Alain Desbrosse
Spitzberg
10 août
21 août 2021
Alain Desbrosse
Spitzberg
Christophe Bassous
Arctique et Antarctique
Photos d’illustrations, prises lors de précédentes croisières au Spitzberg. Lorsque le voyage sera terminé, nous publierons les photos de la croisière. Le manque de connexion internet nous empêche de recevoir les photos en temps réel.
Le vol SAS nous pose à Longyearbyen sous un soleil polaire triomphant. En l’absence de vent, les 8° sous abri correspondent aux températures estivales sous ces 78° de latitude nord. Les valises déposées au bateau, le bus nous conduit au centre-ville de cette bourgade de 2000 âmes fondée en 1906 par un certain M. Longyear, américain venu faire – déjà à cette époque !… – du tourisme dans cet archipel lointain. Les veines de charbon affleurant au flanc des montagnes dominant la vallée de l’Advent furent à l’origine de la fondation de cette ville minière, aujourd’hui consacrée à la science avec son université, une administration norvégienne et ses commerces, supermarché, galerie commerçante pour les dépenses des hordes touristiques libérées (en année « normale ») par les navires de croisière.
Cette année, seuls quelques petits bateaux ont le privilège de fréquenter ces eaux : Polaris, Polarfront, Grand Large et divers voiliers que nous croiseront peut être sur notre route des prochains jours. Après la visite du superbe petit musée polaire installé dans le bâtiment de l’université, nos passagers sont installés dans leurs cabines. Le Sjoveien, peut aussitôt prendre sa destination favorite, celle du Grand Large…
Nous longeons ce soir la côte sud de l’Isfjord en direction du Kapp Linné et de l’anse de Russekeila que nous abordons aux alentours de 22h00 dans un brouillard dense où la visibilité n’excède guère une centaine de mètres. Un zodiac d’exploration de la côte, faite de plages et de caps rocheux, est mis à l’eau à la recherche de quelque fortune de mer susceptible d’attirer d’éventuels poilus au ventre vide… La quête s’avérant infructueuse, nous prenons la route du Nord par Prinz Karl Sundet, ce détroit bien abrité par l’Avant Terre du Prince Charles, langue de montagnes aux pics alpins séparée du Sptizberg par un large chenal où seuls les
bateaux à faible tirant d’eau comme le Grand Large peuvent s’aventurer.
Le petit matin nous trouve à l’ancre devant l’immense front glaciaire du Lilliehookbreen qui ferme l’extrémité nord du Fjord de la Croix. L’activité intense du glacier les jours précédents a généré des quantités de glace impressionnantes. Le brasch encombre la totalité des eaux de ce front sur près de 7 kilomètres. Les séracs grondent à intervalles réguliers, se disloquant en effondrements titanesques qui génèrent d’étonnants icebergs bleutés.
Un Phoque barbu posé sur un bourguignon, glaçon de la taille d’une barrique de Bourgogne, nous laisse l’approcher à une trentaine de mètres. A sa corpulence modeste pour cette espèce qui frise les 300 kilos à l’âge adulte et à sa coloration contrastée, il s’agit manifestement d’un jeune individu. Nous le laissons à sa dérive pour continuer la prospection du front jusqu’aux îles aux oiseaux peuplées de Sternes arctiques dont les jeunes errent sur les blocs arrondis par le rabotage millénaire des glaces. Très prochainement, elles prendront les airs pour suivre leurs parents en direction du continent antarctique.
Arrivés à hauteur de la Baie de la Madeleine, nous embouquons le fjord pour une exploration de ses rivages à la recherche de Papa Bravo, alias Oscar Bravo, nom de code de l’animal mythique dont nous serons en quête permanente tout au long de ce périple. Les pics acérés qui ceinturent ce haut-lieu historique de la chasse baleinière, tutoient un plafond nuageux dense caractéristique de la côte ouest du Spitzberg. Nous repartons en direction de la pointe nord-ouest de l’archipel pour un arrêt dinatoire à l’abri du fjord de Smeerenburg, littéralement la « ville de la graisse », dans la zone où les différentes nations européennes vinrent au XVIIème siècle assouvir la grande curée. Elle signa l’extinction des baleines qui, jusque-là, « s’ébattaient comme carpes en vivier » dans la soupe de plancton nourricière des eaux du Svalbard, les « Côtes froides » selon l’appellation scandinave de cet archipel.
C’est par un temps couvert, tout dans les nuances de gris, mais avec une excellente visibilité horizontale que nous jetons l’ancre au fond de la baie de Kinnvika à 7h00 ce matin. L’énorme navire du Sysselmann est déjà sur place pour des opérations de ravitaillement en kérosène du dépôt près de la base, construite en 1957-58 par les Suédois et les Finlandais à l’occasion de l’Année Géophysique Internationale. Nous visitons certains des bâtiments laissés accessibles : sauna, réfectoire et dortoir, tandis que le vrombissement de l’hélicoptère vient remplir le silence polaire.
Nous partons à la découverte des richesses minérales et lichénologiques du lieu : gélifracts, sols polygonaux, calcaires dolomitiques dessinant des tourelles de châteaux en ruine. Ce site recèle les plus vieux fossiles connus au monde, les stromatolites qui se développèrent ici entre -650 et -950 millions d’années. Ces formations calcaires en nids d’abeilles ont été déposées par l’activité bactérienne dans ce qui était des lagunes, comparables à celles de l’Australie où ces organismes sont toujours actifs.
Nous avons été informés par le bureau coordonnant les bateaux et par un voilier stationné en ces lieux qu’un cadavre de baleine était échoué dans les environs.… Ils nous font prendre un cap à l’Ouest sur le Lomfjord, de l’autre côté du grand détroit d’Hinlopen. Arrivé dans la baie De Geer, nous ne sommes pas longs à détecter ce qui nous amène ici : une carcasse informe, d’une grande baleine à fanons gisant au-dessus de la ligne de marée. Deux taches beiges, l’une affalée dans la toundra, l’autre s’activant sur la carcasse sont l’objet de toutes nos recherches : l’ours blanc ! Un jeune individu batifole dans l’eau, cherchant à escalader des glaçons beaucoup trop petits. Le Sjoveien mouille par 15 mètres de fond et nous lançons aussitôt l’approche en zodiac, pour identifier un mâle dormeur et une femelle qui quitte son festin pour rejoindre ce qui doit manifestement être son jeune de deux ans qui sera probablement sevré dans les semaines à venir. Sa panse rebondie traîne par terre, laissant imaginer les kilos de baleine « maturée » dont elle a dû se goinfrer. Les deux animaux jouent un moment autour des morceaux de banquise dispersés par le dernier coup de vent. Le jeune ours essaie d’escalader un champignon de glace dont le pied cède sous son poids et le laisse tout dépité. Ourse et ourson retournent à la carcasse pour reprendre l’orgie.
Au bout d’un long moment, apparaît sur la toundra une mère accompagnée de ses deux oursons de l’année, nés cet hiver. Ils approchent d’un pas résolu, ignorant le grand mâle endormi. Après avoir contourné le cadavre du cétacé, la femelle, collée aux basques par ses deux rejetons, fait une charge pour chasser ses deux congénères et faire ripaille à son tour. Sa silhouette beaucoup plus élancée laisse à penser qu’elle vient de découvrir cette fortune de mer comestible. Ce faisant, le mâle se réveille et se rapproche tranquillement de l’amoncellement de chairs putréfiés et de côtes déjà bien nettoyées. Il s’agit d’un grand mâle adulte vraiment impressionnant, le genre de mastar balafré, tatoué, à qui l’on n’irait pas demander l’heure à minuit au coin d’un bloc de banquise !
Quand il arrive à une dizaine de mètres, la femelle s’apprête à la confrontation, tête penchée au sol, prête à charger ce danger mortel pour ses oursons. La différence de taille est alors manifeste, le grand mâle est presque deux fois plus corpulent que l’ourse. Elle laisse ses jeunes quelques mètres en arrière pour venir souffler un rugissement à la face du kador mais lui laisse néanmoins place et éloigne précautionneusement ses jeunes.
Le mâle, la gueule entrouverte dans laquelle il manque deux incisives centrales à la mandibule, grands poils aux pattes, deux boucles dans les oreilles montrant qu’il a fait l’objet de manipulations de la part des ursinologues, vient arracher des lambeaux de chairs faisandées.
Les coups de boutoir qu’il assène à la masse de viande et d’os donne une idée de la puissance du seigneur de l’Arctique. Pendant ce temps, à quelques encablures, un petit morceau de banquise passe à la dérive, portant un gros phoque barbu de 300 kilos. Aujourd’hui, pas d’inquiétude, les fauves sont occupés à faire bombance sur un cadavre qui va les occuper encore de longues semaines.
Repas de fête ce soir à bord du Sjoveien où l’on sabrera le champagne pour fêter cette observation d’anthologie ursine… Six ours dès la première observation, au deuxième jour du voyage : une merveilleuse introduction à cette croisière expédition !
De Geerbukta – Walhbergoya – Vibebukta
La carcasse de baleine n’ayant plus fait l’objet d’aucune visite depuis hier soir, nous décidons de mettre le cap sur Walbergoya, un site connu pour son échouerie de morses. Nous naviguons par une petite mer, poussés par un léger vent de Nord, entre le labyrinthe des îles du détroit d’Hinlopen. Après la présentation des différentes espèces d’oiseaux faite par Alain l’avant-veille, Christophe nous initie à la géopolitique des pôles et les enjeux qui se multiplient autour du Spitzberg avec la fonte de la banquise. En chemin, nous croisons les nuées de Guillemots de Brünnich remontant à la colonie d’Alkefjellet où les attendent les jeunes qui n’ont pas encore fait le grand saut dans l’onde.
Arrivés à midi, nous constatons que l’échouerie est bien garnie avec plusieurs dizaines de morses dormant sur la pointe de sable tandis que d’autres vont et viennent sur le rivage par une température très fraîche ce matin, le mercure affichant 2°C à la passerelle. L’île de 25 km2, chapeautée par les dolérites de 100 millions d’années, est la seconde après Wihelmoya en superficie du détroit. Entre le front de mer et les roches noires – la dolérite, contemporaine de l’ouverture de l’Atlantique – des cordons de plages fossiles s’étagent par dizaines, témoins du relèvement progressif des terres depuis la disparition de l’énorme calotte glaciaire qui recouvrait l’archipel au dernier maximum, il y a 18000 ans.
A 14h30, nous mettons un Zodiac à l’eau pour nous rapprocher du gros tas de morses. Un premier passage au large de la pointe nous permet d’apprécier le doux fumet émis par les bêtes à grandes dents pendant leur sommeil. Nous débarquons à quelques centaines de mètres sur la plage sous le vent pour les approcher à une trentaine de mètres. A intervalles réguliers, les masses endormies se réveillent, qui pour planter un grand coup de dent dans la bedaine du voisin, qui pour tenter une percée dans l’empilement des corps pour trouver un oreiller plus confortable, tout cela accompagné de borborygmes réprobateurs, de blatèrements énervés et autres vitupérations morsiennes.
La bise polaire pénétrante qui souffle sur la pointe nous incite à faire une marche sur les plages fossiles pour reconstituer quelques calories. Nous escaladons les marches, remontant les millénaires jusqu’à l’affleurement de dolérite où reposent des restes de baleines échouées sur une ligne de rivage éloignée aujourd’hui d’un bon kilomètre de la ligne de côte, à une altitude d’une cinquantaine de mètres. Au retour, un grand tronc marqué de rainures dessinant une arête de poisson déclenche toute une série d’hypothèses : griffades d’ours, signes cabalistiques laissés par quelque peuplade viking, idéogrammes cryptés à destination de croisiéristes polaires : ??? Le géographe de service ramène le groupe à des considérations plus pratiques : l’essence de térébenthine ! Nous avons là un pin sylvestre saigné pour recueillir la résine qui sera ensuite distillée pour produire le solvant indispensable à tout bon encaustique qui se respecte.
En fin d’après-midi, Andrei, le chef mécanicien, relance le moteur principal, Letchek, matelot du Grand Large, remonte l’ancre tandis que Lexter programme la route du navire à la passerelle. Nous prenons le cap du Brasvellbreen, la grande barrière de glace qui délimite la côte sud de Nordauslandet, la Terre du Nord-Est. Tout un chacun est en veille derrière sa paire de jumelles en quête des formes de vie marine que nous pourrions croiser dans ces parages toujours encombrés de glaces. La bise glaciale qui soufflait tout à l’heure a laissé la place à une mer d’huile nimbée de brume.
C’est dans cette ambiance feutrée que, progressivement, les glaces de toutes tailles et les premiers icebergs bleutés se multiplient à l’approche de Vibebukta où nous avons prévu de passer la nuit. Après le dîner, ces glaces commencent à se peupler de toutes parts de gros boudins dodus : des groupes de femelles et leurs jeunes morses. Dans le rayon de visibilité d’un kilomètre autour du bateau, les silhouettes brunes sont légion, la grande barrière de glace se profile en arrière-plan. A 20h45, près d’un grand attroupement, une tache de couleur crème, au sommet d’un gros bourguignon est détectée : papa bravo captain ! Une lente dérive nous laisse admirer un Ursus mâle aux immenses pattes dotée de très longs poils jaunâtres. Sa tête fine plaide pour un assez jeune adulte. Il est manifestement à l’affût d’une bonne occasion pour goûter aux grosses saucisses odorantes assoupies sur les glaces voisines.
Une Mouette ivoire est venue se poser sur l’iceberg bleu le plus proche, impatiente d’un festin sur les reliefs de repas de son fidèle compagnon. Un mot, un seul : l’Arctique dans toute sa splendeur ! Nous laissons le grand fauve à son affût pour partir à la recherche d’un emplacement où les icebergs à la dérive ne risqueront pas de venir déranger notre sommeil. A 23h00, nous clôturons cette longue et riche journée, non pas sur l’incontournable camomille vespérale, mais en sabrant le champagne en l’honneur du 7ème ours du périple.
Vibebukta – Brassvellbreen – Isysoya : la Grand Barrière de Glace
Nous quittons notre point d’ancrage pour partir plein Est en longeant la Grande Barrière de Glace : 170 kilomètres constituant la lisière marine d’Austfonna, la Calotte de l’Est recouvrant sur 8000 km2, la majeure partie de la Terre du Nord-Est.
Nous retrouvons les petits groupes de morses qui ponctuent les grandes quantités de glace que le vent de Sud de la semaine passée n’a pas réussi à disperser. D’immenses troupes d’oiseaux nous accompagnent : Mouettes tridactyles, Fulmar et parfois, Labbes pomarins et quelques rares Mouettes ivoires. Dans la première partie, là où la calotte est parfaitement uniforme, les bédières donnent naissance à de belles cascades qui évacuent les eaux de fonte de la surface, plongeant d’une quarantaine de mètres de haut dans les eaux glaciales.
Une fois passé le gros ombilic que forme le Brassvellbreen, nous abordons la zone où la calotte s’est mise en surge il y a une dizaine d’années : sa surface complètement disloquée donne un paysage d’apocalypse, capharnaüm infini de blocs. Des kilomètres cubes de glaces se sont mis à courir pour générer les myriades d’icebergs et bourguignons au milieu desquels nous zigzaguons une grande partie du trajet. Malgré le froid vif (0°C et 15 nœuds de vent de Sud), tout le groupe est à poste sur les ponts en admiration devant ce spectacle époustouflant. Dès que les glaces nous laissent le champ libre, Alain nous propose une conférence sur la biologie du morse.
En fin d’après-midi, alors que la lumière irradie la glace et magnifie le camaïeu de bleus, de blancs et de gris, nous abordons la côte de l’île d’Isis. Celle-ci fut nommée, non pas en référence à la mythologie égyptienne, mais plus prosaïquement, en 1935-36, par une expédition anglaise d’Oxford où coule la rivière du même nom. Après dîner, nous descendons un zodiac pour une exploration vespérale de cet îlot chapeauté par une énorme colline morainique laissée par la calotte qui s’avançait jusque-là au début du XXème siècle. De Sud Est, le vent a fraîchi au Nord Est, levant un clapot qui nous oblige à avancer à petite vitesse.
Nous contournons l’île pour constater que l’anse du Nord est entièrement encombrée de glaces. Manifestement, aucun ours ne rôde sur cette terre. Les oiseaux sont légions sur toute l’île : Goélands bourgmestres nicheurs au sommet de la moraine, grandes colonies de Sternes arctiques prenant régulièrement en chasse ces derniers, Grand Labbe. A 22h30, retour à nos pénates du Grand Large où nous attend un chocolat chaud préparé par Jerry. Ce soir, pas question de rejoindre la couette avant d’avoir admiré le soleil de minuit….
Nous arrivons de bon matin devant la calotte glaciaire de l’Ile Blanche – Kvitoya. Celle-ci se laisse deviner, masquée par une couverture de stratus où seules les terres désolées de la pointe ouest de l’île sont visibles depuis notre site d’ancrage. Aucun ours n’étant à proximité du bateau, nous programmons une excursion à la découverte de ces rivages que nous sommes les premiers à parcourir cette année. Après avoir patrouillé tout le rivage jusqu’à la limite ouest de la calotte, qui se termine par une haute falaise de glace, nous débarquons sur le site d’Andréeneset, là où les trois membres de l’expédition suédoise furent retrouvés, par hasard, 33 ans après leur disparition. Dans ce désert minéral laissé par le retrait de la calotte, Andrée, Fraenkel et Strindberg finir leurs jours, épuisés par leur retraite sur la banquise où s’était écrasé leur ballon en 1897. Les nuages bas s’évanouissent progressivement pour nous laisser la vue sur toute la calotte que nous gravissons sur
une centaine de mètres. Nous profitons de du site historique, fait de pierres antédiluviennes et de bois flottés et rentrons au navire alors que le vent s’est levé, agitant un clapot glacial dont les embruns viennent nous fouetter.
De retour à bord, notre chef philippin nous a concocté un repas complet de spécialités de son pays : soupe sinegang, poulet adobo, riz jasmin et nazi goreng, chapsuey, le tout couronné par un dessert de fruits au sirop nappés de chantilly.
Le Grand Large a repris sa route vers l’Est, en direction du second site déglacé de Kvitoya : Kraemmerpynten. En chemin, nous croisons d’immenses radeaux de banquise à la dérive. Rapidement, un hurlement retentit à la passerelle : ours ! Au loin, un gros poilu passe de plaque en plaque, le nez au vent, manifestement intéressé par les effluves émises par le Sjoveien. En quelques minutes, il se retrouve près du bateau, dans la lumière éclatante des glaces. Il s’agit d’un jeune mâle au pelage immaculé, manifestement en pleine forme. Il arrêtera sa course à une cinquantaine de mètres du bateau, nous laissant admirer dans toute sa splendeur le seigneur de ce monde mouvant. Il s’agit du huitième ours de cette croisière, tous observés dans des conditions absolument parfaites !….
Après un temps d’inspection de la masse noire et blanche tanquée au bord de la grande plaque de banquise, notre ours repart vers de nouveaux horizons, dans sa quête éternelle des phoques qui assureront sa survie.
Nous reprenons le cap de l’Est jusqu’à 15h00, où une langue de banquise compacte barre de nouveau l’immensité océane. Un branle-bas de combat ne tarde pas à agiter la passerelle : numéro 9 ! Un ursidé arpente les hummocks au loin, se rapprochant lentement de nous tandis que Lexter manœuvre pour trouver un chenal qui nous permette de ne pas rester prisonniers de ce puzzle gigantesque de grosses plaques de banquise. Nous gardons en vue l’ours masqué par la neige qui tombe dans le vent du Nord droit descendu de la calotte glaciaire. Une fois sortis du dédale, nous stationnons en lisière, mais l’ours a décidé de dormir, caché derrière un monumental dolmen, fruit des compressions titanesques des plaques de glace.
Le dîner est toujours philippin avec le célèbre beeftapas qui fait les délices de la tablée d’affamés que nous sommes.
La lumière est magique, la banquise nous tend les bras, nous décidons une sortie en zodiac. Après de nombreux zigzags dans les chenaux englacés, nous débarquons sur une belle plaque équipée de son appontement à zodiac et de sa piscine privée. Il est temps de sabrer le champagne pour célébrer ce moment toujours exceptionnel de la marche sur les eaux par 100 mètres de profondeur. Ce n’est pas une mais quatre Mouettes ivoire qui viennent terminer ce tableau en apothéose.
Nous avons atteint dans la nuit l’extrémité est de la grande île Kvitøya. Dans le brouillard, nous devinons à peine cette pointe de terres émergées de la calotte qui constituent l’un des trois sites où l’on puisse aborder cette île inexpugnable, ceinturée par un mur de glace de près de quarante mètres de haut. D’immenses langues de banquise compacte s’accumulent sur le pourtour de cette péninsule nommée en mémoire de Waldemar Kraemer, trappeur norvégien qui vint ici dans les années 30 chasser les phoques et les morses qui peuplaient ce « bout du monde ». En accord avec le capitaine, nous décidons de revenir sur nos pas, sachant que la route par le Nord nous est interdite a cause des conditions de glace. En chemin, nous doublons Hornodden, le troisième site accostable à Kvitoya. De nouveau, une ceinture de banquise bloque l’accès à cette minuscule pointe de roches sombres très anciennes, gabbros et serpentines remontant à l’érection de la chaîne calédonienne (Ecosse, Armorique) et au-delà. Le Grand Large avance prudemment sur des fonds non sondés de 25 mètres de profondeur. Tout proche de la terre, le courant de marée, amplifié par ce cap, chasse de grandes plaques très épaisses qui nous font renoncer à toute opération de débarquement. Nous avons de nouveau une pensée pour l’expédition d’Andrée puisque cette parcelle de roche fut nommée en l’honneur de Gunnar Horn, explorateur norvégien qui fut le découvreur du site où Andrée et ses deux comparses avaient disparu, 33 ans plus tôt.
Nous décidons de reprendre la route vers le Sud-Ouest et des eaux plus ouvertes à la navigation. C’est à ce moment, sur le glacis de la calotte offrant une pente douce jusqu’à Hornodden, que le dixième ours se dresse, immédiatement détecté par le regard acéré de nos guides. Il s’agit d’une position privilégiée par le prédateur qui peut ainsi capter les senteurs venues de la mer et redescendre de son poste de guet dès que la banquise lui offre de bonnes conditions de circulation.Nous postons à la passerelle un guetteur tandis que Christophe initie nos passagers à la complexité de l’acoustique sous-marine. La mer est calme par un petit vent de Nord très polaire, l’horizon dégagé à des dizaines de miles à la ronde, le moteur du Sjoveien ronronne de tous ses pistons pour nous conduire vers de nouvelles aventures.
L’après-midi est consacrée à notre avancée inexorable vers Hinlopen. Profitant de conditions de mer nous berçant doucement maintenant que nous avons pris un peu le large, Alain nous relate l’expédition malheureuse d’Andrée pour la conquête du Pôle en ballon gonflé à l’hydrogène. Elle sera suivie d’une présentation des différentes destinations, froides ou chaudes, proposées par Grands Espaces, ainsi que les livres en vente aux éditions de l’Escargot Savant.
A 18h30, le cri tant attendu arrive enfin : baleines ! Pas moins de 5 Baleines à bosse font ripaille dans le plancton, soufflant, plongeant en montrant la queue, sous un nuage d’oiseaux à l’affût des restes de repas des léviathans. Malgré la mer bien formée maintenant au Sud d’Isisoya, nous réussissons à prendre en photo plusieurs des queues, véritables cartes d’identité qui nous permettront de connaître leur route vers les eaux chaudes si elles ont été déjà répertoriées là-bas. Certaines sont très claires, presque blanches, tandis que d’autres sont entièrement noires à l’exception de quelques petites mouchetures claires. L’une d’entre elles, aux griffades évocatrices laisse à penser qu’elle a croisé des Orques de très très près….
Nous laissons ce groupe pour rejoindre notre propre table. Après dîner, compte tenu de notre expérience de banquise tout au bout de l’archipel, nous projetons le film « La tente rouge » avec Claudia Cardinale et Sean Connery, aventure qui retrace l’épopée malheureuse de Nobile à la conquête du pôle.
A notre réveil, nous sommes encore en navigation dans le détroit de Hinlopen, au retour de notre extraordinaire périple glaciaire des jours précédents. La banquise s’est désormais effacée, et les célèbres falaises d’ sont en vue. D’immenses colonnes de dolérite de plus de 100 mètres de haut, s’élancent vers le ciel, où tournoient dans un vacarme assourdissant des nuées d’oiseaux. La crise du logement existe également chez ces alcidés, serrés les uns contre les autres le long de ces falaises impressionnantes. C’est une période extrêmement importante pour la colonie de dizaines de milliers de Guillemots de Brünnich.
En effet, les jeunes guillemots quittent le nid et prennent leur premier envol, accompagnés de leurs parents. Leur premier saut est hasardeux : Ceux qui parviennent à se poser dans l’eau poursuivront leur apprentissage de la vie au côté de leur père. Ils partiront sous peu hiverner plus au Sud. Pour d’autres, moins chanceux, l’aventure s’arrêtera abruptement. Nous en serons d’ailleurs les témoins puisqu’un jeune guillemot sera attaqué, puis dévoré sous nos yeux par plusieurs goélands.
Nous retrouvons quant à nous le Grand Large qui se dirige à nouveau vers le Lomfjorden. Nous ressortons les zodiacs aussitôt après notre déjeuner, pour une courte visite à notre gros ours, veillant toujours aux côtés de sa carcasse. Il daignera relever la tête pour nous humer lors de notre passage, avant de retourner à ses rêves de repas de phoques et autres agapes ursines. Deux autres ours rôdent aux alentours, sans s’approcher. Nous les laissons à leurs occupations, et reprenons la route en direction de Sorgfjorden, ce haut lieu de la bataille victorieuse de deux frégates françaises sur les baleiniers Hollandais en 1693.
Nous remettons en début de soirée nos zodiacs à l’eau pour une petite randonnée dans les terres du Sorgfjord. Sur la petite éminence d’Eolusneset quelques tombes en forme de tumuli nous rappellent l’âpreté de ces régions sauvages dans lesquelles de nombreux baleiniers ont laissé leur vie.
Pour clore en beauté cette superbe journée riche en découvertes, nous profitons de la température idéale du jacuzzi chauffé au feu de bois, un verre à la main.
Jour 9 mercredi 18 août Monacobreen – Smerenburgbreen
Une belle lumière avec un soleil polaire à peine voilé inonde le Liefdefjord, le fjord de l’amour, du nom d’un bateau hollandais qui aurait fait relâche ici en des temps anciens. Nous mettons les zodiacs en action pour une croisière le long du front glaciaire. Le glacier de Monaco toujours très actif a vêlé des quantités impressionnantes de glaces qui nous interdiront aujourd’hui de nous en rapprocher.
Un Phoque barbu, espèce habituelle dans ce type de lieu patrouille les eaux poissonneuses pour lui, amateur d’espèces benthiques qu’il va chercher à des profondeurs peu importantes pouvant néanmoins atteindre 2 à 300 mètres de fond, farfouillant les sédiments à la recherche de toutes sortes d’organismes marins.
L’île Finn, baptisée par le bosco norvégien Finn Lord Isachsen, bien connu de notre capitaine, est en train de se faire rattraper par le front glaciaire et retrouvera, si celui-ci continue son avance, à la base de la falaise de glace comme ce fut le cas dans le début des années 2000. Quelques années plus tard, le front se trouvait avant à plus de 2 kilomètres de l’îlot. Christophe, d’un coup de télémètre, mesure 180 mètres, soit 20 mètres de moins en une semaine selon nos mesures. La morphologie de l’île dissymétrique, en pente douce côté glacier, abrupte côté Liefdefjord, dit les quantités de glace qu’elle a vu défiler depuis des millénaires.
Nous reprenons notre route, direction le glacier de Smeerenburg où nous ferons une sortie après dîner. Christophe, pendant la navigation, présente la richesse et la diversité des formes planctoniques, le phytoplancton étant responsable, à lui seul, de la moitié de la quantité d’oxygène que nous respirons. C’est par une ambiance toujours très lumineuse que nous embouquons le fjord de Smeerenburg après avoir passé les Norvestoyane, les îles du Nord-Ouest, connues, plus tôt en saison, pour leurs populeuses colonies d’oiseaux.
Le fjord de Smeerenburg se prolonge, en avant du glacier, par le Bjornfjord, le fjord de l’ours. Il donne parfaitement à voir les moraines laissées par le Petit Age de Glace qui se termina au milieu de XIXème siècle. Une gigantesque moraine de plusieurs kilomètres de long, non encore végétalisée, contrastant avec les versants taillés dans les roches très anciennes, âgées de plus d’un milliard d’années, marque la dernière avancée du glacier Aujourd’hui, il se trouve divisé en trois parties distinctes, correspondant aux trois fleuves de glace qui autrefois s’unissaient pour s’imposer au fjord. En recul inexorable, le glacier continue néanmoins de vêler quantité de glaces. Ce brasch sert de reposoir à une vaste troupe de Goélands bourgmestres parmi lesquels, quelques individus bruns, nous disent que les premiers jeunes ont pris leur envol.
Sternes et Mouettes tridactyles font bombance d’organismes planctoniques, mettant en pratique immédiate la conférence de Christophe : Beroe cucumis, dotés de cils vibratiles luminescents, Pleurobrachia et ses longues tentacules collantes, connue également sous l’appellation plus lyrique de « Groseille de mer », des quantités de méduses arctiques, et autres Bollinopsis. Entre deux vélages du glacier, nous sommes tous penchés par-dessus les boudins du zodiac en quête d’un nouvel individu planctonique.
Le brasch se fait de plus en plus présent autour de nous, il faut songer à rentrer si nous ne voulons pas passer la nuit (bien qu’il fasse encore jour …) prisonniers des glaces.
Jeudi 19 août Baie de la Madeleine – Côte des Sept Glaciers –Ny London
Nous sommes arrivés tard hier soir dans ce site parfaitement protégé de la Baie de la Madeleine – Marie-Madeleine – patronne des baleiniers — pour passer la nuit au mouillage près de Gravneset. Cette éminence sableuse où sont enterrés pas moins de 130 baleiniers est l’un des trois sites de cette importance autour du Spitzberg. Arrivés par un temps sombre avec de sinistre nuages noirs accrochés aux sommets de plus de 600 mètres, nous nous réveillons dans une lumière rayonnante de commencement du monde où tout brille sous un soleil, qui certes, reste voilé, mais rend les lieux beaucoup plus riants.
Nous quittons la Baie de la Madeleine pour faire cap plein Sud, sous un soleil triomphant et une mer d’huile sur laquelle planent les fulmars.
Dans cette lumière fabuleuse, nous admirons la côte des Sept Glaciers, simplement dénommés de un à sept par des Norvégiens peu imaginatifs, de Sjubreen, le septième au Nord à Forstebreen, le premier au Sud. Sur cette côte ouest où viennent très souvent s’accrocher les nuées, il est bien rare de profiter de conditions météorologiques qualifiables, en ce jour béni d’Eole, « de grand beau anticyclonique ». Nous continuons à avancer à bonne vitesse sur une mer d’huile et embouquons en début d’après-midi le fjord du Roi sous une météo toujours aussi imperturbable. Profitons-en pleinement !
Arrivés à Ny London, nous mouillons devant Blomstrandalvoya, presqu’île devenue une île par les retrait du glacier du même nom qui venait butter contre cette éminence faite de roches sédimentaires. Vieilles de plus d’un milliard d’années, elles furent transformées en marbre, excusez du peu, il y a 400 millions d’années lors de la surrection de la chaîne calédoniène. On estime que les belles formes arrondies dites en « dos de baleine » ou aussi roches moutonnées ont été libérées de leur chape de glace il y a environ 10 000 ans. Depuis, les belles surfaces polies par la glace se dissolvent sous l’action acide des eaux de fonte de la neige, donnant toutes sortes de micro formes karstiques : lapiaz, chenaux d’écoulement des eaux, mise en relief des petites veines chargées en silice moins sensible à ce phénomène. L’autre action de destruction plus radicale de ces belles surfaces est celle de l’alternance du gel-dégel à chaque intersaison, printemps et automne. Le marbre vole alors en plaquettes à la faveur des fissures de la roche envahies par les eaux. Un certain Monsieur Ernest Mansfield, citoyen britannique, eu la malencontreuse idée de venir exploiter ce marbre gélif entre 1911 et 1913, occupant pas moins de 70 concitoyens à la construction de cette exploitation à ciel ouvert. Aujourd’hui, grues, machines à vapeur, wagonnets ont acquis une belle patine sous les embruns et les frimas de la Baie du Roi. La végétation reprend tranquillement ses droits : Silène acaules, Driade à huit pétales, Cassiope tétragone et surtout Saxifrage aizoïdes encore bien fleuris.
Un Labbe parasite pousse son miaulement sur cette toundra, tandis que le Plongeon catmarin semble lui répondre dans le ciel. Au loin, les reliefs pyramidaux baptisés en l’honneur des trois royaumes scandinaves, Danemark, Suède et Norvège se nimbent de brumes.
De retour au bateau, Jerry nous invite au barbecue polaire sur le pont arrière du Grand Large. Transats, couvertures attendent la troupe d’affamés. Le capitaine June vient nous annoncer que nous partirons une heure en avance.
Christophe profite du temps de relâche pour nous dévoiler l’histoire du camp Barnéo, ce camp temporaire, établi sur la banquise. Il est en place, à proximité du Pôle Nord, servant de base éphémère pour une soixantaine de scientifiques et même quelques touristes.
Suivez nos voyages en cours, grâce aux carnets de voyages rédigés par nos guides.
Messages
Contents d’avoir des nouvelles… nous pensons bien à toi…
Nos vacances se continuent tranquillement avec une journée à la mer, c’est sur beaucoup moins grandiose que toi mais néanmoins ressourcantes… gros bisous de nous 10, Sandrine
Je pense très fort à toi ❤️
Bonjour à vous tous mais particulièrement à TOI Coco… Nous espérons vivement que tu as pu trouver des vêtements qui te conviennent (au mieux récupérer ta valise si bien préparée…) afin de pouvoir profiter de ce magnifique voyage que tu attendais tant.
Nous allons bien, bisous tes femmes.
Je pense à toi tu me manques 😘Ta femme
Toutes mes amitiés à Alain Desbrosses et Christophe Bassous.
Faites encore de belles observations
Je pense bien à vous depuis la Bourgogne.
Andrée
Je ne sais plus si Justine devait faire cette croisière avec vous, mais je lui souhaite bon vent….
A bientôt.