Vincent Lecomte
Écologie Polaire
7 août
17 août 2023
Vincent Lecomte
Écologie Polaire
Christian Kempf
Président Fondateur de Grands Espaces
Certaines photos photos d’illustrations ont été prises lors de précédentes croisières au Spitzberg. Lorsque le voyage sera terminé, nous publierons les photos de la croisière. Le manque de connexion internet nous empêche de recevoir les photos en temps réel.
Notre voyage commence à Longyearbyen, capitale administrative du Svalbard, et bourgade de quelques milliers d’habitants située la plus au nord de la planète, à plus de 79° de latitude nord. Dès notre arrivée dans le petit aéroport de cette cité fondée à l’aube du XXe siècle, en 1906, le paysages se dévoile, avec le beau fjord de l’Adventdal bordé de nombreuses vallées creusées par d’anciennes langues glaciaires. Nos guides nous montrent également l’entrée de la banque mondiale de graines, qui préserve des semences du monde entier dans le permafrost de l’île du Spitzberg.
Les vestiges de l’aventure polaire apparaissent sur les collines qui bordent le fjord, et témoignant du passé charbonnier de cette ville qui fit fortune sur ses ressources géologiques, à l’époque où le Svalbard était synonyme d’esprit pionnier et aventureux. Nous visitons brièvement le centre-ville, ou une statue dressée en l’honneur des mineurs nous rappelle les origines de la ville.
Mais nous avons hâte de découvrir notre bateau, amarré au quai flottant : l’Explorer. Nous faisons la connaissance de nos guides, Vincent et Marie, ainsi que de notre chef d’expédition, Christian Kempf. Après une visite du bateau, de son salon, de ses espaces de convivialité, de sa passerelle de commandement, et de ses cabines, nous levons l’ancre vers 19 heures et prenons la route du Grand Nord. Le navire file à vive allure dans l’Isfjord.
Le soir, après notre premier repas servi à bord, l’équipe d’expédition fait un point sur l’esprit du voyage, un voyage expédition, ou les éléments naturels seront au cœur du choix de nos excursions et destinations. Notre équipe nous présente les dernières cartes de banquise et les dernières données météorologiques, avant de lever un verre pour célébrer notre départ.
Quelle journée ! Dès notre premier jour d’excursion polaire, nous allons voir des morses, des phoques, un front de glace, une hutte de trappeur, des fours de baleiniers et… un ours et même un ourson ! Le tout sous un immense ciel bleu, car la chance étant avec nous cette première journée est belle et ensoleillée.
Récit de cette journée riche en observations ! Après une matinée de navigation, au cours de laquelle l’équipage et l’équipe d’expédition nous présentent les spécificités de la navigation polaire, les consignes de sécurité relative à l’embarquement sur les zodiacs et à la présence de l’ours dans le territoire dans lequel nous sommes invités — car il s’agit bien du territoire de l’ours et non de celui des humains –, nous sortons en début d’après-midi pour une longue excursion Zodiac dans le Fuglefjord ( étymologiquement : le « fjord des oiseaux »).
Le lieu, situé au nord-ouest de l’île principale de l’archipel, l’île du Spitzberg, est en effet riche en oiseaux, que nous observons sur des îlots rocheux ou sur l’eau : le guillemot à miroir, des sternes arctiques et leurs poussins, des eiders à duvet, un grand labbe, entre autres.
Mais le (premier) clou du spectacle est bel et bien ce magnifique front de glace, d’un bleu vif, de près d’un kilomètre de large, qui s’offre à nous à quelques centaines de mètres de nos zodiacs, avec ses crevasses, son sérac, sa bédière et sa somptueuse grotte de glace. Nos instruments de mesure permettent d’évaluer sa hauteur à 180 m, dans sa partie la plus haute, ce qui en fait un des glaciers les plus élevés sur l’ensemble de l’archipel.
Un beau vêlage fait s’envoler des centaines de mouettes tridactyles qui profitent des remous créés par la chute de la glace pour pêcher les morues polaires et petits crustacés (tels des amphipodes) déboussolés. Le glacier est très actif : nous entendons de nombreux craquements et observons plusieurs beaux vêlages.
Nous poursuivons notre excursion Zodiac jusqu’à la baie de Sally (Sallyhamna), ce qui est pour nous l’occasion de croiser des morses qui bouchonnent dans l’eau, ainsi que de mettre pied à terre dans une petite baie sablonneuse et de découvrir d’anciens fours de baleiniers ainsi qu’une hutte de trappeurs ornée par de magnifiques crânes et bois de rennes.
Mais la journée n’est pas terminée : en partant, notre guide Marie localise des phoques veau-marins présents à marée basse sur des rochers. Après cette observation de pinnipèdes, nous montons à bord pour nous restaurer — mais dès que le bateau a levé l’ancre, nos intentions gustatives sont interrompues par une annonce qui met toute l’équipe en branle : un ours a été aperçu en train de déambuler sur une île proche, Indre Norskoya. Aussitôt, nous faisons demi-tour avec le navire pour s’approcher du plantigrade.
Nous prenons la décision rapide de remettre les zodiacs à l’eau pour aller observer cette mère ours suitée par un ourson, né l’an dernier, lesquels se reposent dans des éboulis. Comme il est émouvant de voir le jeune se lover auprès de sa maman, laquelle lève la tête pour le bonheur des photographes, avant de se rendormir. Ces deux ours viennent de terminer un repas à base d’œufs d’oiseaux, nourriture fréquente chez les ours au mois d’août dans les secteurs dépourvus de banquise ou de glace de fjord. Nous observons ces « boules de poils » sous la belle lumière dorée de la soirée avancée.
Nous célébrons dignement cette première observation d’ours, par un cocktail pris à bord à notre retour, avant de continuer notre route vers le nord. Oui, le Svalbard est le territoire de « Nanouk », environ 300 d’entre eux s’y trouvant sur les îles au cœur de l’été polaire.
Après avoir navigué toute la nuit, nous jetons l’ancre au petit matin, par un beau soleil et une mer calme, dans une petite anse de la côte ouest de l’île de Wahlberg située dans le détroit d’Hinlopen. Mais ce matin-là il semble que nous ne soyons pas les seuls à avoir eu cette idée-là… En effet 3 navires sont également au mouillage dans les parages; attirés par un sujet commun de prédilection : l’ours. C’est effectivement un site populaire et connu de la flotte locale pour sa carcasse de baleine (probablement petit rorqual) qui a été conservé par le froid depuis l’année dernière, et libéré des glaces au début de l’été. Hors, au Svalbard, qui dit carcasse dit Ours au pluriel ! C’est une aubaine à laquelle les voyageurs polaires ne peuvent résister. Ainsi comme les ours nous revenons en pèlerinage, sur ce site synonyme d’abondance et d’alimentation pour l’ours ,qui en été a plutôt l’habitude de jeûner et de ralentir son métabolisme par manque de banquise, de froid, et surtout de phoques plus faciles à attraper dans ce contexte hivernal.
Les ours sont immédiatement repérés depuis la passerelle, et cette fois il y en a trois, parfaitement répartis dans cette petite anse : un au milieu de la baie, en train de déguster la carcasse située au bord de l’eau, un second marchant vers le Nord-ouest le long d’un bord de falaises à la recherche d’un coin frais pour se coucher et digérer en paix, et enfin un troisième, tout aussi gras que les autres, et situé à l’opposé à droite, plongé dans un profond sommeil, couché à plat ventre sur son névé en hauteur. C’est dans ce décor peuplé d’ours, que nous nous élançons à l’aide des zodiacs, avec excitation et surtout l’embarras du choix…
Nous passerons donc plusieurs heures à observer et photographier successivement ces trois ours, avec une préférence pour celui très occupé à récupérer le moindre morceau de lard de baleine, pourtant bien entamée. Il partage traditionnellement son repas, avec la mouette ivoire, mais pas avec les goélands bourgmestres, qui doivent attendre au-dessus leur tour. Manifestement ce sont trois beaux mâles de différents âges et corpulences, mais en pleine forme, qui s’offrent à nous avec diverses attitudes : couchés, en train de manger, de marcher, de grimper, de bâiller, de se baigner puis s’ébrouer…
C’est vraiment un fabuleux et exceptionnel spectacle, dont on ne peut se lasser. On a donc la chance d’admirer ce magnifique superbe prédateur sous toutes ces formes et couleurs. Car son poil à cette saison est loin d’être d’un blanc nacré immaculé, au contraire, il tire plutôt vers le jaunâtre voir l’ocre, teinté par la vieille graisse, mais également l’absence de neige et banquise pour se « laver ».
Mais bien entendu, l’ours n’est pas l’unique point d’intérêt au Svalbard, bien au contraire, la Nature exceptionnelle ce cet archipel offre un spectacle permanent à toutes les échelles, si l’on sait y prêter attention. Ainsi on peut admirer des formations atypiques de Dolorites noires sur couches sédimentaires blanches de type marbre, qui forment ces curieuses petites falaises. En s’approchant un peu plus, on apercevra même deux couples de goélands qui nichent avec leurs poussins dans les anfractuosités, inaccessibles aux ours et renards. Soudain, un gros morse solitaire apparaît en surface pour ventiler avant de plonger. Des sternes arctiques pêchent tout en grâce et en vitesse, ce qui nous amène à nous intéresser à l’objet de leur pêche, donc ce qu’il y a sous l’eau.
C’est à ce moment-là que l’on découvre des petits cténophores qui dérivent. Puis les cartes mémoires des appareils photographiques bien remplies, nous retournons au bateau pour déjeuner, avec vue sur les ours depuis le salon ! Une matinée royale. Le mâle qui sommeille à droite n’a pas bougé depuis des heures, il paraît imperturbable, quand soudain un effondrement de falaises de dolorites, tel un vêlage, le fera tout de même se déplacer de quelques mètres avec nonchalance.
L’après-midi c’est à la rencontre des morses que nous irons, tout en faisant un petit crochet devant les irrésistibles ours et leur carcasse. Cette échouerie connue de morses se situe à la pointe d’Ardneset. Les morses ont coutume, lorsque la banquette de neige glacée et la banquise fondent, fin mai cette année, se venir se reposer, se sécher, et se gratter en groupe compact les uns sur les autres, au bout d’une langue de sable à proximité d’une zone de nourriture.
C’est la raison pour laquelle ces endroits que l’on trouve autour du Spitzberg sont des lieux privilégiés d’observation des multiples comportements du morse. En effet, on peut en voir nager, souffler, dans l’eau, certains d’ailleurs nous jettent un regard curieux et sortent la tête verticalement pour nous observer, ils « bouchonnent » dans le jargon naturaliste. D’autres entreprennent de hisser leur masse (jusqu’à 900kg pour un mâle) sur la plage pour rejoindre le groupe. Il y en a même un qui nous fait une belle (et comique) démonstration de roulade pour regagner la mer… Ces animaux grégaires ont des codes sociaux très hiérarchisés, on peut donc tout à fait passer des heures à les photographier, les écouter éructer ou grogner, et même les sentir…
Mais l’appel de l’île Blanche et du nord-est nous appelle, nous reprenons donc la navigation dans ce détroit. Avant le repas, Christian et Vincent organisent une discussion-présentation au sujet des ours, des morses et des glaciers du Spitzberg. Vers 19h nous faisons enfin la connaissance de notre équipage principalement philippin composé de matelots, cuisinier, hôtesse, chef mécanicien (lituanien), second et bien sûr capitaine (norvégien). Comme tout est bien organisé, et que la Nature est décidément très généreuse aujourd’hui nous atteignons, pour le dessert, l’immense front de glace de Bråsvellbreen, ses cascades, et sa mer d’icebergs le tout baigné dans une lumière dorée…Ambiance magique et glacée inoubliable!
Une photographie de groupe s’impose. Cet immense front de glace est unique au Svalbard ; issue de la calotte de l’île du Nord-Est, c’est une langue de glace gigantesque : plus de 160km de long et jusque’à 25m de hauteur que nous devrons longer vers l’Est pour atteindre l’île blanche demain matin. Alors que tout le monde ou presque avait regagné sa cabine pour rejoindre Morphée ; une annonce micro résonne dans le bateau depuis la passerelle : tout le monde sur les ponts ! Une scène d’alimentation d’au moins quatre baleines à bosse a été observée ! Bien sûr nous détournons le navire pour aller observer et photographier ce festin de baleine de plus près. Les nuées de mouettes tridactyles qui se régalent aussi accentuent le spectacle. Sans oublier cette la lumière dorée et rasante qui magnifie les souffles des baleines. Ces gracieux cétacés, sont très photogéniques, notamment grâce au lent déroulé de leur caudale à chaque fois qu’elles sondent (autrement dit qu’elles plongent). Ces mysticètes (car elles possèdent des fanons et non des dents) émettent aussi de profonds vocalisent très impressionnants.
On ne pouvait pas rêver mieux pour clôturer cette journée, si intense et diversifiée en découvertes du milieu arctique.
L’Explorer file à vive allure sur une mer d’un bleu sombre. Nous avons franchi, dans la nuit, le mythique 80e parallèle. Nous voilà à présent à moins de 1200 kilomètres du pôle Nord.
Nous apercevons, fin dôme blanc à l’horizon, l’île Blanche (Kvitoya), destination légendaire, découverte en 1707 par le Commandant Gilles et qui ne fut pas revue par la suite avant la fin du XIXe siècle. Longtemps, cette île inhabitée, couverte 99 % par une calotte glaciaire, est restée une énigme.
Ce n’est que dans la deuxième partie du XXe siècle que celle-ci devint libre de glace régulièrement. Elle reste toutefois une destination rare et recherchée. Nous avons de la chance non seulement de pouvoir l’atteindre avec notre navire d’expédition, mais aussi de bénéficier d’une météo favorable, bien que glaciale.
Une longue excursion en zodiac nous mène au bord de la calotte de l’île blanche, sillonnée de bédières (des rivières superficielles creusées dans la glace). Cette calotte, avec ses 410 mètres de haut, est certainement l’une des plus harmonieuses de l’archipel.
Mais si nous sommes venus si loin, c’est pour se donner de nouvelles chances d’observer notre animal favori. Après une patiente recherche au long de la côté, depuis son zodiac, Vincent aperçoit deux ours, dans une baie envahie de glace. Notre guide Marie aperçoit un troisième ours. C’est un festival qui va se dérouler sous nos yeux !
C’est probablement l’observation la plus photogénique de notre croisière : une femelle et son jeune dévorent une carcasse de baleine dans l’eau, puis se perchent sur un promontoire de glace, avec, en arrière plan, la calotte polaire. Nous les observons de si près que le silence se fait spontanément dans les zodiacs. La mère nous jauge, avant de reprendre son festin, imitée par le jeune qui reproduit ses comportements.
Puis, en une scène à la fois comique et émouvante, le jeune ours, de taille imposante, équivalente à celle de sa maman, essaye à plusieurs reprises de monter sur le dos de celle-ci, qui ne semble pas réjouie à l’idée de porter son ado déjà grand sur ses lombaires. De manière générale, lorsqu’il est tout jeune, encore petit, un ourson n’hésite pas à se déplacer sur le dos de sa maman, en particulier lorsqu’il faut traverser un bras de mer ou un fjord. Mais voir un « tanguy » bientôt sevré tenter de se faire transporter « en sac à dos » par sa maman ourse n’est pas coutumier !
Pour parfaire ce spectacle, ces trois ours sont observés au pied d’un petit monument, un monolithe orné d’une plaque de métal rappelant le tragique destin de l’expédition André. Ce mémorial, l’unique installation humaine sur l’île, a été construit à l’emplacement où furent retrouvés, au début du XXe, les dépouilles et les objets de l’expédition d’August Salomon André, parti 30 ans plus tôt à la conquête du pôle nord en ballon. Ce fut une expédition à l’issue tragique, l’aéronef s’étant écrasé sur la banquise, les membres de l’expédition s’étant alors réfugiés sur l’île Blanche – laquelle ne fut nullement leur échappatoire, mais leur tombeau.
De retour à l’Explorer, après cette longue sortie dans des conditions polaires revigorantes, nous naviguons plus au nord encore avec l’Explorer, en longeant la côte nord de l’île. Le front de glace de la calotte polaire étincelle à perte de vue. Notre chef d’expédition, Christian, saisit une fenêtre météorologique idéale pour lancer à nouveau les zodiacs à l’eau à la découverte de la banquise dérivante, de ses crêtes de compression et surtout de ses innombrables morses. Nous observons depuis nos zodiacs de nombreux groupes de femelles accompagnant leurs jeunes et se reposant sur des plaques de glace. Nous surprenons des moments de tendresse, tels ces instants où un jeune morse tête sa maman. Nous observons également des mouettes tridactyles, des guillemots à miroir, un mergule nain et un plongeon catmarin.
Le soir, nous arrivons à l’extrémité nord-est de l’archipel du Svalbard, sur la fine langue de moraines de Kraemerpynten. La lumière, superbe, jaune or, poudre la calotte polaire, tandis qu’un nouvel ours polaire est aperçu depuis le navire. Allongé sur le rivage, nos guides nous le montrent depuis le salon. Le plaisir se prolonge avec l’irruption d’un nouvel ours, le dixième de notre début de croisière, lequel déambule dans les colonies de sternes arctiques, puis vient marcher sur le bord de la calotte polaire.
Quel privilège d’être ici, au bout du monde, et de passer la nuit ici, ancrés devant des ours polaires ! Jamais nous n’avions été aussi loin cette saison au Svalbard.
Après une nuit au calme au mouillage devant la pointe de Kraemerpynten à l’extrême Est de Kvitøya; nous décidons d’essayer de retrouver les ours aperçus hier. La météo a changé depuis hier, le vent s’est levé, et des des nuages gris masquent le ciel, s’accrochent à l’immense calotte de Kvitøya. Au loin une brume au-dessus de la mer. Dans ce nouveau décor contrasté et bleuté, propice à la photographie, nous apercevons une surprenante nouvelle couleur, à travers les stries noires des bédières de surfaces, ces rivières glaciaires, du rouge! Ce « sang des glaciers », est en faite dû à la présence d’algues. Vincent dans l’après-midi prendra le temps de nous détailler cela au salon.
En attendant, nous mettons les zodiacs à l’eau pour essayer de retrouver « nos » ours. En chemin nous retrouvons un petit groupe de morses, encore des femelles et un petit, les femelles se séparent des groupes de mâles pour élever leurs petits et semble trouver refuge dans ces eaux bien à l’Est, car on en rencontre beaucoup plus que le long de la côte ouest du Spitzberg. Elle sont également plus sensibles et craintives, nous ne nous attarderons pas. Pas de plantigrade à première vue coté nord, nous contournons donc la pointe rocheuse où sont échoués un certain nombre de petits d’icebergs, pour atteindre le côté sud et découvrir enfin un ours qui déambule au loin. Il s’avancera dans notre direction, puis se couchera au milieu des roches.
L’observation sera plus lointaine que les jours précédents, qui étaient tout à fait exceptionnels. Une famille d’eiders femelle et leur canetons, sont également aperçus, mais pas de trace de la fameuse et rare mouette de Ross. Nous retournons à bord de l’Explorer, car l’objectif, si les éléments nous le permettent, est de retrouver la banquise, qui d’après la dernière carte se situe bien plus au nord, au-delà du 80°Nord.
Pour agrémenter cette après-midi navigation ; Christian organise une discussion au salon, autour de l’expédition en ballon d’Andrée, et des autres célèbres explorateurs partis à la conquête du pôle Nord au siècle dernier : Peary, Cook, Amundsen, Nansen…Des expéditions propices aux récits polaires épiques. Un peu avant le dîner ; nous arrivons enfin dans un univers de brume et de plaques de glaces dérivantes, le début de la banquise…C’est l’occasion de sortir sur les ponts pour s’imprégner de cette atmosphère unique et dépaysante. Après le repas, Christian décide d’organiser une petite sortie surprise en zodiacs, au milieu des plaques, l’idée est de ne pas aller très loin, mais de trouver la plaque de glace suffisement large, épaisse et esthétique pour pouvoir faire un petit débarquement insolite….
Quelle surprenante sensation de marcher sur la mer gelée à une pareille latitude ! On peut étudier de plus près les hummocks, ces petites crêtes de compression typiques, formées par le frottement des plaques, perpétuellement mobiles, grâce aux courants qui agitent la zone arctique, mais également les vents. Vincent a d’ailleurs bien pris le temps de nous expliquer cela dans l’après-midi. Dans ce décor irréel temps et la vie semblent s’être arrêtés, seuls les cris moqueurs d’un petit mergule résonnent…l’eau des flaques et de surface, est un magnifique turquoise, nous prenons le temps de photographier toutes ces beautés de la Nature avant de retourner au bateau, pour une bonne nuit, car une excursion exceptionnelle se prépare pour demain, l’Explorer change de cap, et prend la direction du Sud vers la petite île de Storøya.
Les zodiacs filent, dans la brume, vers un rivage inexploré. Voilà une heure que nous naviguons, à toute vitesse, sur les eaux sauvages du détroit de Storoysundet. Emmitouflés dans nos combinaisons, tandis que nos pilotes de zodiac visent un cap pour le moment invisible dans la brume, la Terre se fait attendre. Mais où allons-nous ? Et dans quel but ?
Ce 12 août est une journée particulière dans notre voyage. Cette sortie, annoncée et méticuleusement préparée depuis longue date, est « hors du commun », au sens littéral du terme. Il s’agit de se rendre là où aucun bateau de croisière arctique ne s’est jamais rendu.
Oui, il reste quelques derniers rivages « inexplorés » au Svalbard dans le monde des croisières d’expédition, et notre chef d’expédition, Christian, malgré ses 50 années d’expérience polaire, n’a jamais accosté au Kapp Laura.
Le Kapp Laura ? Cette péninsule rocheuse se situe au nord-est de la Terre du Nord-Est. L’absence de ligne de sonde et de toute cartographie fiable empêche les navires de s’aventurer en ces lieux. C’est donc en zodiac que nous nous y rendons, selon un plan d’exploration méticuleusement préparé par notre équipe.
L’Explorer a jeté l’ancre à quelques encablures de l’île de Storoya. Puis, nous sommes partis pour rester 8 ou 9 heures (!) sur les zodiacs (contre 1h30 à 2 heures habituellement). Nous partons bien sûr avec du matériel de survie, des cartes et des outils de navigation. Le tout dans la bonne humeur qui sied à cette petite aventure.
Nous mentirions si nous disions que nous étions parfaitement rassuré-e-s : partir toute une journée, dans la brume, vers des rivages inconnus, a quelque chose de follement intriguant — mais aussi d’inquiétant. Bien heureusement, la brume se lèvera bientôt, tel un rideau de scène dévoilant l’amphithéâtre bleu et gris de la péninsule du Kapp Laura.
Soudain, après ce transit, à l’horizon, la Terre apparaît, noire, minérale, couverte d’une calotte polaire à perte de vue, balayée par un vent du nord assez glacial et humide – donc revigorant ! Dans un premier temps, nous explorons la partie nord du Kapp Laura jusqu’au glacier de Leighbreen, dans le but de trouver un abri ou se réchauffer et se sustenter.
Après plusieurs tentatives dans des baies encombrées de récifs et de glace, Christian localise une plage idéale, abritée du vent, où nous nous installons. Le dôme bleu de la calotte nous surplombe. C’est dans ce décors lunaire et dépouillé que nous allumons un grand feu avec des rondins de bois flotté. Nous nous restaurons autour des flammes, sans pour autant nous empêcher d’admirer quelques fleurs bien valeureuses, telle une saxifrage penchée ayant trouvé refuge dans l’abri créé par une mandibule de grande baleine. Ce os de baleine bleue ou de baleine franche, de 4 mètres de long, git au milieu des plages surélevées, entre des écorces de bois flotté et des rochers aux minéraux roses, blancs, verts et noirs.
Autour du feu, Vincent nous narre les spécificités géologiques de ce lieu étrange, où ces roches rares et torturées nous offrent leur histoire : nous marchons sur des terrains vieux de 400 millions d’années (ère primaire) à plus d’un milliard d’année (mésoprotérozoïque), constitués de gneiss, de migmatites, de gabbros, et de métagabbros. Des cristaux noirs de pyroxène et roses de plagioclases confèrent à cette ancienne racine de montagne un aspect inédit, extraterrestre. Nous sommes situés sur un « pluton de gabbro », forme de magmatisme ancien ayant traversé à l’ère primaire une immense chaîne de montagnes aujourd’hui disparue, connue sous le nom d’évènement de Grenville, à l’époque où la planète Terre avait un tout autre visage : le Svalbard se trouvait dans l’hémisphère sud, en deçà de 60 degrés de latitude Sud.
Au cours de notre excursion, menée par Marie, nous marchons brièvement sur la calotte. Nous constatons également que les cartes à notre disposition sont inexactes, tant la calotte polaire a reculé, découvrant des bandes de terres et des ilots sans noms.
Nous reprenons ensuite notre exploration sur l’eau. Voilà 4 heures que nous sommes partis. Mais la mer étant d’huile, nous décidons d’aller voir encore plus loin. Cap au sud-ouest. Nous longeons la côte sud de la péninsule de Nordmarka, dans un dédale d’icebergs échoués. Nous observons des eiders à duvet, des plongeons catmarin, des sternes arctiques en pêche, devant un front de glace. De belles rivières sous-glaciaires jaillissent en torrents dans la baie.
Puis, pendant plus d’une heure, nous traversons le détroit de Stroroysundet à « pleine bombe », pour gagner la pointe sud de l’île de Storoya. Nous y contemplons la calotte de Storoyjokulen sous un furtif rayon de soleil. Point fort de la journée pour les ornithologues, Marie localise une rarissime Mouette de Sabine, avec sa tête noire caractéristique. Nous l’observons à quelques mètres, car celle-ci survole nos embarcations, pourchassée par un Goéland Bourgmestre. En remontant toute la côte de Storoya vers le nord, nous observons plusieurs groupes de morses, tantôt sur les récifs, tantôt sur une échourie. Les lumières du soir, dorées, changeantes, limpides, réjouissent nos photographes.
En toute fin de journée, après cette expédition réussie, nous apercevons le navire, l’Explorer, notre refuge, où une soupe chaude nous attend !
C’est par un dimanche brumeux que nous nous éveillons au mouillage de la baie de Firkanbukta, près de Kapp Bruun, au nord-Est de l’île de Nordaunstlandet. Cela fait maintenant sept jours que nous sommes partis, et nous n’avons pas vu l’ombre de la queue d’un renard polaire, ni croiser un seul bateau! Nous décidons donc ce matin de chercher plus particulièrement ce petit canidé.
Cela tombe bien car les falaises de Kapp Bruun, regorgent de colonies de tridactyles, mais pas seulement, en regardant mieux, on peut aussi trouver des guillemots de Brünnich et bien sur quelques goélands Bourgmestres qui attendent le moment opportun pour saisir un oeuf ou un poussin laisser sans surveillance quelques instants.
Nous mettons les zodiacs à l’eau et suivons le cap orange des lichens amateur de guano (Caloplaca Elegans), accompagnés en contre bas du vert clair vif des mousses et herbes également fertilisées. Nous passons de longs moments à scruter et photographier ces parois verticales composées de Grabbos sous les cris incessants des oiseaux. On peut observer que les poussins tridactyles sont bientôt près à décoller, malgré l’intense agitation hyperactive de ces volatiles, dans deux semaines, ces falaises seront probablement désertées. On a d’ailleurs du mâle à l’imaginer.
En chemin on a pu admirer la beauté glacée d’un bel iceberg à trois arches. Puis au retour Vincent nous pointe une formation géologique exceptionnelle : un Gabbro plutonique doté d’une taille remarquable et particulièrement coloré dans les tons rosâtres. Un véritable tableau minéral au milieu d’une paroi de Gneiss. En effet cette partie là du Svalbard est essentiellement composée ce ces roches. Vincent est incollable et intarissable sur ces sujets géologiques aussi passionnants que complexes. Au retour nous prenons le temps de débarquer sur une jolie petite plage pour se dégourdir les jambes, des déchets de pêches jonchent encore le sol malheureusement, et nous prenons le temps d’en ramasser quelques uns, une fois de plus. Des bruants de neiges nichent dans les parages, mais c’est surtout les traces fraîches du renard dans le sable qui nous narguent et retiennent notre attention.
Nous rentrons avant midi pour pouvoir manger à l’heure afin de ressortir au plus vite pour suivre Christian à travers un « mini-raid » en zodiac dans l’après-midi ; afin d’explorer d’autres territoires méconnus. Tout cela est très excitant, il nous faut prendre des forces pour tenir jusqu’au retour qui n’aura lieu que vers les 19h30…
Vers 14h nous reprenons la mer toujours en zodiacs, en mode exploration, et en quête des ours vers la bien nommée Bjørnvika et son glacier mémorable : Sexebreen. Les deux embarcations s’élancent dans la baie, malgré un peu de brume à l’horizon, on se sépare pour optimiser notre prospection, et tourner autour des petits îlots qui peuplent la baie, nous n’aurons pas le temps finalement d’atteindre notre objectif initial, pour cause d’ours. Car soudain Marie, suivi de près par deux passagers, détecte deux ours sur l’île de kjerulføya ! Une mère suitée par un petit de l’année dernière ! Quelle chance ! Ce sont deux magnifiques ours bien gras qui s’offrent à nous. Aussitôt on prévient le zodiac de Vincent, qui arrive et tombe lui aussi sur un troisième ours en chemin, positionné sur l’île d’en face. Incroyable ! La mère son ourson sont idéalement positionnés, pour une observation de qualité, les photographes mitraillent.
Les plantigrades se déplacent sans crainte le long du rivage de sable et de roche, et la jeune femelle (identifiée grâce à sa façon d’uriner) semble vraiment très intéressées par nous. Elle hésite plusieurs fois à se mettre à l’eau, mais la présence de la mère calme, attentive, plus distante et plus sage, l’en dissuadera. Les interactions complices entre ces deux ours sont fascinantes, et bien sûr source de beaux clichés. On se déplace doucement et les deux ours semblent nous suivre toujours curieux et calme, ils continue de longer la berge, pour notre plus grand bonheur. Christian remarque que la patte de la mère adulte est tâchée de sang… À juste titre, puisque quelques mètre plus loin se trouve une carcasse de jeune morse ! La petite ourse attrape des algues en chemin et vient manger un peu de morse, sous l’oeil de la mère, qui n’y touchera même pas.
Ces ours sont manifestement repu et bien nourris. Ils finissent par s’éloigner, et nous aussi par la même occasion. On poursuit notre prospection dans cette nouvelle baie entre les îlots.
Aujourd’hui Christian compte aussi nous plonger en mode expédition, une « pause technique » s’impose, sans parler de l’heure du goûter qui sonne. On jette notre dévolu vers une plage non baptisée ; non loin d’une pointe nommée Cuchnovskijodden, à Trollflya.
Aussitôt débarqué, Christian se lance dans la confection d’un feu de bois, Thierry rassemble des bouées de filets de pêches colorées échouées pour un nouveau landart, Marie ramasse les trop nombreux filets de pêche échoués et part en mission « pause technique » avec les filles et le fusil, tandis que Vincent installe le goûter sur des rochers, bref chacun s’affaire sur cette plage. Le bois flotté est un peu plus humide que la dernière fois, mais le brasier finit par démarrer, tel des Robinsons polaires on se retrouve autour pour trinquer du café, thé ou de la Vodka ! Cela devient une habitude auquel on prend vite goût !
Les lumières du soir tombent déjà sur le Svalbard vers 18h, c’est l’heure où des percées de lumières dorées s’échappe des nuages pour venir enchanter les fronts de glacier, il est temps de rentrer. Sur la route du retour ; un énorme iceberg tombé de Nilsenbreen, recouverts de sable sur une face attire notre attention. Mais d’où peut bien venir ce minéral ? Plusieurs hypothèses fusent dans le zodiac. On cherchera encore en vain une dernière fois sous les falaises à oiseaux le renard, mais il restera caché. En tout cas on ne peut être indifférent à toute cette beauté que nous offre cet archipel du bout du monde.
En parlant de bout du monde, après le diner, Christian et le commandant, décident d’aller mouiller à proximité des deux îlots de Foynøya ; toujours plus au nord. Il paraît que les ours apprécient de s’y reposer en l’absence de banquise… La lumière ce soir là est particulièrement dorée, et magnifient les plaques de banquise dérivantes en nombre à cet endroit! Le décor est parfait face à cet îlots insolite, mais aucun ours ne montera le bout de sa truffe. Il faudra se « contenter » de ces paysages sublimes, comme dernière images avant d’aller rejoindre morphée, 23h déjà…On pourrait rester éveiller toute la nuit ici.
Tôt, le matin, nous apercevons un ours, le 14ème de la croisière, sur l’île de Brochoya. Celui-ci dormant, nous poursuivons notre route jusqu’à l’île de Charles XII (ainsi nommée en l’honneur d’un roi du royaume de Suède au XVIIe siècle).
A notre grande surprise, la célèbre île Charles XII (à la morphologie étonnante, celle d’une pyramide tronquée reliée à un éperon rocheux filiforme) est devenue un « archipel », composé de deux îles, les courants et la glace ayant brisé le tombolo central. Autrement dit, le cordon de galets qui l’an dernier encore reliait ces 2 îles s’est évaporé. Il faudra refaire les cartes ! Ce phénomène s’est déjà produit au cours du XXe siècle.
En zodiac, nous faisons le tour de cet archipel, mis en valeur par des lumières matinales orange et rose. Nous observons, dans un éperon rocheux composé de roches très anciennes (plus de 700 millions d’années), une colonie de guillemots à miroirs caractéristiques par ses cris aigus. Nous observons également de nombreux eiders à duvet, les poussins suivant leurs parents sur l’eau, ainsi qu’une falaise habitée par des centaines de mouettes tridactyles. De nombreux icebergs accompagnent notre visite.
Puis, de retour au bateau, nous naviguons vers un fjord peu visité de la côte nord de la Terre du Nord-Est, le fjord de Duve. Pour notre bonheur, cela fait une semaine que nous n’avons croisé aucun autre bateau au cours de notre croisière. Pas le moindre vaisseau ! Ces « derniers rivages » portent bien leurs noms.
Pendant la navigation, Vincent et Marie animent des ateliers scientifiques, l’un sur la géologie du Svalbard, l’autre sur les lichens, que nous pouvons observer à la loupe binoculaire.
L’après-midi est consacrée à une randonnée autour d’une lagune sur la côte Est du fjord. Nous entrons en zodiac dans cette lagune par un « passage secret » qui se dévoile au dernier moment dans un paysage lunaire composé de roches jaunes, blanches, roses, rouges, le tout sous un grand soleil.
Nous observons une flore discrète mais colorée dans ce désert polaire : saxifrages penchées, saxifrages à feuilles opposées, saules polaires, draves, pavots arctiques et carex. Nous admirons également des sols polygonaux, fruit de la cryoturbation, des quartzites à grenats et des roches sédimentaires vieilles de plus de 600 millions d’années. Mais c’est surtout le paysage qui nous saisit, sorte de « Sahara froid » aux dunes de pierres brisées par la gélifraction.
Nous marchons sur d’anciens fonds marins, soulevés par le « réajustement isostatique » (la remontée des terres suite à la fonte de la grande calotte polaire arctique du dernier âge glaciaire). Preuve en est, ces nombreux bivalves qui se mêlent aux sédiments sous nos pieds.
Nous découvrons également un crâne d’ours, lui aussi très ancien (de plusieurs centaines d’années), recouvert de lichens et de mousses, à la dentition impressionnante, notamment cette canine de 8 centimètres de long (avec la racine). Un bois de renne est également déniché. A un point de vue, nous apercevons le fjord et la lagune, et l’horizon bleu vif de l’Océan Arctique à perte de vue, vers le nord.
Après la marche, nous retournons à bord et continuons notre circumnavigation de la Terre du Nord Est, sous une estivale « tempête de ciel bleue ».
Ce matin, nous nous réveillons au fond d’un fjord, encore une fois peu fréquenté par les autres croisiéristes : le Rijpfjord, à Bengtssenbukta en face de deux coulées glacières issues de la fameuse calotte de Vestfonna, pour être précis. Toujours sur notre grande, solitaire et minérale île du Nord-Est. La météo est propice à une autre sortie de type marche. Nous débarquons donc sur la petite grève de galets à l’Est du mouillage, afin de prendre un peu de hauteur sur ces fjords.
À peine les gilets de sauvetage retirés, un visiteur local vient nous rendre visite : il s’agit du très attendu et désiré renard polaire, avec sa fourrure estivale bicolore grise et blanche. Ce petit canidé pressé ne nous accorde qu’un bref regard et continue sa ronde vers les hauteurs. Nous lui empruntons le pas, via un chemin moins escarpé.
En chemin, nous tombons sur un vieux cadavre d’ours, dont il ne subsiste que quelques fémurs, omoplates et côtes. Christian, qui est resté à bord, intervient à la radio pour nous donner de plus amples explications sur l’origine de cet ours qu’il a déjà croisé il y a quelques années… Une patte de phoque avec ses griffes est aussi dans le coin.
De magnifiques grès avec des incrustations de grenades attirent notre regard vers le sol, où quelques plantes subsistent et résistent au climat arctique ; on commence à les reconnaître : céraistes, saxifrages penchées ou toile d’araignée, pavot arctique…
On divise le groupe en deux pour faciliter la marche. Marie part en quête d’un petit lac et d’un point de vue, Vincent longe le rivage vers une grande rivière de fonte glacière. Les deux groupes auront la chance d’observer de loin dans un premier temps ; mais ensuite de plus près, un petit groupe de trois rennes mâles. Curieux, ils ont fini par venir vers nous, on ne pouvait pas rêver mieux.
Sur la plage à notre retour, pour clôturer cette enrichissante balade, le renard nous fait l’honneur d’un deuxième passage presque dans nos pieds, incroyable cette promiscuité avec cet animal à peine plus gros qu’un gros chat. Retour au bateau pour déjeuner, surprise, Élisabeth a ramené un petit bout de saule laineux pour l’observer à la loupe binoculaire, ainsi qu’une chenille, probablement de papillon Nacrela… Il n’y a que deux espèces recensées au Svalbard.
Puis sortie en zodiacs pour aller voir de plus près les glaciers et leurs icebergs, mais aussi des falaises à oiseaux et des formations géologiques atypiques ! Certains icebergs sont vraiment de taille considérable pour le Svalbard. Christian lit et nous décrit leur histoire passée à travers les stigmates laissés par la mer ou le vent comme les cupules, ou ces grandes stries… On cherche le phoque barbu, qui fera une brève apparition.
Les falaises à oiseaux se révèleront pleines de surprises puisque sur les trois sites que nous visiterons, nous tomberons sur des renards polaires ! On observera la diversité de couleur de robe : du blanc au gris clair. Ces renards sont très photogéniques et expressifs par leurs attitudes : couchés, courant, jouant, assis… Nous passerons trois bonnes heures dehors à les contempler, mais pas seulement les renards : mouettes tridactyles, Fulmars nichant, Rennes et aussi Guillemot.
Mais le plus coloré de tous les sujets sera sûrement ces strates sédimentaires de marne rouges et vertes, accompagnées de belles ripple-mark (autrement dit des rides marines fossilisées) ; le tout à portée de zodiacs, que demander de plus ?
En début de soirée, nous lançons une opération barbecue sur les ponts ; mais elle se terminera vite à l’intérieur, en raison de la pluie et du vent… Cela ne changera pas le goût des viandes et poissons grillés, dans tous les cas. Voilà encore une belle journée bien remplie.
Après une semaine passée à explorer les rivages de la Terre du Nord-Est, et ses nombreux ours, nous arrivons au matin en vue de la falaise d’Alkefjellet (littéralement : la falaise aux oiseaux), l’un des sites emblématiques de l’archipel, situé au nord-ouest du détroit d’Hinlopen. Il s’agit, en effet, d’une scénographie minérale et aviaire, combinant une spectaculaire colonie de guillemots de Brunnich à une impressionnante falaise de roche magmatique noire aux formes comme découpées à l’équerre par un géomètre.
Le matin, nous partons en zodiac à la découverte de ce lieu du nord-ouest de l’île du Spitzberg. Plusieurs dizaines de milliers de couples d’oiseaux ont établi leurs dortoirs sur de petites corniches de pierre sculptées par l’érosion naturelle. Les guillemots de Brunnich sont fascinants de par leurs adaptations physiologiques et anatomiques leur permettant d’être devenus, au fil de l’évolution, de véritables oiseaux plongeurs capables d’aller chercher leurs proies sur le fond marin et dans la colonne d’eau jusqu’à plus de 140 m de profondeur.
Sur le plan géologique, le paysage est également intéressant : nous observons des orgues de dolérite (une roche magmatique plutonique) et des strates de marbre, le tout témoignant d’une intrusion magmatique datant du Jurassique et du Crétacé (pour les connaisseurs, il s’agit d’un phénomène bien connu sous le nom de « métamorphisme de contact »). Certains prismes s’élèvent dans le ciel à plus de 95 mètres de haut, évoquant une étrange cité minérale peuplée par ses bruyants habitants.
Nous observons les couples de guillemots sur leur nid, certains élevant de jeunes poussins adorables, leur donnant la becquée, d’autres accompagnant leurs enfants sur l’eau, le tout sous le regard avide de leurs prédateurs, goélands bourgmestres et renards polaires. D’autres guillemots, agressifs, se chamaillent sur l’eau pour régler ce qui ressemble bien à un conflit de voisinage.
Dans la zone de toundra qui s’étend au pied de la colonie, nous avons la chance d’observer longuement deux autres renards polaires (le cinquième et le sixième de notre croisière), lesquels vont et viennent entre la falaise et les prairies, l’un mordillant une aile d’oiseaux, l’autre nous observant avec curiosité. Ici, les renards polaires disposent de tout ce dont ils ont besoin pour se développer : un garde-manger à proximité immédiate, des pierriers de la toundra pour creuser les tanières et enterrer les victuailles. En effet, tels des écureuils, il n’est pas rare d’observer des renards enterrer des œufs ou des poussins morts en prévision des jours futurs.
Nous terminons cette excursion par un détour près d’un petit glacier en forme d’amphithéâtre bleu où nous observons les stratifications de la neige correspondant aux différentes années d’accumulations de la neige.
L’après-midi est consacrée à une navigation ponctuée par des moments de culture au salon panoramique en compagnie de guides de notre chef d’expédition : c’est l’occasion de revenir sur la bataille navale du Sorgfjord (nous y tentons un débarquement mais les audacieuses conditions de mer nous contraignent à la sagesse), sur la biologie du guillemot et du renard polaire. Puis, l’Explorer sort du détroit et entame la longue route du sud, en direction de la mythique Baie du Roi que nous comptons atteindre demain matin.
Tard, en soirée, alors qu’une lumière jaune or lèche la côte ouest du Spitzberg, quelques baleines saluent le navire, par leurs nombreux souffles, à la faveur d’une fosse marine propice à leur nourrissage.
Pour notre dernière escale, nous mouillerons dans l’une des mythiques baies du Spitzberg : la baie du Roi. Plus précisément, nous serons en face de la très photogénique falaise d’Ossian Sarsfjellet. C’est donc avec un bel enthousiasme matinal que nous nous sommes élancés vers ce fameux site de débarquement. À peine installés dans le zodiac, c’est déjà un spectacle : les goélands prédateurs capturent en plein vol les jeunes tridactyles à peine émancipées du nid.
Nous séparons une dernière fois le groupe pour laisser les marcheurs les plus aguerris partir à l’assaut du sommet de cette falaise colorée avec Marie, tandis que le deuxième groupe de marcheurs plus tranquilles explorera les environs avec moins de dénivelé en compagnie de Vincent, jamais à court de récits et d’anecdotes dans tous les domaines.
La vue sur les glaciers de la baie est splendide. Quelques nuages s’accrochent aux sommets et filtrent les rayons du soleil. Pas de vent, tout est calme. Seul le vacarme des tridactyles résonne. Nous croisons et recroisons des rennes en chemin, ils suivent la toundra… Mais ce que nous recherchions particulièrement ce jour-là, ce sont les lagopèdes alpins, les seuls oiseaux non migrateurs du Svalbard, qui osent affronter le rude hiver polaire. Et une fois de plus, la Nature nous récompense en nous permettant d’observer pas moins de 6 lagopèdes ! Une mère et ses petits, c’est magique !
En redescendant, nous retrouvons le reste du groupe, partis faire un petit tour en zodiac. Un renard surgit soudainement sur la piste d’une carcasse, des rennes décident de déambuler sur la plage presque à notre rencontre, un Labbe parasite harcèle une mouette, et enfin un Goéland attaque un jeune tridactyle. Toutes ces scènes animales débordantes de vie se déroulent en moins d’une demi-heure. Nous ne savons plus où donner de la tête. Finalement, nous remontons à bord du bateau, car l’heure du déjeuner a sonné.
L’après-midi, c’est avec Vincent que tout le groupe partira en zodiac pour admirer les fronts de glaciers de Kronebreen et Kingbreen. Ils apercevront les trois sommets symbolisant les trois royautés scandinaves : Nora (1224m), Dana et Svea. Un phoque barbu sur un iceberg leur fera même l’honneur d’une dernière visite.
Après un dernier passage en bateau devant ces glaciers, nous mettons le cap sur Longyearbyen. Le pot de départ sera l’occasion de remercier chaleureusement tout le monde pour sa participation à ce voyage exceptionnel qui nous a donné le goût de l’exploration polaire et permis de nous approcher au plus près de toutes ces espèces et de cette Nature hostile, sauvage, aux forces d’attraction envoûtantes. Nous repartirons donc tous contaminés par le virus des régions polaires, avec des idées de voyages plein la tête.
Suivez nos voyages en cours, grâce aux carnets de voyages rédigés par nos guides.
Messages
Quelle belle expédition..
Ca donne envie de repartir, moi qui a eu la chance de voyager avec Christian et Vincent sur l’Ocean Nova en juillet 2022..
Bonne expédition à vous tous.
Un salut amical à Marie (juste vue à Rouen ..)
Faites nous toujours rêver
Cette expedition fut un regal nous sommes impatients de repartir en septembre pour découvrir la cote Et du Groenland. Je suis sur que nous retrouverons avec plaisir plusieurs participants de cette expédition Aout 2023. Merci encore Christian, Marie, Vincent pour avoir partagé vos passions j’ai découvert in intérêt pour la géologie.