Vincent Lecomte
Écologie Polaire
10 août
20 août 2021
Vincent Lecomte
Écologie Polaire
Sophie Tuchscherer
Guide
Photos d’illustrations, prises lors de précédentes croisières au Spitzberg. Lorsque le voyage sera terminé, nous publierons les photos de la croisière. Le manque de connexion internet nous empêche de recevoir les photos en temps réel.
Des montagnes enneigées, des fjords bleus à perte de vue, une lointaine calotte glaciaire étincelante, voilà le paysage qui se dessine par 78° Nord à l’approche de Longyearbyen, modeste « capitale » du Spitzberg, que l’avion survole avant d’atterrir.Un grand ciel bleu étincelant nous accueille à l’aéroport, l’un des plus nordiques du monde. Au sortir de l’aéroport, un panneau nous intrigue : il s’agit d’un ours entouré d’un triangle rouge. Bienvenue au pays de Nanouk. Nous rencontrons notre chef d’expédition, Vincent, et notre guide, Sophie, et le voyage commence. Le bus nous conduit à notre yacht polaire, après une visite de la ville fondée par M. Longyear en 1906, étrange station minière reconvertie en porte de l’Arctique pour les voyageurs épris de hautes latitudes.
A quai, le Polarfront se dévoile à nous, avec ses projecteurs de banquise, sa passerelle surélevée, son pavillon français flottant dans une brise marquée, sur fond d’un ciel d’azur plutôt rare au Spitzberg : serait-ce de bonne augure ? Tandis que le navire appareille, en direction du nord de l’archipel, à la conquête du territoire des ours polaires, nous rencontrons, une fois montés à bord, le capitaine, son équipage, l’équipe de bord, et nos cabines.
Au soir, notre chef expédition Vincent et notre guide Sophie nous présentent, sur le pont avant, le paysage de l’Isford, avec ses vallées glaciaires, sa toundra, son horizon prometteur où scintillent de multiples glaciers : c’est aux abords de cet univers bleuté que la faune spectaculaire du Spitzberg nous tend les bras.
Demain, nous serons « au nord du nord », toujours plus au nord : telle est notre devise. Minuit approche, mais le soleil ne se couche toujours pas : cette lumière si particulière de l’été boréal nous accompagnera sans relâche pendant les 10 jours de notre aventure. Le voyage peut commencer.
Alors que le navire vogue, plein nord, sur une mer d’huile, en direction de la baie de la Madeleine, haut lieu historique du Spitzberg, les passagers se lèvent aux aurores pour admirer le paysage : une succession de glaciers étincelants à l’horizon, paysage lacéré par les vols rapides et presque comiques de quelques macareux moines en retour de pêche, volant vers leurs colonies.
Tandis que nous préparons une navigation spectaculaire en navire à l’intérieur d’un fjord, le premier que nous visiterons, les passagers reçoivent des instructions réglementaires concernant la sécurité en cas de rencontre involontaire avec un ours à terre, la sécurité à bord des Zodiacs et la protection de l’environnement naturel et historique au cours de nos déplacements. C’est l’occasion pour chacune et chacun de poser des questions sur le déroulement de la croisière qui se profile.
La visite du fjord de la Baie de la Madeleine offre un spectacle continuellement renouvelé : vols de groupes de mergules nains sortant de leurs pierriers, névés rouge sang colorés par des algues unicellulaires (Chlamydomonas nivalis), envols et atterrissages poussifs de guillemots à miroir (un petit oiseau marin de la famille des pingouins), géomorphologie glaciaire et figures d’érosion du Spitzberg, littéralement : « la montagne pointue », en raison de la topographie si particulière des sommets acérés.
Le spectacle est à la fois visuel et sonore : des égayent l’atmosphère de leurs cris stridents. Des vêlages (chute de la glace au front du glacier) lancent leurs coups de « tonnerre »éclatants.
Tous les passagers observent cela depuis la proue du navire tandis que le capitaine effectue une approche délicate du front de glace, à 800 mètres environ.Diverses mesures sont effectuées : mesure de la hauteur du glacier (45 mètres), mesure de sa distance (au moyen du radar du bateau), mesure des sommets environnants (500 mètres), observation du recul des glaciers mis en évidence par la différence de couleur entre la zone végétalisée par des lichens et la zone de roche nue fraîchement découverte par la fonte de la glace. Un groupe de phoques est habilement repéré par un passager grâce a sa caméra infrarouge : deux tâches rouges et jaunes se distinguent à l’horizon. Un peu plus loin, à bâbord, les guides repères cinq phoques communs qui se reposent sur une bande de galets.
Après le repas, vient le moment tant attendu, : la première sortie en Zodiac, à la fois inquiétante et fascinante, lente navigation de la bouillie glacée (les fragments du glacier de Smeeremburg), appelée « brash ».
Cette longue sortie de près de trois heures, dans le magnifique « Fjord de l’Ours » (Bjornfjord) permet d’observer de près le front de glace, culminant à 105 mètres, les figures de compaction et de compression de la glace, le sérac, la stratification de la glace, la splendeur et la beauté des différentes formes de glace qui prenne de multiples nuances de bleu, de blanc, de gris voire de beige ou d’ocre en fonction de la présence de moraine et du taux d’oxygène notamment (pour la gamme bleutée).
Mais au delà de ces considérations scientifiques, c’est surtout l’ambiance (indescriptible et lunaire) qui nous marque : ce paysage est un mélange de désolation et d’austérité, d’étrangeté et de splendeur sans nom. Des prédateurs y côtoient leurs proies, tandis qu’aucune végétation ne semble vouloir se développer sur les abrupts pierriers alentours, à l’exception de quelques mousses et lichens parsemés.
De nombreux animaux sont observés : des guillemots à miroir, un phoque sortant d’apnée, des goélands bourgmestres et mouettes tridactyles. De très belles observations sont réalisées : celle de la mouette ivoire venue nous saluer, mouette mythique et entièrement blanche, des sternes arctiques attaquant — de manière coordonnée et virulente — des grands labbes venus chasser leurs œufs et poussins sur leurs colonies, ainsi que le morphe sombre du labbe parasite, un élégant oiseau se nourrissant sur les repas des autres (d’où son nom, « parasite »).
Le soir, nous appareillons pour Murchinson Fjord — toujours plus au nord, en quête de l’ours, tandis que le chef d’expédition, Vincent, et Sophie, notre guide, font un récapitulatif de la journée, dévoilant la richesse ornithologique de ce bout de terre perdue au delà de 78° nord.
Voilà une journée en Arctique qui restera gravée dans nos mémoires.
Tout commence à minuit, alors que l’équipe de guides (Vincent et Sophie) vient frapper à nos portes : on nous demande de nous habiller le plus rapidement possible, si possible en quelques minutes, pour une excursion Zodiac imminente. Leurs sourires et leurs gestes vifs révèle leurs intentions : s’approcher d’un ours.
Sur le pont, c’est le branle-bas de combat : des matelots ont été réveillés à la hâte pour mettre les zodiacs à l’eau, les guides sont rivés sur leurs jumelles et leurs radios, et c’est le capitaine lui-même, casque sur la tête, qui manipule la grue pour descendre les Zodiac à l’eau en temps record !
Un ours aurait été aperçu en train de nager dans le fjord. Vincent, notre chef d’expédition, l’aperçoit dans l’eau, à bonne distance, à environ 1 km.
On distingue à peine un point noir qui avance discrètement en fendant les flots, à vive allure : l’ours, dont le nom latin est Ursus maritimus (ours marin), possède des qualités nautiques exceptionnelles pour un ours, de par son corps hydrodynamique, de par ses pattes partiellement palmées, de par sa vitesse de nage au moins égale à celle d’un homme moyen. Seule le haut de la tête émerge de l’eau, lui permettant d’observer son environnement sans être vu. D’ailleurs, nous perdons rapidement le contact visuel avec l’ours.
Un fois dans les zodiacs, nous avançons milieu du fjord, ou l’ours est furtivement aperçu, à grande distance, en train de nager entre deux îles rocheuses, avant de disparaître. L’espoir retombe. Nous ne pouvons pas, du reste, nous approcher : on ne dérange pas un ours qui nage. Si nous lui faisions rebrousser chemin accidentellement, cela serait pour lui un gaspillage d’énergie.
Pendant ce temps d’attente, nous apprenons que cette belle observation est liée à la collaboration entre plusieurs bateaux Grands Espaces : alors que le Polarfront voguait paisiblement en direction du nord de l’archipel, les guides ont appris par un appel radio émis par un autre chef d’expédition, Christophe Bouchoux, sur le Polaris, qu’un ours avait été préalablement aperçu dans le secteur, vers l’entrée du fjord de Smeeremburg.
La semaine une dizaine de jours auparavant, ce fut l’inverse : c’est le Polarfont qui avait communiqué aux autres bateaux en observation d’une maman ours de son ourson sur un îlot de la terre du nord-est. La solidarité est essentielle pour favoriser les observations naturalistes de tous, dans le respect naturellement des conditions d’une observation qui ne dérange pas les animaux.
Après la transmission de l’information, la décision avait alors été prise (par l’équipe de guide) de faire demi-tour, pour naviguer à vitesse maximale pendant une heure, plein sud, pour tenter d’observer l’animal mythique (au risque de perdre une journée entière en cas d’échec) : un véritable « coup de poker ».
L’ours, toutefois, maître des eaux glacées mais aussi maître du suspense, se fait attendre. Depuis les zodiacs, il est toujours perdu de vue. On croît, un instant, nous avons tous été réveillés « pour rien ».
Un cri retentit à tribord : les passagers s’émerveillent devant un morse qui fait irruption dans l’eau à quelques mètres de notre zodiac, aux défenses luisantes et à la bonne bouille. L’animal gigantesque n’était pas prévu ! Aussitôt, nos appareils photographiques crépitent. C’est le premier morse aperçu sur ce voyage.
Mais, au même moment précisément, notre guide Sophie, depuis l’autre zodiac, localise l’ours qui marche sur une plage à environ 800 m. Nanouk est sorti de l’eau.
Morse ou ours, il faut choisir…
L’ours se fait désirer : sa majesté, d’un pas rapide, semble vouloir partir en exploration dans la toundra, et disparaît à l’horizon, de manière définitive – enfin croyons-nous. Décision est prise de tenter notre chance, en contournant le cap, pour avoir un autre angle de vue. Après 20 minutes de navigation en zodiac dans le froid glacial et les embruns, slalomant avec précaution entre des récifs à fleur d’eau, nous parvenons de l’autre côté, où Nanouk reste invisible.
« Patience », indique Vincent : tout vient à point à qui sait attendre.
Soudain, il est là. Devant nous. Déambulant dans la toundra, au loin, fièrement, lentement, humant le sol et oscillant parfois du cou. C’est un ours d’une blancheur extraordinaire, vif, bien sculpté, manifestement en pleine santé. Après cette longue approche, notre récompense est méritée. S’ensuit alors un spectacle rare : plus d’une heure d’observation d’un ours dans son milieu naturel, à quelques centaines puis quelques dizaines de mètres. L’ours déambule longuement, parcourant plus d’un kilomètre, hume le sol, découvre une carcasse d’ours rejeté par la mer, marche sur le rivage, lève parfois la tête, nous adressant un furtif salut, puis s’assoit, à quelques dizaines de mètres de nous, nous regarde, et commence un brin de toilette. Il se gratte, baille à plusieurs reprises, se prépare pour la nuit. Durant tout le temps de cette observation, un silence naturel s’est fait à bord des embarcations : il y avait tout simplement pas de mot pour décrire ce spectacle qui se passait de discours superflu.
Une nuit avec l’ours polaire…. Vers trois heures du matin, alors que l’ours s’est endormi, nous quittons l’arène sur la pointe des pieds et entamons un retour au bateau. Mais nous tombons en arrêt devant un groupe d’une trentaine de morses affalés sur le sable. Ceux-ci dorment, lèvent parfois la tête, se donnent quelques coups de défense pour contrôler leur petit territoire, ou bronchent bruyamment. Sur une mer d’huile, en pleine nuit, le spectacle est à nouveau irréel.
Au réveil, il ne faut quelques instants pour réaliser l’observation nocturne était bien réelle : n’avons-nous pas rêvé ? Les nombreuses photographies prises de l’évènement, et que nous nous montrons dès le petit déjeuner, en attestent : non, ce n’était pas un rêve, ni un film de fiction. Sur nos images, nous voyons nanouk en train de nager, de déambuler, de humer l’air, ou encore de se gratter de bailler. Tout ceci nous l’avons bien vu… Et dire que la journée ne fait que commencer.
Dès 10 heures, nous sommes de retour sur les zodiacs pour une approche de la colonie de morses, ce qui permet d’observer leurs défenses (dont l’ivoire est quasiment le plus pur du monde), d’une taille variable en fonction du sexe, leur comportement et leur milieu de vie.
Tandis que la plupart se reposent sur une langue de sable, entassés les uns sur les autres pour pratiquer la thermogénèse sociale, certains jeunes jouent dans l’eau, voire s’approche de nos zodiacs, curieux. Nous nous éloignons alors sagement, pour les observer à bonne distance.
Et ce n’est pas fini : nous naviguons ensuite jusqu’à une colonie de phoques communs qui se reposent paisiblement dans une petite baie, certains s’affalant nonchalamment sur des rochers, manifestement insensibles à notre présence. Leurs grands yeux ronds charment nos regards.
Mais l’Arctique se révèle aussi son jour le plus austère et mortifère : tandis que la houle se lève, que le ciel gris devient menaçant, et que les embruns nous détrempent, nous passons devant un haut lieu historique et « maudit » du Spitzberg, entre brumes et récifs : un ancien « village », totalement détruit, avec ses tas de poutres, ses restes de fours et de hangars rouillés. Il s’agit des traces une base de lancement d’une expédition tragique à la conquête du pôle Nord, une vaine tentative d’atteindre le pôle au moyen d’un ballon à hydrogène. Cette expédition, l’expédition Andrée, s’est soldée par la disparition de l’ensemble de l’équipage, les dépouilles et les journaux de bord furent retrouvés plusieurs décennies après. Cette histoire tragique a inspiré plusieurs films, ainsi qu’un Opéra, composé par un artiste norvégien à partir des journaux de bords des membres de l’expédition, décrivant le crash, la survie sur la banquise et finalement, l’approche de la mort.
Le retour au bateau, quelque peu agité, se fait juste à temps avant une mer relativement formée qui nous bercera tout l’après-midi. Tandis que le Polarfront vogue toujours plus au nord, Sophie donne une brillante conférence sur l’histoire de cette expédition tragique. Vincent fait un point sur la situation météorologique, géographique et sur les cartes de glaces, puis donne un atelier sur la photographie polaire. Claude, un passager photographe, nous montre une superbe sélection des photographies réalisées lors des deux premiers jours de croisière, notamment ses images somptueuses réalisées de l’ours observé au cours de la nuit. C’est d’ailleurs grâce à ses images que nous pouvons constater que l’ours observé se dirigeait en direction d’une carcasse d’ours mort, un ours famélique, possédant la peau sur les os, les côtes saillantes, les poils arrachés lors de son probable séjour dans l’eau. L’ours a beau être le seigneur de l’Arctique, il n’est pas immortel.
Ici, à 80° Nord, tout est fragile et éphémère. Nos souvenirs, eux, ne le sont pas.
A l’aube, nous franchissons le mythique 80e parallèle pour arriver dans une étrange baie du détroit d’Hinlopen. Sur une vingtaine d’îlots désertiques, ou même lichens et mousses ne poussent guère, au milieu d’eaux bleues et sombres, souffle le vent polaire. À l’horizon, on aperçoit, dôme étincelant et infiniment lointain, une calotte glaciaire : bienvenue en Terre du Nord-Est. Ce désert polaire, écosystème si particulier, hostile et extrême, est le lieu de notre première sortie en zodiac de la journée, par un temps glacial. Nous faisons le tour de plusieurs îles à la recherche de toute trace de vie — laquelle se fait parcimonieuse. Quelques sternes arctiques défendent leur territoire. On les reconnaît leurs ailes arquées et à leur capuchon noir sur la tête, ornée d’un bec rouge vif. Ces oiseaux extraordinaires passent l’été en arctique et l’hiver en Antarctique, après une migration de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres.
On aperçoit également quelques timides eiders à duvet, des bécasseaux violets et un labbe parasite élégamment posés au sommet d’une croix en bois. Jadis, les chasseurs Pomors, quittant leurs rivages de la mer Blanche, en Sibérie, venaient chercher fortune ici, dans ce « no man’s land », en quête de quelques renards dont les fourrures hivernales se vendaient à prix d’or. Ce sont ces peuplades semi-nomades qui ont marqué le sommet des îles de l’archipel du Svalbard de fières croix orthodoxes, fragiles vestiges de leur civilisation perdue, croix dont il ne reste que quelques exemplaires.
Ces monuments historiques nous rappellent que de tous temps, les hommes ont eu l’appétence pour l’exploration des terres les plus éloignées et les plus inhospitalières de ce globe. De fait, ici, dans le fjord de Murchison, la vie se fait rare. Un cimetière d’icebergs, au détour d’une baie, offre un décor lunaire et mortifère. Rien ne laisse présager du spectacle époustouflant qui va suivre Après quelques heures de navigation vers le sud, dans un autre fjord, nous commençons par apercevoir un groupe de goélands curieusement affairés au bord du rivage. Aux jumelles, depuis la passerelle du navire, qui est en accès libre pour les passagers sur le PolarFront, on aperçoit que ces goélands sont en train de dévorer une carcasse de cétacé échoué sur les galets. Et qui dit cadavre de baleines, dit ours. Non pas un ours, mais plusieurs. L’odeur de la chair de cétacé se propage à plusieurs dizaines de kilomètres, et fait lever la tête de tous les carnivores du territoire…
Un cri d’enthousiasme retentit sur le Polarfront : nos guides commencent par localiser un gros ours en train de dormir sur la toundra à quelques dizaines de mètres de la carcasse. Celui-ci semble repu, son ventre bombé nous indique que la graisse de la baleine morte n’a pas été perdue. Nous mettons nos zodiacs à l’eau et assistons à un festival touchant : deux ours supplémentaires se joignent à la partie et se disputent le bout de gras. Il s’agit manifestement de jeunes ours sevrés, frères ou soeurs, qui ne se quittent pas, font parfois des « bisous » de museaux, se mettent à l’eau et jouent, entre deux tentatives pour récupérer un peu de gras sur les restes de la baleine — si l’ours dominant veut bien les inviter au banquet.
Un cri de stupéfaction résonne alors dans nos embarcations : au loin, dans la toundra, avec en arrière-plan un glacier somptueux, une maman ours s’avance vers nous, suivis par deux jeunes oursons adorables, chacun étant de la taille d’un gros chien. Ainsi, au total, pas moins de six ours rôdent autour du garde-manger. C’est exceptionnel, au point qu’un silence de cathédrale se fait sur nos embarcations : chacun a conscience d’assister à un moment unique. Un moment privilégié pour tous les naturalistes et voyageurs curieux d’observer la vie polaire dans son intimité. Grognements, intimidations, tours de rôle pour accéder au butin : les ours interagissent entre eux, se parlent, se jaugent, se dressent sur leurs pattes arrières, se méfient les uns des autres et s’apprivoisent. Il y a assez à manger pour tout le monde.
La maman ours, précautionneuse, ne s’approche guère : elle ne veut pas exposer ses jeunes oursons à l’agressivité des autres individus. En retrait, elle protège ses petits insouciants, lesquels se roulent en boule, montent sur son dos, font la course, font des galipettes ou bien se blottissent contre leur maman pour un câlin arctique. Ces boules de poils, nées au cœur de l’hiver polaire, dans une tanière aménagée par leur maman, vont encore rester au moins une année au contact de leur mère protectrice, elle va les éduquer, leur apprendre à chasser, à localiser les trous de respiration des phoques et à se défendre. Un jour, lorsqu’ils seront sevrés et prêts à voguer de leurs propres ailes, leur mère s’éloignera, et les laissera vivre leur vie. Le gros ours, de sa patte aux griffes acérées, tente de récupérer encore un peu de gras dans l’abdomen de la baleine, dont on aperçoit les côtes, nues, brandies tels des couteaux vers le ciel bas. Il plonge son museau dans les entrailles du cadavre. Sa tête toute entière, d’ailleurs, porte des traces de sang séché : le festin dure probablement depuis plusieurs jours voire plusieurs semaines. Deux mouettes ivoires se joignent à la partie : ces charognards ailés, rares, d’un blanc immaculé, terminent le repas de l’ours.
Après plus d’une heure d’observation, nous nous retirons sur la pointe des pieds et rentrons au Polarfront, émus. Depuis la passerelle, aux jumelles, nous pouvons continuer à observer ces ours en toute discrétion… Les ours ne sont pas prêts de quitter leur théâtre : cette carcasse de baleine est en effet une aubaine pour ces mammifères en période estivale, ou la banquise, lointaine ou fragmentée, rend l’accès aux phoques (nourriture principale des ours) difficile voire impossible. Vers minuit, les ours sont couchés dans la toundra, digérant leur repas de fête. Encore vif et joueur, l’un des petits oursons s’amuse à courser et à faire décoller des goélands, tel un jeune garçon courant après des pigeons dans un parc. Chacun se souvient, alors, qu’il a été cet enfant naïf s’amusant à faire s’envoler les oiseaux, avec émerveillement. Emerveillement : n’est-ce pas le mot qui convient pour décrire cette journée à 80° de latitude nord ?
A l’aube, depuis notre yatch polaire, notre chef d’expédition et notre guide repèrent à l’horizon les ours qui dorment encore sur la toundra – à l’exception de l’un des deux petits oursons, qui fait des galipettes, se roule sur le dos, les quatre fers en l’air.
Vers 8 heures, maman Ours se réveille. Suivie par ses deux rejetons blanc pur, elle marche nonchalamment vers la carcasse de cétacé échouée dont l’odeur invite à un copieux petit déjeuner en famille.
Nous mettons à la hâte les zodiacs à l’eau pour observer ce spectacle à bonne distance. Comme pour mettre en pratique la « règle des trois plans » recommandée lors d’une préalable séance de conseils pour améliorer nos prises de vues, nous avons le loisir d’observer sur la crête non loin de l’horizon deux jeunes autres ours, sevrés, qui jouent et se jaugent du bout du museau, puis, au second plan, un adulte au visage balafré qui se déplace placidement -visiblement repu – et enfin, au premier plan, la mère et ses deux petits qui font ripaille, entre des côtes de baleine bien nettoyées, pointant leurs doigts osseux vers le ciel. Si les oursons jettent un oeil vers nos embarcations et semblent s’amuser ou s’interroger peut-être de notre présence, la mère, débonnaire, ne daigne que lever la tête à notre approche, confiante et rassasiée, ses petits à présent blottis contre elle. C’est le moment de réaliser une « photo de famille » mémorable sur fond de montagnes imposantes effleurées par la lumière dorée du matin : le soleil est là, coiffant d’étincelles souffrées un glacier bombé à l’horizon, sur l’île principale du Spitzberg.
De retour à bord, notre guide Sophie nous donne un aperçu de la langue norvégienne sous la forme d’une petite leçon : nous sommes désormais incollables sur les mots de base et le vocabulaire du pays. Cela facilite en particulier la lecture de la carte du Spitzberg, laquelle nous a été offerte, la plupart des fjords, glaciers, îles et sommets étant d’origine norvégienne.
Comme chaque matin, notre chef d’expédition met à jour l’inventaire des espèces observées, ainsi que l’itinéraire du navire, tracé sur une grande carte affichée au salon, avec les observations préalables et les objectifs de l’expédition.
Après une navigation sur une mer d’huile, le PolarFront arrive dans ce qui est peut-être l’endroit le plus vertigineux du Svalbard: la « falaise aux oiseaux » d’Alkefjellet, célèbre dans le monde entier.
C’est un décor somptueux qui, comme le dira l’une d’entre nous, rappelle les temples Khmers et les décors d’un film de science fiction, avec ses parois verticales noires, ses monolithes constitués d’une roche magmatique, la dolérite, le tout coiffé de couches horizontales de marbre blanc.
En début d’après-midi, c’est dans ce théâtre ornithologique et géologique exceptionnel que nous effectuons notre deuxième sortie de la journée.
Nous naviguons vers un nichoir géant, ces falaises vertigineuses sur lesquelles nichent chaque année plus de 60 000 couples de Guillemots de Brunnich, un petit oiseau de la famille des alcidés, laquelle comprend notamment le mythique Pingouin. Ce guillemot niche sur de minuscules espaces à flanc de falaise, non par choix mais par nécessité : il a besoin de se protéger contre ses nombreux prédateurs, notamment le renard polaire. Ces oiseaux curieux n’hésitent pas à se rapprocher de nos zodiacs, à faire d’amusants regards et à nous dévisager. Notre attendrissement est à son comble lorsque nous voyons que de jeunes poussins, nés il y a quelques semaines à peine, ont commencé le premier grand “pas” de leur vie en quittant les chauds replis de la plaque incubatrice de leurs parents pour flotter sur les eaux glacées du grand nord. Lorsque vient le moment crucial, inexorable chute, ils quittent le minuscule promontoire rocheux familial sous les encouragements de leurs parents et se lancent dans le vide pour un grand saut depuis les hauteurs abruptes des falaises, sans savoir voler, tentant d’atteindre pour la première fois vers la surface où commencera leur longue migration vers la haute mer.
Sur l’eau, nombreux sont les jeunes poussins, encore ébouriffés de leur duvet infantile, à apprendre flotter sous nos yeux, et à pédaler avec leurs pattes arrières palmées, le tout sous la haute surveillance d’un parent, lequel émet continuellement des cris si jamais sa progéniture ailée venait à s’éloigner ou à se perdre parmi les dizaines de milliers d’oiseaux présents à la surface de l’eau.
Le spectacle n’est pas situé seulement à la surface du détroit, mais aussi au-dessus de nos têtes : ils sont des centaines de milliers à voler dans le ciel bas et gris du Svalbard, tel un énorme nuage virevoltant au dessus de nos têtes, leurs cris et piallement se mêlant à celui de leurs voisins non moins bruyants, les mouettes tridactyles et les goélands bourgmestres.
Ces derniers nichent aussi dans le secteur, n’hésitant pas à consommer quelque oeuf abandonné ou quelque poussin imprudent.
Nous passons de longues heures à les observer avant d’avoir la chance de surprendre un, puis deux renards polaires en pleine chasse: quelques guillemots seront au menu, soigneusement enterrés pour les réserves prochaines…
Ces renards agiles, volubiles, sveltes, plus petits que leurs cousins les renard roux (présents dans nos campagnes européennes), est bien plus résistant au froid que lui : il possède la fourrure la plus chaude au monde (plus chaude encore que celle de l’ours polaire, ou même du loup arctique), laquelle était prisée par les trappeurs du Spitzberg, depuis des siècles.
Les deux renards que nous observons, deux jeunes individus, nous charment par leurs interactions sociales, se retrouvant l’un et l’autre pour s’offrir un morceau d’oiseaux, s’appelant parfois l’un l’autre d’un cri aigu, ou bien se retrouvant à l’entrée du terrier.
Nos pas nous conduisent ensuite devant un front glaciaire très intéressant par ses figures de stratification de la glace et sa neige sommitale rouge sang, signe que la neige est aussi un écosystème où se développent notamment des êtres unicellulaires, des algues riches en pigments rouges leur permettant d’effectuer la photosynthèse : la vie est partout, malgré l’aspect inhospitalier de cette terre, du moins du point de vue humain.
Nous naviguons ensuite, toujours en zodiac, autour d’icebergs que le courant fait défiler dans le détroit, et qui servent de perchoirs glacés pour des centaines de guillemots qui se reposent avant leur départ pour une migration au mois de septembre, vers l’Islande, Groenland et Terre Neuve.
Le soir, notre chef d’expédition Vincent donne une conférence sur les guillemots, où nous sont présentés les sauts extraordinaires des poussins, ou encore le débat scientifique autour de la forme curieuse de l’oeuf, piriforme, ainsi que les utilisations traditionnelles de la viande, des plumes et des oeufs de ces oiseaux par les peuplades du Grand Nord.
Le Polarfront est ancré en un lieu que nos guides surnomment le « bout du monde » : nous sommes au font du fjord de Wahlenberg, impasse lovée dans la Terre du Nord Est. La végétation se fait rare, mais ce paysage minéral dénote par ses multiples glaciers bleu acier, ses sommets nus et ses montagnes (écrétées par le travail de l’antique calotte glaciaire de plusieurs kilomètres d’épaisseur qui recouvrait tout l’archipel lors du dernier âge glaciaire).
Notre matinée est consacrée à une randonnée dans la toundra de la baie de Kloverbladbukta, dans une ambiance de solitude et de hautes latitudes. Après une approche en zodiac, qui nous permet d’observer nos premiers rennes, nous débarquons sur une plage de galets.
Les rennes nous observent, curieux, ils nous hument, et font le spectacle avec leur bois à contre-jour sur la ligne de crête. Ces animaux endémiques de l’archipel, trapus, véloces, myopes et étonnants sont les lointains cousins des caribous canadiens ou des rennes scandinaves, toutefois, ils sont bien mieux adaptés au froid, par leur morphologie de taille réduite, par leurs sabots larges (leur servant de raquettes sur la neige), par leur épaisse fourrure qui jadis attira en ces terres éloignées de multiples trappeurs et aventuriers.
Nous découvrons un squelette d’ours polaire, à quelques mètres du rivage, sans doute très ancien, avec ses os robustes et ses côtes caractéristiques. La randonnée sera par ailleurs marquée par de multiples observations : humérus et omoplates de renne, mâchoire de renard polaire, plumes de bernaches nonettes (par ailleurs aperçue en vol au-dessus de nous, en compagnie d’un oiseau plutôt rare, le plongeon catmarin).
Mais le véritable secret de cette toundra désolée, c’est la « forêt » sur laquelle nous marchons : un tapis de saules polaires dont les tiges ne dépassent guère un ou 2 cm au maximum. Ses petites feuilles rondes, mesurant quelques millimètres à peine, prennent déjà des couleurs automnales, jaune orangé, tandis que des chatons ont éclos, dispersant leurs graines au gré du vent. La reproduction des plantes, à 80° de latitude nord, est contrainte par le climat extrême, et par la brièveté de l’été.
Nous « herborisons », appareil photo en main, et faisons de belles observations de silène acaule (une plante de la famille des œillets, à petites fleurs roses), de dryade à huit pétales (une plante typiquement polaire de la famille des roses), de saxifrage dorée, de saxifrage à flagelle, de céraiste arctique, ou encore de renouées vivipares.
Au hasard de notre marche, nous tombons sur deux mystérieuses lacunes d’altitude, cernées par un cordon de mousses fragiles sur lesquelles se développe une population de linaigrette. Parvenus au sommet, un panorama somptueux se dévoile : plusieurs glaciers, un véritable torrent sinueux qui évoque les gorges du Colorado, l’immensité du fjord de Wahlenberg, ainsi que le dôme immaculé de la calotte glaciaire de la Terre du Nord-Est. A l’horizon, semblant léviter, nous apercevons le minuscule point bleu et blanc de notre bateau. Au sommet, notre chef d’expédition Vincent fait un point sur la diversité des roches aperçues au cours de la randonnée : marne rouges, gabbros, granite rose, quartzite,… et tant d’autres. Le Svalbard est le paradis des géologues, puisque près de 2 milliards d’années d’histoire géologique sont en accès libre, non cachée par la végétation.
L’après-midi, nous naviguons jusqu’à un glacier spectaculaire que nous visitons en Zodiac, le glacier de Frazelbreen. C’est sans conteste la sortie la plus scénique et photogénique que nous effectuons : un gigantesque front de glace de 75 m de haut et de près de 5 kilomètres de long étincelle sous un soleil exceptionnel. Les vélages se succèdent, tandis que nos zodiacs se frayent un chemin dans le « brash » (les débris de la glace) et qu’un phoque fait son apparition.
Clou du spectacle, un iceberg de 15 mètres de haut, creusé de trois magnifiques arches, attire tous nos regards. Ce véritable monument naturel, dont les teintes vont du bleu azur au bleu marine en passant par le turquoise et le blanc ivoire, nous captive au point que nous l’observons pendant une demi-heure en tournant autour. On y distingue des figures d’érosion glaciaire, des figures de stratification, et d’autres témoins de son histoire complexe.
On voudrait le sceller et l’emporter pour le placer en bonne position derrière la vitrine d’un musée, et conserver à jamais ce palais de « marbre » gelé… Mais la nature, au Spitzberg, est au moins aussi éphémère qu’intemporelle : en fin de journée, cet iceberg géant, colosse aux pieds d’argile s’effondrera sous son propre poids, en un spectaculaire vêlage que nous avons pu filmer.
A l’aube, de grands bruits métalliques se font entendre : le Polarfront entre dans la banquise. Le navire navigue entre des plaques dispersées de glace de mer, en brisant certaines de sa proue effilée, ou bien en poussant d’autres. Notre matinée s’ouvre au large des Sept Iles, par 80,5° de latitude nord, après avoir franchi le mythique 80ème parallèle dans la nuit. A la proue, nous assistons à un spectacle irréel. Sur un océan figé comme une vielle photographie noir et blanc ponctuée de quelques notes de gris, la banquise s’étend à perte de vue, entre plaques disloquées, crêtes de compression et cathédrales bleutées.
Nous avons navigué toute la nuit pour atteindre ce théâtre au décor monochrome et fantasmagorique. Les silhouettes mystérieuses des îles les plus nordiques du Svalbard semblent flotter sur un horizon blanc, comme en apesanteur. Nous avançons lentement dans le pack que le navire fend dans un fracas de métal, laissant dans son sillage quelques phoques communs curieux de notre arrivée impromptue dans leur royaume et de gros phoques barbus imperturbables sur leurs socles de glace. L’objectif du jour est de fouler cette pellicule glacée, fragile bien qu’intemporelle : cela fait des millénaires que l’Arctique est un océan glacé – espérons qu’il le reste pour toujours.
Après une première observation de la morphologie de la banquise, effectuée par nos guides en zodiac, le secteur semble dans un premier temps peu propice : la glace est trop fine, trop fragile, marquée par d’innombrables mares de fonte — et le vent brouille les cartes, rendant imprudente une exploration prolongée. On doit même faire appel au PolarFront pour ouvrir un passage et permettre au zodiac servant de repérage de retrouver son chemin sans être pris dans les glaces. Patience ! Le PolarFront met cap sur une grande plaque de banquise que nous identifions à la jumelle aux abords de l’extrême nord de l’Archipel des sept îles. Cette navigation est l’occasion pour les passagers de comprendre les opérations du navire dans un milieu si hostile et si délicat. En passerelle, un élève officier et un matelot s’entrainent pour leur code polaire à la navigation dans les glaces sous l’œil vigilant et pédagogue du commandant, Vincent.
Avant le déjeuner, nous assistons à une conférence de notre guide Sophie sur l’histoire du Svalbard, qui de manière surprenante est riche et mouvementée, malgré le fait que l’archipel n’a jamais été habité de manière continue jusqu’au début du XXème siècle, tandis qu’en passerelle on travaille à identifier un secteur plus propice à une approche pédestre du monde immaculé des glaces nordiques.
Enfin, en début d’après-midi, le feu vert est donné. Vincent et Sophie, nos deux guides, ont localisé une plaque magnifiquement propice à l’expérience du « ice-landing ». Ajoutons à ce tableau une clémence céleste qui nous envoie un rayon de soleil entre quelques fines chutes de flocons et la surprise d’une coupe de champagne sur notre îlot flottant perdu dans un paysage gelé : l’euphorie est complète.
Après la remontée dans nos zodiacs pour une flânerie entre les glaces, une deuxième surprise (de taille) nous étonne : le passage furtif mais bien observé d’un petit rorqual à quelques centaines de mètres de nos zodiacs, son dos sombre et puissant disparaissant dans les flots. Quel moment de grâce! Nous suivons celui-ci pendant quelques minutes, tandis qu’il fait une sublime et dernière apparition à quelques dizaines de mètres de nous, le bateau se découpant en arrière plan pour parfaire la photographie. A la fête viennent se joindre quelques phoques barbus, fulmars boréaux et une mouette ivoire : malgré l’aspect inhospitalier de ces lieux, il y a de la vie dans la banquise.
Nous remontons à bord du Polarfront pour poursuivre la navigation qui nous attend, quelques cookies et boissons chaudes nous réconfortant pour quitter le lointain archipel qui s’estompe dans les brumes. Les silhouettes noires et massives des Sept-Iles, semblables aux descriptions de Jules Vernes ou à l’île Noire d’Hergé, nous saluent d’un couvercle gris sombre, tandis que d’impressionnants rideaux de grésil fouettent leurs falaises noires.
Le soir, notre chef d’expédition Vincent nous fait une présentation sur le Renard Polaire que nous avions pu observer quelques jours plus tôt, ainsi qu’une explication des cartes de banquises et de vents — ici, c’est la nature qui dicte sa loi aux hommes, et non l’inverse. Quelle vie abonde dans l’Arctique, quelles surprises avons-nous eu la chance d’avoir durant cette croisière, entre les multiples ours polaires (7 au total), les morses, les baleines dans la banquise et les scènes touchantes d’un renard adulte nourrissant son petit au pied d’une falaise à oiseaux monumentale. La croisière n’est pas finie. Nous continuons vers le sud-ouest pour une longue navigation vers l’île principale du Spitzberg.
Une nouvelle journée commence ! La matinée est consacrée à une navigation de transit en pleine mer, après une journée consacrée à la banquise à 80°. Il est l’heure, déjà, de songer à rejoindre des latitudes plus raisonnables – et moins froides : le thermomètre regagne quelques degrés, passant de 0°C à 4°C : enfin, au cœur de l’été boréal, il fait « chaud ».
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Nous assistons à une conférence réalisée par notre chef d’expédition Vincent sur l’ours polaire, illustrée par des photographies prises lors de notre voyage (dans le Lomjord). Les mœurs si particulières du carnivore le plus mythique de l’hémisphère nord étonnent et fascinent, entre dévotion de la maman ourse (qui met bas en plein hiver, dans sa tanière), cannibalisme sauvage, errance hivernale des mâles, capacités de nage fabuleuses (les ours pouvant nager plusieurs jours sans s’arrêter, certains parcourant plusieurs centaines de kilomètres). Tandis que nous approchons de la Baie du Roi, notre guide Sophie présente ses coups de cœurs littéraires sur le monde des pôles.
Le bateau navigue au large de l’île principale du Spitzberg en direction de la Baie du Roi, nous sommes tous stupéfaits de la beauté de ce lieu : un gigantesque glacier bleu azur s’évanouit dans un fjord bleuté, cerné de sommets aigus taillés à la serpe par d’anciens glaciers.
Nous ancrons le Polarfront dans la baie d’Ossian Sars Fjellet, spectaculaire falaise où nichent des milliers de mouettes tridactyles. Nous surprenons une « école maternelle » de huit petits eiders se pressant sur les flots, accompagnés des mamans et tatas. Mais le clou du spectacle, c’est un renard polaire totalement blanc, irréel, qui court en quête de son repas, d’abord dans les prairies au pied des falaises.
Nous le suivons d’abord en zodiac, avant d’entamer une randonnée qui nous permettra de découvrir — outre des rennes, des bruants des neiges et des bécasseaux — non pas un, ni deux, ni trois, mais quatre renards, dont trois blancs et un renard bicolore, jouant à nous observer depuis des promontoires rocheux, puis à s’approcher de nous, nous jauger, nous contourner pour réapparaître en une autre cachette. Nous découvrons également un terrier de renard fraîchement creusé. Dans la toundra, les fleurs abondent, telle la dryade à huit pétales, la cassiope tétragone, la céraiste arctique, la silène acaule ou diverses graminées appréciées par les rennes. Ceux-ci déambulent nonchalamment dans le lointain, sur le plateau.
Depuis le point de vue, Sophie décrit l’étrange lieu historique qui se déploie dans l’embouchure du fjord : le village scientifique de Ny-Alesund, marquée par le mât où Amundsen, Nobile et Ellsworth avaient lancé leur dirigeable lors de l’expédition de 1927, à la conquête (victorieuse) du pôle nord.
Le panorama est sans nul doute le plus beau qu’il nous ait été donné de voir durant notre voyage, entre les nombreux glaciers, les Trois Couronnes et le à perte de vue, sur lequel dansent quelques icebergs, tandis que les renards continuent de jouer à cache-cache sur des prairies ocres, brunes, vert pomme ou minérales.
Mais le meilleur reste à venir : au retour, nous suivons en zodiacs plusieurs renards en chasse autour des colonies d’oiseaux. Soudain, phénomène rare, un renard bicolore se met à courser un renard blanc pendant de longues minutes, en une bataille qui fait rage, depuis le haut de la falaise jusqu’à la plage où nous pouvons observer les animaux se courser furieusement pendant près de vingt minutes, jusqu’à ce qu’ils décrètent une trêve, haletants. Est-ce un jeu ? Est-ce l’expression d’une soudaine agressivité (les renards sont en effet très territoriaux) ? Difficile à dire. Nous sommes en tous cas étonnés et ravis de voir ces petits mammifères si vifs se donner ainsi en spectacle comme rarement.
La soirée se termine avec le très attendu Repas du Commandant, au cours duquel notre capitaine Vincent évoque son expérience de navigation, tandis que notre cheffe mécanicienne, Charlène, raconte son incroyable aventure au poste de Second Commandant sur l’Hermione. Nous prévoyons de faire un débarquement ainsi qu’une randonnée. Poser le pied à terre nous fait du bien afin d’arriver à un superbe point de vue sur le fjord. Nous avons eu l’extraordinaire chance de pouvoir observer trois renards polaires. C’est irréel car nous avons pu les approcher de très près, curieux, l’un d’eux est venu sur la plage à côté de notre zodiac. Il nous a fait l’immense honneur de prendre la pause pour le plus grand bonheur de nos photographes !
Lors de notre arrivée sur l’île nous avons observé une dizaine de rennes dans leur environnement naturel, peu farouches ils ne semblent pas gênés de notre présence. La découverte d’ossements de rennes lors de la poursuite de notre randonnée nous laisse à penser en regard de l’état des os que son prédateur était sans en douter, un ours. Pour cela, nous avons pris le temps de bien repérer et surveiller le territoire pour éviter tout incident.
La matinée commence sous un soleil resplendissant près des falaises d’Alkornet aux tons d’aquarelle avec ses mousses d’un vert tendre, ses roches terre de sienne et le gris ardoise de la montagne couronnée de marbre.
C’est notre dernière randonnée de la croisière, et pas des moindres : il s’agit de faire une approche d’un troupeau de rennes dans un paysage spectaculaire. Au dessus de nous, le pic d’Alkornet domine une toundra spongieuse abondamment fleurie, face au gigantesque Isfjord ouvrant sur la mer du Groenland à l’horizon, qui scintille de 1000 feux sous un soleil resplendissant, tandis que les vestiges d’une hutte de trappeur jadis habité par la première femme trappeuse de l’archipel semblent pointer leurs doigts de bois antique vers le ciel d’azur..
Des milliers de couples de mouettes tridactyles, les plus bruyantes des espèces ailées de l’arctique, volent en cercles concentriques près des hauteurs, les jeunes aux plumages immatures se mêlant aux adultes, leur cris sonores masquant le silence arctique. Des milliers de jeunes poussins sont élevés à flanc de falaise, tandis que des labbes parasitent tournoient autour des adultes pour tenter de leur faire sécurité leur repas, en une forme évoluée de parasitisme (en plein vol !).
Nous débarquons dans un petite crique pour une exploration dans la végétation si particulière des hautes latitudes. Nous avons le loisir d’observer des renoncules polaires, des céraistes arctiques, plusieurs espèces de saxifrages (dont la saxifrage dorée aux pétales jaunes finement pointillés d’orange) et même la rare silène de Walenberg avant de mener à pas de loup une approche d’un troupeau de rennes qui paissent à quelques centaines de mètres de nous. Il s’agit d’avancer progressivement, en restant sous le vent, en silence et sans faire aucun mouvement brusque. C’est un succès : nous avons la chance de faire une rencontre assez exceptionnelle — à quelques dizaines de mètres puis à quelques mètres seulement — avec des rennes d’abord interloqués puis nonchalants, qui, broutant de ci de là d’un air absent et candide, viennent jusque’à quelques pas de nous, pour nous observer nous humer, constatant que nous ne sommes pas dangereux, avant de continuer à brouter.
On distingue plusieurs femelles, un grand mâle orné de bois denticulés offrants de spectaculaires contre-jours sur l’océan, ainsi qu’un jeune individu. Leurs bois, qui seront perdus chaque année, puis reconstitués au printemps, portent un velours duveteux d’une rare élégance. Ces animaux, cousins des caribous canadiens, ont été chassés pendant des siècles, non seulement pour leur viande mais surtout pour leur peau et leurs bois, cependant ils ne craignent manifestement pas l’Homme — pour peu que celui-ci se montre respectueux.
De retour en mer, nous croisons furtivement quelques macareux en pêche sur une eau bleue. Leurs becs cornés, multicolores, et massifs, sont caractéristiques. Ils leurs permettent de pêcher des petits poissons vivants, sans les avaler, pour amener de la nourriture fraîche à leurs petits.
Après une pause sur les hauteurs panoramiques, nous voici de retour à bord en début d’après-midi pour mettre le cap au fjord voisin dans le Ymerbukta pour une nouvelle activité auprès d’un glacier tombant dans un fjord étroit et presque intime. A l’occasion de cet ancrage, notre cheffe mécanicien Charlène, présente et fait visiter la « colonne vertébrale » du bateau, à savoir la salle des machines — c’est moteur valeureux qui nous a amené jusqu’aux plus hautes latitudes, tout en nous permettant de se faufiler à travers les glaces, de longer des glaciers hostiles, de manœuvrer au long des milliers de kilomètres de côtes que compte l’archipel du Svalbard — avec, à la barre, notre capitaine Vincent et notre second Mathieu. Charlène nous explique le fonctionnement et secrets du moteur et des rouages de cette honorable dame sur laquelle nous voguons depuis 10 jours.
En fin de journée, nous mettons le cap sur Longyearbyen pour une arrivée en fin de soirée. Nous apercevons d’abord les bâtiments de la cité minière post-soviétique de Barentsburg, puis la grande porte d’entrée de la réserve de graines (où sont conservées plusieurs dizaines de milliers d’espèces végétales, à l’abri du Permafrost).
Ce difficile mais inexorable retour à la civilisation se fait en silence, tandis que nous observons le navire approcher méticuleusement du quai, et s’amarrer tout en douceur, grâce à la dextérité de l’équipage et de son capitaine.
Demain, nous visiterons Longyearbyen, puis ça sera le grand départ, le retour vers le continent, non sans quelque pensée émue pour tous les animaux que nous avons croisés, 7 ours (dont deux oursons adorables), 7 renards polaires (dont 3 mythiques renards blancs), des baleines, une bonne vingtaine de rennes, des milliers d’oiseaux marins, des dizaines de morses, des phoques et tant d’autres.
Mais au delà de ce simple inventaire, c’est avant toute une petite aventure humaine qui s’achève, un circuit vers le monde solitaire et glacé du Grand Nord, où chacun a pu éprouver ce que fut, jadis, la vie des grands explorateurs polaires, en prise avec les éléments. Comme disait le commandant Nansen, l’un des plus grands explorateurs de l’Arctique, l’Homme doit avant tout apprendre à se trouver soi-même, et pour cela il a parfois besoin de contemplation et de solitude.
Mission accomplie ?
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Messages
Un petit coucou à l’ensemble de l’équipage de notre SARTHE profonde 😜. Nous pensons bien à vous et nous n’oublierons jamais ces beaux moments passés avec vous. On vous embrasse. Virginie et Philippe (alias « père Phifou » 🤗
Njoy the trip, sauna and wine cellar. Don’t forget to look at the scenery
Hello à tous !
Grosses pensées à Sophie et Vincent ainsi que tout l’équipage 🙂
Vous me manquez, tellement de belles images en tête…
Belle croisière à tous.
Bises
Sarah
Magnifique carnet de voyage et superbes photos.
Cela donne envie d’explorer cette contrée lointaine
Bernard