi l’univers du Lagopède alpin, la perdrix des neiges qui passe l’hiver dans son igloo de neige, laissant son petit amas de fientes au pied d’une taupinière des glaces.
La surface de la calotte ayant été récemment lavée par les pluies de sa croûte antidérapante, nous ne ferons qu’une brève incursion au pied de la masse de glace pour découvrir les bédières, trous à cryoconite et également ces fameuses taupinières laissées par cet animal mythique, vivant au cœur des inlandsis, nous avons nommé la Taupe des glaces. Le géomorpholoque de l’équipe de guides s’emploiera à contrecarrer les adeptes de la cryptozoologie, la science des animaux mythiques, truite à fourrure et autre chauve-souris des glaces. Raclant la première couche de sédiments, un noyau de glace pure apparaît rapidement : ce qui était une dépression comblée de sédiments est devenu une butte par fonte de la glace environnante non protégée par la tache des argiles et cailloux déposés par les eaux de fonte.
Au retour, nous déambulons sur les calcaires fossilifères du Carbonifères vieux de – 360 à – 300 millions d’années. Les bivalves brachiopodes aujourd’hui disparus et les fenestrelles sont caractéristiques de cet épisode révolu, à une époque où ces sédiments se déposaient au fond d’une mer équatoriale. Plus récemment, avec le rebond isostasique des terres libérées de la monstrueuse calotte glaciaire du dernier maximum de froid (-18000 ans), ce sont les coques (Mie tronquée) qui se sont retrouvées tout à coup à sec, laissant des bancs de coquillage perchés à plusieurs mètres au-dessus du rivage actuel.
En fin de matinée, nous reprenons notre route vers le Sud puis l’Est en direction de Torellneset. Dès la sortie de Palander, nous trouvons de la banquise à la dérive, celle-ci se fait de plus en plus dense à mesure que nous pénétrons dans Hinlopen. Nous naviguons tout l’après-midi dans ce détroit où le vent d’Est de la nuit dernière a ramené des quantités astronomiques de glaces. Tous les passagers sont à leur poste d’observation favori, la passerelle. Phoques barbus, morses isolés se prélassent sur leur glaçon, toujours sur le qui-vive concernant les phoques….
Effectivement, à 17h30, après un séance très intense de veille, nous détectons dans le grand lointain, une microscopique tache jaunâtre mais mouvante…. Cap est mis sur l’indice qui se révèle être l’objet de notre quête. Des hourras sont poussés lors de la confirmation de la découverte. Les chenaux sont trouvés dans cet univers bien encombré qui nous mèneront jusqu’à une grosse dodue. Une ourse, couchée au sommet d’un iceberg se redresse, nous hume et se met en mouvement pour nous faire profiter de sa silhouette très en forme, son pelage crème clair, seulement marqué d’une grande balafre au flanc droit. Notre capitaine, June, nous fait une approche très délicate qui permet une magnifique observation. L’ourse déambule sur son glaçon un long moment avant de décider de reprendre sa route au milieu des hummocks. L’écran radar nous indique que les conditions de glace sont totalement impraticables vers l’Est, nous reprenons donc notre chemin vers la côte ouest d’Hinlopen et ses grandes falaises….
Jeudi 5 août Wahlbergoya – Alkefjellet – Hinlopen
Nous sommes à l’ancre depuis hier soir dans la vaste anse parfaitement abritée de la grande île Wahlberg. D’immenses plages étagées se terminent en une pointe parfaite pour une échouerie de morses. Ils sont là depuis hier soir, gros tas fumant sous la petite pluie persistante.
A 9h00, alors que la pluie s’est arrêtée, dans une ambiance de calme absolu, dans une atmosphère quelque peu irréelle, seulement troublée par les borborygmes des odobénidés, nous longeons le rivage où une petite troupe curieuse s’approche en reconnaissance de la forme noire du zodiac. Nous accostons ensuite sur le rivage où un Bécasseau violet, une fois n’est pas coutume, prend en chasse sans ménagement, un Labbe parasite sans doute trop proche de son site de nidification. Lui qui est habitué à pourchasser les Mouettes tridactyles pour leur faire régurgiter leur pêche, a trouvé quelqu’un de plus agressif que lui. Quelques morses très curieux viennent à quelques mètres seulement des bottes de Christophe se prodiguer, avec une certaine tendresse, des frottements de vibrisses, nonobstant leur comportement plus souvent irascible.
Une lente approche sur la plage nous amène à une trentaine de mètres de la troupe odorante, vociférante et éructante. Au-dessus de la ligne sombre des masses de cuir plissé se dresse une forêt de dagues d’ivoire s’agitant à intervalles réguliers. Régulièrement, l’un de ces gros pères décide de se coller un peu plus à son voisin ou de se gratter frénétiquement l’arrière du crâne avec ses pattes arrière, quand ce n’est pas se débarrasser d’un prurit anal insistant par des mouvements frénétiques latéraux de l’arrière train.
En fin de matinée, alors qu’une petite pluie fine nous rappelle à notre havre chaud et sec du Grand Large, nous levons l’ancre en direction de la côte ouest du détroit d’Hinlopen. Christophe profite de ce temps de navigation pour nous présenter l’univers planctonique et son importance vitale pour la vie sur terre et en mer : plus de la moitié de l’oxygène que nous respirons est produite par le phytoplancton marin.
En début d’après-midi, la brume se dissipe et nous dévoile les falaises blanchies de guano d’Alkefjellet, au pied desquelles flottent d’immenses radeaux de Guillemots de Brünnich.
Ils remontent des profondeurs où ils sont descendus chercher la pitance qui nourrira leur unique jeune encore accroché à une vire de la falaise. Des écharpes de brumes s’accrochent aux immenses piliers formés par les épanchements de dolérite qui constituent un gigantesque château de lave sur les tourelles sur lequel s’accrochent guillemots et mouettes tridactyles.
Des dizaines de milliers d’oiseaux posés sur la moindre vire se répondent dans un vacarme assourdissant. Il y en a tout autant sur l’eau, en vol et probablement sous l’eau. La crise du logement empêche certains appontages délicats qui obligent bien des volatiles à faire demi-tour et recommencer leur manœuvre. Les Goélands bourgmestre font leur travail de charognards des mers, nettoyant les cadavres de mouettes et les premiers petits guillemots qui servent à nourrir leur propre progéniture.
Le Grand Large reprend sa route vers le Nord sur un détroit parfaitement calme, noyé de brume. Alain en profite pour présenter tous les secrets de la vie des morses, espèce conduite au bord de l’extinction au Spitzberg, qui a bien profité depuis de son statut d’espèce protégée et commence à repeupler son territoire polaire.
Liefdefjorden – Monacobreen –Erikbreen – Texas Bar – Bockfjord
Nous sommes arrivés tôt dans la nuit pour nous mettre à l’ancre face au glacier de Monaco situé tout au fond du Liefdefjord, le fjord de l’amour, dont l’origine étymologique provient du nom d’un navire hollandais. Un grand soleil jouant à cache-cache avec de petits nuages illumine le front grandiose de ce célèbre glacier hérissé d’un labyrinthe de séracs. Notre zodiac avance tranquillement à la surface de l’eau aujourd’hui peu encombrée par le brasch, cette bouillie de glace générée par le vêlage du glacier.
Arrivés près de Finnoya, ce gros caillou en travers du fjord, nous constatons immédiatement que le glacier qui s’était retiré de plus de deux kilomètres ces dernières années, s’est de nouveau avancé pour n’être plus qu’à 200 mètres très précisément de ce gros paquet de schistes gréseux rabotés par le tapis roulant de glace. Un gros phoque barbu curieux nous laisse admirer ses généreuses bacantes avant de repartir en pêche. Quelques petits icebergs permettent d’étudier les subtilités des couleurs et des formes de la glace sculptée par la fonte : transparence des veines d’eau de fonte regelée, camaïeu de blanc et de bleu des glaces issues des neiges « éternelles » accumulées bien en amont du front, dans les innombrables cirques glaciaires du bassin versant de ce fleuve de glace : 408 km2, 42 kilomètres de long et 91 km3 (chiffres de 1993 issus de la carte touristique du Spitzberg, 6ème édition). Sur un gros bourguignon, ces glaçons de la taille d’une barrique remplie du célèbre vin, un groupe de Mouettes tridactyles est accompagné par la mythique Mouette ivoire, connue également sous l’appellation de Goéland sénateur.
Indissociable de la glace et de l’ours dont elle se nourrit des restes de carcasse de phoque sur la banquise, voici l’un des graals de l’ornithologie, une des rares espèces entièrement blanches sur la planète, avec le Pétrel des neiges antarctique ou la Gigis des Seychelles.
Nous rentrons à bord où flotte un mélange d’effluves toutes plus sympathiques les unes que les autres : feu de bois chauffant la grande bassine du jacuzzi, fumets du repas philippin concocté par Jerry : soupe sinegang (poissons et légumes) riz nasi goreng et poulet adobo, chapsuey (mesclun de légumes), suivi d’un plateau de fromages (bien français…) puis d’une salade de fruits nappée dans la chantilly, tout cela au mouillage devant Texas Bar et le glacier de Monaco en arrière-plan….
Nous sommes définitivement mieux ici qu’à creuser le fond d’une mine à Longyearbyen !….
Nous partons nous dégourdir les rotules du côté d’Erikbreen et son amphithéâtre morainique parfait, témoin de l’avancée du glacier à la fin du Petit Age de Glace, en 1850. Aujourd’hui, un lac aux eaux roses noie le pied du glacier qui se retire lentement dans sa vallée très escarpée. Dans un petit lac, nous découvrons un organisme antédiluvien, la Lépidure arctique, un crustacé qui a connu les dinosaures mais leur a survécu grâce à ses capacités d’adaptation extrêmes, des latitudes tropicales aux contrées glacées du Haut Arctique.
Tout autour, une toundra relativement riche nous prodigue la floraison des Driades à huit pétales, du Céraiste arctique, du Silène acaule et de Wahlberg, des Vergerettes, du Saule polaire dont les chatons sont encore couverts de pollen, de la Renouée vivipare, de l’Oseille et du Saxifrage en touffes.
Sur la route du retour, arrêt à Texas Bar, une cabane de secours construite à l’époque des trappeurs utilisée aujourd’hui comme refuge et donc en parfait état, avec son poêle et ses deux bannettes, et bien évidemment, les munitions adéquates, Texas Bar oblige, pour résister aux basses températures qui règnent dans le pays….
Dès le retour au bateau, la température du jacuzzi ayant atteint 35 degrés, nous immergeons nos passagers volontaires pour cette expérience originale sur fond de glacier de Monaco et dans un air frisant les 5°.
Face à nous, les 300 millions d’années du Dévonien s’exposent dans la splendeur de leurs couches roses et mauves culminant à Kronprinzhogda à 835 mètres d’altitude. Sur le rivage, une pêche planctonique étonnante nous plonge dans un monde de copépodes, isopodes et un spécimen nouvellement découvert de la famille des ctnénaires est identifié par notre planctonologue de service : une double enveloppe prolongée par quatre tentacules urticants chasse activement les minuscules copépodes.
A bord, pour clore cette longue journée, Alain nous fait la lecture d’une histoire de trappeur et d’ours intitulée La Balle perdue…
Ytre Norskoya – Smeerenburgbreen – Fjord de la Madeleine
Arrivé aux aurores au pied de l’île d’Ytre Norskoya, « l’île extérieure des Norvégiens », nous petit déjeunons avant de gravir le sommet au pied de duquel le Grand Large est mouillé. Nous empruntons le sentier qu’arpentaient les premiers chasseurs de baleines, qui montaient et profitaient d’une vue à 180° sur l’océan glacial pour détecter le souffle des cétacés. Vue imprenable également sur les colonies d’oiseaux qui occupent cette île rocheuse couverte d’un manteau de lichens : Mergules dans les éboulis, Guillemots et Macareux dans les falaises.
L’absence de vent et une visibilité horizontale exceptionnelle nous permet de constater que ces immensités marines sont aujourd’hui vides de tout Léviathan. Si les Baleines franches autrefois recherchées par les harponneurs basques ont presque totalement disparu, en revanche, Baleines à bosse, Baleines bleues, Petits Rorquals et Rorquals communs font leur retour depuis quelques années, dans les parages de l’archipel. Sur un replat de la côte sud de l’île, des amoncellements allongés de tas de pierre marquent la présence d’un cimetière de baleiniers, le second en importance de tout l’archipel. De retour à bord, nos deux guides organisent avec le capitaine les étapes du retour sur Longyearbyen. La prochaine sera consacrée à une croisière en zodiac du glacier de Smeerenburg. Celui-ci s’avère très actif avec de grandes quantités de « brasch » encombrant les deux fronts, séparés par une avancée de grosses roches massives arrondies par des millénaires de rabotage de la glace.
D’innombrables Guillemots à miroir nagent à la surface de l’onde tandis qu’un jeune Phoque veau-marin vient inspecter le gros glaçon noir de notre zodiac. Dans le lointain, le front glaciaire gronde régulièrement, vêlant des tonnes de belle glace bleutée. Au fond d’une crique, une énorme balle de feuillard plastique ira rejoindre la poubelle du bord, évitant ainsi la dispersion de millions de micro déchets dans ces eaux cristallines. Nous reprenons la route en direction de la baie de la Madeleine en fin d’après-midi en sirotant le désormais traditionnel chocolat chaud du bord. Le vent fraîchissant de Sud agite le Grand Large le temps d’arriver dans le havre de la patronne des baleiniers, nous avons nommé Sainte Madeleine. Nous mouillons près de Gravneset tout près d’un petit voilier Norvégien. Trois rennes aventureux traversent un des immenses glaciers qui dévalent la côte nord du fjord. Après consultation de la carte météo, nous reprendrons notre navigation nocturne jusqu’à l’Avant Terre du Prince Charles.
Dimanche 8 août Prinz Karl Sundet –Selvigen – Sarstangen –St Jonsforden
Nous avons mouillé dans la nuit dans une anse de la côte est de l’Avant-Terre du Prince Charles. Dès après le petit déjeuner, nous reprenons la route pour explorer la côte en direction du Nord. Les nombreux glaciers de Grimaldibukta, la baie des Grimaldi dénommée en l’honneur de la famille régnante de Monaco, dévalent jusqu’à la mer depuis des sommets alpins aujourd’hui noyés dans le plafond nuageux. Ce soir, repas polaire, fait de morues qui nous serons servies à table sous forme d’aïoli. Nous traversons le détroit en direction de Sarstangen où quelques morses sont venus s’échouer sur cette interminable langue de sable et de graviers.
Cette ancienne moraine aujourd’hui sous-marine nous fait passer sur des fond éloignés seulement de deux mètres de la coque du Grand Large, un des très rares bateaux à pouvoir voguer dans ces eaux. Nous embouquons dans l’après-midi St Jonsfjord en passant devant l’île d’Hermannsoya, réserve ornithologique protégée. Ce fjord est très peu visité, seuls les petits bateaux peuvent y accéder.
Conférence d’Alain sur les cétacés pendant ce temps de navigation. Après déjeuner, nous débarquons pour une longue randonnée exploratoire de 6 kilomètres vers un glacier mystérieux. Nous foulons des kilomètres cubes de schistes colorés déplacés par le glacier dans ce fjord connu pour ses gisements aurifères mais dont les concentrations sont heureusement insuffisantes pour en envisager l’exploitation. Nous croisons curieux et par conséquent photogéniques et foulons une toundra riche en espèces botaniques diverses. La rivière sous-glaciaire très active nécessite de trouver le gué praticable. De la moquette de la toundra, nos passons aux immenses cordons morainiques où le minéral règne en maître. C’est dur, c’est difficile, mais que c’est beau !
Au retour, Jerry nous a préparé un repas une de fois de plus gargantuesque où nous reprenons instantanément les calories précédemment dépensées. En soirée, présentation des différentes destinations proposées par Grands Espaces suivie d’un exposé à deux voix sur notre animal favori : Ursus maritimus.
Réveil au mouillage bien abrité dans St Jonsfjord dans une lumière splendide où les rayons de soleil s’entremêlent d’écharpes de brumes sur les escarpements occupés par les colonies de Mouettes tridactyles. Pendant ce temps, un petit renard arpente la grève à la recherche de sa pitance. Les Labbes parasites patrouillent quant à eux la surface des eaux.
Nous faisons route durant toute la matinée pour rejoindre l’entrée de l’Isfjord. Le vent étant désormais complètement tombé, ne reste plus qu’une houle résiduelle pour bercer la marche du Grand Large. En chemin, Christophe nous initie à l’acoustique sous-marine tandis qu’Isfjord Radio, implantée au Kapp Linné, de l’autre côté du fjord fait de nouveau crépiter les rafales de messages dans tous les téléphones portables. Retour à la civilisation après dix jours de glaces, soleils de minuit, fulmars et guillemots…. Malgré une veille assidue, aucun souffle de baleine ne vient troubler l’horizon dans cette zone pourtant régulièrement fréquentée par les cétacés.
L’après-midi est consacrée à un débarquement au pied du promontoire d’Alkhornet, le rocher aux oiseaux, véritable Cervin surgissant de la brume, face au grand soleil de l’après-midi.
Le pied de la falaise culminant à 849 mètres est couvert d’immenses pâturages où des troupeaux de rennes broutent frénétiquement les herbes qui leur permettront d’accumuler les réserves de graisse indispensables à leur survie hivernale. Arrivés près de la côte, les restes très anciens de cabane nous ramènent à la lointaine époque des Pomors, ces trappeurs russes venus ici au XVIIIème siècle chasser les animaux à fourrure dans leurs petites embarcations. Soudain, au détour d’un énorme bloc rocheux, deux jeunes renards polaires font leur apparition. Leur pelage bicolore beige se confond parfaitement avec la mosaïque de roches et d’herbes. Ils se rendorment rapidement, roulés en boule, le museau enfoui dans la queue, gardant un regard sur la bande d’intrus colorés.
De retour au bateau, Andrei, le chef mécanicien relance le moteur principal qui nous ramènera fidèlement à notre port d’attache, Longyearbyen, après une navigation de trois heures sur un Isfjord d’huile et sans vent.
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Messages
nous sommes heureux de pouvoir suivre votre voyage et nous esperons bientot voir des des ours blancs avec des bb prenez soins de vous et couvrez vous bien bises
Quel beau programme .
Nous avons hâte de partager votre voyage .
Toute la famille vous embrasse (pierre compris)
Claire
Joli programme.
Ouvrez grand vos yeux , pour vous émerveiller de vos souvenirs.
Bises de Venterol
Profitez bien de votre magnifique voyage! Pensées de nous quatre .
Mais que c’est beau!
profitez bien.
Maman demande si vous avez mis des glaçons dans votre apéro et ecouté le bruit des bulles d’air vielle de plusieurs millions d’années?
ça à l’air luxueux quand même entre le repas et le jacuzzi! profitez bien!
GERNEVIEVE ET JEAN MARIE ENFIN UN OURS BLANC BIEN IMPOSANT
Quelles belles rencontres !
Profitez bien,
Amitiés.
Les photos sont grandioses ! Nous pensons très fort à vous et vous embrassons.
Quel voyage magique et quels paysages époustouflants !!! On a hâte de vous retrouver pour écouter le récit de cette belle aventure et de voir votre reportage photos….
Famille BONEBEAU
Nous suivons toujours votre voyage avec plaisir
Jean-Marie